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Carte postale

Publié le 29 fév 2012Lecture 11 min

Programme cardiologique franco-mongol, AVLOM SANTÉ CARDIO - ASF

B. GÉRARDIN*, R. PILLIÈRE**, * Clinique Ambroise Paré, Neuilly-sur-Seine ** Hôpital Ambroise Paré, Boulogne-Billancourt

Dans les pas d’un programme franco-mongol de formation en chirurgie orthopédique menée par des collègues orléanais, des cardiologues mongols nous ont contactés pour une coopération en cardiologie interventionnelle.

C’est ainsi qu’en octobre 2000, accompagnant une mission orthopédique, nous avons découvert la Mongolie (3 fois la superficie de la France pour moins de 3 millions d’habitants), Oulan-Bator (700 000 habitants) et pris contact avec l’équipe cardiologique de l’hôpital Shastin où se trouve le service de cardiologie référent pour le pays. Sur place, nous avons observé un établissement en pleine transition entre l’économie planifiée de la période soviétique et l’économie de marché : un grand hôpital aux moyens très limités mais bien tenu, un personnel nombreux peu payé mais assidu, un service de cardiologie comprenant un secteur médical, un secteur chirurgical et un secteur pédiatrique. La cardiologie interventionnelle existait déjà à l’état embryonnaire avec une (très) vieille salle de cathétérisme où étaient pratiquées quelques coronarographies mais pas d’angioplasties, cette installation étant surtout dévolue à la radiologie interventionnelle (principalement embolisations de tumeurs hépatiques). Deux médecins menaient cette activité et rêvaient de pouvoir faire un jour de l’angioplastie coronaire en Mongolie. Ce rêve est devenu réalité dès cette première mission d’évaluation avec une première dilatation coronaire qui a pu être pratiquée avec du matériel que nous avions apporté. Sur cet élan, avec l’équipe médicale et administrative de l’hôpital Shastin, nous avons élaboré et débuté le Programme franco-mongol de formation en cardiologie interventionnelle. D’emblée, nous avons axé l’action sur le transfert de connaissances avec pour objectif principal l’acquisition progressive de l’autonomie médico-technique et financière de l’hôpital Shastin en angioplastie coronaire. Les intervenants Les Mongols : le personnel médical et paramédical du service de cardiologie de l’hôpital Shastin ; le personnel administratif de l’hôpital Shastin. Les Français : des infirmières et des médecins cardiologues spécialisés en cardiologie interventionnelle. Les Français participants à ce projet sont bénévoles et adhérents de l’association AVLOM (Association Val-de-Loire Orléans Mongolie) SANTÉ CARDIO, branche de l’association humanitaire AVLOM SANTÉ créée antérieurement par nos collègues orthopédistes orléanais.   Une partie de l’équipe franco-mongole. Le montage financier Il était simple : toute la première phase (2000-2006) a pu être menée exclusivement grâce au mécénat des entreprises médicales avec qui nous avions l’habitude de travailler en France. À partir d’avril 2007, nous avons obtenu un financement de l’agence de développement du gouvernement luxembourgeois (Lux-Development) qui soutient par ailleurs un programme de formation cardiologique sur l’hôpital et en province (télémédecine, échocardiographie, etc.) avec lequel nous collaborons. Hôpital Shastin. Autonomie et transfert de connaissances En pratique l’objectif d’autonomie a pu être réalisé grâce à 30 missions de formation de 8-10 jours à Oulan-Bator (1 cardiologue interventionnel et 1 infirmier français à chaque fois) réparties d’octobre 2000 à la fin de l’année 2010. Pendant ces missions, l’enseignement médical et paramédical a été théorique (rédaction de protocoles médicaux et de livrets d’enseignement en mongol) et pratique (travail en salle). Le transfert de connaissance a d’abord porté sur une amélioration de la sélection des patients et de la technique en coronarographie associées à l’apprentissage de l’angioplastie. Après la dilatation inaugurale d’octobre 2000, le nombre d’angioplasties coronaires par mission d’une semaine n’a pu augmenter que très progressivement pour atteindre au maximum 41 procédures lors d’une mission de 2008. À partir de novembre 2007, les médecins mongols ont commencé à réaliser des angioplasties entre les missions pour finalement arriver en 2010 à réaliser 2/3 des 190 angioplasties de l’année (figure 1). Dès 2002, des séminaires cardiologiques annuels ont été organisés par l’équipe mongole de l’hôpital Shastin avec notre participation aux communications et le soutien de Lux-Development. La mise en place de la structure et son fonctionnement se sont fait en plusieurs étapes. L’installation en juin 2004 par le Rotary Club australien d’une salle de coronarographie d’occasion rénovée de bien meilleure qualité que l’ancienne qui a été renouvelée en août 2010. Un stage de formation de 6 mois en octobre 2008 en France (hôpital Ambroise Paré, Boulogne-Billancourt) du Dr Damdinsuren, cardiologue interventionnel mongol. Deux stages de 10 jours à Paris de deux infirmières mongoles. En octobre 2006, une mission franco-mongole s’est rendue à Pékin au Great Wall Cardiological Congress dans le but de développer des circuits commerciaux pour le matériel ce qui s’est avéré assez décevant. La mise en place de circuits commerciaux pour l’achat du matériel consommable par l’hôpital Shastin. Alors qu’initialement nous apportions tout le matériel, à partir de 2005, l’hôpital Shastin a progressivement pris en charge l’achat de ce matériel pour devenir totalement autonome financièrement en 2010. Figure 1. Augmentation progressive du nombre de procédures réalisées par les équipes mongoles (2007 à 2010). De nombreux aléas (difficultés pour l’hôpital Shastin pour obtenir une ligne budgétaire suffisante dédiée à la cardiologie interventionnelle, décès d’un des deux médecins mongols initiateurs du projet…) ont fait que l’autonomie a été plus lente à obtenir que prévue et ce n’est finalement qu’en 2010 qu’un degré correct d’autonomie médico-technique et économique a été atteint. Si l’on devait coter les angioplasties comme les voies d’escalade en alpinisme, l’équipe de cardiologie interventionnelle mongole est maintenant capable de pratiquer des angioplasties D+. L’objectif ayant été atteint, la clôture du programme aurait dû avoir lieu en décembre 2010. Mais la partie mongole, désireuse de continuer à progresser, nous a demandé de poursuivre notre action ce qui a conduit à mettre en place une phase de consolidation pendant un minimum de 2 ans. Toujours financée par Lux-Development, elle a débuté début 2011 et comporte essentiellement : – la poursuite des missions de formation à Oulan-Bator au rythme de deux missions par an (la deuxième mission 2011 s'est tenue fin octobre) ; – un stage de formation en France d’un second cardiologue interventionnel mongol, le Dr Myagbatar (en cours). Nous considérons donc que ce programme est un succès dans un pays qui était encore très fragile en l’an 2000. Ceci a été rendu possible par : – une implication enthousiaste puis amicale des équipes médicales et paramédicales françaises et mongoles ; – une bonne complémentarité médicale et paramédicale ; – la simplicité des options techniques choisies sans transiger sur les conditions de sécurité. Ainsi, par exemple, il a été décidé de faire toutes les procédures par voie fémorale en 6 F pour simplifier la technique et la gestion du matériel ; – l’apport initial de matériel consommable par la partie française, ce qui a permis d’amorcer l’activité ; – le soutien actif de nos partenaires de l’industrie pendant toute la phase initiale. Au travail dans l’ancienne salle de coronarographie. De nombreux problèmes restent à régler Le matériel consommable Il y a des difficultés de gestion des stocks, de passage des commandes engendrés par un manque de rigueur et de mauvaises habitudes probablement héritées d’une gestion « de type soviétique ». Ces difficultés sont aggravées par une ligne budgétaire consacrée au matériel consommable encore insuffisante ce qui freine l’activité et conduit à une réutilisation forcenée du matériel. Le coût du matériel est paradoxalement plus élevé que celui que nous connaissons en France et, dans la pratique, le niveau médico-technique est encore insuffisant pour aborder les lésions les plus complexes, en particulier les occlusions chroniques d’autant plus que les patients traités sont en moyenne plus « lourds » qu’en France (notamment infarctus vus tardivement, etc.) (figure 2). Figure 2. Comparatif des indications cliniques : les patients sont plus « lourds » en Mongolie. L’angioplastie Il y a une incapacité à développer l’angioplastie en urgence. Le respect des protocoles de nettoyage et de restérilisation du matériel est très aléatoire alors que les procédures ont été rabâchées, qu’elles sont parfaitement connues et que les produits décontaminants sont peu onéreux et disponibles dans l’établissement. On note une tendance à se focaliser sur le seul geste d’angioplastie en négligeant une prise en charge plus globale du patient. Nous voyons d'ores et déjà revenir des patients dilatés qui ont continué de fumer et qui reviennent avec une lésion de progression… Il y a une mauvaise observation de ce qui est fait (bases de données, etc.) et enfin une inégalité de l'accès aux soins, une couverture sociale très insuffisante, et pour la première fois en octobre 2011, le paiement du matériel par les patients. Si ce programme a permis à l’équipe mongole de débuter la cardiologie interventionnelle, il a été et continue d’être pour les membres de l’équipe française une très riche expérience pleine d’enseignements. Un pays en pleine mutation culturelle et économique En 2000, 9 ans après la chute du communisme, les traces du passé soviétique étaient partout. De façon anecdotique, nos premières formations dans la salle de conférence de l’hôpital étaient faites sous le portrait de Lénine ! Le retour au boud­dhisme était déjà d’actualité et les troupeaux des éleveurs nomades, autrefois regroupés en kolkhozes, avaient déjà été redistribués aux éleveurs. En 2006, les appartements – propriétés de l’État – ont été donnés à leurs occupants (mais charge à eux d’entretenir les immeubles !), des droits de propriétés sont apparus sur les terres agricoles (ce qui était inconnu auparavant) et il en va ainsi de tous les secteurs d’activité. La Mongolie est un des pays au monde qui connaît la plus forte croissance de son PIB (21 % prévu pour 2011) sans ralentissement prédictible dans les prochaines années (faible population, bon niveau d’instruction, importantes ressources naturelles). La capitale, Oulan-Bator, que nous avons connue en 2000, a changé de visage en 10 ans : une extension impressionnante avec ses buildings, ses nouvelles habitations, le renouvellement et l’accroissement du parc automobile avec comme corollaire ses embouteillages monstres. Les économistes pensent que la Mongolie va reproduire le schéma de la Corée du Sud, à savoir le passage en une génération d’un statut de pays en voie de développement à celui de pays au niveau de vie comparable à celui de l’Europe. À l’échelle de l’hôpital Shastin, la transformation est aussi patente : rénovations successives, renouvellement du matériel et accès pas à pas aux techniques médicales récentes. Dans le même temps la médecine libérale est apparue avec la création de centres privés concurrents ; toutefois, en 2011, l’Unité de cardiologie interventionnelle de l’hôpital Shastin reste la seule du pays. Au travail dans la nouvelle salle de coronarographie. Ce programme amène de nombreux sujets de réflexion La coronaropathie est universelle : nous avons observé une maladie coronaire en plein développement dans ce pays émergent qui cumule les effets de la sédentarisation à ceux d’une alimentation traditionnelle très carnée et lactée alors que le tabagisme est très répandu (publicité envahissante !) et l’HTA sous-traitée. Cette observation corrobore les données de l’OMS qui indiquent que les maladies cardiovasculaires sont devenues la première cause de mortalité dans le monde et que la majorité des patients coronariens sont maintenant dans les pays en voie de développement. L’angioplastie peut être réalisée malgré des conditions techniques difficiles et une économie de moyens notable. En témoigne le taux de succès hospitalier que nous avons scrupuleusement surveillé pendant 8 ans et qui est comparable à celui obtenu en France. Nous avons redécouvert que la simplicité technique ne nuisait apparemment pas au taux de succès. En retour d’expérience, cette observation ne peut que nous inciter à l’analyse critique en termes de coût/service rendu des multiples médications et techniques complémentaires proposées autour de l’angioplastie dans nos pays « développés ». L'angioplastie peut être développée dans des pays à revenu « intermédiaire ». Elle peut même se défendre économiquement si l'on est strict sur les indications, en traitant prioritairement les patients jeunes en phase aiguë d’infarctus afin d’éviter les complications et les hospitalisations prolongées, les angors instables et les patients très invalidés par des angors sévères. Le risque de complications infectieuses liées à l’utilisation de matériel à usage unique restérilisé nous a hantés et a fait l’objet de vifs débats entre nous. Force est de constater que nous n’avons pas eu à déplorer de complications infectieuses immédiates et intrahospitalières et à notre connaissance plus tardives (sous réserve de formes infracliniques, le suivi sérologique n’étant pas pratiqué systématiquement). Sans la réutilisation du matériel, il est certain que la cardiologie interventionnelle n’aurait pas pu débuter. Nous avons clairement répété à nos interlocuteurs mongols les risques liés à cette pratique et c’est maintenant à eux d’en tirer les conséquences : peut-être ne faut-il pas s’orienter vers l’usage unique généralisé mais pour le moins être très rigoureux sur l’application des protocoles de nettoyage et de décontamination et en exclure les matériels difficilement nettoyables. Les difficultés de prise en charge pour les patients les plus démunis nous rappellent – s’il en était besoin – la valeur d’un système de protection sociale. La Mongolie, encore pauvre mais en pleine croissance avec maintenant une balance commerciale excédentaire, est à la période du choix en termes de politique de santé. S’oriente-t-on vers un système de santé très libéral ne donnant accès à l’ensemble des soins qu’à la fraction de la population suffisamment solvable, ou vers un système d'assurance maladie généralisée (qui existe théoriquement actuellement mais qui en pratique ne couvre qu’une part faible des soins) ? À ce titre, le livre de Martin Hirsch Sécu : objectif monde, paru très récemment, permet d’approfondir très utilement la réflexion sur ce sujet. Avec la 1 000e dilatation qui a eu lieu fin 2011, les équipes mongoles et françaises peuvent, sans fanfaronner, s’enorgueillir d’un bilan globalement positif. La partie mongole, tout en poursuivant son amélioration médico-technique, doit maintenant relever le défi de l’augmentation de l’activité qui implique forcément une majoration de l’effort financier. Cela relève, au-delà du budget hospitalier, de la politique de couverture sociale en plein remodelage en Mongolie. Dans ce contexte, nous considérons que le rôle de l’équipe française est certes de poursuivre le transfert de connaissance mais encore plus de réfléchir aux choix permettant d’obtenir le meilleur compromis entre l’efficacité thérapeutique et le coût. Photos : Rémy Pillière, Benoît Gerardin (novembre 2011) Quelque part en Mongolie… Programme franco-mongol en cardiologie interventionnelle Équipe mongole : Hôpital Shastin, Oulan-Bator • Pr BATSEREEDENE : ex-directrice de l’hôpital Shastin ; ex-secrétaire d’État à la Santé. • Dr BATCHULUUN : directeur de l’hôpital Shastin. • Pr TSEGEENGAV : chef du service de cardiologie. • Cardiologues interventionnels : Dr LKHAGVASUREN, Dr JARGALSAIKHAN †, Dr DAMDINSUREN, Dr BATMYAGMAR. • Infirmières : Mme PUJEE (surveillante), Mme CHAGII, Mme BIMBA, Mme OYUNA. Équipe française : l’association AVLOM SANTÉ a été dissoute avec la clôture du programme orthopédique (autonomie complète de l’équipe orthopédique mongole). Afin de poursuivre le programme cardiologique franco-mongol, l’association loi 1901 ASF (Angioplastie Sans Frontières) a été fondée. ASF a pour vocation de travailler sur d’autres sites à l’étranger. Adresse postale : ASF - Hôpital Ambroise Paré 9, avenue Charles de Gaulle 92100 Boulogne-Billancourt Cardiologues interventionnels : Dr Rémy PILLIÈRE (Hôpital A. Paré, Boulogne-Billancourt), Dr Benoît GÉRARDIN (Clinique A. Paré, Neuilly-sur-Seine), Dr Thierry JOSEPH (Hôpital de Quimper), Dr Jacques MONSÉGU (Hôpital du Val-de-Grâce, Paris), Dr Nicolas DELARCHE (Centre hospitalier de Pau). Infirmiers : Mme Béatrice COUËTIL (cadre infirmier, Terumo France), Mme Florence GOUDIER (Clinique de Parly II, Le Chesnay), Philippe ROUILLON (Clinique Labrouste, Paris), Mme Laure-Hélène MICHEL (Paris), Mme Annette PEDRETTI (Hôpital du Val-de-Grâce, Paris), Fabrice LEDOUX (Hôpital Foch, Suresnes), Sandrine JAFFRES (Hôpital A. Paré, Boulogne-Billancourt).

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