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Polémique

Publié le 25 mar 2024Lecture 5 min

La défibrillation implantable est-elle aussi utile pour les patients actuels ?

Hugues BLANGY, Nancy

Les recommandations d’implantation d’un défibrillateur (DAI) reposent sur des études publiées autour de l’an 2000, Madit II en 2002(1), ou Scd-Heft en 2005(2). Les patients ont été inclus entre 1997 et 2001. Or, depuis vingt-cinq ans, le traitement de l’insuffisance cardiaque a beaucoup évolué. À cette époque, il était dominé par les inhibiteurs de l’enzyme de conversion (IEC) et les bêtabloquants. Puis sont arrivés les antialdostérones (MRA), les antagonistes des récepteurs de l’angiotensine (ARB) et de la néprilysine (ARNi) et enfin la famille des gliflozines (iSGLT2) (tableau). Ces nouvelles classes thérapeutiques ont considérablement amélioré le pronostic des insuffisants cardiaques.

  Au-delà des progrès pharmacologiques, la prise en charge de l’insuffisance cardiaque s’est organisée, avec la création d’unités dédiées, le développement de réseaux, de la télésurveillance, améliorant le suivi et permettant de mieux anticiper les poussées. Enfin, les patients actuels sont plus âgés, ce qui introduit un risque compétitif de mortalité en fonction des comorbidités (cancers, insuffisance respiratoire…).   Impact du traitement médical sur le risque de mort subite   Toutes les classes médicamenteuses utilisées ont un effet sur le risque de mort subite (MS). Le bisoprolol a fait la preuve de son efficacité dans CIBIS II publiée en 1999(3). Le traitement standard associait IEC (96 %) et diurétiques. L’ajout du bisoprolol permettait de faire baisser la mortalité totale de 32 % et la MS de 42 %. Les antialdostérones (MRA) ont commencé à faire leurs preuves en 1999. En 2018, une méta-analyse démontrait une réduction de 23 % de la MS chez les insuffisants cardiaques symptomatiques à fraction d’éjection (FEVG) inférieure à 35 %(4). Le sacubitril-valsartan a démontré en 2014 dans PARADIGM-HF sa supériorité sur l’enalapril et fait maintenant partie intégrante du traitement de l’insuffisance cardiaque à FEVG altérée(5). Au-delà, il a aussi montré une réduction de 20 % du risque de MS dans cette population. Il réduit l’incidence des troubles du rythme ventriculaires chez les patients implantés d’un DAI(6). Dans une étude issue de DAPA-HF, les patients recevant de la dapagliflozine ont une diminution de 21 % du risque de MS, d’arrêt cardiaque récupéré ou d’arythmie ventriculaire grave(7). Ils étaient aussi sous bêtabloquants (94 %), IEC (55 %), ARB (25 %) ou ARNI (14 %).   Évolution du risque de mort subite depuis 25 ans   Une méta-analyse de 40 000 patients insuffisants cardiaques sans DAI issus de 12 grands essais cliniques sur une période de 1995 à 2014 a montré une réduction du risque de MS de 44 % au cours du temps(8). Ces données sont confirmées par une méta-analyse plus récente sur plus de 6 000 patients, inclus à partir des bras de contrôle d’études de DAI en prévention primaire(9). Le risque annuel de MS passe de 5,7-7,8 % dans MADIT et MUSTT à 1,5 % dans DANISH. Parallèlement, le risque annuel de mortalité totale passe de 17,2 % dans MADIT à 4,2 % dans DANISH soulignant l’amélioration du pronostic de ces patients (figure 1). Ainsi, le nombre de patients à traiter pour en sauver un seul est de 4 dans MADIT, 11 dans MADIT II et 45 dans DANISH I. Figure 1. Évolution du risque de mort subite (SCD) (A) et de mortalité totale (TM) (B) dans les grands essais au cours du temps(9).   Mais a contrario, on constate dans cette méta-analyse une moindre « efficacité » du DAI pour prévenir le risque de MS avec le temps. Il s’agit des patients victimes de MS malgré la présence d’un DAI. Outre des variations dans la définition de la MS, il faut souligner une part grandissante de MS non due à une arythmie ventriculaire dans cette population. On considérait avant les années 2000 que 75 % des MS étaient dues à une arythmie ventriculaire. Cette proportion serait plus proche de 50 % actuellement. De plus en plus de patients décèdent de dissociation électromécanique, précédée ou non de chocs délivrés, et ceci serait favorisé paradoxalement par les progrès du traitement de l’insuffisance cardiaque qui garde en vie des patients dont les ventricules sont de plus en plus déchus (figure 2). Figure 2. Évolution de l’efficacité du DAI pour prévenir le risque de mort subite au fil du temps(9).   Importance d’un bon « timing »   Classiquement, les recommandations introduisent la notion de 3 mois de traitement médical optimal avant de poser l’indication d’implantation d’un DAI. Si le caractère optimal du traitement est souvent relatif et discutable, c’est ce timing de 3 mois qui semble inadapté aux traitements modernes. Des analyses issues de PROVE-HF montrent qu’après initiation d’un traitement par ARNi chez des patients avec FEVG < 35 %, 32 % des patients voient leur FEVG passer au-dessus de 35 % à 6 mois, et 62 % des patients à 1 an(10). L’indication d’un DAI est sans doute posée trop tôt, avec pour conséquence l’implantation de nombreux DAI inutiles. Ce constat encourage à l’utilisation large et prolongée du gilet défibrillateur et à une approche plus personnalisée de la stratification du risque rythmique. C’est l’ambition du PROFID project(11), essai clinique porté par l’Union européenne, reposant en partie sur les banques de données et l’intelligence artificielle.   Faut-il encore implanter un DAI en prévention primaire ?   L’essai contrôlé multicentrique EU-CERT-ICD publié en 2020(12) répond clairement à cette question. 2 247 patients atteints de cardiomyopathie dilatée ou ischémique avec FEVG < 35 % et QRS fins sont inclus avec un suivi moyen de 2,4 ± 1,1 an. Ils reçoivent des bêtabloquants (94 %), des IEC/ARB (91 %), des MRA (75 %), la FEVG moyenne était de 28 %. Les patients reçoivent soit un DAI, soit le traitement médical seul. Ils ne sont pas randomisés, c’est sans doute la principale limite de cet essai. Malgré l’absence de randomisation, les caractéristiques des patients des groupes de contrôle et DAI sont proches. La mortalité totale dans le groupe DAI est réduite de 27 % par rapport à celle du groupe contrôle. Certes, dans cet essai, les patients ne reçoivent pas encore les dernières classes thérapeutiques (ARNi et ISGLT2), mais le bénéfice du DAI est net. Au contraire, il ressort des analyses en sous-groupes que les diabétiques et les patients de plus de 75 ans ne retirent pas de bénéfice significatif de l’implantation d’un DAI en termes de mortalité totale.   CONCLUSION   • Les progrès dans la prise en charge de l’insuffisance cardiaque ont clairement amélioré le pronostic de ces patients, tant en termes de MS que de mortalité totale. • Ainsi, le DAI semble « sauver moins de vies » qu’il y a vingt-cinq ans lorsque les premières indications de prévention primaire ont été reconnues. Mais il continue à faire mieux que le traitement médical seul sur une population qui doit être mieux sélectionnée. C’est tout l’enjeu des prochaines années, mieux définir les patients à risque pour n’implanter que ceux-là. • Une sélection multiparamétrique est à inventer, elle doit intégrer les données de la génétique et de l’imagerie (IRM), elle ne peut plus se fonder uniquement sur la FEVG. Toutes les tentatives jusqu’ici ont échoué, mais l’arrivée de l’intelligence artificielle pourrait changer la donne.

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