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Insuffisance cardiaque

Publié le 18 sep 2007Lecture 7 min

Le traitement de l'OAP après 80 ans

J.-M. TARTIÈRE, hôpital Lariboisière, Paris

L’œdème aigu pulmonaire cardiogénique (OAP) est une urgence médicale dont la prise en charge dépasse largement le monde « cardiologique ». La fréquence de l’insuffisance cardiaque augmente très fortement avec l’âge et, si les plus de 80 ans représentent environ 6 % de la population française, ils représentent vraisemblablement plus du quart des patients souffrant d’insuffisance cardiaque en Europe(1). La physiopathologie de l’OAP du sujet de plus de 80 ans rejoint celle de l’insuffisance cardiaque « diastolique », qui est le résultat de plusieurs dysfonctions : cardiaque (défaut de compliance), vasculaire (augmentation de postcharge) et rénale (régulation de la volémie). Le traitement repose sur l’oxygénothérapie, les vasodilatateurs, la ventilation non invasive et peu sur l’emploi des diurétiques.

Le diagnostic Chez le sujet âgé, l’OAP est fréquemment asthmatiforme, ce qui peut égarer le diagnostic. De plus, l’association habituelle à un facteur déclenchant infectieux est encore une source de mauvaise orientation. La clinique pouvant être atypique, il est parfois nécessaire de faire appel dans la démarche diagnostique à la pratique d’examens spécifiques. Un BNP normal ou < 100 pg/ml élimine souvent le diagnostic d’OAP cardiogénique(2), sauf s’il est dosé très précocement après le début des symptômes (< 3 h ou OAP flash), ce qui n’est pas exceptionnel après 80 ans. De plus, les taux de BNP augmentant avec l’âge et dans de multiples situations pathologiques, des taux intermédiaires (100 à 400 pg/ml) sont fréquents et ne confirment pas le diagnostic. Les taux très élevés gardent, eux, une bonne valeur prédictive positive. Finalement, dans certains cas où la clinique et le BNP ont échoué, l’échographie cardiaque peut parfois être utile afin principalement d’analyser le flux mitral et de confirmer l’élévation des pressions de remplissage. L’analyse Doppler se limite souvent à la recherche d’un rapport E/A > 1 ou d’un temps de décélération de E < 140 ms qui, chez un sujet dyspnéique de plus de 80 ans, sont des arguments majeurs en faveur de l’OAP (figure). Cette prise en charge est de plus adaptée à l’utilisation des échos Doppler portables et à leur utilisation par des non-cardiologues. Figure. E/A et temps de deceleration de E < 140 ms. Les bases physiopathologiques   La dysfonction cardiaque Le ventricule gauche (VG) du sujet âgé en OAP se caractérise par une FEVG préservée et une fonction contractile peu ou pas altérée. La réserve inotrope physiologiquement disponible est toutefois plus faible, limitant l’adaptabilité ventriculaire. Cela est associé à des anomalies de relaxation et de compliance du VG entraînant une forte dépendance entre remplissage VG et contraction auriculaire.   La dysfonction vasculaire La présence d’une dysfonction vasculaire périphérique (microvasculaire) est associée à une dysfonction proximale (artères élastiques : aorte et branches). Ces anomalies entraînent une augmentation des résistances périphériques et centrales ainsi qu’une augmentation des phénomènes de réflexion, ajoutant ainsi une résistance supplémentaire au VG sans contre-partie en termes de remplissage coronaire.   La dysfonction rénale L’insuffisance rénale est l’une des caractéristiques majeures et sous-estimées de ces patients. La régulation de la volémie, même modérément altérée, est susceptible d’avoir des conséquences sévères dans un système cardiovasculaire rigide. Ainsi, les grandes hypervolémies sont quasiment impossibles, puisqu’une très faible variation entraîne une augmentation majeure des pressions vasculaires (pressions artérielles moyenne et pulsée) et cardiaque (pression de remplissage VG) avec un tableau clinique d’emblée catastrophique. Une anémie est, de plus, fréquemment associée limitant encore les possibilités d’adaptation.   Comment traiter l’OAP après 80 ans ? Des mesures simples sont toujours indiquées, et applicables quel que soit le lieu de prise en charge initial : mise du patient en position assise, l’orthostatisme réduisant le retour veineux et la pression hydrostatique ; mise en place rapide d’une voie veineuse ; oxygénothérapie (tableau). L’oxygénothérapie et la ventilation assistée L’oxygène au masque doit être administré à un débit suffisant pour obtenir une saturation stable au-dessus de 96 % (environ 10 l/min), de préférence par un masque à haute concentration. Il est toutefois important de tenir compte de la présence ou non d’une insuffisance respiratoire chronique, afin de ne pas transformer l’OAP en encéphalopathie hypercapnique. La CPAP au masque : l’administration de l’oxygène peut également se faire sous pression positive au masque (CPAP). Cette technique permet d’améliorer l’hématose en permettant un meilleur recrutement alvéolaire en fin d’expiration, associé à une réduction du travail respiratoire par amélioration de la compliance pulmonaire, et à une diminution de la charge systolique à l’éjection du ventricule gauche par réduction des pressions transmurales ventriculaires et aortiques. Ce mode ventilatoire modifie peu la précharge puisque la phase inspiratoire spontanée en pression négative est respectée. La CPAP est appliquée à l’aide d’un masque facial adapté à la morphologie et étanche, au travers duquel un air plus ou moins enrichi en oxygène est délivré en pression positive. Ce type de ventilation nécessite une surveillance attentive du patient afin de détecter d’éventuels signes de mauvaise tolérance et d’éventuelles complications. Elle entraîne souvent une amélioration spectaculaire des symptômes et permet de diminuer de plus de 50 % le taux d’intubation, avec une tendance à la baisse de la mortalité(3). L’existence de masques équipés de valves à pressions croissantes permet une utilisation sans ventilateur mécanique et donc adaptée à des services d’urgence ainsi qu’aux équipes médicales mobiles.   La morphine Le chlorhydrate de morphine est aujourd’hui peu utilisé. L’intérêt hémodynamique consiste en une baisse de la précharge et de manière moins prononcée de la postcharge et de la fréquence cardiaque. Elle est utilisée en un bolus unique d’environ 3 mg IVD. Toutefois, son action sur les centres nerveux de la ventilation peut être délétère et son utilisation au-delà de 80 ans doit être mûrement réfléchie, mais reste possible en milieu spécialisé et avec une surveillance rapprochée.   Les vasodilatateurs Dérivés nitrés Dans le cadre de l’urgence chez un sujet en OAP, notamment au domicile, la forme sublinguale en spray peut permettre de diminuer de manière importante la dyspnée et de passer un cap en attendant l’équipe médicale mobile et l’abord veineux. Cotter et al.(4) ont également démontré, chez des patients en OAP, l’intérêt des bolus de 3 à 4 mg d’isosorbide dinitrate toutes les 4 à 5 minutes (prise de PA avant chaque bolus), comparativement à un traitement diurétique à forte dose(4) ou à une ventilation par pression positive(5). Cette prise en charge permet d’atteindre plus fréquemment et rapidement une saturation en O2 > 96 % ou une baisse de pression artérielle systolique de plus de 30 % (ou < 110 mmHg). En pratique clinique, cette thérapeutique est d’autant plus efficace que la PA initiale est élevée. En perfusion continue, les doses utilisées sont de 2 à 8 mg/h d’isosorbide dinitrate, la tachyphylaxie pouvant survenir dès 24 h d’utilisation. Si l’intérêt de l’isosorbide dinitrate est actuellement bien démontré dans l’OAP, l’un des facteurs limitants reste la prise chronique de fortes doses de dérivés nitrés (IV ou per os, mais pas en patch), risquant de limiter leur efficacité. Les autres vasodilatateurs Le nitroprussiate de sodium, vasodilatateur nitré très puissant, doit rester d’utilisation exceptionnelle chez les sujets de plus de 80 ans et en milieu très spécialisé. L’utilisation des autres antihypertenseurs IV (nicardipil, uradipil) ne présente pas d’avantage par rapport aux nitrés mais ils peuvent être utilisés en cas d’HTA rebelle ou de contre-indication.   Les diurétiques Dans l’OAP, les diurétiques de l’anse sont les plus utilisés, généralement sous forme IV comme le furosémide et le bumétamide (1 mg de bumétamide = 40 à 50 mg de furosémide). La diurèse est obtenue après 30 min avec un pic entre 1 et 2 heures après l’injection. Leur effet vasodilatateur faible et tardif (> 15 min), rend leur utilisation en cas d’OAP très discutable, ce d’autant que le facteur déclenchant est souvent une augmentation brutale de postcharge sans modification majeure de la volémie. La posologie habituelle est de 40 à 80 mg de furosémide IVD à l’arrivée du patient, suivie d’une dose d’entretien pouvant correspondre à la dose chronique prise par le patient en ville. La très grande fréquence d’insuffisance rénale aiguë rencontrée dans les jours suivant la guérison de l’OAP rend compte de notre trop forte utilisation des diurétiques.   Les inotropes positifs Les inotropes positifs ne sont quasiment jamais indiqués dans la prise en charge de l’OAP et tout particulièrement chez les sujets les plus âgés. En effet, la très forte proportion de FEVG conservées et d’accès hypertensifs rend leur utilisation généralement inutile et dangereuse (troubles du rythme ventriculaire et supraventriculaire, accélération de la déchéance myocardique). Seuls les patients présentant un bas débit aortique, une postcharge basse et une volémie augmentée seraient susceptibles de bénéficier d’un inotrope, tout en sachant que ce profil hémodynamique peut également révéler un sepsis associé.   Autres traitements La saignée, traitement datant aussi de bien plus de 80 ans, si elle est indispensable, doit être rapide (300 à 400 ml). Une hypotension artérielle modérée ne la contre-indique pas. Elle doit être par contre évitée en cas de collapsus ou d’anémie. La position assise jambes pendantes ou la pose de garrots aux quatre membres peuvent donner des résultats non négligeables. La digoxine par voie intraveineuse n’est utilisée que pour ralentir la fréquence ventriculaire d’une tachyarythmie par fibrillation auriculaire, tout en prenant garde au risque de surdosage et aux dyskaliémies concomitantes. En cas de collapsus persistant, l’administration d’agents vasopresseurs comme l’adrénaline, la noradrénaline ou la dopamine (7-15 µg/kg/min) est indiquée et une cause septique associée doit systématiquement être recherchée. Le traitement des facteurs ayant déclenché l’OAP est, bien entendu, capital pour l’épisode aigu comme pour la prévention des récidives.   En pratique L’OAP de nos seniors est plus une maladie polysystémique qu’une maladie cardiaque pure. Le traitement doit à la fois respecter le principe d’une médecine basée sur les preuves et la physiopathologie de nos octogénaires. De plus, une attention toute particulière doit être portée à la recherche, la compréhension et la prévention du (ou des) facteur(s) déclenchant(s). L’auteur n’ a pas déclaré de conflit d’intérêt.

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