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Polémique

Publié le 15 oct 2017Lecture 11 min

Existe-t-il un FUTUR pour la FFR ? Analyse des idées reçues sur la FFR en 2017

Gilles RIOUFOL, François DERIMAY, Gérard FINET, Hôpital Cardiologique de Lyon

La mesure d’une sténose coronaire par guide pression endocoronaire (fractional flow reserve, FFR) existe en France depuis près de 20 ans et est remboursée depuis 2016. Elle bénéficie du niveau de recommandation IA par la Société européenne de cardiologie pour décider d’une revascularisation par angioplastie en cas d’absence de test non invasif et du niveau IIaB en cas de lésions coronaires pluritronculaires. La FFR est considérée comme le gold-standard pour évaluer l’ischémie myocardique et toutes les nouvelles techniques se comparent désormais à elle... Pourtant, en dépit de ces éléments factuels basés sur des niveaux de preuve scientifiques très élevés, la FFR apparaît en France en 2017, critiquée, dénaturée et contestée sur des arguments parfois plus émotionnels que factuels. Si la critique objective et construc­tive est un moteur fondamental du progrès scientifique et médical en particulier, les idées reçues ou les convictions personnelles doivent être combattues et pondérées pour tendre vers une prise en charge rationnelle des patients coronariens.

C’est en ce sens que cet article a été construit afin d’apporter ou rappeler un certain nombre de clés de réflexion, nous l’espérons utiles, sur la FFR en 2017 afin de mieux positionnner sa place dans la gestion des coronaropathies. Nous verrons que comme le dit le proverbe « la plus belle fille du monde ne peut donner que ce qu’elle a », mais les connaissances évoluant, l’histoire de la FFR reste à écrire. Idée reçue numéro 1 La FFR n’est pas utile pour un angioplasticien confirmé Il a été montré notamment avec les travaux d’Hachamovitch sur la scintigraphie myocardique que le bénéfice de la revascularisation coronaire dépend de l’is­chémie et de son étendue. Nos stratégies de revascularisation sont basées sur ce concept fondamental et en conséquence, c’est une lapalissade que de rechercher l’ischémie avant de revasculariser. L’anatomie est faiblement corrélée à l’ischémie myocardique et sur plusieurs milliers de patients, il est montré que le seuil de 50 % de sténose angiographique historiquement considéré comme significatif n’est pas associé à une ischémie myocardique dans au moins un tiers des cas. En présence d’une sténose estimée visuellement à 70-90 %, aucune ischémie myocardique n’y est associée dans 1 cas sur 5. Si l’on demande à un cardiologue expérimenté de juger de l’ischémie associée ou non à une lésion intermédiaire du tronc coronaire gauche celui-ci n’est pas d’accord avec un second expert dans un quart des cas et, en cas de concordance, ceux-ci n’ont une précision diagnostique que de 69 %. Ces éléments expliquent certainement en partie l’absence de bénéfice pronostique d’une revascularisation basée sur l’angiogramme par rapport à un traitement médical dans les études COURAGE ou BARI 2D. Parallèlement, chez des patients monotronculaires dans l’étude DEFER ou des patients pluritronculaires dans l’étude FAME, il a été montré que revasculariser uniquement les lésions avec FFR « positive » (c’est-à-dire FFR ≤ 0,80) apporte un bénéfice même après un suivi clinique de plusieurs années tout en diminuant de 30 % le nombre de stents implantés (donc probablement inutiles). Il semble donc déraisonnable en 2017 même avec les meilleures expériences et un bon sens clinique de se baser seulement sur l’analyse angiographique coronaire pour proposer une revascularisation chez des patients stables (figure 1). Figure 1. FFR versus angiographie dans l’angor stable (MACE). Idée reçue numéro 2 La FFR n’a pas de seuil fiable Les études expérimentales puis cliniques ont successivement défini le seuil de 0,75 comme ayant une spécificité de 100 % pour repérer un lésion coronaire associée à une ischémie myocardique. C’est-à-dire qu’une lésion coronaire capable de diminuer de 25 % l’hyperhémie myocardique du fait de l’obstacle qu’elle crée à l’étage épicardique est systématiquement associée à une ischémie myocardique. La poursuite de l’évaluation clinique de la FFR a montré que ce seuil de 0,75 avait une sensibilité de 88 %, certainement imparfait pour un usage clinique voulant correctement repérer un patient ischémique. Le seuil de 0,80, actuellement universellement accepté, permet ainsi d’obtenir une sensibilité diagnostique supérieure à 90 %. En routine, l’obtention d’une FFR dans la « zone grise de 0,75-0,80 » offre donc une opportunité importante pour pondérer la prise en charge clinique en intégrant les considérations cliniques et anatomiques de faisabilité d’une revascularisation. La FFR comme toute donnée physiologique est par essence une valeur continue qui peut varier de 1 (valeur obtenue sur une artère épicardique sans athérosclérose) à théoriquement zéro pour une lésion coronaire critique (en pra­tique les FFR minimales observées sont rarement inférieures à 0,40). Une information binaire (> ou < à 0,80) est donc réductrice même si elle permet une réponse pragmatique validée cliniquement. Il a récemment été montré que la FFR en tant que valeur continue apporte en plus d’un seuil ischémique une information pronostique pertinente. Il existe une relation linéaire inverse entre valeur de FFR et risque d’événement clinique sévère (MACE) en absence de revascularisation. Il est particulièrement intéressant d’observer que le bénéfice d’une revascularisation apparaît pour une valeur de FFR se situant entre 0,75 et 0,79 selon les études, confortant cliniquement de façon récursive le seuil de sécurité de 0,80 (figure 2). Figure 2. Masse myocardique ischémique et FFR comme valeurs continues de risque. Idée reçue numéro 3 La FFR n’a pas besoin d’hyperhémie La FFR est l’approximation d’un débit coronaire trans-sténotique normalisé. La relation entre débit (actuellement encore non mesurable en clinique durant la coro­narographie) et pression est possible si les résistances myocardiques sont minimales et considérées comme négligeables. Cette situation est observée en situation d’hyperhémie, facilement inductible par injection d’adénosine. Il a été montré qu’une hyperhémie incomplète surestime la valeur de FFR et donc sous-estime la sévérité de la lésion explorée. Cela peut conduire à un défaut de revascu­larisation et à un risque clinique significatif. Par exemple, il est connu depuis le début de la coronarographie que les produits de contraste induisent un certain degré d’hyperhémie et la tentation d’utiliser les injections lors des angiographies pour mesurer la FFR a pu être parfois évoquée. Il est maintenant démontré qu’une injection intracoronaire de produit de contraste n’induit qu’une hyperhémie de 60 %, largement insuffisante pour correctement évaluer fonctionnellement une lésion coronaire. L’analyse doit être plus pondérée si on évoque l’iFR qui est un ratio de pression trans-sténotique (comme la FFR) partant du postulat qu’une partie de la diastole a des résistances myocardiques relativement basses et stables autorisant une mesure sans induction d’hyperhémie. Le seuil d’ischémie de l’iFR a été défini à 0,89 en comparaison directe avec la FFR. Les différentes comparaisons FFR et iFR ont donné lieu à des polémiques multiples sur leurs précisions diagnostiques relatives. Il semble raisonnable de penser que l’iFR est probablement moins précise mais, de façon pragmatique, deux études cliniques comparant iFR et FFR concluent à une non-infériorité de l’iFR en termes de MACE pour décider ou non de revasculariser une lésion coronaire intermédiaire. Les études DEFINE-FLAIR et SWEDEHEART sont des études de non-infériorité, toutes deux publiées très récemment. Elles ont randomisé entre FFR et iFR respectivement 2 492 et 2 037 patients à relativement bas risque et essen­tiellement monotronculaires pour décider d’une revascularisation par stent actif. Avec un suivi de 1 an, il n’y a pas eu de différence de MACE entre les groupes FFR et iFR dans ces deux études (7,0 % vs 6,8 % et 6,1 % vs 6,7 % respectivement). Même si l’on oppose des choix de bornes de non-infériorité très larges (toutes deux avec un odd ratio à 1,40), un faible risque global des popula­tions et un suivi clinique court, l’iFR apparaît dorénavant comme une alternative à la FFR pour des patients de type « DEFER ». Ainsi, il pourrait être imaginable que l’information apportée par l’iFR, en dépit d’une pertinence physiologique peut-être moins robuste, puisse être suffisante d’un point de vue clinique pour stratifier la revascularisation chez  des patients à faible risque. Il faudra néanmoins noter dans ces 2 études que les taux d’infarctus et de décès sont à chaque fois plus élevés dans le groupe iFR (iFR : 2,5 % et 3,7 % vs FFR : 1,3 % et 2,9 %). Des études complémen­taires avec des suivis plus longs pour des populations à risque plus élevé seront les bienvenues (figure 3). Figure 3. FFR versus iFR dans l’angor stable (MACE à 1 an). Idée reçue numéro 4 La FFR n’est utile que pour la coronaropathie stable La FFR est basée sur l’hyperhémie et donc la lésion coupable d’un STEMI n’est pas adaptée à ce type d’analyse car la part thrombotique de la lésion peut évoluer et par ailleurs une sidération microcirculatoire existe à la phase aiguë et disparaît en quelques semaines concourant à surestimer les mesures de FFR. Il n’est donc pas logique ni recommandé d’utiliser la FFR sur une lésion athérothrombotique pour laquelle d’ailleurs nous avons de robustes données cliniques en faveur d’une revascularisation. En revanche, les lésions non coupables découvertes à la faveur d’un SCA (qui peuvent représenter jusqu’à la moitié des patients) et la décision de les revasculariser sont des questions cliniquement importantes. La mesure de FFR sur des lésions non coupables a été montrée comme valide et reproductible (r = 0,91) lorsqu’elle est re-mesurée à distance du SCA. Les études DANAMI-PRIMULTI et COMPARE-ACUTE évaluant une revascularisation complète gui­dée par FFR en phase aiguë ou hospitalière d’un STEMI ont montré une supériorité en termes de MACE par rapport à une angio­plastie primaire unique de la lésion coupable. Le bénéfice clinique apparaît dans des proportions très comparables à celui d’une stratégie de revascularisation systématique de toute lésion non coupable, tout en évitant 30 à 45 % de revascularisations (FFR > 0,80) (figure 4). Figure 4. Culprit versus revascularisation complète dans le STEMI (MACE). La question de l’évolutivité future d’une lésion non coupable FFR > 0,80 dans un contexte de SCA reste néanmoins débattue. En effet, la FFR apporte une infor­mation de type « hydraulique » et ne préjuge pas de l’évolutivité athérothrombotique qui est du domaine de la vulnérabilité de plaque en général. Dans un contexte de SCA, une lésion non coupable pourra évoluer plus vite que dans une situation d’angor stable. Certains registres évoquent un taux d’évé­nements (principalement revascularisation) de 5 % par an pour des lésions FFR > 0,80 (principalement en cas de FFR proche de 0,80) avec un rôle important joué par les facteurs de risque habituels dans ce domaine (tabagisme actif, statut tritronculaire notamment). Dans l’étude FAME, le sous-groupe des patients avec SCA a pourtant le même bénéfice de la FFR que celui des patients stables. Un suivi clinique plus prolongé des études DANAMI-PRIMULTI et COMPARE-ACUTE sera donc particulièrement intéressant. En tout état de cause, une stratégie angiographique de revascularisation « prophylactique » d’une lésion qui pourrait évoluer ultérieurement n’est pas une solution à envisager raisonnablement, aucun critère clinique actuel n’étant à même de repérer correctement les plaques vulnérables. Dans l’étude COURAGE, le taux cumulé de décès, infarctus et ACS était de 27 % à 5 ans, iden­tique entre le groupe angioplastie et le groupe médical. Idée reçue numéro 5 La FFR est un outil d’angioplasticien La FFR chez le patient pluritronculaire est capable de modifier le nombre de segments coronaires susceptibles d’être revascularisés, généralement en diminuant leur nombre. Dans le registre français R3F, la FFR modifie la stratégie de prise en charge chez 4 patients sur 10. De même une sous-analyse de FAME montre que la FFR diminue le score Syntax des lésions FFR ≤ 0,80 par rapport au score Syntax angiographique. La prise en charge de la coronaropathie ne se limite pas à l’angioplastie (comme dans l’étude FAME) et c’est pourquoi l’étude française FUTURE a testé avec un design de supériorité la place de la FFR en tant qu’outil de stratification de la prise en charge de patients pluritronculaires (tableau). Cette possibilité de choisir angioplastie, pontage coronaire et traitement médical seul selon la FFR ou l’analyse angiographique n’avait jamais été évaluée jusqu’alors. Le recrutement a été stoppé après environ la moitié des inclusions du fait d’un signal de sur-mortalité dans le groupe FFR qui finalement ne s’est pas statistiquement confirmé au suivi des 934 patients. Il n’y a pas d’explication claire à ce jour sur cette mortalité qui n’est pas liée à la procédure de FFR et pourrait être simplement le jeu du hasard. Bien que l’arrêt précoce diminue la puissance statistique globale, certains enseignements peuvent être tirés : Premièrement, le nombre de patients traités médicalement est doublé lorsque l’on utilise la FFR. Il passe de 9 à 17 %, ce qui est hautement significatif, et le pronostic à 1 an est excellent ; Deuxièmement le nombre d’angioplasties diminue de 7 % et il semble que dans cette stratégie de revascularisation, le score Syn­ax devient plus important que dans le groupe contrôle (19 vs 17). Cette observation suggère que la FFR reclasse des patients anatomiquement plus graves pour une revascularisation par angioplastie alors que dans le groupe angiographie ces patients seraient proposés à une revascularisation chirurgicale ; Enfin, troisièmement, le critère combiné de MACE n’est pas différent à 1 an entre groupe FFR et angiographie (15,1 % vs 13,2 %). Les résultats encore préliminaires de FUTURE confirment que la FFR classe utilement les patients angiographiquement pluritronculaires ne nécessitant qu’un traitement médical optimal et évite des revascularisations inutiles. En revanche, le reclassement des patients justifiables d’une revascularisation du fait d’une FFR ≤ 0,80 devrait probablement aussi intégrer la dimension anatomique des lésions, par exemple selon le score Syntax. Conclusion La FFR amène une analyse fonctionnelle des lésions coronaires et ne peut donc pas prédire une évolution anatomique athérothrombotique. La FFR n’est pas l’outil adapté pour prédire la déstabilisation de plaque. En revanche, la FFR est un outil d’évaluation de l’ischémie myocardique qui surpasse l’analyse angiographique. Pas son analyse fonctionnelle, elle permet de mieux repérer les seules lésions coronaires stables justifiables d’une revascularisation, optimise les angioplasties et diminue le nombre de stents inutiles. Enfin, la FFR trie correctement les patients pluritronculaires justifiables d’une revascularisation, sa place comme aide au choix du type de revascularisation reste néanmoins encore à détermines. La FFR est donc l’outil de référence d’une revascularisation basée sur l’ischémie myocardique et a indubitablement à l’heure de la médecine personnalisée un futur brillant devant elle.

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