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Mise au point

Publié le 05 déc 2022Lecture 5 min

Enregistrer un ECG avec une montre connectée : gadget ou révolution ?

Hugo-Pierre RACINE, Pierre BORDACHAR, CHU de Bordeaux

Le secteur de la santé est devenu un des axes prioritaires de développement des géants de la high-tech (Apple, Amazon, Google), et au vu de la puissance quasi illimitée de leurs moyens financiers, l’impact pourrait être majeur sur de multiples domaines de notre pratique clinique quotidienne. L’exemple de la montre connectée est démonstratif : en quelques années nous sommes passés d’un objet qui donne l’heure à un véritable mini-ordinateur porté au poignet.

Les montres s’émancipent progressivement du smartphone auquel elles sont associées pour devenir des objets connectés plus ou moins indépendants, avec leurs propres fonctionnalités : possibilité de passer des appels et d’envoyer des SMS, connexion directe à Internet, puce GPS, stockage de musique, etc. Un certain nombre de données médicales peuvent être monitorées en temps réel : mesure de l’activité, évaluation de la quantité de sommeil, détection des chutes, capteur de fréquence cardiaque et enregistrement d’un tracé électrocardiographique (ECG).   Demain, de nouvelles fonctionnalités sont annoncées   Mesure de la pression artérielle et de la glycémie, diagnostic du syndrome d’apnées du sommeil, transformation des écouteurs en appareils auditifs et en thermomètres, possibilité de stocker et de consulter ses données médicales sur son smartphone (iCloud de la santé), sont les futures fonctionnalités annoncées.   Le tracé ECG Un tracé ECG peut être acquis à partir de 2 électrodes : la première située au dos de la montre, en contact avec la peau, la seconde, positionnée dans la molette à droite du quadrant. Pour enregistrer un tracé, l’utilisateur doit être proactif et poser en continu l’index sur la molette pendant 30 secondes. Un tracé obtenu avec une montre n’est que parcellaire et bien différent d’un électrocardiogramme réalisé dans une structure médicalisée puisqu’une seule dérivation (DI si la montre est positionnée au poignet gauche) est enregistrée. Un nombre important d’informations, portant essentiellement sur le rythme cardiaque, peut toutefois être déduites de cette dérivation unique. Un tracé limité à DI ne peut pas pour autant constituer un substitut à l’ECG 12 dérivations. Dans de nombreuses pathologies, la survenue d’une anomalie localisée dans certains territoires myocardiques peut ne pas être mise en évidence en DI et un tracé restreint à DI peut s’avérer faussement normal, rassurer à tort un patient et retarder sa prise en charge. Pour optimiser le rendement diagnostique, il est en revanche possible d’obtenir des dérivations supplémentaires en positionnant la montre au niveau de la cheville gauche (2 dérivations périphériques supplémentaires : DII et DIII) ou sur l’emplacement correspondant aux 6 dérivations précordiales.   L’accès libre à l’ECG en temps-réel, sans prescription et sans ordonnance Il pourrait permettre aux utilisateurs de jouer un rôle plus actif dans leurs soins de santé, faciliter les efforts de prévention et constituer une véritable révolution pour notre discipline. L’essentiel de la littérature a porté sur l’intérêt de ce type de dispositif dans le diagnostic de la fibrillation auriculaire. Chaque marque propose un algorithme homologué par la FDA analysant la régularité du rythme ventriculaire et permettant le diagnostic automatique de fibrillation auriculaire (figure)(1-3). Les progrès en termes d’intelligence artificielle devraient permettre dans le futur de réduire le nombre de faux positifs mais également d’augmenter considérablement les capacités de diagnostic automatique pour l’instant restreintes à la différenciation entre rythme sinusal et fibrillation auriculaire. Figure. Exemple d’enregistrements d’un tracé-ECG chez un patient en fibrillation auriculaire avec 3 modèles de montres.   Un intérêt qui reste à démontrer   L’intérêt potentiel des montres connectées dans le cadre de différentes situations cliniques (palpitations inexpliquées, douleurs thoraciques, syncopes, prévention de la mort subite, entraînement des sportifs, etc.) reste à démontrer(4). Des résultats positifs pourraient permettre l’approbation par les autorités compétentes pour d’autres indications que le diagnostic de fibrillation auriculaire. Il s’agit donc d’un domaine de recherche extrêmement prometteur, les applications cliniques potentielles étant nombreuses et certainement encore largement sous-évaluées. Il n’est pas rare dans notre pratique quotidienne d’arriver aujourd’hui à un diagnostic grâce à un tracé enregistré avec une montre et de mesurer l’intérêt potentiel dans le domaine de la rythmologie. Il existe toutefois une inadéquation entre la cible marketing initiale des montres connectées, à savoir une population plutôt jeune attirée par les nouvelles technologies mais a priori en bonne santé, et la population cible des dispositifs médicaux connectés, à savoir les séniors souvent plus réticents et moins consommateurs de ce type de dispositifs mais présentant un risque de maladie cardiovasculaire plus important. Les premiers retours d’expérience suggèrent que ce type de dispositif peut constituer un paradis ou un enfer pour les hypocondriaques, chez qui l’application santé est très populaire. Le risque de créer des maladies imaginaires est d’ailleurs élevé dans une population jeune, en bonne santé et à faible risque. Un faux positif, diagnostic erroné de fibrillation auriculaire, peut créer de l’anxiété et conduire à la réalisation de tests supplémentaires inutiles voire à l’introduction de traitements inadaptés.   Un outil qui fait polémique   L’irruption dans le domaine de la santé des nouvelles technologies numériques s’est accompagnée de débats enflammés et souvent contradictoires dans la communauté médicale. Il paraît préférable d’éviter les jugements péremptoires et définitifs – « La montre connectée ? il ne s’agit que d’un gadget », « Jamais les patients âgés du fin fond de la Creuse ne porteront de montre connectée », etc. – ou les théories conspirationnistes – « Apple a déjà vendu tes données de santé à big pharma ». Il ne s’agit toutefois pas d’adopter un optimisme béat et de nombreuses questions, d’ordre pratique, organisationnel ou plus philosophique, se posent concernant l’intégration des applications santé dans la vie quotidienne des consommateurs. Une première interrogation porte sur le respect de la confidentialité des données, problématique majeure dans le domaine de la santé connectée. Les compagnies détenant les données brutes, certaines interrogations légitimes portent sur une utilisation possible sans l’accord des utilisateurs. Les organismes de réglementation devront se montrer très vigilants sur le respect de l’anonymat et du consentement éclairé des utilisateurs avant l’éventuelle utilisation des données personnelles par la compagnie. De même, en l’absence de remboursement par les différents systèmes de santé, le prix élevé peut constituer un frein à la démocratisation de l’utilisation des montres en pratique clinique. Se pose également la problématique de la charge de travail supplémentaire occasionnée pour les professionnels de santé en l’absence de codes de facturation spécifiques. Une diffusion large de ces nouveaux dispositifs dans nos systèmes de santé nécessite l’adhésion des professionnels du secteur et probablement une incitation financière pour le temps passé à l’analyse des données numériques.

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