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Fibrillation atriale

Publié le 13 fév 2024Lecture 8 min

Gestion des anticoagulants oraux chez le sujet âgé dans la fibrillation atriale : pourquoi décider à plusieurs ?

Caroline DUPONT(1), Lorène ZERAH(2), Sandrine DELTOUR(3), Élodie BAUDRY(1)*

Les anticoagulants oraux (ACO) jouent un rôle essentiel dans la prévention des complications thromboemboliques chez les patients atteints de fibrillation atriale (FA). Ils sont également pourvoyeurs d’événements indésirables médicamenteux graves, évitables dans 40 à 70 % des cas, principalement liés à des erreurs de prescription. Les sujets âgés, présentant un risque thromboembolique et hémorragique élevé, ont une indication à l’évaluation minutieuse du rapport bénéfices/risques de cette classe thérapeutique, en raison de particularités physiologiques et cliniques.

Une population au risque thrombo-embolique et hémorragique élevé   La prévalence de la FA augmente avec l’âge : presque 50 % des patients atteints de FA ont 75 ans ou plus, et bien que la prévalence observée soit de 10 % chez les personnes de plus de 80 ans, cela exclut les patients non diagnostiqués. De plus, l’âge élevé est un facteur indépendant d’accident vasculaire cérébral (AVC) ischémique. Ces AVC se grèvent de conséquences majeures dans cette population tant sur le risque vital que fonctionnel. Il est donc primordial, en l’absence de contre-indication, de prévenir la survenue d’AVC ischémique par l’introduction d’une anticoagulation, qui permet de réduire le risque d’accident cardio-embolique lié à la FA de 62 % par rapport à un placebo. L’ensemble des patients gériatriques (≥ 75 ans) en FA présentent une indication théorique à l’anticoagulation curative puisque leur score CHA2DS2-VASC est au moins égal à 2. En parallèle, il est conseillé d’évaluer le risque de saignement, car les événements hémorragiques surviennent plus fréquemment chez les sujets âgés que les sujets jeunes. À titre d’exemple, l’angiopathie amyloïde cérébrale, retrouvée dans 25 % des patients de plus de 70 ans sur des séries autopsiques, est la première cause d’hématome lobaire intracérébral. Cependant, un tiers des patients souffrant de cette pathologie sont amenés à présenter une indication d’anticoagulation curative, principalement pour une indication de FA(11). L’évaluation du risque hémorragique chez le sujet âgé repose, comme pour les sujets plus jeunes, sur l’utilisation de scores de risque hémorragique (HASBLED, HEMORR2HAGES…), dont les facteurs de risque de saignement recoupent en grande partie les facteurs de risque d’accident ischémique. Il est donc souvent pertinent de proposer une évaluation multidisciplinaire approfondie pour accompagner la décision thérapeutique. Malgré le risque accru de saignement, une étude menée en 2017 dont 505 patients étaient âgés de plus de 85 ans a révélé que le risque d’AVC ischémique (AVCi) augmentait plus rapidement avec l’âge que le risque de saignement.   Particularités du sujet âgé, une augmentation du risque iatrogénique   L’une des particularités du sujet âgé est la présence d’une polypathologie fréquente, entraînant régulièrement une polymédication, définie par la consommation régulière d’au moins 5 médicaments par jour, apportant un risque de prescriptions potentiellement inappropriées et d’interactions médicamenteuses. À titre d’exemple, l’administration d’amiodarone dans une population âgée de 87 ans en moyenne contribue de manière significative à l’augmentation des taux résiduels du rivaroxaban. De même, le risque d’événements hémorragiques est plus élevé chez les patients recevant des inhibiteurs de la recapture de la sérotonine (aOR 1,92 ; IC à 95 % 1,52-2,42), associés aux anticoagulants oraux directs (AOD). L’observance, définie comme la prise adéquate des médicaments prescrits, en termes de prise et de durée de traitement, peut être altérée chez les personnes âgées en lien avec des troubles cognitifs ou thymiques, un faible statut socioéconomique et un isolement. Dans cette métaanalyse publiée en 2020 portant sur 594 784 patients atteints de FA, la proportion de patients ayant une bonne observance était de 66 % (IC à 95 %, 63 %- 70 %). La mise en place d’un pilulier et/ou d’un infirmier à domicile est des outils permettant d’améliorer l’observance, au même titre que la révision régulière des traitements et l’utilisation de traitements combinés qui peuvent augmenter l’observance de 30 %. De la même façon, le rivaroxaban pourrait être privilégié, par rapport aux autres AOD, en fonction des cas, en lien avec sa prise unique, afin d’améliorer l’observance thérapeutique. Malgré le bénéfice sur la morbimortalité des anticoagulants chez les patients âgés atteints de FA, seuls 40 à 60 % des patients éligibles à une anticoagulation en bénéficient. Des résultats similaires ont été retrouvés dans une étude rétrospective de 2017 incluant 94 474 patients d’âge moyen de 79,9 ans aux antécédents de FA et hospitalisés pour la survenue d’un AVC : 83,6 % des patients ne recevaient pas d’anticoagulant ou à dose trop faible avant la survenue d’AVC. De manière plus étonnante, 65 % d’entre eux n’avaient pas de raison documentée de ne pas recevoir d’anticoagulation orale.   Altération de la fonction rénale chez le sujet âgé   Le vieillissement rénal s’accompagne d’une réduction du débit de filtration glomérulaire (DFG), pouvant entraîner une accumulation des AOD. La fonction rénale doit donc être systématiquement évaluée avant la prescription et la posologie ajustée si nécessaire. Par exemple, la posologie de l’apixaban doit être réduite à 2,5 mg 2 fois par jour au lieu de 5 mg 2 fois par jour, si l’on se trouve en présence de 2 critères parmi : l’âge ≥ 80 ans, le poids ≤ 60 kg, la créatininémie ≥ 1,5 mg/dL (ou > 133 mol/L). En raison de sa forte élimination rénale, le dabigatran est fortement déconseillé chez les sujets âgés. Néanmoins, les données récentes observent une efficacité et une innocuité supérieures des AOD par rapport aux antivitamines K (AVK), même en situation d’insuffisance rénale chronique. La sécurisation de la prescription chez les patients âgés repose sur la surveillance régulière de la fonction rénale, dont le rythme peut être défini par la fonction rénale elle-même. Une proposition est de réaliser une surveillance biologique tous les DFG/10 mois (en cas de DFG = 40 mL/min/1,73 m2, surveillance tous les 4 mois). En revanche, il est déconseillé de sous-doser ces traitements, car cela expose les patients à un risque accru de saignement sans leur offrir une prévention du risque ischémique efficace(26).   Sujets âgés, anticoagulants et chutes : une inquiétude infondée   Les chutes sont la raison principale retenue de la sous-utilisation des anticoagulants chez les sujets âgés. Les chutes sont en effet une source importante de morbidité, d’incapacité et de limitation des activités chez les personnes âgées, dont l’incidence et la prévalence augmentent avec l’âge : parmi les patients de plus de 65 ans, la proportion globale ayant eu au moins une chute au cours de l’année précédente varie de 30 % à 40 %. Ce taux dépasse 50 % chez les résidents de maisons de retraite. Bien que l’anticoagulation soit associée à un risque accru de saignement chez les patients qui chutent, le risque absolu est faible. Il a été estimé qu’un individu devrait chuter 295 fois en 1 an pour que le risque de saignement majeur lié à la chute l’emporte sur les bénéfices de la Warfarine pour réduire le risque d’AVC ischémique. De plus, le registre d’AVC canadien, de 3,197 patients, dont l’âge moyen était de 79 ans, retrouvait un risque ischémique plus important qu’hémorragique chez ces patients. La perception d’un risque élevé de chute ne peut, à elle seule, justifier la nonprescription d’anticoagulation chez les patients âgés.   Le choix de l’anticoagulant chez le sujet âgé   La supériorité des AOD par rapport aux AVK est démontrée, y compris chez les patients de plus de 75 ans, avec une non-infériorité sur les événements ischémiques, une diminution de 50 % des hémorragies cérébrales, et une diminution de la mortalité. Néanmoins, chez les patients de plus de 80 ans, on observe une augmentation du taux de saignements gastro-intestinaux avec le rivaroxaban, l’édoxaban et le dabigatran par rapport à la Warfarine (HR 1,81, IC95% [1,12-2,94]), non retrouvée lors de l’usage d’apixaban. Devant ces résultats, il est préconisé d’utiliser en première intention chez les sujets âgés en FA, les AOD par rapport aux AVK et en particulier l’apixaban, en l’absence de contre-indications. En deuxième intention, l’usage du rivaroxaban est intéressant en raison de son administration unique quotidienne. Le dabigatran, devant ses 2 prises quotidiennes et sa forte élimination rénale, est déconseillé dans cette population malgré la présence d’un antidote.   De l’intérêt de décider à plusieurs : une RCP concernant les anticoagulants chez le sujet âgé   Les contre-indications d’une anticoagulation sont la présence et/ou risque d’une hémorragie grave et/ou récidivante, l’altération de la coagulation, l’hypersensibilité aux anticoagulants. Chez le sujet âgé, nous avons vu que, malgré l’indication théorique en raison du risque thrombotique, les situations qui majorent le risque hémorragique sont plus fréquemment rencontrées. De plus, l’évaluation du rapport bénéfice/risque des anticoagulants est rendue délicate par le manque de données et en conséquence de recommandations dans cette population spécifique. Afin de faciliter la prise de décision dans ces situations, une réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP) a donc été créée en 2016 au Centre hospitalier universitaire de Bicêtre afin de rassembler différentes compétences autour de ces dossiers difficiles. Elle fait participer des praticiens de spécialités différentes (neurovasculaires, biologistes spécialisés en hémostase, gériatres, cardiologues, pharmaciens), provenant de 8 hôpitaux différents de l’Assistance publique Hôpitaux de Paris. La population présentée en RCP est polypathologique et polymédiquée, en situation d’indication théorique d’anticoagulation et a présenté au moins un élément (tel que l’angiopathie amyloïde, les accidents hémorragiques sous anticoagulants…) qui fait discuter l’introduction, la poursuite ou la réintroduction d’une anticoagulation après un épisode aigu. La décision prise est collégiale et consensuelle, elle est tracée dans le dossier de soins du patient. À notre connaissance, il s’agit de la première RCP antithrombotique chez le sujet âgé. Une étude de cohorte prospective est en cours afin d’évaluer l’association de cette RCP avec la réduction de la survenue d’accident ischémique ou hémorragique chez les patients âgés atteints de FA. En pratique   Les anticoagulants sont régulièrement sous-utilisés chez les patients âgés en FA, dans une majorité des cas sans justification rationnelle. Cependant, les spécificités de cette population et la moindre documentation rendent l’évaluation de la balance bénéfices/risques parfois complexe. L’évaluation minutieuse de la situation, la collégialité lors de la prise de décision, la surveillance régulière et la coordination entre les professionnels de santé impliqués sont des pistes d’amélioration de prise en charge au bénéfice des patients et des praticiens.   * 1 Unité de gériatrie aiguë, CHU du Kremlin-Bicêtre, AP-HP ; Université Paris Saclay, Boulogne-Billancourt 2 AP-HP, hôpital Pitié-Salpêtrière, Département de gériatrie, Paris ; Sorbonne Université, INSERM, Institut Pierre Louis d’épidémiologie et de Santé publique (IPLESP), Paris 3 Unité de neurovasculaire, hôpital Raymond-Poincaré, Garches, AP-HP ; Université Saint-Quentin-en-Yvelines Références sur demande à la rédaction : biblio@axis-sante.com

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