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Chirurgie

Publié le 01 sep 2021Lecture 7 min

Lésions myocardiques après chirurgie non cardiaque (MINS, Myocardial Injury after Non-cardiac Surgery)

Anne-Céline MARTIN1, Pierre ALBALADEJO2, Anne GODIER3*

Chaque année en Europe, 4,7 millions de patients sont opérés de chirurgie non cardiaque, 1 à 10 % développent un événement cardiaque périopératoire grave, 0,5 % décède pendant le séjour hospitalier et 1,8 % dans les 30 jours suivant la chirurgie(1). Ces événements sont observés après chirurgie non cardiaque majeure et surviennent plus fréquemment chez les patients avec des antécédents cardiaques ou des facteurs de risque cardiovasculaires. La principale cause est l’ischémie myocardique(1).

• Nouveau concept de lésion du myocarde après une chirurgie non cardiaque (MINS) Définition Une proportion importante de patients opérés d’une chirurgie non cardiaque majeure présente une élévation de la troponine en postopératoire, témoin de lésions myocardiques, qui ne répond pas à la définition universelle de l’infarctus du myocarde (IDM)(2-4). Cette entité de la médecine péri-opératoire, appelée MINS (myocardial injury after non-cardiac surgery), est définie par une élévation postopératoire de la troponine d’origine ischémique survenant dans les 30 jours suivant une chirurgie non cardiaque, avec ou sans signe fonctionnel ischémique ou modification électrocardiographique(5). Cette définition exclut donc une élévation de troponine non ischémique consécutive à une embolie pulmonaire, un sepsis, une myocardite, de la fibrillation atriale. Plus de 80 % des MINS surviennent sans signe clinique ou électrique et ne peuvent être dépistés que par le dosage systématique de la troponine postopératoire, qui dans 87 % des cas s’élève dans les 48 à 72 heures suivant la chirurgie(3). Les seuils de troponine défi nissant les MINS sont une troponine T postopératoire ≥ 30 ng/l, ou une troponine ultrasensible ≥ 65 ng/l ou entre 20 à 64 ng/l avec une élévation d’au moins 5 ng/l par rapport à une valeur mesurée en préopératoire. Pour la troponine I, on retient ≥ 99e percentile des valeurs de référence indépendamment du test utilisé. Mécanismes physiopathologiques Les MINS partagent avec l’IDM un substrat physiopathologique commun et proviennent schématiquement de deux mécanismes : la thrombose aiguë et une inadéquation entre l’offre et la demande d’oxygène. D’après les études OPTIMUS et Coronary CTA VISION, seuls un quart à un tiers des MINS sont dus à une thrombose, le mécanisme le plus fréquent étant une inadéquation entre offre et demande, sur une maladie coronarienne ou vasculaire sous-jacente(6,7). La chirurgie et l’anesthésie induisent des modifications physiologiques, stimulation sympathique, hypotension artérielle, tachycardie, hypoxémie, hypothermie, inflammation, saignement, hypovolémie, qui en font des situations à risque(8). L’hypercoagulabilité, fréquente dans ces situations, par l’activation de la cascade de la coagulation, l’activation plaquettaire, l’inflammation, la dysfonction endothéliale participe également à la physiopathologie des MINS(9). • Impact sur la mortalité Les MINS impactent le pronostic. Dans l’étude VISION qui a recruté 21 842 patients opérés d’une chirurgie non cardiaque avec dosage systématique de la troponine postopératoire, l’élévation de la troponine était un facteur prédictif indépendant de mortalité à 30 jours, avec le même risque relatif que les IDM(10). Ces résultats ont été retrouvés dans une sous-analyse de l’étude POISE, où le mauvais pronostic lié à l’ischémie myocardique était identique, que les patients présentent ou non des symptômes ischémiques (c’est-à-dire avec un diagnostic d’IDM ou de MINS)(11). Enfin, les MINS étaient également associés à la mortalité à un an. • Recommandations pour le diagnostic des MINS Les recommandations françaises (SFAR/SFC) et européennes (ESC/ESA) de cardiologie et d’anesthésie-réanimation de 2014 laissaient une place limitée au dosage postopératoire systématique de la troponine(12,13). Elles indiquent qu’il peut être envisagé chez les patients à haut risque définis par une performance fonctionnelle limitée ou un score de Lee ≥ 2 pour une chirurgie non cardiaque (≥ 1 pour la chirurgie vasculaire). Les recommandations de 2017 de la Société cardiovasculaire canadienne intègrent les données plus récentes(14). Elles recommandent le dosage quotidien systématique de la troponine dans les 48 à 72 heures suivant une chirurgie non cardiaque majeure chez les patients dont le risque de mortalité ou d’IDM dans les 30 jours est estimé à > 5 %. Cela inclut une large population puisque sont concernés tous les patients âgés de ≥ 65 ans ou avec un score de Lee ≥ 1, ou âgés de < 65 ans avec des antécédents cardiovasculaires significatifs. Sont également concernés les patients avec un BNP/NT-proBNP élevé en préopératoire, si la mesure a été faite afin de stratifier le risque. • Stratégies de prise en charge des MINS, avant, pendant et après la chirurgie Prévention des MINS par la stratification du risque préopératoire L’évaluation préopératoire faite en consultation d’anesthésie permet de stratifier le risque des patients et repose sur un algorithme validé incluant le score de Lee et une évaluation de l’état fonctionnel (figure 1)(12,13). Le score de Lee permet de prédire les complications postopératoires (IDM, œdème pulmonaire, BAV complets, fibrillation ventriculaire et arrêt cardiaque) et comprend six variables : le type de chirurgie, les antécédents de cardiopathie ischémique, d’insuffisance cardiaque, de maladie cérébro-vasculaire, de diabète avec insulinothérapie et d’insuffisance rénale avec une créatininémie > 170 μmol/l. L’évaluation de la capacité fonctionnelle est subjective : les patients sont interrogés sur leur capacité à effectuer des activités de la vie quotidienne mettant en jeu un métabolisme aérobie MET a montré que cette évaluation était très peu sensible pour identifier les patients incapables de réaliser un effort de 4 équivalents métaboliques (METs) au cours d’un test d’effort(15). Surtout, il n’existe pas de corrélation entre l’évaluation du statut fonctionnel et le critère composite associant mortalité, IDM, MINS à 30 jours, et la mortalité à un an, ce qui questionne la pertinence de la stratégie actuelle pour la prédiction des MINS. En revanche, les concentrations préopératoires de NT-proBNP étaient associées à une augmentation des MINS à 30 jours et de la mortalité à 30 jours et à 1 an, lui faisant ainsi une place parmi les biomarqueurs préopératoires dans la stratification du risque. Rodseth et coll. ont aussi montré que l’ajout du BNP préopératoire au modèle de stratification du risque améliorait sa performance(16). Cependant, une des limites à l’utilisation du BNP en préopératoire pour la stratification du risque est la définition des seuils. Les recommandations canadiennes préconisent de doser le BNP ou le NT-proBNP en préopératoire chez les patients de ≥ 65 ans ou avec un score de Lee ≥ 1, ou chez les patients de < 45 ans avec des antécédents cardiovasculaires significatifs, mais cette stratégie n’est pas encore adoptée en France(12-14). La coronarographie préopératoire systématique n’a pas de place dans la stratification du risque. Elle doit être limitée aux indications validées hors contexte périopératoire et ne doit pas être réalisée pour le simple fait de la chirurgie. La revascularisation des lésions coronaires n’a montré de bénéfice que lorsque celles-ci sont responsables d’une ischémie myocardique étendue documentée par un test fonctionnel. Elle ne prévient pas les IDM postopératoires et ne réduit pas la mortalité postopératoire. Prévention des MINS par l’optimisation peropératoire La prévention des MINS passe par l’optimisation des paramètres générant de l’ischémie myocardique par inadéquation entre l’apport en les besoins en oxygène. Le monitorage de la fréquence cardiaque, de la volémie, du débit cardiaque, de l’hémoglobine, de l’analgésie, de l’oxygénation fait partie intégrante de la prise en charge et de l’amélioration du pronostic. Il est démontré que l’anémie est un déterminant des MINS. Dans une cohorte de 35 170 patients ayant bénéficié d’une chirurgie non cardiaque majeure, une anémie modérée à sévère augmentait le risque de MINS de 80 % avec une incidence des MINS de 28,6 %(17). Néanmoins cela ne permet pas de distinguer si l’anémie est un marqueur de risque ou un élément mécanistique dont la correction modifierait le pronostic. Le contrôle peropératoire de la pression artérielle également un déterminant majeur des complications cardiaques et de défaillance d’organe postopératoire(18,19). Prise en charge des MINS en postopératoire La prise en charge des syndromes coronariens aigus postopératoires fait discuter la place de la coronarographie et de la revascularisation myocardique (figure 2), qui met en balance le risque ischémique coronaire et le risque hémorragique lié à l’introduction en postopératoire de traitements antithrombotiques et antiplaquettaires. Le traitement des MINS reste peu évalué. Les données observationnelles suggèrent que l’aspirine et les statines pourraient réduire les événements cardiaques majeurs. Dans une sous-analyse de l’essai POISE incluant 415 patients avec un IDM après une chirurgie non cardiaque, ceux ayant reçu de l’aspirine et une statine en postopératoire avaient une mortalité à 30 jours plus faible que ceux n’en ayant pas reçu(11). Dans une cohorte rétrospective de 66 patients avec un diagnostic de MINS après chirurgie vasculaire, l’absence d’intensification du traitement (ajout d’au moins un traitement parmi antiplaquettaire, statine, bêtabloquant, inhibiteur de l’enzyme de conversion) était associée à un pronostic plus péjoratif(20). L’essai randomisé MANAGE a montré que chez les patients avec un diagnostic de MINS le dabigatran (110 mg x 2/j) comparé à un placebo réduisait le risque de complications vasculaires majeures sans augmenter les saignements majeurs(21). Le bénéfice du dabigatran apparaissait dès le diagnostic de MINS et persistait à distance. Avec cet essai, l’élévation postopératoire de la tro ponine après chirurgie non cardiaque majeure passe d’un marqueur de risque à observer à un facteur de risque qu’il est possible de traiter. Ceci pourrait marquer un tournant dans la prise en charge des MINS, reste à voir la place que lui donneront les futures recommandations.

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