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L'ESPRIT DE LUGDUNUM

Publié le 10 oct 2020Lecture 3 min

Errare humanum est

Patrick LERMUSIAUX, service de chirurgie vasculaire et endovasculaire, Hospice civils de Lyon, CHU de Lyon

1h30 du matin. Je rentre du bloc un peu KO (complètement pour être honnête). Un type censé irait se coucher pour s’endormir rapidement, mais je suis sûr que vous connaissez comme moi ce syndrome bizarre, souvent ressenti en sortie de garde, qui vous pousse à traîner. Machinalement, j’allume la télé et je zappe. Évidemment il n’y a rien d’intéressant et j’échoue comme souvent sur le canal 21 de l’Équipe. Et là, coup de bol, je tombe sur la rediffusion d’un grand match de foot et manifestement j’arrive au moment fatidique : Lionel Messi, me semble-t-il, obtient le penalty de la victoire. C’est son job, et c’est le meilleur joueur du monde, l’affaire est pliée. Et pourtant... Il tire et la balle se satellise plusieurs mètres au-dessus de la cage… Errare humanum est aurait dit Sénèque. Tout le monde a intégré que cela peut arriver : que le tennisman rate son service ou que le perchiste renverse une barre facile. Mais fera-t-on preuve de la même mansuétude pour le chirurgien ?

Comment expliquer l’erreur en chirurgie ? La logistique Bien sûr, tout le monde a analysé les problèmes logistiques. C’est clair, c’est un problème si l’endoprothèse n’a pas été livrée. La fatigue Mais le facteur humain est le plus intéressant et le plus complexe. Souvenez- vous de la dernière fois où vous avez fait une « connerie » et essayez de comprendre. La première chose qui vient à l’esprit est la fatigue, parce que les vacances sont encore loin, parce que l’on a mal dormi, parce que c’est le dernier patient du jour voire de la semaine. Qui, après une intervention complexe et très longue, aura le courage de refaire une anastomose qui ne semble pas parfaite ? L’intervention rare Mais il y a des interventions que l’on a rarement faites, soit parce que la pathologie est rare, soit parce qu’on est encore peu expérimenté. Il faut dessiner le scanner pour s’obliger à noter tous les détails, discuter toutes les stratégies, il faut rechercher des vidéos, revoir les différents temps opératoires avec un collègue, voire aller au labo d’anatomie ou se faire aider par un chirurgien plus expérimenté. Arriver au bloc très bien préparé, c’est limiter le stress. Le programme trop chargé Quelque chose de plus sournois est le programme trop chargé, ou le retard pris lors d’une première intervention et c’est la pression de toute l’équipe (you know what I mean !) pour finir dans les temps, pour ne pas annuler le dernier patient. Cette situation est fréquente et très dangereuse. Évidemment, tout ira bien si la chirurgie est facile. Mais si elle est plus complexe, le moindre grain de sable risque d’aboutir à une mauvaise prise de décision. Un de mes maîtres aimait à dire : « L’emmerde appelle l’emmerde ». En cela il résumait les longs travaux des experts de l’aviation et du nucléaire qui ont bien compris que le risque est de prendre la mauvaise décision face à une première complication ou situation imprévue. Mon copain Socrate me disait : connais-toi, toi-même. Avez-vous déjà analysé votre comportement dans le bloc, quand ça va mal ? Trop sûr de soi, invulnérable, souvent chez les plus expérimentés, ou à l’inverse, résigné. Impulsif ou capable de prendre un peu de temps pour réfléchir ? Agressif avec tout le personnel ou capable de self control ? Mais revenons-en à la fatigue. En temps normal, on reprendrait ce pontage manifestement trop long, mais ici on s’est contenté de mettre un point d’accroche sur la graisse pour tenter de le retendre. C’est ce que j’ai fait vers 20 heures après cette journée sans doute trop longue. On m’a rappelé vers 22 h pour déboucher le pontage… Il est 1 h du matin, je vais rentrer chez moi et j’en suis sûr, je vais m’écrouler comme une masse.

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