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Chirurgie

Publié le 08 avr 2008Lecture 12 min

Chirurgie coronaire à cœur battant : où en sommes-nous en 2008 ?

J.-P. SAAL et G. GHORAYEB, Département de Pathologie Cardiaque, Institut Mutualiste Montsouris, Paris

Si les grands principes de la chirurgie coronaire n’ont pas beaucoup changé depuis les années 1970, un certain nombre d’évolutions récentes méritent d’être précisées. Après avoir rappelé brièvement le déroulement habituel d’une intervention de chirurgie coronaire, nous tenterons de résumer les données actuelles de la littérature sur la chirurgie coronaire à cœur battant. Enfin, nous présenterons quelques résultats de notre expérience la plus récente.

Dès les années 1970, alors que la chirurgie coronaire sous circulation extra-corporelle (CEC) connaissait un essor considérable, la survenue d’un certain nombre de complications postopératoires, attribuées à l’arrêt cardiaque et à l’utilisation de la CEC, a conduit plusieurs équipes à préconiser la réalisation de pontages coronaires à cœur battant (CB). Pourtant, cette technique n’a connu un réel développement qu’à partir de la fin des années 1990, avec la mise au point de stabilisateurs cardiaques de plus en plus perfectionnés. En immobilisant une « zone cible » à la surface du cœur, au niveau de l’artère coronaire à revasculariser, ces stabilisateurs ont permis d’améliorer considérablement les conditions techniques de réalisation des sutures coronaires sur cœur battant, les rendant, entre des mains entraînées, comparables à celles de la chirurgie sur un cœur totalement arrêté. En 2001, nous rapportions les résultats de notre première année d’expérience avec un stabilisateur cardiaque agissant par un mécanisme de succion à la surface du myocarde, le système Octopus® (Medtronic Inc.)(1) (figure 1). Figure 1. Stabilisateur Octopus®. Comment se déroule une intervention de chirurgie coronaire ? Le tableau 1 résume les différents temps d’une intervention de pontages coronaires multiples sous CEC et à CB. On peut aisément constater que la chirurgie coronaire à CB permet, par rapport à la chirurgie coronaire conventionnelle (sous CEC), de simplifier de façon très significative le déroulement du geste chirurgical, en supprimant un certain nombre d’étapes. La chirurgie coronaire à CB permet-elle pour autant une revascularisation aussi sûre et aussi complète que la chirurgie coronaire sous CEC ? S’accompagne-t-elle de la même morbi-mortalité postopératoire ? Pour répondre à ces questions, nous nous sommes appuyés sur un certain nombre de publications récentes, et notamment sur les résultats d’une métaanalyse très rigoureuse(2), qui a regroupé 37 essais randomisés comparant les deux techniques chirurgicales.   Que penser de la qualité des pontages réalisés à CB ? La question de la qualité des anastomoses réalisées à CB a fait couler beaucoup d’encre, surtout après la publication en 2004 d’un essai randomisé ayant conclu à une moindre perméabilité des pontages réalisés à CB(3). Dans cette étude, les auteurs eux-mêmes admettent que leur faible expérience en matière de CB ait pu contribuer à cette moindre perméabilité. Par ailleurs, la plupart des pontages défectueux concernaient l’artère radiale, utilisée en greffon libre sur l’aorte. La même année, une autre étude randomisée réalisée par une équipe chirurgicale plus expérimentée en matière de CB(4), et ayant inclus un plus grand nombre de patients, relançait le débat en concluant à une perméabilité équivalente des pontages réalisés avec ou sans CEC. Cette même conclusion en matière de perméabilité a été retrouvée dans d’autres publications, aussi bien randomisées que non randomisées(5). Toutefois, lorsque les six études randomisées sur le sujet ont été très récemment regroupées dans une métaanalyse(6), la perméabilité des pontages réalisés à CB apparaissait significativement moindre que celle des pontages effectués sur cœur arrêté. Cependant, il est intéressant de noter que dans cette métaanalyse, la moindre perméabilité des pontages réalisés à CB n’était statistiquement significative que pour les pontages veineux, alors qu’elle était comparable, de l’ordre de 95 %, pour l’ensemble des pontages artériels (incluant les greffons radiaux). Enfin, tous les auteurs soulignent largement le fait que ces données sont extrêmement dépendantes du chirurgien, c’est-à-dire de son habileté et de son expérience, et qu’il est impossible de porter une conclusion sans tenir compte de ce facteur individuel.   La revascularisation réalisée à CB est-elle aussi complète que celle réalisée sous CEC ? Dans la métaanalyse de Cheng(2), seuls 8 essais randomisés s’étaient intéressés plus spécifiquement au caractère complet ou incomplet de la revascularisation. Sur ces 8 essais, 5 n’ont pas retrouvé de différences entre les deux groupes, 2 ont retrouvé une supériorité du groupe CEC et 1 une supériorité du groupe CB. Toutefois, globalement, le nombre moyen de pontages par patient était significativement plus faible chez les patients opérés à CB, de 2,6 ± 0,6 dans le groupe CB contre 2,8 ± 0,7 dans le groupe CEC (p < 0,001). Cette donnée, assez unanimement reconnue (même si, là encore, la plupart des auteurs soulignent le caractère « chirurgien-dépendant » de ce paramètre), ne s’est pas traduite par une quelconque augmentation, chez les patients opérés à CB, du risque d’infarctus, d’angor ou de procédure interventionnelle dans la période postopératoire, ni par une élévation plus marquée des enzymes cardiaques.   Y a-t-il un intérêt démontré à réaliser les pontages à CB ? Aucun des nombreux travaux publiés à ce jour n’a rapporté une augmentation de la morbidité ou de la mortalité de la chirurgie coronaire à CB par rapport à la chirurgie conventionnelle. À l’inverse, il existe une très nette tendance dans la littérature à une moindre morbi-mortalité de la chirurgie coronaire à CB par rapport à la chirurgie coronaire sous CEC. Un certain nombre d’avantages de la chirurgie coronaire à CB ont été bien démontrés(2) et ne sont plus actuellement l’objet de discussions : moindres besoins transfusionnels, durée de ventilation plus brève, moindre risque d’infection respiratoire, moindre besoin en catécholamines, moindre élévation des enzymes cardiaques, moindre risque de fibrillation auriculaire postopératoire, séjour hospitalier moins long, moindre coût global. Cependant, ces avantages ne s’accompagnent pas, dans la métaanalyse de Cheng, d’une réduction significative des principaux marqueurs de morbidité, ni de la mortalité globale. En effet, il n’a pas été retrouvé de différence significative entre le groupe CB et le groupe CEC en ce qui concernait la mortalité à 30 jours, le taux d’infarctus postopératoires, le taux d’AVC et le taux d’insuffisance rénale. Les paramètres qui apparaissent améliorés de façon significative sont ceux dont la fréquence de survenue est la plus élevée ou dont la mesure peut être particulièrement précise, permettant, malgré l’effectif étudié relativement réduit, d’atteindre la signification statistique. En effet, pour démontrer une réduction de 40 % du risque de survenue d’un événement très rare (de l’ordre de 1 % par exemple), il est nécessaire d’étudier deux groupes de plus de 8 000 patients chacun (soit un total de plus de 16 000 patients), ce qui est largement plus important que les quelques 3 300 patients regroupés dans la métaanalyse de Cheng. Ainsi, le risque d’AVC est apparu, dans cette métaanalyse, particulièrement faible dans le groupe de patients opérés sous CEC, de l’ordre de 1 %, alors qu’il est habituellement estimé dans la littérature entre 2 et 3 %(7). Ceci est manifestement lié à une sélection excessive de patients à faible risque lors de ces essais randomisés. De plus, seuls 21 des 37 essais ont étudié le risque d’AVC à 30 jours, soit un total de 2 859 patients seulement. Chez ces patients, le taux d’AVC a été de 0,4 % dans le groupe CB contre 1 % dans le groupe CEC (OR 0,68, IC 95 % : 0,33-1,4). Cette tendance à un moindre risque à CB n’a pas atteint la signification statistique dans la métaanalyse de Cheng. Très récemment, une nouvelle métaanalyse(8) incluant un nombre plus élevé d’études randomisées (et de patients) a finalement permis de conclure à une baisse statistiquement significative du risque d’AVC, mais également du risque d’infection du site opératoire chez les patients opérés à CB. Parmi les nombreuses publications d’essais non randomisés, une étude publiée en 2005(9) chez 700 patients consécutifs, tous opérés de pontages à CB, a retenu notre attention. Dans ce travail, le groupe de patients opérés par la technique du « no-touch » aortique a été comparé aux patients chez qui un clampage latéral de l’aorte avait été nécessaire. Malgré une palpation attentive de l’aorte, complétée, au besoin, par la pratique d’une échographie « épicardique » de l’aorte ascendante, le taux d’AVC était très nettement inférieur dans le groupe « no-touch » (0,2 versus 2,2 %, p = 0,01). Bien entendu, chaque fois qu’un athérome significatif de l’aorte était mis en évidence, la technique du « no-touch » était privilégiée. Enfin, quelques publications se sont intéressées plus spécifiquement aux patients à haut risque chirurgical (sujets âgés, dysfonction VG sévère, insuffisants respiratoires, insuffisants rénaux, « polyartériels », diabétiques, etc.), chez qui le taux d’AVC postopératoire peut parfois dépasser largement les 30 %. Bien que ces travaux soient encore assez peu nombreux(10,11), ils montrent déjà que les patients à haut risque sont précisément ceux qui bénéficient le plus de la chirurgie à CB.   Quel est le rôle de l’expérience de l’équipe chirurgicale en matière de revascularisation coronaire à CB ? Il convient, bien entendu, de mettre de côté les monopontages à CB, qui concernent, dans l’immense majorité des cas, l’anas-tomose de l’artère mammaire interne gauche pédiculée sur l’IVA, et qui s’adressent à une frange très réduite de patients susceptibles de bénéficier d’une revascularisation chirurgicale, à moins que le geste ne s’intègre dans le cadre d’une démarche de revascularisation hybride. Il est intéressant de souligner que, lorsqu’il s’agit de réaliser un monopontage sur l’IVA, la plupart des chirurgiens qui en sont capables, et ils sont très nombreux, le réalisent préférentiellement à cœur battant. On peut sans doute en conclure que la technique est plus séduisante, car plus simple, plus courte et potentiellement moins risquée. Cependant, la réalisation de plusieurs pontages coronaires à CB est indiscutablement plus complexe que sous CEC, c’est-à-dire sur un cœur totalement arrêté et exsangue. Ceci est particulièrement vrai en ce qui concerne la revascularisation du réseau coronaire droit et surtout du réseau circonflexe. En effet, l’abord du réseau circonflexe et du réseau coronaire droit nécessite impérativement, du fait de leur situation anatomique, une luxation plus ou moins importante du cœur. Ceci a deux conséquences essentielles : un retentissement hémodynamique parfois très marqué et des conditions techniques de réalisation des pontages nettement moins aisées que sur un cœur arrêté. L’adéquation entre une exposition chirurgicale optimale et la préservation de paramètres hémodynamiques acceptables durant les quelques minutes que nécessite la réalisation du pontage est parfois difficile à trouver (figure 2), et ceci peut aisément rebuter, notamment en début d’expérience. Elle suppose une très étroite collaboration entre le chirurgien et l’anesthésiste. Elle implique surtout, pour les chirurgiens ayant pris le parti de persévérer dans cette voie, une inévitable courbe d’apprentissage(12), qui peut prendre parfois plus de 2 ans. Cette courbe d’apprentissage est sans doute à l’origine de la limitation de la diffusion de la technique du cœur battant, en particulier chez les chirurgiens déjà chevronnés, non disposés à remettre en question les très bons résultats qu’ils obtiennent généralement en réalisant leurs pontages sous CEC. En effet, on peut aisément concevoir que de tels chirurgiens soient réticents à prendre le risque de sacrifier potentiellement, ne serait-ce que transitoirement, la perméabilité de leurs greffons, pour justifier l’apprentissage d’une technique nouvelle, fût-elle potentiellement meilleure. Figure 2. Pontage de la marginale. La question de l’enseignement de la technique du CB est d’ailleurs posée, d’autant plus difficile à résoudre que ce type de chirurgie est loin d’être régulièrement réalisée dans l’ensemble des hôpitaux universitaires. Malgré tout cela, un certain nombre de chirurgiens, bien évidemment précédemment rompus à la pratique des pontages sous CEC, font le choix de la chirurgie coronaire à CB pour les patients pluritronculaires. Dans ce cas, le chirurgien cherchera généralement à ponter tous ses patients à CB, de façon routinière, en réalisant le nombre d’anastomoses coronaires nécessaires, sans jamais prendre délibérément le risque de réaliser une revascularisation incomplète ou imparfaite. Cette attitude, qui ne peut se concevoir que dans un environnement adéquat (anesthésiste rompu à la technique, circuit de CEC prêt), ne peut que renforcer l’expérience du chirurgien, et rendre alors plus aisée la prise en charge de cas complexes ou de situations d’urgence. Ce n’est que de cette façon que les patients les plus fragiles, ceux chez qui l’usage de la CEC et/ou le clampage aortique peuvent avoir les conséquences les plus délétères, pourront en tirer réellement bénéfice. Enfin, fort de cette expérience, le chirurgien saura plus rapidement dépister les quelques patients chez qui il sera préférable de réaliser la revascularisation sous CEC, anticipant et évitant ainsi, autant que faire se peut, le stress occasionné par la nécessité d’une conversion en CEC en extrême urgence pour inefficacité hémodynamique.   Quelle attitude proposer chez les patients à haut risque ? En théorie, ces patients devraient préférentiellement être confiés aux chirurgiens maîtrisant la technique du CB, tout comme on confierait plus volontiers la réparation complexe d’une fuite mitrale à un chirurgien plus expérimenté dans la technique de la plastie mitrale. En effet, s’il est clair que la morbi-mortalité postopératoire des patients à haut risque chirurgical peut être réduite par la technique du CB, cela n’est démontré que pour les équipes réalisant un grand nombre d’interventions à CB. Pour un chirurgien donné, la période d’apprentissage, représentée habituellement par les 100 à 200 premiers patients pluritronculaires, est notamment marquée par une augmentation progressive du nombre moyen de pontages réalisés par patient (rejoignant le nombre moyen de pontages réalisés sous CEC). Au-delà de ce cap, le taux de conversion en CEC diminue (devenant < 3%) et, surtout, la morbi-mortalité baisse significativement, tout particulièrement chez les patients à haut risque chirurgical.   Notre expérience Il convient tout d’abord d’insister sur le fait que nos résultats initiaux(1) n’ont fait que se confirmer dans le temps. Le taux extrêmement faible de complications neurologiques, et en particulier d’accidents vasculaires cérébraux (AVC), constitue un avantage majeur de la technique. En effet, bien que rare, ce type de complication constitue un drame à chaque nouveau cas. Sur le plan de la technique chirurgicale, nous avons fait le choix, depuis quelques années, de réaliser, chaque fois que possible, une revascularisation myocardique complète par des conduits uniquement artériels, sans aucune manipulation de l’aorte (« no-touch » aortique). Si la revascularisation complète en « tout-artériel » est couramment réalisée par de nombreux chirurgiens, le geste est habituellement effectué sous CEC, c’est-à-dire avec, au minimum, une canulation aortique, associée également, le plus souvent, à un clampage total de l’aorte. De même, lors de monopontages, la technique du « no-touch » aortique est également très largement pratiquée, en particulier lors de la réalisation, à cœur battant, d’un pontage de l’artère interventriculaire antérieure (IVA) à l’aide d’une artère mammaire interne pédiculée. La technique que nous décrivons ici consiste à réaliser plusieurs pontages coronaires à cœur battant, sans CEC, en utilisant pour seuls greffons les deux artères mammaires internes, l’artère mammaire interne droite étant généralement anastomosée en Y ou en T sur l’artère mammaire interne gauche, elle-même pédiculée (figures 3 et 4). Figure 3. Champ opératoire (quintuple pontage). Figure 4. Champ opératoire (quintuple pontage). Ce montage permet de réaliser jusqu’à 6 pontages coronaires à l’aide de conduits artériels, sans avoir à clamper, ne serait-ce que latéralement, l’aorte (figures 5 et 6). Cette évolution représente un pas de plus vers une chirurgie coronaire moderne, alliant les bénéfices d’une revascularisation artérielle complète à ceux d’une chirurgie peu invasive, évitant non seulement la circulation extracorporelle mais aussi l’abord de l’aorte, potentiellement source d’emboles athéromateux. Figure 5. Contrôle coronarographique. Figure 6. Contrôle coronarographique. Ainsi, au cours des 4 dernières années, sur un total de 470 pa-tients opérés par le même chirurgien de pontages coronaires à CB, 285 ont été opérés par la technique du « no-touch aortique – tout artériel ». Les principales caractéristiques de ce groupe de patients ont été résumées dans le tableau 2. Il convient de souligner que moins de 7 % des patients n’ont eu qu’un monopontage, et près de 70 % des patients ont reçu au moins trois pontages coronaires. Par ailleurs, ces résultats concernent l’ensemble des 285 patients, y compris les 8 patients ayant nécessité une CEC d’assistance (conversion). Le seul AVC de cette série est survenu précisément chez l’un de ces 8 patients. Ces résultats démontrent que la chirurgie à CB possède un potentiel indéniable ; le nombre de patients qui pourraient en bénéficier mériterait d’être largement accru. Conclusion   Bien que la chirurgie coronaire à cœur battant offre un certain nombre d’avantages par rapport à la technique conventionnelle sous CEC, sa diffusion reste encore aujourd’hui très limitée, puisqu’on estime que moins de 20 % des patients opérés de pontages coronaires le sont par cette technique. Pourtant, entre des mains expérimentées, la technique du cœur battant conduit à de meilleurs résultats en termes de morbi-mortalité que la chirurgie coronaire conventionnelle sous CEC. La possibilité de réaliser les pontages sans manipuler l’aorte s’intègre dans la tendance actuelle en faveur d’une chirurgie moins invasive, partant du principe que, dans la mesure où le geste nécessaire a pu être correctement réalisé, l’évolution postopératoire est généralement d’autant plus simple que l’intervention a été plus courte et/ou moins agressive.

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