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Études

Publié le 30 jan 2007Lecture 9 min

AHA - Une pause dans les études

F. DIÉVART, Clinique Villette, Dunkerque

En partant pour le congrès 2006 de l’American Heart Association (AHA), dans une gare de transit, je rencontrai quelques collègues qui dissertaient sur le programme de ce congrès et qui employaient une expression récurrente : « À l’AHA, ce sera comme à l’ESC, il n’y aura pas d’avancées ou d’innovations importantes qui permettront d’apporter plus à nos patients », expression aussitôt complétée d’un « que se passe-t-il en cardiologie ? ».

Un fait ou une impression ? En effet, l’analyse des programmes des deux grands derniers congrès internationaux de cardiologie, l’ESC (European Society of Cardiology) et l’AHA, laisse penser que ce qui a fait une part majeure de l’actualité de notre spécialité lors des 15 dernières années — la nouveauté, fortement médiatisée, apportée par les essais thérapeutiques randomisés et contrôlés — est en raréfaction : est-ce un fait ou une impression ? Si c’est un fait, quelles en sont les explications possibles et les conséquences pour la pratique ? Il n’est pas possible de répondre de façon objective à la première question car cela supposerait de définir clairement ce qui constitue les avancées et innovations importantes puis de quantifier leur évolution au fil des années. Tout au plus peut-on dire que la phase des grands essais contre placebo évaluant des stratégies thérapeutiques originales (car non encore évaluées) et ce, chez des patients n’ayant pas ou peu de traitement bénéfique en parallèle, est terminée. Voire même, en dehors de l’évaluation d’une partie de notre pharmacopée, l’évaluation des grandes hypothèses est en grande partie accomplie : l’ensemble des principaux essais dans l’hypertension artérielle et dans la diminution du HDL est abouti, le bien-fondé du traitement antithrombotique dans la prise en charge de la maladie coronaire est acquis et nous sommes dans une phase d’affinement, parfois complexe, de cette stratégie où les progrès ne paraissent s’obtenir qu’à la marge… Restent donc des hypothèses complémentaires : Quelle est la meilleure méthode pour déterminer le statut tensionnel d’un patient et fixer les modalités de sa prise en charge ? Est-il bénéfique d’augmenter le LDL-cholestérol ? Et ce, en attendant que le vaste champ d’hypothèses ouvert par une recherche fondamentale prolifique permette de disposer de nouveaux agents thérapeutiques.   Pour quelles raisons ?   Les traitements de référence sont solidement établis En 2006, il est raisonnable de reconnaître que la majorité des classes thérapeutiques de notre pharmacopée a été évaluée dans des essais pertinents. Ces essais ont permis en quelque sorte de faire le tri en éliminant les classes délétères (inotropes positifs par voie orale, antiarythmiques de classe 1 dans l’insuffisance cardiaque et les cardiopathies ischémiques…), en limitant l’usage des classes à faible valeur thérapeutique (fibrates dans la prévention cardiovasculaire, digitaliques dans l’insuffisance cardiaque…) et en favorisant l’utilisation des classes bénéfiques (bêtabloquants et IEC dans l’insuffisance cardiaque, statines dans la prévention cardiovasculaire, antiagrégants plaquettaires en prévention secondaire…). Toute nouvelle molécule sera donc évaluée soit comparativement à un traitement de référence, soit versus placebo mais chez des patients bénéficiant déjà d’un traitement de fond permettant de diminuer nettement son risque cardiovasculaire. Et depuis une dizaine d’années, les patients inclus dans un essai de prévention secondaire ont été largement revascularisés, ont majoritairement reçu une statine, au moins un antiagrégant plaquettaire, plusieurs traitements antihypertenseurs si nécessaire, dont souvent un bêtabloquant et un antagoniste du système rénine-angiotensine.   Parvenir à démontrer un bénéfice additionnel Comment encore démontrer un bénéfice pour une nouvelle molécule, s’il n’est pas important ou s’il est évalué dans un essai de puissance suffisante chez de tels patients ? Pour comprendre, imaginons que l’on veuille vérifier que la diminution de la vitesse en voiture est efficace pour réduire le risque d’accident de la route : dans un protocole consistant à brider toutes les voitures à 45 km/h, il sera mis en évidence une diminution rapide et importante du risque d’accident de la route. Faisons la même chose, mais en ne limitant que la consommation alcoolisée dans un protocole interdisant à toute personne dont l’alcoolémie dépasse 0,2 g/l de prendre le volant : là aussi, il sera mis en évidence une diminution nette du nombre d’accidents de la route. Maintenant, faisons le deuxième essai après le premier : chez des chauffeurs qui ne dépassent pas 45 km/h, quel que soit le type de route utilisée, il sera alors plus difficile de démontrer que la restriction de la consommation alcoolisée est efficace pour diminuer le risque d’accident puisque celui-ci sera devenu faible du fait de la limitation de vitesse imposée préalablement. Cet exemple simple permet de comprendre en partie pourquoi il est devenu difficile pour un traitement qui arrive « après » de démontrer un bénéfice clinique et pourquoi, potentiellement, plusieurs essais récents n’ont pas eu de résultats significatifs ou d’une ampleur importante. Là est probablement une première explication à une impression d’absence d’innovation. Autre explication : que penser de l’arrivée d’un nouvel antagoniste du système rénine-angiotensine et de ses possibilités d’évaluation dans un segment déjà riche ? Il est peu probable que les inhibiteurs de la rénine aient un développement facilité dans un domaine où règnent déjà les IEC, les ARAII et les antialdostérones…   Le « parcours du combattant » Une autre raison concourant au ralentissement de la mise à disposition d’innovations, est que les critères exigés avant la commercialisation d’une nouvelle classe sont plus rigoureux aujourd’hui qu’il y a quelques années. Pour pouvoir obtenir une indication, une nouvelle classe thérapeutique doit passer par l’étape incontournable des essais cliniques avec leur difficulté à pouvoir mettre en évidence un bénéfice et avec le risque de dévoiler un effet indésirable devenu moins acceptable devant l’importante pharmacopée disponible. Par exemple, si le clopidogrel avait existé avant l’aspirine, le risque d’hémorragie digestive qui aurait obligatoirement été mis en évidence dans l’évaluation de l’aspirine aurait-il permis sa commercialisation ? Si le traitement hormonal substitutif de la ménopause avait été correctement évalué avant sa large commercialisation, les risques qu’il fait encourir auraient-ils permis, au XXIe siècle, sa mise sur le marché ? L’exigence du ratio bénéfice/risque plus élevée pour les nouveaux traitements explique la mort avortée de plusieurs classes pourtant prometteuses « sur le papier ». À titre d’exemple, plus de 18 ans après la mise à disposition des statines, une nouvelle classe thérapeutique agissant sur les dyslipidémies apportait un nouvel espoir, les inhibiteurs de la CETP (Cholesterol Ester Transfer Proteins) qui devaient faire l’actualité de nombre de congrès prochains à travers l’évaluation d’un de ses principaux représentants, le torcetrapib. Dans un essai paru en 2004, cette molécule avait permis d’augmenter le HDL-cholestérol de 61 %, et en doublant la posologie de l’augmenter de 106 %... Un important programme de développement était donc en cours (financé exclusivement par le laboratoire développant cette molécule) et le 2 décembre nous apprenions que ce programme était arrêté car il avait été constaté une augmentation de 60 % de la mortalité totale dans un des grands essais évaluant l’efficacité de cette molécule : ce sont ainsi tout à la fois des questions sur une nouvelle classe et sur le bénéfice de l’augmentation du HDL-cholestérol qui sont posées par ces résultats et qui vont rendre encore plus exigeantes les recherches dans la voie de l’augmentation du HDL-cholestérol… Un bénéfice plus difficile à mettre en évidence, des critères de sécurité plus stricts limitent le développement de nouvelles classes thérapeutiques. À cela il faut ajouter que, dans des essais comparant deux traitements actifs, les modalités des essais favorisent indirectement la molécule de référence.   Un domaine à partager avec les autres disciplines Enfin, en ne considérant que l’aspect médiatique des grands essais et/ou innovations, si les cardiologues ont été habitués à voir dans leurs congrès des résultats d’essais majeurs mais touchant à des domaines frontières (lipides, thrombose, etc.) de plus en plus, les sociétés savantes qui représentent ces domaines à la frontière de la cardiologie font en sorte que les essais importants et spécifiques à leur spécialité soient présentés dans les congrès propres à leur domaine (il en a été légitimement ainsi de l’étude SPARCL présentée en primeur aux neurologues, des études PROACTIVE et DREAM, présentées aux diabétologues…). Que font alors les responsables des congrès de cardiologie ? Ils créent, comme à l’ESC, des sessions intitulées « Clinical Trial Update » afin que soient aussi présentés les résultats principaux de ces essais, tout en ajoutant une analyse spécifique sur un sous-groupe ou un critère particulier, sensé en faire l’actualité, cette actualité n’en étant plus une depuis plusieurs semaines ou mois.   Comment, malgré tout, progresser ?   Appliquer les recommandations La première source de progrès est simple dans son principe et résulte d’un constat : s’il existe nombre de thérapeutiques validées, celles-ci sont moins utilisées qu’elles ne le devraient dans la pratique. Et ainsi, depuis quelques années, les sociétés savantes de cardiologie dans leurs congrès sont devenues des promoteurs de la prescription des stratégies validées et de l’évaluation des moyens permettant d’atteindre les objectifs. À l’AHA, l’étude FAME, évaluant un mode de délivrance des traitements devant permettre d’améliorer l’observance et ne portant que sur 200 patients, a ainsi été présentée parmi les grands essais, car elle touche directement à cette problématique. Lors de l’ACC, l’accent est particulièrement mis sur l’application des recommandations (programme GAP) et l’ESC, à travers ses registres Euro Heart Survey, permet d’évaluer la pratique afin de guider les programmes d’application des recommandations mis en route.   Les avancées non pharmacologiques La deuxième source de progrès est aussi simple dans son principe (bien que très complexe dans ses détails) : comme le dit l’aphorisme « la nature a horreur du vide », et le vide laissé par les limites nouvelles de la pharmacologie est instantanément comblé par la technologie. Le cas le plus représentatif est celui de l’insuffisance cardiaque et de la rythmologie avec, à l’interconnexion de ces deux domaines, le défibrillateur automatique implantable et la stimulation multisite, et plus spécifiquement en rythmologie, les méthodes ablatives. L’étude PABA CHF qui évaluait les méthodes ablatives dans la prise en charge de la fibrillation auriculaire chez l’insuffisant cardiaque a aussi été présentée parmi les grands essais du congrès de l’AHA, ce qui illustre bien cette nouvelle démarche. Autre innovation « high tech », la transplantation cellulaire. Et là encore, l’actualité de l’AHA a été marquée par les résultats de l’étude MAGIC. Mais là encore, la technologie est un domaine où l’évaluation est difficile et pose des problèmes spécifiques : à peine une méthode est-elle évaluée, qu’un progrès sensible est ajouté à cette méthode, et le progrès technologique consiste souvent à implanter un matériel chez un patient, matériel dont les risques potentiels vont au-delà de la demi-vie d’une molécule…   La prise en charge du « monde réel » Enfin, une autre source de progrès pourrait venir de l’évaluation large chez les personnes âgées des stratégies actuellement validées uniquement chez des patients relativement jeunes. À titre indicatif, le relevé SNIR reçu récemment et concernant le Nord-Pas-de-Calais montre que 40 % des consultants en cardiologie de cette région a plus de 70 ans et les données disponibles montrent que le pic de consommation des soins cardiologiques (que ce soient les consultations ou la chirurgie cardiaque par exemple) est de 75 ans. Or, il suffit de regarder la moyenne d’âge des patients inclus dans l’immense majorité des essais disponibles pour constater qu’elle ne dépasse que très rarement 70 ans. Dans ce domaine, l’évaluation d’une stratégie pharmacologique dans l’insuffisance cardiaque à fonction systolique préservée (étude I-PRESERVE) et du traitement de l’hypertension artérielle chez les sujets âgés de 80 ans (étude HYVET) constituera probablement une des réelles avancées des 24 mois à venir…   En synthèse   Le congrès de l’AHA 2006, comme les congrès de cardiologie à venir, est représentatif d’une cardiologie à la croisée des chemins : cardiologie qui dispose d’un large éventail de stratégies thérapeutiques validées chez des sujets relativement jeunes, mais qui est marquée par une relative sous-utilisation de ces stratégies et la méconnaissance de leur rapport bénéfice/risque chez les sujets âgés ; cardiologie qui est aussi marquée par des difficultés à fournir des innovations thérapeutiques marquantes. Les réels progrès à proposer à nos patients sont : - d’appliquer ces stratégies, - de juger de leur bien-fondé chez les patients > 75 ans. Les progrès ultérieurs viendront de la simplification des technologies utilisables pour compléter les limites de la pharmacologie et, souhaitons-le, des conséquences des recherches en cours qui permettront peut-être la naissance de nouveaux concepts pertinents, c'est-à-dire, ayant des débouchés pratiques.

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