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Prévention et protection

Publié le 27 mar 2007Lecture 7 min

Pour une culture de prévention

D. THOMAS, Institut de cardiologie, groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière, Paris

Longtemps basée sur des données théoriques, la prévention cardiovasculaire s’appuie aujourd’hui sur des données scientifiques rigoureuses ayant démontré son efficacité. Si un long chemin a été parcouru, il reste encore beaucoup à faire en pratique :
• les recommandations concernant la prévention, élaborées par les sociétés savantes à partir de ces données scientifiques sont encore insuffisamment connues et suivies ;
• les objectifs définis, trop rarement atteints.
Si nous prenions au quotidien autant de soin à appliquer ces recommandations qu’à utiliser les multiples innovations technologiques de ces dernières décennies en cardiologie, la part attribuable à la prévention dans le contrôle de la morbi-mortalité cardiovasculaire pourrait devenir dominante. Le défi actuel pour notre spécialité est bien de promouvoir une stratégie d’amélioration de la prise en charge effective de la prévention cardiovasculaire.

Des facteurs bien identifiés et modifiables • L’étude INTER-HEART (A global study of risk factors in acute myocardial infarction) nous a récemment rappelé, s’il en était besoin : - que les quatre facteurs de risque classiques (hypercholestérolémie, tabagisme, hypertension artérielle et diabète) expliquent à eux seuls 75 à 80 % des cas d’infarctus du myocarde ; - qu’ il est également parfaitement démontré que ceux-ci sont impliqués de façon essentielle dans les autres localisations de la maladie athéroscléreuse. Si des données concernant la physiopathologie de l’athérosclérose et de ses complications incitent à chercher de nouveaux facteurs de risque, en particulier dans le domaine de l’inflammation ; à l’heure actuelle ce sont la présence et en particulier le cumul de ces quatre facteurs qui identifient le mieux les sujets à risque. En pratique, il y a suffisamment à faire avec ce qui est déjà démontré et il est donc inutile, au quotidien, de re-chercher et de tenir compte de supposés nouveaux facteurs avant que ceux-ci ne soient définitivement avalisés comme étant majeurs, possiblement modifiables et que le bénéfice de leur correction soit prouvé. • On ne compte plus les études prospectives d’intervention concernant l’hypertension artérielle, les dyslipidémies ou le diabète, qui ont scientifiquement démontré l’efficacité d’approches médicamenteuses de la prévention. Réalisées et financées pour la plupart par l’industrie pharmaceutique, celles-ci ont bénéficié d’une forte publicité de leurs résultats, avec des applications dans la vie réelle assez bien corrélées avec l’intensité de cette médiatisation. Il est ainsi révélateur que le seul facteur qui ait favorablement évolué entre les deux évaluations de l’étude EuroASPIRE (European Action on Secondary and Primary Prevention by Intervention to Reduce Events) soit la cholestérolémie, de façon parallèle à une utilisation croissante des statines. Bien qu’apportant des résultats aussi convaincants, les études concernant les effets de modifications strictement comportementales, comme le sevrage tabagique, le respect de règles diététiques et l’accroissement de l’activité physique, sont beaucoup moins médiatisées et donc moins connues tant des médecins que de la population. • Par exemple, en prévention secondaire, qui sait que chez un coronarien stable avec des lésions coronaires significatives un programme d’entraînement physique donne à un an d’aussi bons résultats qu’un traitement par angioplastie coronaire, avec même significativement moins d’événements, une meilleure capacité fonctionnelle et un moindre coût ? • En prévention primaire, qui sait que, dans l’étude des infirmières américaines, les femmes ayant tout simplement une bonne hygiène de vie (absence de consommation de tabac, alimentation équilibrée, activité physique régulière et consommation modérée d’alcool) ont une réduction de 84 % de risque de survenue d’événements cardiovasculaires comparativement aux autres femmes de cette cohorte ? Une efficacité exemplaire et des modèles à suivre Certains pays du nord de l’Europe, qui comptaient il y a une trentaine d’années parmi les plus fortes mortalités cardiovasculaires au monde ont mené des politiques nationales très actives de prévention dont les résultats sont spectaculaires. En Angleterre et au pays de Galles sur une réduction annuelle de 70 000 décès cardiovasculaires constatée en l’espace de vingt ans, les deux tiers sont liés à la seule prise en charge de trois facteurs de risque : le tabagisme, l’hypercholestérolémie et l’hypertension artérielle. La part des modifications comportementales a été importante dans ce résultat. Ainsi, la seule baisse du tabagisme qui a été de 35 % pendant cette période est responsable de 43 % de ces vies épargnées. Par ailleurs, plus de 8 décès sur 10 évités sont le fruit d’actions de prévention primaire. Une analyse semblable réalisée en Écosse, également sur vingt ans, montre que plus de 50 % des décès cardiovasculaires évités sont en rapport avec des mesures préventives et essentiellement en prévention primaire. En contraste, l’amélioration pourtant notable du traitement de l’infarctus du myocarde aigu pendant cette même période, ne compte que pour 10 % dans ce bénéfice. En Finlande, où une politique de prévention cardiovasculaire remarquable a aussi été entreprise, il a été constaté entre 1972 et 1992 des diminutions de la mortalité coronaire de l’ordre de 50 % et de l’incidence de l’infarctus du myocarde de 55 % chez les hommes et de 62 % chez les femmes. Ces résultats sont essentiellement dus à un programme d’intervention vis-à-vis du tabagisme et des comportements alimentaires, fortement soutenu par les pouvoirs politiques. On peut parler dans ces pays de l’avènement d’une véritable « culture de prévention ». Dans le même temps, la France, vivant sur le mythe du « paradoxe français » n’avait pas jusqu’à récemment adopté une politique vraiment active en ce domaine. Ainsi, les dernières données épidémiologiques françaises ont montré, sur la période de 1997 à 2002, une baisse sensible de la mortalité coronaire mais pas de l’incidence de la maladie coronaire. Cette évolution rend compte certainement d’une meilleure prise en charge de la prévention secondaire, même si celle-ci est encore loin d’être optimale, mais souligne surtout la nécessité d’intensifier les démarches de prévention primaire vis-à-vis d’une pathologie qui reste la première cause de mortalité dans notre pays.   Une image évolutive de la prévention   À l’échelle individuelle Cette « culture de prévention » semble cependant pour certains aspects s’installer progressivement dans le paysage français. Plus que dans l’optique d’un accroissement de la longévité, qui est déjà perçu dans notre pays comme acquis, il se développe dans une partie de la population une demande visant la préservation de la qualité de vie et du « capital santé ». En témoigne, même s’il n’est pas toujours approprié, l’engouement actuel pour les « alicaments » proposés par l’industrie alimentaire sur la base de messages de prévention. La prévention n’est plus obligatoirement vécue comme un monde triste ne comportant que des interdits ou des sacrifices. La notion positive de comportement naturel de prévention fait son chemin et il existe à présent un appel de la population à être conseillée dans ce sens.   À l’échelle politique Les responsables politiques de la santé publique commencent également à comprendre, au travers de certaines crises sanitaires, que leur responsabilité pourrait être engagée en cas de carence de mesures préventives. Ils perçoivent aussi que l’approche comportementale de la prévention peut devenir un élément économiquement positif du système de santé car, à terme, beaucoup moins onéreux qu’un système totalement axé sur le curatif.   Vers les plus jeunes et les plus démunis Cependant ces tendances trouvent deux limites de taille. Il est très difficile de modifier les comportements d’un sujet adulte, même motivé. Il faut donc développer une politique éducative précoce des comportements de prévention, dès l’enfance et l’adolescence. C’est l’orientation qu’a prise la Fédération française de cardiologie depuis une dizaine d’années en ciblant ses messages sur les jeunes tant en ce qui concerne la prévention du tabagisme (« Jamais la première cigarette »), l’adoption d’une alimentation équilibrée (campagne de prévention de l’obésité chez l’enfant) et la promotion de l’activité physique (les « Parcours du Cœur »). Il est difficile d’atteindre les populations les plus concernées par le risque cardiovasculaire, socialement les plus défavorisées. En pratique, on assiste à une surinformation et à une démarche évolutive essentiellement dans les couches sociales déjà relativement protégées. Les programmes nationaux de promotion de la prévention cardiovasculaire doivent tenir compte de cette particularité et faire en sorte de toucher l’ensemble de la population. Au total   Le futur de la prévention doit miser prioritairement sur cette approche dite « environnementale » qui reste aujourd’hui un gisement encore nettement sous-exploité : - lutter énergiquement contre le fléau que représente encore le tabagisme dans notre pays, en renforçant de manière efficace l’aide médicale au sevrage, en prenant des mesures communautaires courageuses dans le cadre législatif et en prévenant l’initiation du tabagisme des jeunes, est une mesure prioritaire dont on sait par l’expérience d’autres pays européens qu’elle est rapidement très efficace et de surcroît peu coûteuse ; - endiguer l’épidémie évolutive d’obésité par une éducation nutritionnelle à la portée de tous et par la promotion de l’activité physique, sont les objectifs du Programme National Nutrition Santé qu’il importe de faire plus largement connaître ; - si parents et enseignants restent les initiateurs privilégiés dans l’acquisition des comportements de prévention chez les enfants et les adolescents, tous les acteurs de santé sont directement concernés par la promotion de ces messages comportementaux auprès de l’ensemble de la population et dans toutes les tranches d’âge. Une telle démarche éducative précocement entreprise et relayée tout au long de la vie est un atout majeur de la prévention cardiovasculaire. Il est nécessaire que les cardiologues s’en fassent largement l’écho et la valorisent dans leur pratique quotidienne.

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