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Prévention et protection

Publié le 26 oct 2010Lecture 7 min

L’interdiction de fumer dans les lieux publics a-t-elle protégé les non-fumeurs ?

D. THOMAS, Groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière, Paris

L’interdiction de fumer dans les lieux publics, décrétée en France le 15 novembre 2006 a été appliquée dans les cafés, hôtels, restaurants, discothèques et casinos à partir du 1er janvier 2008, après l’avoir été dans tous les autres lieux publics dès le 1er février 2007. Au-delà d’un meilleur confort pour les non-fumeurs, cette interdiction, qui a été dans son ensemble bien accueillie et respectée par la population, a-t-elle protégé les non-fumeurs, en particulier sur le plan cardiovasculaire ?

Tabagisme passif : un facteur de risque cardiovasculaire à part entière La fumée de tabac présente dans l’air ambiant est composée de la fumée expirée par le fumeur et de celle qui s’échappe de l’extrémité de la cigarette, dite « fumée secondaire ». Dans les lieux clos et couverts, les produits toxiques présents dans cette fumée peuvent atteindre des concentrations supérieures à celles présentes dans le courant de fumée « primaire » inhalée par le fumeur. La dernière métaanalyse sur le risque cardiovasculaire du tabagisme passif, confirme un risque relatif de 1,27 (IC 95 % : 1,19-1,36)(1). L’étude INTERHEART a montré que, comparativement à des sujets non exposés, le risque de survenue d’un infarctus du myocarde est de 1,24 pour des sujets exposés 1 à 7 heures par semaine et de 1,62 pour des sujets exposés plus de 22 heures par semaine(2) (figure 1). Ce risque est le même que celui de fumeurs de 1 à 9 cigarettes/jour qui est de 1,63 (IC : 1,45-1,82) dans cette même étude(2). Ceci traduit l’extrême sensibilité des mécanismes induits par la fumée de tabac, avec des effets qui sont de 80 à 90 % aussi importants que ceux liés à l’exposition à la fumée directement inhalée par le fumeur(3), tant en ce qui concerne la dysfonction endothéliale que l’activation plaquettaire et l’inflammation, qui sont les trois éléments « starters » essentiels des syndromes coronaires aigus. Tous ces éléments sont en faveur de mesures de santé publique destinées à protéger les non-fumeurs de l’exposition à la fumée du tabac. L’interdiction totale de fumer dans les lieux publics fait partie de ces mesures et a été adoptée par la France à la suite de nombreux autres pays avec en 2006 une évolution par décret de la loi Evin de 1992. Figure 1. Risque d’infarctus du myocarde lié au tabagisme passif (Étude INTERHEART) [d’après(2)]. Une réduction significative du risque d’infarctus constatée dans d’autres pays Deux métaanalyses, reprenant un ensemble de 13 études ont évalué l’impact sur le risque de survenue d’un infarctus du myocarde des interdictions de fumer dans les lieux publics, mises en place aux États-Unis et en Europe depuis 2002(4,5). Dans toutes les études prises en compte, est constatée une diminution du risque d’infarctus, par rapport à la période précédant l’interdiction de fumer. Elle varie de 6 à 47 % selon les études, ceci au moins pour une classe d’âge. La diminution du risque de survenue d’un infarctus du myocarde entre avant et après la période d’application de la loi est en moyenne dans ces 2 métaanalyses de 17 % (IC : 8 %-25 %)(4) et de 19 % (IC : 15 %-22 %) respectivement(5). Elle est d’autant plus grande que la durée du suivi est importante. Si l’on regarde plus précisément les résultats obtenus dans les pays européens : • en Italie, dans la région du Piémont, il est constaté une réduction significative des hospitalisations pour infarctus du myocarde de 11 %, mais seulement chez les sujets de moins de 60 ans. Une confirmation de ce bénéfice a été apportée sur la ville de Rome avec une diminution comparable de 11 % chez les sujets de moins de 65 ans mais une diminution également significative de 8 % chez les sujets de 65 à 74 ans ; • en Écosse, une réduction de 17 % des SCA a été enregistrée dans l’année suivant l’application de la loi (figure 2). La connaissance précise du statut tabagique par des dosages de cotinine chez tous les patients hospitalisés pour SCA avant et après l’application de la loi a permis de préciser que cette réduction a été de 20 % chez les non-fumeurs et de 14 % chez les fumeurs(6). Figure 2. Nombre d’admissions pour syndrome coronaire aigu avant puis après l’application de l’interdiction de fumer dans les lieux publics en Écosse : réduction de 17% [d’après(6)]. Une analyse non concluante pour la France L’étude EVINCOR ((EValuation de l’impact de l’INterdiction de fumer sur les syndromes CORonaires aigus), mise en place par le Groupe de travail épidémiologie- prévention de la Société française de cardiologie, comprend deux approches complémentaires : • le volet EVINCOR-USIC a évalué la prévalence du tabagisme actif et de l’exposition au tabagisme passif de tous les sujets admis dans 32 USIC réparties sur le territoire, d’une part un mois avant (du 15 novembre 2007 au 15 décembre 2007), d’autre part trois mois après l’application du décret (du 03 mars 2008 au 03 avril 2008). Cette approche ne permet pas de statuer sur l’impact proprement dit du décret sur l’incidence des SCA, mais fournit des données épidémiologiques longitudinales utiles sur la prévalence de l’exposition au tabagisme passif des SCA ; • le volet EVINCOR-PMSI, directement destiné à évaluer l’impact du décret, a étudié l’évolution des admissions hospitalières pour SCA de janvier 2003 à juin 2009 par sélection dans les bases nationales PMSI (banque de données de la Fédération hospitalière de France, source ATIH) des séjours incluant un code CIM- 10 I21 (infarctus aigu du myocarde), I20.0 (angor instable) en diagnostic principal (ou associé, si le groupe homogène de malades (GHM) était un GHM d’infarctus). Ce volet de l’étude a été réalisé en collaboration avec le département d’Information médicale du CHU de Montpellier (F. Séguret). Des résultats préliminaires de cette étude ont été récemment rapportés(7,8). La série brute du nombre mensuel d’hospitalisations montre une diminution relativement régulière du nombre d’hospitalisations pour SCA sur l’ensemble de la période entre 2003 et 2009 avec une tendance linéaire significative (p < 0,001) (figure 3), mais cette diminution n’est pas plus marquée après février 2007, ni après janvier 2008. Par rapport à la période de référence, c’est-à-dire avant le 1er février 2007, pour chaque période analysée après cette date, le risque relatif (ratio du taux d’admissions standardisé dans la période analysée/ taux d’admissions standardisé avant février 2007) n’est pas significatif pour l’ensemble de la population. Cette première analyse ne permet donc pas d’établir un lien entre l’application du décret et l’évolution des hospitalisations pour SCA. Figure 3. Série brute du nombre mensuel des hospitalisations pour syndrome coronaire aigu en France entre 2003 et 2009 (Étude EVINCOR-PMSI). Une spécificité française ? Ce résultat, différent de ceux retrouvés dans d’autres pays (Italie, Écosse et États-Unis), pourrait être expliqué par trois éléments particuliers à la France : • une diminution franche, régulière et significative des hospitalisations pour SCA depuis plusieurs années, largement en amont de l’application du décret, rendant d’autant plus difficile la mise en évidence d’un effet supplémentaire ; • l’application du décret en deux temps, diminuant les chances de pouvoir mettre en évidence son effet ; • surtout, un niveau moindre d’exposition au tabagisme passif de la population française avant l’application du décret, en raison de la loi Evin en vigueur depuis 1992. En pratique, la proportion de sujets encore exposés au tabagisme passif antérieurement à l’application de la mesure législative était beaucoup moins important en France qu’en Écosse ou en Italie, d’où un effet moins marqué de cette mesure. Cette hypothèse est validée par la comparaison des niveaux déclarés d’exposition au tabagisme passif dans les lieux publics chez les patients non fumeurs hospitalisés pour SCA avant l’interdiction, respectivement en Écosse et en France (23,7 % dans l’étude écossaise(6) vs 3,3 % en France, dans EVINCOR-USIC). D’autres éléments sont aussi possiblement en cause, notamment : • les limites de l’outil de mesure (PMSI) : précision et exhaustivité probablement hétérogènes sur l’ensemble de la période analysée et évolution de la définition et des moyens diagnostiques des SCA pendant cette période ; • l’absence de prise en compte de facteurs de confusion potentiels autres que l’âge et le sexe : décès des sujets non hospitalisés, évolution stagnante du tabagisme actif depuis 2004, autres interventions de prévention, facteurs climatiques, particularités régionales. Des analyses complémentaires sont en cours avec, en particulier, une approche prenant le patient et non le séjour comme unité d’analyse et la réévaluation des résultats avec les données les plus récentes de 2009 consolidées. En pratique Les effets délétères connus et scientifiquement démontrés du tabagisme passif et l’ensemble des résultats déjà publiés concernant les études réalisées dans d’autres pays, tant en Europe qu’aux États- Unis, justifient totalement cette mesure législative qui représente certainement une des avancées les plus importantes de ces dernières années en termes de santé publique. L’absence, à ce jour, d’une démonstration scientifique d’un impact sur l’incidence des hospitalisations pour SCA en France apparaît liée au contexte particulier de l’évolution de la lutte contre le tabagisme dans notre pays, avec certainement, malgré le caractère initialement imparfait de la loi Evin, un effet de cette loi sur la protection des non-fumeurs bien antérieur à l’application du décret de 2006.

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