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Risque

Publié le 01 jan 2012Lecture 7 min

Tabac et contraception, le couple infernal

C. JAMIN, Paris

Le tabagisme féminin est au centre des préoccupations de l’OMS. Aux États-Unis, la mortalité par cancer du poumon chez la femme dépasse celle due au cancer du sein. Même si en 2008 le tabagisme est en recul chez les hommes comme chez les femmes (40,2 à 25 % de fumeuses quotidiennes), en France, 48 % des adolescentes sont fumeuses, dont 13 % présentent des signes de forte dépendance (plus de 20 cigarettes par jour avec la première cigarette au réveil). Le coût mensuel du tabagisme chez les fumeuses est élevé, 10 € pour les fumeuses occasionnelles et 70 € pour les fumeuses quotidiennes. La liste des méfaits du tabagisme ne cesse de s’allonger et en moyenne la durée de vie est inférieure de 10 ans chez les fumeuses comparées aux non-fumeuses(1). Chez la femme, le tabagisme a les mêmes conséquences que chez l’homme avec en plus une toxicité spécifique sur les organes reproductifs (col de l’utérus, sein), une altération esthétique (acné, hirsutisme, hidradénite, vieillissement cutané, rides, ostéopénie, etc.) et une interaction néfaste avec la fertilité(1), la grossesse et la contraception. Il faut ajouter aux conséquences spécifiques un retentissement sur le foetus. Or, à tout cela vient s’opposer la réalité des chiffres : les femmes qui prennent la pilule fument davantage que les autres(2) !

Le tabac et la contraception ont de multiples interactions et sont en synergie néfastes pour la santé.   Influence du tabagisme sur le métabolisme de l’éthinylestradiol   Il a été démontré que les utilisatrices de pilules ont un taux d’estradiol endogène plus faible lorsqu’elles fument que lorsqu’elles ne fument pas(3). Une importante étude ouverte incluant 3 000 femmes sous contraceptifs oraux a mis en évidence un nombre plus important de spotting et de saignements chez les fumeuses(4). Cela se produit au cours des six cycles suivant l’introduction de la pilule, avec bien évidemment un nombre plus important de troubles lors du premier cycle. Parmi les fumeuses, la fréquence des saignements est plus importante chez les femmes fumant plus de 15 cigarettes par jour. Cela est probablement dû au fait que le tabagisme modifie le métabolisme de l’estradiol et de l’éthinylestradiol (EE) en augmentant la 2-hydroxylation hépatique de l’estradiol. Ce risque pourrait être augmenté lors de l’utilisation d’estradiol naturel dans les contraceptifs. Cette augmentation des saignements chez les tabagiques est un facteur de mauvaise observance, ce qui compromet l’efficacité de la contraception. Ceci n’est pas la seule cause mais participe au fait que les fumeuses ont davantage recours aux IVG que les non-fumeuses.   Tabac, contraception et maladies circulatoires   Les risques cardiovasculaires lors de l’association pilule et tabac sont connus de longue date et sont les plus médiatisés.   Infarctus du myocarde (IDM) Trois publications consécutives de Man en 1975 et en 1976 concernant des études cas-témoins britanniques ont mis en évidence une augmentation du nombre d’infarctus mortels ou non sous estroprogestatifs (EP). L’association de la contraception orale à des facteurs de risque autres que l’âge a une très grande influence sur le risque. Parmi ces autres facteurs de risque, le tabagisme arrive loin devant. La composition des pilules joue aussi probablement un rôle dans ce risque. La diminution de la dose d’éthinylestradiol de 100-150 μg par jour à 30 μg s’est accompagnée d’une baisse de 80 % du risque d’accident. Certaines études montrent même une disparition du sur-risque d’infarctus du myocarde chez les utilisatrices de pilule faiblement dosées en EE. Cependant, il faut tenir compte du fait que simultanément les leçons ont été tirées des publications antérieures et la prescription d’estroprogestatifs chez les femmes à risque, en particulier les fumeuses de plus de 35 ans, a considérablement diminué(5). De plus, il est possible, à la lumière des publications les plus récentes, que l’utilisation de progestatifs moins androgéniques ait participé à cette décroissance du risque d’IDM. Cependant, il ne faudrait pas conclure hâtivement que l’association de ces dernières pilules avec le tabac ne présente plus de risque coronarien.   À ce jour, il est admis que le risque d’infarctus augmente de manière dose-dépendante mais aussi âge-dépendante avec le tabac et la pilule. Ainsi, plus la contraception est fortement dosée, plus le nombre de cigarettes fumées est élevé, plus l’âge de la femme avance, plus le risque est élevé, supérieur à 30 au minimum.   Sur le plan coronarien, une pilule faiblement dosée chez une femme jeune et non fumeuse n’augmente pas le risque. Il s’agit d’une équation à trois variables qui atteint un seuil plus ou moins acceptable, à mettre en balance avec le risque de grossesse en l’absence de contraception ou avec le port d’un DIU, en particulier chez les femmes non monogames sachant que le tabagisme augmente le risque infectieux pelvien. Il n’y a pas de seuil de risque, mais une relation linéaire avec le nombre de cigarettes fumées. Le tabagisme passif suivant son intensité est inclus dans cette relation dose-effet. L’arrêt du tabagisme s’accompagne rapidement d’une diminution puis d’une disparition du risque, ce qui n’est pas le cas si la femme arrête la contraception estroprogestative en poursuivant le tabagisme (6,revue in 7).   Accident vasculaire cérébral (AVC) Les accidents vasculaires cérébraux représentent avec les infarctus du myocarde le second grand risque lié à l’utilisation de la contraception orale. Avec les pilules à 50 μg d’EE et davantage, le risque relatif est de 5, ce qui représente un excès de risque de 37 pour 100 000 femmes par an. Cinq à 10 % de ces accidents vasculaires cérébraux sont mortels. Le risque est beaucoup plus élevé s’il existe d’autres facteurs de risque (HTA, tabac, migraines en particulier avec aura). Si l’effet de l’âge est mal évalué, c’est surtout l’association à une hypertension artérielle qui est dangereuse. Là encore, les publications les plus récentes montrent que la prise en compte des facteurs de risque et l’utilisation de pilules à 30 μg ou moins d’éthinylestradiol ont permis de minimiser très fortement le risque. L’utilisation concomitante de tabac et de contraceptifs estroprogestatifs, si elle n’augmente pas le risque d’accident cérébral ischémique, est responsable d’une augmentation persistante des accidents hémorragiques. Comme pour l’infarctus du myocarde, le risque est proportionnel à l’âge, à la dose d’éthinylestradiol et au nombre de cigarettes fumées par jour(revue in 7).   Ainsi, au vu de ce qui vient d’être exposé, la règle que toute contraception estroprogestative doit être interrompue après 35 ans chez les fumeuses est plus que jamais à respecter. La voie d’administration de l’estroprogestatif (pilule, anneau ou patch) ne change pas cette mise en garde.   Les contraceptifs progestatifs microdosés bénéficient d’un a priori plus favorable au vu de leur innocuité métabolique. Il faut souligner que l’ensemble des statistiques est basé sur le rapport bénéfice/risque contraception estroprogestative + tabagisme versus absence de contraception estroprogestative + tabagisme. Cette équation devient défavorable au-delà de 35 ans ; avant cet âge, il est préférable de prescrire une contraception estroprogestative plutôt que de risquer une grossesse et ainsi d’induire un risque lié à une IVG ou une grossesse menée à terme. Chez la femme ayant une relation amoureuse stable, il est probable que la contraception par estroprogestatifs doive être remplacée par un système intra-utérin (SIU) quel que soit l’âge. Chez la femme ayant une vie affective instable, le port d’un SIU n’est pas recommandé. Du fait de la faible efficacité des microprogestatifs de première génération, le choix s’orientait jusqu’à récemment vers les contraceptions estroprogestatives. L’apparition sur le marché des contraceptions microprogestatives antiovulatoires peut avoir changé la donne et devrait peut-être nous les faire choisir en première intention chez les fumeuses quel que soit l’âge. Cependant, il reste à démontrer que ce choix logique n’aurait pas des résultats altérés par des problèmes d’observance liés aux aménorrhées et/ou saignements/spotting induits.   Phlébites Les travaux récents confirment l’augmentation du risque de phlébite sous contraception orale, tant chez les non-fumeuses (RR = 4 ; 2,8-5,8) que chez les fumeuses (RR = 5,5 ; 3,6-8,6), sans que la différence soit significative selon le tabagisme. Cependant, certains travaux restent en faveur d’un modeste effet synergique du tabagisme et des estroprogestatifs sur le risque de thrombose veineuse. Le tabagisme en dehors de la contraception n’augmente pas le risque non plus (RR = 1,2 ; 0,8-1,8)(8).   Pathologie circulatoire Les accidents artériels principalement favorisés par l’association pilule/tabac ne semblent pas être en rapport avec un phénomène d’athérome mais de thrombose. Le tabac lui-même favorise l’athérome alors que la pilule s’oppose à sa survenue. La pilule augmente le fibrinogène et le fibrinopeptide A et décroît l’activité antithrombine. L’association pilule/ tabac augmente le PAI (inhibiteur de la fibrinolyse). Ces variations sont d’autant plus marquées que les doses d’éthinylestradiol sont élevées et que les femmes sont fumeuses(9,10).   Autres pathologies, tabac et contraception   Cancer du col utérin Il n’existe pas à ce jour d’argument en faveur d’un effet synergique de la contraception orale et du tabagisme sur le risque de cancer épidermoïde ou de l’adénocarcinome du col qui, on le sait, sont liés à une infection par HPV. Même si chacun d’entre eux est accusé individuellement d’augmenter le risque. Les effets pourraient n’être qu’additifs, ce qui est déjà préoccupant en soi(11).   Infections pelviennes Il est connu que la pilule diminue le risque d’infection pelvienne et que le tabac et les SID l’augmentent, mais l’interaction pilule/tabac sur ce paramètre n’a pas été étudiée.   Lithiases biliaires Les fumeuses développent plus volontiers une lithiase biliaire symptomatique (RR = 1,06) ; le risque augmente avec le nombre de cigarettes fumées par jour. Cette relation est plus évidente chez les femmes n’ayant jamais utilisé la pilule, bien qu’elle persiste de façon très modeste chez les utilisatrices actuelles(12).   Maladie de Crohn Le tabagisme augmente le risque de maladie de Crohn et l’association avec la contraception estroprogestative augmenterait le risque.   Conclusion   Le tabagisme interagit avec la contraception orale principalement en modifiant le métabolisme des composants de la pilule et de l’estradiol endogène, ce qui augmente le risque de saignements, et en potentialisant les effets délétères des contraceptifs oraux sur les maladies cardiovasculaires ; le tabac, augmentant l’athérogenèse, favorise les spasmes et la pilule favorise la thrombose. Le tabagisme est le responsable essentiel de l’augmentation de la mortalité observée sous contraception estroprogestative(13) et c’est lui qui doit être combattu et non la contraception lorsque l’on parle de la santé des femmes. *NDLR : L’assurance maladie et le CFES (Comité français d’éducation pour la santé) éditent un guide d’aide à l’arrêt du tabac disponible auprès de « Tabac Info Service » Tél. : 0803 309 310 ou des centres de Sécurité sociale. Société française de tabacologie www.csft2008.fr Capital souffle www.capitalsouffle.fr "Publié dans Contraception Pratique"

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