publicité
Facebook Facebook Facebook Partager

Polémique

Publié le 30 déc 2021Lecture 6 min

La FFR : beaucoup de bruit pour rien ?

Étienne PUYMIRAT, Hôpital Européen Georges Pompidou, Paris

La mesure de la réserve coronaire est devenue au cours des 20 dernières années la technique de référence en salle de cathétérisme pour évaluer le retentissement fonctionnel des sténoses coronaires et guider la revascularisation des patients pluritronculaires.

Deux études récentes, RIPCORD 2 et FLOWERMI, montrent des résultats en défaveur de la FFR (fractional flow reserve). Ces deux études peuvent-elles faire évoluer nos pratiques ? ▸ RECOMMANDATIONS ACTUELLES SUR LA FFR • Syndrome coronarien chronique et angor instable La mesure de la FFR est recommandée pour évaluer le caractère fonctionnel (ou non) des sténoses coronaires (niveau I-A) et pour guider la revascularisation des patients pluritronculaires (niveau IIA-B)(1). Les principales études ayant conduit à ces recommandations (DEFER, FAME, FAME II) ont démontré des bénéfices cliniques et économiques liés à l’utilisation de la FFR pour guider les gestes de revascularisation par rapport à l’angiographie (figure 1). • Infarctus sans sus-décalage ST La mesure de la FFR n’est pas valable dans la zone infarcie, mais peut être utilisée pour guider la revascularisation des lésions non coupables associées(1). • Infarctus avec sus-décalage ST L’angioplastie primaire est considérée comme le traitement de reperfusion de référence si la procédure peut être réalisée dans les 120 minutes après l’interprétation de l’ECG (niveau de recommandation I-A)(2). L’angioplastie de la lésion coupable le plus souvent ne pose pas de difficultés techniques. Dans 40 à 65 % des cas selon les séries, il existe des lésions associées (à la lésion coupable) pour lesquelles la prise en charge est plus discutée. Différents essais (PRAMI, CULPRIT, COMPLETE, DANAMI 3 et COMPARE-ACUTE) ont démontré que la revascularisation complète (guidée ou non par la FFR) permettait de réduire les événements cardiovasculaires majeurs. Tous ces essais ont toutefois pris comme stratégie de référence le traitement conservateur quel que soit le degré de sténose des lésions associées (figure 2). ▸ RIPCORD-2 RIPCORD 2 (Does Routine Pressure Wire Assessment Influence Management Strategy at Coronary Angiography for Diagnosis of Chest Pain?) est un essai randomisé, réalisé en ouvert dans 17 centres du Royaume-Uni (NCT02892903)(3). Les patients ayant eu une coronarographie pour douleur thoracique (hors infarctus du myocarde avec sus-décalage ST) ayant montré la présence de sténose(s) coronaire(s) > 30 % sur des vaisseaux de plus de 2,25 mm ont été randomisés entre une revascularisation guidée par FFR versus une revascularisation guidée par angiographie. Le co-critère principal était les coûts hospitaliers totaux et la qualité de vie (mesurée par le questionnaire EQ-5D-EL) à 12 mois. La survenue d’événements cliniques (décès, infarctus, accident vasculaire cérébral, revascularisation non programmée) à 12 mois était un critère secondaire. Au total, 1 100 patients ont été randomisés (584 dans le bras FFR, 552 dans le bras angiographie) dont 1/3 pris en charge pour un syndrome coronarien aigu. Les principaux résultats • Pas de différence sur les coûts hospitaliers totaux : 4 510 £ (2721-7415) pour le groupe FFR versus 4 136 £ (2613-7015) pour le groupe angiographie (p = 0,137) (figure 3). • Pas de différence sur la qualité de vie (questionnaire EQ-5D-EL) : 75 (60-90) versus 75 (60-87) (p = 0,88) (figure 3). • Pas de différence sur la survenue d’événements cliniques à 12 mois : 9,5 % versus 8,7 % (p = 0,64) (figure 4). • Dans le groupe angiographie, 14,7 % des patients ont eu besoin de tests complémentaires pour guider la revascularisation contre 1,8 % dans le bras FFR (p < 0,001). • Dans le groupe FFR, les procédures étaient plus longues (69 vs 42,4 min ; p < 0,001) avec davantage d’utilisation de produit de contraste (206 vs 146,2 ml ; p < 0,001) et d’irradiation (5 292,3 cGy/cm2 vs 5 029,7 cGy/cm2 ; p < 0,001) • Enfin, un taux de complication de 1,8 % a été rapporté dans le groupe FFR. Les résultats de cette étude suggèrent que le recours systématique à la FFR pour évaluer les sténoses coronaires n’a pas de bénéfices économiques et sur la qualité de vie. Pas de signal sur les événements cliniques bien que cette étude n’ait pas été conçue sur ce critère. Enfin, le seuil de sténose à 30 % est discutable car l’intérêt de la FFR pour des sténoses de moins de 50 % est très limité. ▸ FLOWER-MI FLOWER-MI (Flow Evaluation to Guide Revascularization in Multivessel ST-Elevation Myocardial Infarction) est le premier essai dans l’infarctus du myocarde avec sus-décalage ST ayant comparé la revascularisation des lésions associées (à la lésion coupable) guidées par la mesure de FFR (groupe expérimental) à une revascularisation guidée par une évaluation angiographique (groupe de référence) (NCT02943954). FLOWER-MI est une étude académique financée dans le cadre d’un programme hospitalier de recherche clinique (PHRC) national avec le soutien financier complémentaire de la compagnie Abbott. L’objectif de cette étude était de démontrer la supériorité de la revascularisation complète guidée par la FFR par rapport à celle guidée par l’angiographie (évaluation visuelle) (figures 2 et 5). Il s’agit d’une étude multicentrique française, randomisée, réalisée en ouvert. La prise en charge des lésions associée pouvait être faite soit pendant la même procédure que la lésion coupable, soit de manière différée (avant J5 et au cours de la même hospitalisation). Le critère de jugement principal associe la survenue des décès toutes causes, les récidives d’infarctus ou les hospitalisations pour une revascularisation en urgence à 1 an. Pour cela, 1 171 patients ont été randomisés au sein de 41 centres en France entre décembre 2016 et décembre 2018. L’âge moyen de la population était de 62 ans et les caractéristiques cliniques (facteurs de risque, comorbidités) étaient similaires à celles décrites dans l’étude COMPARE-ACUTE. Lors de la prise en charge, 75 % des patients étaient bitronculaires, 23 % tritronculaires, et 6 % présentait des signes congestifs (classe Killips ≥ 2). La fraction d’éjection moyenne était de 50 %. La prise en charge des lésions associées a été réalisée dans 96 % des cas lors d’une seconde procédure entre le 2e et le 3e jour majoritairement. Les mesures de FFR ont été réalisées avec succès dans 96 % des cas. Aucune complication majeure n’a été rapportée avec l’utilisation de cette technique. Dans le groupe FFR, 66 % des patients ont eu au moins une angioplastie coronaire et le nombre moyen de stents implantés par patient était considérablement réduit dans ce groupe (1,0 vs 1,5). Les résultats Sur le critère principal, ils montrent que la stratégie de revascularisation guidée par la FFR n’est pas supérieure à celle conventionnelle (angioplastie systématique) : 5,5 % vs 4,2 % (HR 1,32 ; IC 95 % : 0,78-2,23 ; p = 0,31) (figure 6 ; tableau). Pas de signal en faveur de la FFR : ni sur les composants du critère principal, ni sur les critères secondaires, ni sur les sous-groupes préspécifiés. En revanche, les analyses médico-économiques montrent que la stratégie FFR est plus onéreuse à 1 an lorsque l’on prend en compte les coûts des procédures et les réhospitalisations. Une sous-analyse ayant comparé dans le groupe FFR, les patients ayant eu au moins une angioplastie versus aucune montre deux fois plus d’événements sur le critère principal chez les patients n’ayant pas eu d’angioplastie (8 % vs 4 %)(5). Cette étude présente toutefois certaines limites et notamment un faible taux d’événements retrouvé (environ 5 %). L’étude a été élaborée en 2015, et nous avions estimé à 15 % le taux d’événements à 1 an dans le groupe de référence (et 9,5 % dans le groupe expérimental). Cette estimation a été faite à partir des résultats de PRAMI et de divers registres (FAST-MI, SWEDHEART, AMIS) disponibles à cette période. L’amélioration de la prise en charge des infarctus du myocarde montre qu’aujourd’hui le taux d’événements CV majeurs est de l’ordre de 5 % à 1 an. Toutefois, aucun signal ne plaide en faveur de la stratégie FFR, bien au contraire puisque numériquement il y a plus d’événements dans le groupe de patients traités avec cette stratégie. ▸ QUE RETENIR POUR LA PRATIQUE ? Ces deux études suggèrent que le recours à la FFR systématique pour évaluer les sténoses coronaires n’est pas bénéfique ni cliniquement ni économiquement. Ces résultats discordants par rapport aux études princeps peuvent s’expliquer : • sur le plan clinique : par une meilleure prise en charge en prévention secondaire conduisant à une diminution des événements cliniques majeurs ainsi qu’une diminution nette des complications liées aux implantations de stents de dernière génération (resténose, thrombose) ; • sur le plan économique : par une baisse importante du prix des stents actifs par rapport aux analyses médico-économiques faites lors des premières études (FAME, etc.). Ainsi, la réduction du nombre de stents implantés avec la stratégie FFR n’est plus « rentable » par rapport au coût du guide de FFR. Liens d’intérêts (activités d’expertises, de conseils et de formation) : Abbott, Amgen, Astra-Zeneca, BMS, Bayer, Biotronik, Boehringer Ingelheim, MSD, Novartis, Pfizer, Sanofi, Saint-Jude Medical, Servier, Vifor-Pharm.

Attention, pour des raisons réglementaires ce site est réservé aux professionnels de santé.

pour voir la suite, inscrivez-vous gratuitement.

Si vous êtes déjà inscrit,
connectez vous :

Si vous n'êtes pas encore inscrit au site,
inscrivez-vous gratuitement :

Version PDF

Articles sur le même thème

  •  
  • 1 sur 10