publicité
Facebook Facebook Facebook Partager

Congrès et symposiums

Publié le 29 fév 2016Lecture 8 min

FA et sujet âgé : prise en charge rythmique

W. ESCANDE, D. LACROIX, Institut cardio-pulmonaire, service de cardiologie, CHRU de Lille


JESFC
La fibrillation atriale (FA) est l’arythmie la plus fréquente des pays développés. Son incidence augmente considérablement avec l’âge. Les données épidémiologiques de la cohorte ATRIA(1), montrent une augmentation exponentielle du nombre de nouveaux cas à partir de l’âge de 75 ans, préférentiellement chez l’homme. La prévalence est estimée à environ 10 % chez le patient de plus de 80 ans et de près de 18 % après 85 ans. En 2050, près de la moitié des patients qui feront de la FA auront plus de 80 ans. De fait, c’est un véritable problème médical et socio-économique. Elle majore le risque d’AVC ischémiques et augmente la mortalité. Chez le sujet âgé, elle augmente le risque d’hospitalisations, aggrave le déclin cognitif et les démences, et altère la qualité de vie.

De multiples comorbidités   Les patients âgés sont fragiles et présentent un risque thromboembolique et hémorragique élevé. Ils accumulent de multiples comorbidités, tels qu’une cardiopathie sous-jacente, le diabète, l’obésité, l’hypertension artérielle ou l’apnée du sommeil. Ces facteurs de risque sont à l’origine d’un remodelage tissulaire et électrique délétère du myocarde qui constitue le substrat de la FA(2). Chez le patient âgé, les plaintes fonctionnelles sont fréquemment atypiques, voire absentes. La FA est fréquemment sous-diagnostiquée et découverte de manière fortuite, ou à l’occasion d’une complication thromboembolique. Regardons les résultats de l’essai ASSERT(3) dont l’objectif était d’évaluer le lien entre les AVC ischémiques et la survenue d’épisodes asymptomatiques de tachycardies atriales (de plus de 6 minutes). Pour détecter les épisodes d’arythmie atriale, les auteurs se sont intéressés aux épisodes détectés par la sonde atriale chez des patients porteurs de pacemakers ou de défibrillateurs. Parmi les patients dont le dispositif avait détecté de la tachycardie atriale durant plus de 24 heures, seulement la moitié était mise en évidence par un ECG de surface, parmi laquelle plus de la moitié était strictement asymptomatique. Donc dans près de 3 cas sur 4, le diagnostic de FA n’était pas porté, soit parce qu’elle était asymptomatique, soit parce que l’ECG n’était pas réalisé ou réalisé de manière fortuite en rythme sinusal. Il y a donc un réel défi à relever pour diagnostiquer la FA chez le sujet âgé. Les bénéfices d’un diagnostic et d’une prise en charge rapide sont considérables en termes de prévention des complications thromboemboliques. Ce sont parfois les moyens les plus simples et les moins coûteux qui sont les plus efficaces. Dans l’essai SAFE réalisé sur près de 15 000 patients de plus de 65 ans(4), nos confrères anglais ont démontré qu’une prise du pouls, suivie d’un ECG en cas de pouls irrégulier, permettait de détecter autant de FA qu’un ECG systématique. Ce sont d’ailleurs les patients âgés de plus de 85 ans qui bénéficiaient d’un meilleur rendement de ce dépistage systématique. Ce geste de dépistage est réalisable à moindre coût, par tous les professionnels de santé, de l’infirmière au médecin de famille, et les bénéfices escomptés d’un diagnostic précoce sont considérables. À tel point que la Société européenne de cardiologie a formulé une recommandation de classe I niveau B pour la prise systématique du pouls, suivi d’un ECG en cas d’irrégularité(5).   Deux stratégies différentes   Lorsque le diagnostic de FA a été porté, la prise en charge rythmique repose sur le choix entre deux stratégies différentes. Une stratégie de contrôle de rythme, dont l’objectif est le maintien en rythme sinusal par des moyens pharmacologiques ou interventionnels, et une stratégie de contrôle de fréquence pour laquelle on consent à laisser la FA évoluer d’elle-même en cherchant à contrôler la cadence ventriculaire par des moyens pharmacologiques. Les 15 dernières années ont apporté de nombreux essais prospectifs randomisés qui ont montré qu’il n’y avait pas en réalité de supériorité en termes de mortalité du choix d’une stratégie sur l’autre (AFFIRM, AF-CHF, PIAF). L’étude AFFIRM est la première de ces études. Cet essai randomisé, paru en 2002 dans le NEJM(6), portait sur 4 060 patients en FA et âgés de 69,7 ans en moyenne. Sur un critère de mortalité toutes causes, les auteurs ont montré qu’il n’y avait pas de différence entre les deux stratégies. En revanche, il est clair que les traitements antiarythmiques chez le patient âgé sont d’une utilisation hasardeuse, car ces patients accumulent fréquemment de nombreuses comorbidités, une cardiopathie sous-jacente, et sont souvent polymédiqués. Une dysfonction hépatique et/ou rénale modifie la pharmacocinétique de ces molécules. Les antiarythmiques ont donc chez ces patients un index thérapeutique très étroit. Ainsi, dans AFFIRM, nous sommes quand même alarmés par les données concernant les patients dans le groupe « contrôle de rythme ». En effet, les patients dans ce bras de traitement ont présenté significativement plus d’événements indésirables secondaires aux antiarythmiques, tels que des allongements pathologiques de l’intervalle QT (1,9 % versus 0,3 % dans le groupe contrôle de rythme et contrôle de fréquence respectivement, p < 0,001) et des bradycardies, responsables de plus d’hospitalisations par rapport au groupe « contrôle de fréquence ». Le bénéfice potentiel en termes de survie du maintien en rythme sinusal de ces patients était ainsi annulé, voire inversé par les effets indésirables et graves des antiarythmiques, même s’il n’y avait pas de différence significative en termes de mortalité entre les deux attitudes thérapeutiques. Chez le patient coronarien, c’est la même histoire : dans une cohorte de 1 738 patients coronariens âgés de plus de 65 ans(7), la prise de traitements antiarythmiques était associée à plus de réhospitalisations toutes causes et de réhospitalisations pour cause cardiovasculaire, même s’il n’y avait pas non plus de différence significative en termes de mortalité sur le choix de l’une ou l’autre des stratégies. Dans cette cohorte, l’amiodarone était l’antiarythmique de prédilection (21 %), suivi des AA de classe III. Enfin, dans l’insuffisance cardiaque, l’étude AFCHF(8) nous montre également qu’une stratégie de contrôle de rythme ne fait pas mieux en termes de décès cardiovasculaires et d’aggravation de l’insuffisance cardiaque, qu’une stratégie de contrôle de fréquence. Certaines sous-études des patients d’AFFIRM font état d’un bénéfice modeste d’un maintien en rythme sinusal sur le retentissement fonctionnel(9,10), celui-ci semble bien dérisoire en regard du risque que l’on fait courir à nos patients âgés en termes de morbidité, de réhospitalisations, et peut-être même de mortalité. Chez les patients âgés et souvent pauci-symptomatiques en FA, le choix d’un contrôle de fréquence paraît donc l’option la plus raisonnable qui a été retenue par le comité de rédaction des recommandations de la Société européenne de cardiologie (recommandation ESC 2010 de grade I niveau de preuve B)(5). Pour atteindre cet objectif, il n’est pas nécessaire de chercher un contrôle très strict de la fréquence cardiaque. Nous avons les résultats d’une étude prospective randomisée, portant sur 614 patients en FA permanente et âgés de 68 ans en moyenne, l’étude RACE II, qui nous montre qu’un contrôle « lâche » (< 110/min) n’est pas différent en termes de morbimortalité cardiovasculaire qu’un contrôle « strict » (< 80/min au repos et < 110/min à l’effort)(11). En outre, cet objectif semble plus facile à atteindre dans un contrôle « lâche » (97 % d’objectifs atteints dans le groupe contrôle « lâche » versus 67 % dans le groupe contrôle « strict »). Le choix de la molécule à visée bradycardisante doit prendre en compte l’existence d’une cardiopathie sous-jacente. Les bêtabloquants sont les plus efficaces, en particulier en cas d’insuffisance cardiaque ou de coronaropathie associée. Dans une sous-étude de AFFIRM(12), les objectifs de fréquence cardiaque étaient atteints dans 70 % des cas sous bêtabloquants, associés ou non à la digoxine. Dans RACE II, les objectifs étaient atteints dans 42 % des cas avec les bêtabloquants seuls dans le groupe contrôle « lâche » (versus 20 % dans le groupe contrôle strict). Une association avec des digitaliques est une option de seconde intention, envisageable en cas d’insuffisance cardiaque. En revanche, en l’absence d’insuffisance cardiaque, il a été démontré que la digoxine était un facteur pronostique indépendant de mortalité chez les patients en FA(13). Il faut donc rester particulièrement prudent chez le sujet âgé, là encore pour des considérations pharmacocinétiques, et ne pas perdre de vue l’index thérapeutique étroit de cette molécule et sa grande sensibilité à la fonction rénale. Enfin, les inhibiteurs calciques bradycardisants (diltiazem, verapamil) peuvent être utilisés uniquement en l’absence d’insuffisance cardiaque. Ces mesures pharmacologiques peuvent échouer à contrôler la fréquence cardiaque. On se tourne alors, dans un nombre non négligeable de cas, vers une mesure plus radicale mais néanmoins très efficace, d’une ablation du noeud atrio-ventriculaire après implantation d’un pacemaker, fréquemment biventriculaire afin de limiter la désynchronisation secondaire à une stimulation ventriculaire permanente. Chez les patients très symptomatiques, il reste envisageable de se porter vers le choix d’une stratégie de contrôle de rythme mais ce choix doit rester pondéré par une évaluation prudente du rapport bénéfice/risque. Il doit prendre en compte l’existence d’une cardiopathie sousjacente, les comorbidités et la présentation clinique de la FA (paroxystique, persistante ou permanente). En cas d’insuffisance cardiaque, les antiarythmiques de classe I sont contreindiqués et l’amiodarone est le seul choix possible. L’ablation par radiofréquence est un choix très discutable chez le sujet âgé. Même si les données de la littérature suggèrent que le profil de sécurité est comparable(14), nous avons désormais des preuves que cette technique est peu efficace après 80 ans. Dans une étude publiée récemment dans le JCE(15), sur 923 patients ayant bénéficié de cette procédure, les taux de maintien en rythme sinusal à 5 ans s’effondrent dans le sous-groupe des patients âgés de plus de 80 ans. Les prises en charge de la FA discutées dans ce document ont fait l’objet d’un consensus d’experts conjoints entre nos sociétés savantes de cardiologie et de gérontologie en 2013(16). En pratique    La FA chez le sujet âgé est donc une situation clinique complexe mais à laquelle nous serons de plus en plus confrontés à l’avenir. Le diagnostic est difficile et retardé car les symptômes sont souvent atypiques, voire absents. Le dépistage est nécessaire car il s’agit d’une population à haut risque thromboembolique. Dans ce but, la prise systématique du pouls chez le patient de plus de 65 ans a démontré sont efficacité. Les modifications physiologiques et métaboliques en lien avec le vieillissement, ainsi que les polypathologies et polymédications, exposent le patient âgé aux effets secondaires, parfois graves, des traitements antiarythmiques. Il est ainsi préférable dans une majorité des cas d’opter pour un contrôle de fréquence. Les bêtabloquants sont les molécules de choix dans cette indication, tandis que les digitaliques doivent être utilisés avec prudence. Lorsque cela est nécessaire chez les patients très symptomatiques, le choix d’un contrôle de rythme peut être retenu. L’amiodarone est la molécule de choix mais nécessite de prendre en considération ses effets secondaires à long terme. L’ablation par radiofréquence semble peu efficace après 80 ans. 

Attention, pour des raisons réglementaires ce site est réservé aux professionnels de santé.

pour voir la suite, inscrivez-vous gratuitement.

Si vous êtes déjà inscrit,
connectez vous :

Si vous n'êtes pas encore inscrit au site,
inscrivez-vous gratuitement :

Version PDF

Articles sur le même thème

  • 2 sur 155

Vidéo sur le même thème