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Fibrillation atriale

Publié le 04 avr 2024Lecture 7 min

Prolapsus mitral arythmogène : comment prédire le risque de mort subite ?

My-Lien NGUYEN, USIC ; Antoine FAYOL, USIC ; Guillaume REVERDITO, radiologie - Hôpital européen Georges-Pompidou, Paris

Le prolapsus valvulaire mitral est la valvulopathie mitrale la plus fréquente dans les pays occidentaux avec une prévalence estimée entre 0,6 et 2,4 %(1) dont les deux principales étiologies sont la dégénérescence myxoïde (maladie de Barlow) et la dégénérescence fibro-élastique. Le risque rythmique associé au prolapsus valvulaire mitral, allant d’un épisode asymptomatique d’extrasystoles ventriculaires à la mort subite, reste encore un challenge thérapeutique pour le clinicien. À travers ce cas clinique, nous souhaitons illustrer ces difficultés thérapeutiques ainsi que présenter les actualités dans la prise en charge des patients atteints d’un prolapsus valvulaire mitral via le consensus d’experts récemment publié en août 2023.

Cas clinique – Illustration Nous rapportons le cas d’une patiente de 51 ans ayant pour antécédent une maladie de Barlow découverte en 2017 à la suite d’un passage en fibrillation atriale paroxystique. L’échographie cardiaque avait révélé une insuffisance mitrale modérée (surface de l’orifice régurgitant 0,14 cm2) avec un prolapsus bivalvulaire prédominant sur le feuillet postérieur, une fraction d’éjection préservée et une oreillette gauche dilatée à 41 mL/m2. L’électrocardiogramme avait mis en évidence des ondes T négatives en inférieur. Un holter ECG avait décelé des extrasystoles ventriculaires monomorphes sans salve. Le scanner cardiaque réalisé en 2018 (figure 1) montrait un épaississement et un remaniement au niveau de l’insertion du feuillet valvulaire mitral postérieur évocateur de maladie de Barlow. Figure 1. Scanner cardiaque (réalisé en 2018) avec images clés centrées sur la valve mitrale. A. Coupe 2 cavités. B. Coupe 3 cavités. C. Coupe petit axe basal. Épaississement et remaniement au niveau de l’insertion du feuillet valvulaire mitral postérieur (flèche rouge). En 2021, l’insuffisance mitrale se majore et devient sévère : l’IRM cardiaque retrouve un ventricule gauche dilaté (126 mL/m2) sans altération de la fraction d’éjection (FEVG à 69 %) avec une insuffisance mitrale sévère sur prolapsus de P2 et P3, associée à une discrète fibrose péri-annulaire mitrale centrée sur le segment inféro-latéro-basal (figure 3). La patiente est opérée en mars 2022 devant le retentissement ventriculaire gauche (annuloplastie mitrale par anneau Simulus n°32). Le contrôle ETO montrait un bon fonctionnement de la plastie mitrale sans fuite résiduelle. Les suites post-opératoires ont été simples. En mai 2023, alors qu’elle est sur son lieu de travail, au repos, elle présente un arrêt cardiaque extrahospitalier sans prodrome vu immédiatement par ses collègues. Une réanimation cardiorespiratoire est d’emblée débutée sur place, le défibrillateur externe délivre un choc électrique externe (no-flow de 0 min et low-flow de 5 min). L’électrocardiogramme en post-arrêt retrouve un rythme sinusal régulier, des ondes T négatives de V4 à V6 et dans le territoire inférieur (figure 2). L’évolution clinique est rapidement favorable sans séquelles neurologiques. Le bilan étiologique de l’arrêt cardiaque a été réalisé. Le bilan biologique était normal (ionogramme normal, troponine faiblement augmentée à 44 ng/ml pour une norme à 14 ng/L). Le bilan scanographique était normal (absence d’embolie pulmonaire ou de dissection). L’électrocardiogramme et la surveillance scopée ont retrouvé de nombreuses extrasystoles ventriculaires sans argument pour une canalopathie, ce qui a motivé l’introduction d’un traitement par amiodarone relayé par du bisoprolol 2,5 mg per os. L’échographie transthoracique montrait une FEVG estimée à 55 % avec une plastie mitrale non fuyante, non sténosante, des PAPs à 45 mmHg. La coronarographie et le test au Méthergin étaient sans anomalie. L’IRM cardiaque (figure 3) a révélé une aggravation de la fibrose péri-annulaire mitrale (rehaussement tardif) centrée sur le segment inféro-latéro-basal du ventricule gauche avec une évolution pseudo-diverticulaire akinétique, comparativement à l’IRM préopératoire de 2021. Finalement, cette majoration de la zone de fibrose a été retenue comme étant la cause de l’arrêt cardio-respiratoire. Un défibrillateur automatique sous-cutané en prévention secondaire a été implanté, le traitement antiarythmique par bêtabloquant (bisoprolol 5 mg) a été maintenu. Figure 2. Électrocardiogramme de la patiente après ressuscitation. Figure 3. IRM cardiaque de la patiente, séquence LGE PSIR (IRM en 2021 à gauche, IRM en 2023 à droite). A. Reconstruction 2 cavités. C. Reconstruction 3 cavités. E. Reconstruction petit axe basal. B. Coupe 2 cavités. D. Coupe 3 cavités. F. Coupe petit axe basal. Aggravation de la fibrose péri-annulaire mitrale (flèche rouge : rehaussement tardif) centrée sur le segment inféro-latéro-basal du ventricule gauche d’évolution pseudo-diverticulaire akinétique.   Discussion et revue de la littérature À travers ce cas, nous avons souhaité mettre en lumière la difficulté de l’évaluation du risque rythmique chez les patients atteints de prolapsus valvulaire mitral. En effet, dans le cas de notre patiente, le suivi en consultation ne montrait aucun signe d’alarme pouvant prédire la mort subite : le Holter ECG était rassurant, la patiente était restée asymptomatique sur le plan cardiaque. L’interrogation reste entière concernant la gestion de ces patients, d’autant plus qu’une partie est diagnostiquée à un âge jeune : quels sont les examens préconisés pour leur surveillance et à quelle fréquence les réaliser ? Quels sont les critères alarmants poussant le clinicien à proposer une intervention rapide afin de prévenir la mort subite ? Récemment, un consensus d’experts a été publié dans l’European Heart Journal(1) afin de fournir quelques éléments de réponse. Il a surtout été motivé par la survenue de cas de mort subite chez des patients ayant un prolapsus valvulaire mitral initialement considéré comme « bénin » (absence d’insuffisance mitrale ou insuffisance mitrale modérée, absence de dysfonction ventriculaire gauche). Les auteurs définissent le prolapsus valvulaire mitral arythmogène comme l’association d’un prolapsus valvulaire mitral (avec ou sans disjonction annulaire mitrale) et la survenue d’arythmies fréquentes et/ou complexes sans autre substrat rythmique associé (cardiopathie primitive, canalopathie, ischémie aiguë, cicatrice pro-arythmogène), indépendamment de la sévérité de l’insuffisance mitrale. Deux phénotypes sont à risque de développer ces arythmies malignes et doivent mettre en garde les cliniciens au moment du diagnostic : – la présence d’une insuffisance mitrale sévère. En effet, l’incidence de la mort subite est doublée chez cette sous-population. La présence d’une maladie myxoïde sévère définie comme une grande redondance de la valve mitrale, un excès de longueur et épaisseur du feuillet valvulaire, un prolapsus bivalvulaire et une disjonction annulaire mitrale ; – la présence d’une disjonction annulaire mitrale est importante à dépister. Elle peut survenir dans toutes les formes de prolapsus valvulaire, mais survient communément dans les maladies myxoïdes avancées avec prolapsus bivalvulaire, feuillets longs, épais, redondants et anneau mitral large. En effet, le lien entre la disjonction annulaire mitrale et la survenue d’arythmie est maintenant bien établi : il y a deux fois plus de risque d’arythmie chez cette sous-population. Les événements arythmogènes ont tendance à progresser au fil des années, atteignant un tiers des patients au bout de 5 ans et deux tiers des patients au bout de 10 ans. Le prolapsus bivalvulaire isolé, quant à lui, n’est pas associé au risque de mort subite. En fonction de la présentation clinique et du résultat des explorations complémentaires utiles à la stratification du risque rythmique (résumé dans le tableau 1), les auteurs proposent un algorithme décisionnel (figure 4). Tableau 1. Examens complémentaires pour les patients diagnostiqués d’un prolapsus valvulaire mitral. *La fibrose interstitielle diffuse (augmentation du volume extra-cellulaire et du T1 mapping), en particulier dans les segments basaux, est un précurseur de la fibrose de remplacement (rehaussement tardif). Figure 4. Stratification du risque et gestion des patients ayant un prolapsus valvulaire mitral. Tachycardie ventriculaire (TV) à haut risque : TV soutenue, TV polymorphe non soutenue, TV non soutenue rapide (> 180/min), TV symptomatique (syncope). TV à bas risque : extrasystoles ventriculaires monomorphes fréquentes. Chez les patients présentant une insuffisance mitrale sévère, la plastie mitrale est le traitement privilégié car elle diminue la fréquence des arythmies et de mort subite, probablement lié à la disparition de la disjonction annulaire mitrale par le geste de suture de l’anneau prothétique. Cependant, le risque d’arythmie ne disparaît pas totalement après le geste chirurgical, ce qui implique qu’il faut continuer de surveiller ces patients et éventuellement discuter de l’implantation d’un défibrillateur. En effet, les troubles du rythme résiduels seraient associés à la fibrose due à la dilatation et au remodelage du ventricule gauche secondaire à l’insuffisance mitrale(2). Dans le cas d’une implantation de valve mitrale par voie percutanée (TMVI), il n’a pas encore été démontré le potentiel de réduction des arythmies. Pour les patients non éligibles à la chirurgie, mais présentant des tachycardies ventriculaires à haut risque, un défibrillateur doit être discuté. Son rôle est néanmoins controversé et le bénéfice reste à démontrer dans de futures études de cohorte. Enfin, les auteurs évoquent quelques cas d’ablation de tachycardie ventriculaire réalisée chez des patients ayant un phénotype arythmogène : elle implique la zone des muscles papillaires et le système de Purkinje et peut s’avérer efficace. Toutefois, l’ablation d’extrasystoles ventriculaires chez les patients symptomatiques ou ayant une cardiopathie rythmique a un succès variable entre 60 % et 84 %, sa place étant donc incertaine dans la prévention de la mort subite.   EN PRATIQUE Les cas de mort subite dans le cadre de prolapsus valvulaire mitral ne sont pas isolés dans la littérature. Un consensus d’experts a permis de proposer une conduite à tenir chez les patients atteints de prolapsus valvulaire afin de dépister une sous-population à risque et leur proposer une prise en charge adaptée. Toutefois, des études cliniques complémentaires seront nécessaires pour démontrer le bénéfice exact des différentes stratégies (médicamenteuse, rythmique et chirurgicale) afin de proposer des recommandations claires pour les patients les plus à risque. Même si le risque d’arythmie diminue après la chirurgie, les auteurs recommandent de poursuivre la surveillance par des Holters ECG réguliers afin de ne pas méconnaître des troubles du rythme résiduels. Plusieurs questions subsistent encore : comment évaluer et prédire le risque rythmique de ce sous-groupe de patients opérés, tandis que la plastie mitrale restaure l’espérance de vie chez la majorité d’entre eux(3) ? Existe-t-il d’autres critères de phénotype malin à rechercher dans le futur ? Pourrait-on proposer à terme un score de risque d’arythmie afin d’appuyer l’indication du défibrillateur en prévention primaire ?

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