Diabéto-Cardio
Publié le 30 nov 2015Lecture 12 min
L’insulinorésistance influe-t-elle sur le risque cardiovasculaire ?
F. BONNET, Service d’endocrinologie-diabétologie, CHU de Rennes
Les maladies cardiovasculaires représentent la première cause de mortalité des patients diabétiques avant le cancer. L’insulinorésistance qui est présente chez pratiquement tous les diabétiques de type 2 et qui précède l’émergence de l’hyperglycémie a été suspectée depuis longtemps de favoriser le développement des pathologies cardiovasculaires. Cependant, si la relation épidémiologique semble bien démontrée en population générale, l’association est moins évidente chez les diabétiques. Cette revue propose de faire le point sur l’état des connaissances et le niveau de preuves, à la fois pour le diabète de type 1 et le diabète de type 2.
Définition de l’insulinorésistance
Elle est définie par la notion que l’insuline n’exerce pas ses effets normaux dans les organes sensibles à l’action de l’insuline et impliqués dans le métabolisme du glucose, comme le muscle squelettique, le tissu adipeux, le foie et le pancréas. La technique de référence pour mesurer l’insulinorésistance est le clamp euglycémique hyperinsulinémique, qui est une technique cependant assez lourde et contraignante en temps et en personnel, ce qui limite son utilisation à grande échelle en pratique et en recherche. L’insulinorésistance peut être estimée par l’intermédiaire d’index comme l’index HOMA-IR qui est calculé à partir du produit de l’insulinémie et de la glycémie à jeun. Cependant, la validité de cet index en présence d’un diabète n’a pas été établie.
Facteurs de risque CV et diabète
Les facteurs de risque cardiovasculaires (CV) conventionnels sont prédictifs de la survenue d’événements CV chez les patients diabétiques de type 1 (DT1) ou de type 2 (DT2), comme dans la population générale(1). L’obésité et l’hypertension artérielle (HTA) sont des facteurs classiquement observés chez les patients DT2. La concentration de HDL-C est le plus souvent plus faible au cours du DT2, en lien avec une élévation de celle des triglycérides. La concentration du LDLC est généralement similaire dans le DT2 et la population générale. La prévalence du tabagisme est considérée comme comparable chez les DT2 et chez les personnes non diabétiques(2). Dans l’étude UKPDS, les principaux facteurs de risque de survenue d’un infarctus du myocarde (IDM) étaient un taux de LDL-C élevé, une pression artérielle élevée, le tabagisme, un HDL-C bas et l’HbA1c(3). Ces mêmes facteurs de risque étaient également associés au risque CV au cours du suivi de 7 ans de 1 059 patients DT2 en Finlande(4). Cependant, les résultats de l’étude Steno-2 suggèrent que les facteurs de risque traditionnels n’expliquent pas l’intégralité du niveau de risque CV dans le DT2. Il est logique de penser que des paramètres métaboliques spécifiques du DT2, comme l’insulinorésistance, puissent contribuer à l’excès de risque CV des patients DT2. Une large métaanalyse incluant 65 études d’observation regroupant près de 500 000 individus non diabétiques a récemment montré qu’il existe une association significative entre l’index HOMA-IR et le risque d’événements CV, qui persistait après ajustement pour les facteurs de risque conventionnels (tableau ci-dessous)(5). Chez des adolescents DT1, il a été montré que plusieurs facteurs de risque comme le LDLC, la pression artérielle et la concentration de CRPus sont corrélés au degré d’insulinorésistance, ce qui suggère le rôle indépendant de la diminution de la sensibilité à l’insuline, audelà de l’hyperglycémie(6).
Hyperglycémie et athérosclérose
Il est difficile de séparer les effets cardiovasculaires de l’insulinorésistance de ceux liés à l’hyperglycémie qu’elle provoque ou entretient. À la différence du DT1, l’insulinorésistance est présente plusieurs années avant que l’hyperglycémie n’apparaisse. Il est admis qu’à la fois l’hyperglycémie et l’insulinorésistance sont responsables des altérations du profil de risque CV observé dans le DT2. De plus, l’insulinorésistance est également impliquée dans l’élévation des glycémies postprandiales, qui elle-même est suspectée de favoriser les événements CV(7). Des études de randomisation mendélienne récentes ont montré que des variants génétiques conduisant à une élévation de la glycémie étaient associés au risque d’IDM, indépendamment des facteurs de confusion liés à l’environnement(8). L’hyperglycémie favorise la dysfonction endothéliale et l’adhésion des leucocytes en augmentant l’expression de E-sélectine, VCAM-1, ICAM-1(9). L’insulinorésistance et l’hyperglycémie augmentent la formation des radicaux libres ou produits réactifs de l’oxygène générés par le stress oxydatif au niveau de l’endothélium artériel, ce qui induit une inflammation et des altérations de la vasorelaxation(10,11).
Insulinorésistance et athérosclérose
Des travaux ont montré que l’insulinorésistance, mesurée par le clamp, est associée à l’athérosclérose asymptomatique et l’atteinte des coronaires chez des individus non diabétiques(12). L’insulinémie à jeun et l’index HOMA-IR sont des facteurs prédictifs des événements CV dans la population générale non diabétique, comme l’a montré une récente métaanalyse(5). Cependant, la proportion du risque CV attribuable à l’insulinorésistance demeure mal connue. Une étude originale ayant utilisé une modélisation mathématique complexe a suggéré que prévenir l’insulinorésistance chez des sujets âgés de 20 à 30 ans pourrait prévenir environ 42 % des cas ultérieurs d’IDM(13). Des données intéressantes obtenues dans le DT1 sont en faveur du rôle de l’insulinorésistance dans le développement des complications macrovasculaires au cours du diabète. En effet, dans l’essai DCCT, un niveau d’insulinorésistance plus élevé à l’inclusion était prédictif de la sévérité des calcifications des artères coronaires, indépendamment de la glycémie(14). L’insulinorésistance joue un rôle physiopathologique sous-jacent fondamental dans le syndrome métabolique, en étant reliée à chacune des anomalies métaboliques qui le constitue. Or, plusieurs études ont montré que la présence du syndrome métabolique est associée à une augmentation du risque CV dans le DT1(15). De même, une prise de poids importante dans l’essai DCCT dans le DT1 (augmentation de l’IMC > 4,39 kg/m2) est associée, de manière non surprenante, à une augmentation significative des doses d’insuline utilisées témoignant de l’aggravation de l’insulinorésistance et à une épaisseur intima-média plus importante(16). L’étude DCCT a démontré qu’un traitement intensif par insulinothérapie est associé à une réduction de 57 % du risque d’IDM, d’AVC et de mortalité CV, soulignant le rôle délétère joué par l’hyperglycémie(17). Dans le DT2, il n’a pas été étudié si l’insulinorésistance est prédictive des événements CV, indépendamment des facteurs de risque conventionnels. L’insulinorésistance peut promouvoir l’athérosclérose et la progression des plaques via de multiples mécanismes, incluant des modifications des facteurs de risque CV classiques : baisse du HDL-C, élévation des triglycérides et enrichissement des lipoprotéines en triglycérides, élévation de la pression artérielle, altérations de la fibrinolyse et de la coagulation, stimulation de l’agrégabilité plaquettaire(11).
Insulinorésistance et dysfonction endothéliale
L’insuline stimule physiologiquement la synthèse de NO, ce qui contribue à l’augmentation du débit sanguin musculaire, afin d’améliorer l’utilisation périphérique du glucose. L’insulinorésistance est associée à des altérations de la signalisation de l’insuline au niveau endothélial, ce qui contribue au développement précoce de l’athérosclérose(18). Au niveau endothélial, l’insulinorésistance induit une augmentation de l’expression des molécules d’adhésion comme ICAM-1 et VCAM-1, en lien à une moindre activation de la voie de signalisation Akt-1(19). Des études chez l’homme sont en faveur du rôle de la dysfonction endothéliale dans le développement des complications CV dans le DT2. Ainsi dans la cohorte Hoorn, les marqueurs de la dysfonction endothéliale (von Willebrand, VCAM-1, ICAM-1) ainsi que l’inflammation de bas grade (élévation de la CRPus) expliquent une proportion importante (près de 43 %) de l’augmentation de la mortalité CV liée au diabète(20).
Insulinorésistance et macrophages
Les macrophages jouent un rôle à tous les stades du développement et de la progression de l’athérosclérose. Il a été décrit chez les DT2 une augmentation du stress oxydatif des macrophages au sein des lésions d’athérosclérose(21) (figure). En présence d’une insulinorésistance, il existe un stress du réticulum endoplasmique qui conduit à une apoptose et à des lésions nécrotiques au sein des plaques d’athérosclérose dans un modèle animal(22). Des données in vivo suggèrent un rôle du stress du réticulum endoplasmique dans la rupture de plaques et la formation d’un thrombus(23) mais des études spécifiques chez l’homme sont nécessaires afin de confirmer si l’insulinorésistance affecte directement la formation de la nécrose et la rupture de la plaque.
Physiopathologie de la relation entre insulinorésistance et atteinte vasculaire.
Adipocytes
Il est bien établi que l’accumulation de la graisse viscérale, qui cause ou entretient l’insulinorésistance, est fortement associée au risque CV. Ainsi les populations du Sud-Est asiatique ont une adiposité viscérale plus importante que la population caucasienne, malgré une masse grasse totale similaire, et sont à plus haut risque CV. L’accumulation de la graisse viscérale est corrélée au niveau de la pression artérielle. L’élargissement des adipocytes suivant la prise de poids induit une inflammation locale liée à une infiltration de macrophages péri-adipocytaire. Les larges adipocytes sont moins sensibles à l’action antilipolytique de l’insuline et expriment davantage de chémokines pro-inflammatoires comme MCP-1(24). L’insulinorésistance du tissu adipeux conduit à un influx d’acides gras libres vers le foie et les autres tissus, ce qui contribue également à la libération de cytokines pouvant influencer le risque cardiovasculaire.
Foie
La stéatose hépatique est étroitement favorisée par l’insulinorésistance. Or, la présence d’une accumulation de graisses au niveau intrahépatique a été associée à une augmentation du risque CV(25,26). L’insulinorésistance hépatique augmente la néoglucogenèse, diminue la synthèse de glycogène et contribue ainsi à l’élévation de la glycémie à jeun. L’augmentation de la synthèse hépatique des VLDL conduit à une augmentation de la concentration plasmatique des triglycérides et des particules remnantes, ainsi qu’à une diminution de la concentration du HDL-C et à une augmentation des particules de LDL petites et denses(1). Il a été suggéré que la stéatose hépatique augmente le niveau risque CV(27), mais l’estimation de l’insulinorésistance dans ces études était imparfaite et on ne peut pas exclure que les patients avec stéatose soient plus à risque car ils ont une insulinorésistance, notamment hépatique plus élevée.
Insulinorésistance et HTA
L’insuline module le tonus du système nerveux sympathique et il a été proposé que l’hyperinsulinémie stimule l’activité du système sympathique. Il n’existerait pas d’insulinorésistance, ou du moins elle serait partielle au niveau central, ce qui expliquerait l’activation du système sympathique dans ce contexte. En parallèle, l’insulinorésistance stimule la réabsorption sodique au niveau tubulaire et favorise ainsi un certain degré de rétention hydrosodée qui contribue au développement de l’hypertension artérielle (figure). De plus, elle induit une diminution de la synthèse de NO, qui favorise une vasoconstriction(18).
Thrombose et fibrinolyse
L’hyperglycémie et l’insulinorésistance contribuent à favoriser l’agrégation plaquettaire et la formation d’un thrombus car elles sont associées à des altérations de la fibrinolyse en lien avec une augmentation de la concentration du facteur PAI-1 (plasminogen activator inhibitor 1)(28). L’insulinorésistance favorise les altérations de la fibrinolyse tandis que l’hyperglycémie active la coagulation(29).
Effets bénéfiques de l’insuline sur l’athérosclérose
On peut aussi faire l’hypothèse que l’insulinorésistance qui se traduit par une diminution de la signalisation de l’insuline après la liaison à son récepteur, se traduise au niveau vasculaire par une diminution des effets bénéfiques médiés par l’insuline. Le récepteur à l’insuline est en effet exprimé à la surface des cellules endothéliales et des cellules musculaires lisses. Une réduction de la signalisation de l’insuline liée à l’insulinorésistance peut en théorie conduire à une moindre activation de la voie de la PI3-kinase et à une diminution de la production d’oxyde nitrique (NO) par l’endothélium(30). L’insulinorésistance induirait un déséquilibre de la balance entre la synthèse d’endothéline et de NO, en faveur d’une vasoconstriction (figure). Une élégante étude expérimentale réalisée chez la souris Apo E -/- montre que l’invalidation sélective du récepteur de l’insuline au niveau de l’endothélium induit une altération de la vasodilatation dépendante de l’endothélium, une élévation de l’expression de molécules d’adhésion et un développement beaucoup plus important des lésions d’athérosclérose(31). Ces données expérimentales sont donc en faveur d’un rôle protecteur exercé par l’insuline sur l’endothélium et le vaisseau et qui est perdu ou altéré en cas d’insulinorésistance. Ce ne serait donc pas l’hyperinsulinémie qui serait directement délétère et responsable des complications CV mais plutôt la diminution de la signalisation moléculaire de l’insuline, qui conduirait à un état de carence relative en insuline au niveau du vaisseau, comme observé dans le DT1. Cette hypothèse n’est pas en contradiction avec celle d’un effet néfaste de concentrations très élevées d’insuline au niveau vasculaire : trop peu ou trop d’insuline pourraient être délétères tous les deux.
Études d’intervention
Relativement peu d’essais thérapeutiques ont testé l’impact d’une réduction de l’insulinorésistance sur le risque CV. Dans l’essai ProActive, l’administration de la pioglitazone, qui induit une amélioration importante de l’insulinosensibilité a diminué chez des DT2 l’incidence des événements CV (IDM, AVC) mais sans atteindre la significativité pour le critère principal composite(32). Dans cet essai, la pioglitazone a induit une amélioration de l’équilibre glycémique et de l’HbA1c par rapport au groupe contrôle, ainsi qu’une augmentation de la concentration du HDL-C, qui pourraient expliquer en partie la réduction des événements CV observée(32). Dans l’étude RECORD testant cette fois la rosiglitazone, aucun bénéfice CV n’a pu être mis en évidence. Dans l’essai randomisé prospectif BARI-2D, les DT2 avec coronaropathie qui ont reçu un traitement ciblant l’insulinorésistance (metformine ou glitazone) ont eu le même pronostic CV que ceux traités par insuline ou sulfamides, ce qui n’est pas en faveur d’un bénéfice spécifique de la diminution de l’insulinorésistance dans cette population(33). Ainsi, les rares essais cliniques d’intervention, uniquement réalisés dans le DT2, ne permettent pas de valider l’hypothèse d’une implication causale de l’insulinorésistance dans le risque CV, indépendante du niveau d’hyperglycémie notamment.
En pratique
Plusieurs questions restent encore en suspens.
Nous n’avons pas encore la preuve que l’insulinorésistance est un facteur causal indépendant dans le développement des complications CV, que ce soit en population générale mais aussi au cours du DT1 et du DT2. Il est possible que l’insulinorésistance soit associée à des altérations du profil métabolique (un milieu métabolique défavorable) qui expliquent l’augmentation du risque CV mais que ce ne soit pas directement la diminution de la sensibilité à l’insuline qui soit le facteur explicatif. Afin d’avoir la réponse, il conviendrait d’utiliser l’approche de la randomisation mendélienne, c’est-à-dire d’étudier si des variants génétiques qui induisent une augmentation de l’insulinorésistance sont également associés au risque CV.
Par ailleurs, la question du lien entre l’hyperglycémie et l’incidence des complications CV est sous-jacente. Les données issues de l’approche de la randomisation mendélienne montrent que les variants associés à l’élévation de la glycémie augmentent le risque CV, ce qui suggère un rôle causal de la glycémie.
Il restera donc à déterminer si le risque associé à l’insulinorésistance est indépendant ou non de celui lié à l’hyperglycémie. Enfin, les études thérapeutiques d’intervention ciblant l’insulinorésistance n’ont pas apporté de résultats très convaincants et de nouveaux essais cliniques sont nécessaires pour augmenter le niveau de preuves.
L’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts en lien avec cet article.
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