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Chirurgie

Publié le 04 sep 2007Lecture 9 min

Le risque cardiaque périopératoire : place de l'optimisation du traitement médical

V. PIRIOU, Université Claude Bernard Lyon 1, Hospices Civils de Lyon. Centre Hospitalier Lyon Sud


Le Printemps de la cardiologie
Les problèmes de la stratification préopératoire, de l’optimisation médicamenteuse, et de la revascularisation préopératoire font l’objet de nombreuses controverses depuis de longues années. Cependant le débat a évolué dernièrement grâce à des essais randomisés.

Les recommandations américaines ACC-AHA de 1996 revues en 2002(1) ont été remises en question(2) car elles sont très consommatrices d’examens préopératoires, parfois inutiles et toujours coûteux. La véritable question qui doit être posée à l’heure actuelle est la suivante: un traitement médical optimisé chez un patient a risque, prescrit en fonction des scores cliniques de risque, de l’interrogatoire et de l’examen clinique du patient, peut-il suffire à se passer d’examens de stress et d’une éventuelle revascularisation préopératoire ? Place de la revascularisation préopératoire par rapport à un traitement médical optimisé Chez les patients coronariens à risque intermédiaire, une revascularisation préopératoire apparaît inutile dans des conditions d’optimisation du traitement préopératoire. L’étude DECREASE II(3) a montré que plus les patients cumulaient les facteurs de risque, plus les complications étaient nombreuses. Un contrôle strict de la fréquence cardiaque < 65 bpm (cible du traitement par bêtabloquant) était associé à une moindre incidence d’événements cardiaques. En revanche, le fait d’envoyer le patient réaliser un test de stress préopératoire, avec ou sans revascularisation à l’issue de ce test, ne modifiait en aucun cas les complications cardiaques postopératoires. D’autre part, les examens de stress préopératoires ont conduit à un retard de la chirurgie d’au moins trois semaines. Cette étude confirme l’étude CARP(4) qui, en excluant les patients à haut risque (sténose aortique, fraction d’éjection abaissée, atteint du tronc gauche), a montré qu’une revascularisation préopératoire chez ces patients ne modifiait pas leur survie.   Optimisation du traitement médical périopératoire Il importe que les anesthésistes développent des filières de soins avec les cardiologues correspondants (schéma). Ils doivent collaborer avec leurs confrères cardiologues afin de déterminer a priori des protocoles d’optimisation médicamenteuse périopératoire. Ces protocoles concernent notamment la prescription de bêtabloquants(5-6) et éventuellement de statines(7) chez les patients à risque. Au sein de ces protocoles, la conduite à tenir face aux antiagrégants plaquettaires, que les patients soient porteurs ou non d’endoprothèse coronaire, doit être précisée(8-9). La place des bêtabloquants en périopératoire Les bêtabloquants agissent sur les facteurs qui favorisent un déséquilibre de la balance en O2 en périopératoire. En effet, cette période est favorable à une diminution des apports (hypotension artérielle, anémie, tachycardie, hypoxie au réveil), et à une augmentation des besoins (tachycardie, poussée hypertensive, frisson lors d’une hypothermie). Ils permettent ainsi de prévenir l’ischémie myocardique périopératoire. Les arguments pour prescrire des bêtabloquants sont essentiellement basés sur deux grandes études multicentriques randomisées. La première a été publiée en 1996 par D. Mangano et coll, elle comportait 200 patients présentant des critères cliniques de risque cardiaque(10). Ces patients ont reçu de l’aténolol intraveineux en préopératoire titré en fonction de la fréquence cardiaque (objectif entre 55 et 65 bpm). Cette étude n’a pas montré de différence de morbi-mortalité intrahospitalière, cependant, elle a montré une diminution des complications à 6, 12 et 24 mois en faveur du traitement par bêtabloquants. L’étude de D. Poldermans et coll, publiée en 1999 a sélectionné parmi une population de 1 351 patients, 112 patients qui présentaient des critères d’ischémie myocardique lors d’examens de stress(11). Ces patients étant des patients opérés en chirurgie vasculaire. Les patients du groupe bêtabloquants ont bénéficié d’un traitement par bisoprolol per os plusieurs semaines avant la chirurgie avec un objectif de fréquence cardiaque < 60 bpm en préopératoire. Cette étude a montré une diminution de la morbi-mortalité extrêmement importante puisque celle-ci est passée de 34 à 3,4 %. Il s’agissait d’une population qui présentait un risque extrêmement important (morbi- mortalité de 34 % dans le groupe placebo) et qui était susceptible de bénéficier fortement d’un traitement cardioprotecteur. Ces études ont été vivement critiquées par la suite, car elles comportaient plusieurs biais : dans l’étude de D. Mangano et coll10, la morbi-mortalité intrahospitalière n’était pas incluse dans l’analyse finale, il y avait des patients sous bêtabloquants avant l’inclusion, parmi ces patients un certain nombre du groupe témoin ont été sevrés, ce qui peut expliquer une aggravation de la symptomatologie au sein de ce groupe en raison d’un syndrome de sevrage. Parmi la population de cette étude, 32 % des patients étaient diabétiques, il y avait une surreprésentation des femmes et une tendance à avoir des antécédents cardiovasculaires plus fréquents au sein du groupe placebo. Dans l’étude de D. Poldermans et coll(11), seulement 8 % des patients sélectionnés ont été inclus, les patients sous bêtabloquants de façon chronique ont été exclus, cette étude n’était pas réalisée en aveugle, et elle n’a pas été menée à son terme en raison des résultats intermédiaires importants qu’elle a montrés. Récemment, 3 études négatives avec les bêtabloquants ont été publiées. L’étude DIPOM a inclus 921 patients diabétiques, randomisés traités ou non par du métoprolol(12). Cette étude n’a pas montré de différence de morbi-mortalité d’origine cardiaque à court et à long terme chez ces patients diabétiques. L’étude MaVS concernait des patients de chirurgie vasculaire(13). Il s’agissait d’une étude contrôlée en double-aveugle qui a étudié l’effet du métoprolol chez 997 patients. Il n’a pas été retrouvé de différence de morbi-mortalité chez ces patients, cependant, des épisodes d’hypotension et de bradycardie étaient plus fréquents dans le groupe métoprolol. Une troisième étude, l’étude POBBLE concernait des patients à bas risque de chirurgie vasculaire, 100 patients ont été randomisés avec ou sans métoprolol, il n’a pas été montré de différence de morbi-mortalité parmi ces patients, par contre, il y avait là aussi plus d’effets indésirables liés au métroprolol(14). Une métaanalyse récente a montré que, bien que les bêtabloquants puissent exercer un effet préventif sur l’ischémie myocardique périopératoire, ils n’ont pas d’effet significatif sur l’apparition des infarctus du myocarde(15). Cependant, cette métaanalyse a inclus un certain nombre d’essais qui présentaient une méthodologie divergente et qu’il était difficile de comparer : les 3 derniers essais (DIPOM, MaVS, POBBLE)(12-13-14) utilisaient une dose fixe de bêtabloquants non titrée en fonction de la fréquence cardiaque, la durée du traitement était différente, c’est le métroprolol qui a été utilisé, or celui-ci possède une demi-vie courte qui peut donc entraîner un effet rebond(16). Récemment, Ferringa et coll ont montré que plus la posologie de bêtabloquants était importante, plus la fréquence cardiaque était basse, moins la fréquence cardiaque variait en périopératoire, et plus les ischémies à l’ECG ou l’élévation de troponine T étaient faibles(17). L’étude DECREASE II a montré une relation directe entre la fréquence cardiaque et la morbi-mortalité d’origine cardiaque chez les patients opérés en chirurgie vasculaire(3). Dans une étude rétrospective portant sur 329 centres et incluant 783 000 patients, Lindenauer et coll ont montré que les patients qui bénéficient d’un traitement par bêtabloquants sont les patients à haut risque(18). Les patients qui présentent un risque faible n’ont pas de bénéfice des bêtabloquants mais en ont les inconvénients, alors que les patients qui présentent un score de risque de Lee(19)> 2 ont les bénéfices des bêtabloquants. Cette étude présentait un certain nombre de limitations : il s’agissait d’une étude rétrospective, les bêtabloquants n’étaient pas titrés en fonction de la fréquence cardiaque, et ils n’étaient pas prescrits dans le but de prévenir les complications périopératoires. Cependant, cette étude a retrouvé des résultats identiques à l’étude rétrospective de 2001 de Boersma et coll. qui retrouvait un effet des bêtabloquants d’autant plus important, que le risque des patients était élevé(20). Les recommandations américaines ACC/AHA de 2006 concernant l’usage périopératoire des bêtabloquants recommandent en classe I la prescription de bêtabloquants chez les patients coronariens ou à haut risque cardiovasculaire opérés en chirurgie vasculaire(6). Chez les autres patients opérés en chirurgie vasculaire ou chez les patients à risque intermédiaire ou à haut risque opérés en chirurgie non vasculaire à risque, les bêtabloquants peuvent être utiles, mais ils font l’objet d’une recommandation de classe II. Il faudra attendre les résultats de grands essais multicentriques randomisés pour se positionner définitivement sur la sélection des patients qui pourraient bénéficier d’un traitement préventif par bêtabloquants. Actuellement, l’étude multicentrique POISE (Peri Operative ISchemic Evaluation) a prévu de randomiser 10 000 patients avec ou sans métoprolol. En mars 2006, 6 300 patients avaient déjà été inclus dans plusieurs pays du monde(21). Lorsque les bêtabloquants sont prescrits de façon chronique, ils ne doivent jamais être arrêtés en raison d’un risque de sevrage(6). Lorsqu’ils sont maintenus, il semblerait que l’effet des bêtabloquants prescrits de façon chronique ne soit pas aussi efficace qu’un traitement prescrit avec une cible de fréquence cardiaque. En effet, Sprung et coll. ont montré que les patients qui recevaient des bêtabloquants de façon chronique présentaient des variations peropératoires de fréquence cardiaque identiques aux patients qui n’en recevaient pas(22).   La place des statines en périopératoire Outre un déséquilibre de la balance en oxygène, la physiopathologie des infarctus du myocarde périopératoire inclut aussi des ruptures de plaques, favorisées par le syndrome inflammatoire périopératoire et par le contexte procoagulant qui caractérise cette période. Du fait de leur effet pléiotrope, les statines peuvent participer à la stabilisation des plaques d’athérome(7). Un certain nombre d’études rétrospectives ont montré, chez des patients traités par statines de façon chronique, que celles-ci entraînaient une diminution de la morbi-mortalité dans le cadre de la chirurgie vasculaire. Une étude a même suggéré qu’il existait un effet additif des statines et des bêtabloquants(23). De même qu’avec les bêtabloquants, Lindenauer et coll a montré dans une étude rétrospective portant sur 781 000 patients dans 329 centres, que les statines pouvaient entraîner une diminution des complications cardiaques avec un effet d’autant plus marqué que les patients présentaient des facteurs de risque importants(24). D’autres études rétrospectives retrouvent un effet cardioprotecteur des statines dans le contexte préopératoire(25). Seule une étude prospective a été publiée(26), il s’agit d’une étude qui a inclus 2 fois 50 patients traités ou non par de l’atorvastatine 20 mg débuté 30 jours avant l’intervention chirurgicale. Les patients n’ont pas présenté de différence significative en ce qui concerne les complications cardiaques ; cependant, les critères combinés (décès d’origine cardiaque, infarctus du myocarde, angor instable, AVC ischémique) étaient significativement diminués chez les patients sous atorvastatine. Bien que dans le contexte périopératoire, un certain nombre d’effets indésirables liés aux statines aient été décrits, notamment des cas de rhabodomyolyses(27), il semble que chez les patients à risque, il y ait plus de bénéfice à conserver une statine qu’à l’arrêter pour la période périopératoire(28). Sur le plan biologique, il semblerait que pour les patients chez qui les statines sont sevrées, il existe un syndrome de rebond. Bien qu’il n’y ait actuellement qu’une seule étude randomisée sur l’intérêt des statines en périopératoire, ces dernières semblent intéressantes chez les patients à risque. Si ces patients à risque d’événement cardiaque périopératoire n’en prennent pas de façon chronique, il pourrait être utile de les débuter(7-29). Une étude prospective multicentrique devant inclure 6 000 patients (étude DECREASE IV) est actuellement en cours pour déterminer si les statines (la fluvastatine) ou les bêtabloquants (le bisoprolol) ou l’association des deux, est efficace pour réduire les complications cardiaques périopératoires chez les patients à haut risque(30).   En pratique   Lorsque l’on se pose la question de l’opportunité d’une revascularisation coronaire préopératoire, il faut comparer les bénéfices/risques de la revascularisation par rapport à une optimisation des thérapeutiques médicales. Un traitement médical optimal par bêtabloquant titré sur la fréquence cardiaque, et éventuellement statine doit être proposé à tous les patients à risque ; bien qu’il faille attendre des études de haut niveau de preuve incluant un grand nombre de patients pour trancher sur les indications périopératoires des bêtabloquants et des statines (étude POISE pour les bêtabloquants, étude DECREASE IV pour les statines). Les indications de coronarographie préopératoire doivent être discutées au cas par cas, uniquement s’il y a une indication en dehors du contexte chirurgical. Il faut savoir qu’une revascularisation préopératoire va forcément retarder l’intervention chirurgicale. Par ailleurs, l’implantation d’un stent, notamment s’il est pharmacoactif, pose le problème de la gestion du traitement antiagrégant plaquettaire, avec un risque de thrombose de stent périopératoire(8-9). L’auteur n’a pas déclaré de conflit d’intérêt.

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