Publié le 27 mar 2007Lecture 9 min
Quelles perspectives dans le domaine de la thrombose ?
E. FERRARI, CHU de Nice
Nous comprenons mieux le présent, et connaissant le passé, nous pouvons probablement mieux envisager le futur disent certains historiens. Avant de parier sur l’avenir, il nous semble donc instructif de réaliser d’où nous venons et où nous en sommes.
D'où venons nous ? Où allons nous ?
Belle gageure que de pouvoir décrire les plus importants résultats dans le domaine de la thrombose depuis 10 à 15 ans. La question posée nous permet cependant de nous rendre compte des fabuleuses avancées dans ce domaine.
Rappelez-vous : de quels médicaments efficaces et ayant démontré leur utilité disposait-on en cardiologie il y a 15 ou 20 ans ? De l’aspirine, d’héparine non fractionnée, plus tard d’une thiénopyridyne (la ticlopidine) et de thrombolytiques.
De nos jours, les tiroirs de nos pharmacies hospitalières sont « remplis » de traitements antithrombotiques (dont le maniement d’ailleurs n’est pas toujours aisé)… et ceci devrait encore s’amplifier dans les prochaines années.
En pathologie artérielle
L’incontestable apport de la bithérapie antiagrégante orale
Un des enseignements majeurs de ces dernières années a été la compréhension qu’en pathologie coronaire aiguë, la plaquette est un coupable majeur.
Cette évidence a permis de renforcer le traitement antiagrégant. L’épopée de la mise en place des stents dans les années 1980 a largement contribué à cette avancée. C’est bien le traitement préventif de la thrombose de stent et les successions des différents protocoles qui nous ont fait comprendre que l’association de deux antiagrégants (AAP) (aspirine + thiénopyridyne) est bien plus efficace que les cocktails qui comprenaient parfois aspirine + héparine + dextran + AVK… Il faut préciser que les Européens, et en particulier les Français, ont été à la pointe de ce cette recherche clinique. Les mêmes associations se sont montrées efficaces dans la prise en charge des syndromes coronaires sans sus-décalage du ST, encore appelés angors instables à ce moment. L’étude CURE (Clopidogrel in Unstable angina to prevent Recurrent ischemic Events) a confirmé le bénéfice de l’association de deux AAP, pas seulement chez les patients qui allaient bénéficier d’une angioplastie avec endoprothèse mais quelle que soit la prise en charge.
D’autres grands essais sont venus confirmer que la « bithérapie » orale antiagrégante apporte aussi un bénéfice dans le stenting coronaire quelle que soit la raison de l’angioplastie (CREDO), dans l’infarctus thrombolysé (ACUITY) ou dans l’infarctus quelle que soit sa prise en charge (COMMIT).
Il faut à ce titre se rendre compte de la chance que nous avons en cardiologie de disposer de ces méga-essais, avec des dizaines de milliers de patients inclus. Essais, certes « pilotés » par l’industrie à des fins non bénévoles, mais qui permettent incontestablement des avancées majeures en médecine.
Que peut-on espérer de mieux dans le traitement antiplaquettaire oral ?
Une optimisation de l’efficacité. Un des axes de recherche demandé par les cliniciens est de pouvoir mesurer, quantifier la réponse à l’aspirine et aux thiénopyridines afin, en particulier, d’écarter les non-répondeurs. Ce problème est important, pas seulement chez les porteurs d’endoprothèses coronaires, mais dans toutes les situations de prévention primaire et secondaire.
De nouveaux antiplaquettaires oraux (prasugrel) sont en cours de développement et nous promettent des résultats potentiellement meilleurs qu’avec les médicaments actuels. Nous avons, en effet, besoin de « taper » plus vite, éventuellement plus fort (mais pas trop), et de façon plus homogène sur les plaquettes de nos patients.
Il y a possiblement d’autres récepteurs, actuellement connus de la plaquette (par exemple la GP IbIX) qui pourraient représenter des cibles thérapeutiques antithrombotiques potentielles... et il y a des récepteurs que nous ne connaissons peut-être pas encore.
L’histoire nous a cependant démontré que tout blocage des récepteurs plaquettaires, fût-il présenté comme le « récepteur final », n’est pas synonyme d’effet thérapeutique. Tous les grands essais réalisés avec des bloqueurs du récepteur GPIIb-IIIa par voie orale aboutissent à la même conclusion : un effet délétère et une surmortalité ! Attention à ne pas jouer aux apprentis sorciers.
Dans ce domaine des antiplaquettaires, il existe des polymorphismes plaquettaires (PLA1/PLA2), dont on sait qu’ils sont associés à des risques thrombotiques différents, qui mériteraient possiblement une approche différente avec un « traitement à la carte ».
Enfin, et nos collègues neurologues nous en ont fait une belle démonstration, on peut « faire du neuf avec du vieux ». Des associations d’antiagrégants méritent d’être testées, parfois avec des doses et des galéniques différentes de celles déjà testées. Le bénéfice de l’association aspirine (à très petite dose) + dipyridamole (avec une forme galénique non connue en cardiologie), aussi étonnant qu’il puisse paraître pour nous autres cardiologues, est confirmé dans la prévention secondaire des AVC et donne du sens à ces perspectives.
Quid des antithrombines ?
La bonne vieille héparine a rendu de grands et loyaux services. Elle a été malmenée par les héparines de bas poids moléculaire (HBPM), d’utilisation plus facile. À l’évidence, grâce à la non-nécessité du contrôle biologique de leur efficacité, en raison de la moindre variation des réponses pharmacologiques attendues interindividus, les HBPM représentaient, en effet, un avantage.
Dans le domaine de la coronaropathie instable, au moins une de ces HBPM (enoxaparine), semblait avoir définitivement montré un bénéfice sur l’hépareine non fractionnée (HNF) (TIMI 14 et ESSENCE). Mais ces données se trouvent « revisitées » 10 ans plus tard du fait de la possibilité, au moins chez les sujets de plus de 75 ans, d’un risque hémorragique plus important.
Par conséquent, si les soins intensifs de cardiologie continuent d’utiliser des HBPM, c’est bien pour la raison de la facilité et pas forcément pour une plus grande efficacité attendue.
Dans le cadre d’une utilisation large et facile, les progrès pourraient venir des nouvelles molécules, d’efficacité comparable, mais qui présenteraient l’avantage d’un moindre risque hémorragique (fondaparinux : OASIS-5 et 6 : bivalirudine : REPLACE). De nombreuses autres molécules sont en cours d’investigation, mais ne peuvent se targuer à ce jour, de résultats cliniques démontrés.
Il est intéressant de noter qu’une partie de ces progrès (pour les HBPM et les pentasaccharides) vient de la purification et de l’isolement de chaînes et de fragments… de la bonne vieille héparine.
Les faux rendez-vous « d’enterrements » des AVK
Les antivitamines K (AVK), antithrombines par excellence qui, lorsqu’elles sont bien gérées, apportent d’indiscutables bénéfices ont failli être remplacées plusieurs fois. Le mélagatran semblait indiscutablement « sonner le glas » des AVK. De nombreuses études avaient montré, non pas tant la supériorité de la nouvelle anithrombine orale sur ces vieux traitements, mais une utilisation plus facile, sans nécessité d’adapter la dose. Malheureusement, du fait d’une toxicité hépatique, le mélagatran est tombé sur la dernière haie après avoir reçu l’AMM en prévention, du moins en Europe, et alors que les autres AMM se profilaient.
Toutefois, une antithrombine directe, par voie orale, d’adaptation posologique plus facile que celle des AVK constituerait un réel progrès.
D’autres médicaments de cette même famille se profilent en phase III et n’auront peut-être pas les mêmes déboires que leur grand frère. En attendant, lorsque les AVK sont indispensables, concentrons-nous sur leur bonne gestion.
Les dérapages, parfois non contrôlés, des antithrombotiques
Dans la même période, de nombreuses données ont rappelé une évidence. En l’occurrence, on ne peut pas prescrire des médicaments contre la thrombose sans risquer de faire saigner nos patients.
Les deux plus fortes alertes ont concerné les prescriptions chez les patients ambulatoires. Un rapport de l’AFSSAPS a montré, il y a une dizaine d’années, que les HBPM, plus faciles à prescrire que l’HNF et le plus souvent sans nécessité de surveillance biologique de leur effet thérapeutique, étaient à l’origine d’une recrudescence de saignements graves. Les facteurs de risque associés à ces saignements étaient l’âge des patients, le non-respect des posologies, l’insuffisance rénale (pourtant une contre-indication classique) et les prescriptions hors AMM.
La même AFSSAPS a montré également du doigt les AVK, en précisant que leurs prescriptions étaient, en France, la première cause de iatrogénie grave avec quelques 8 % d’hémorragies cérébrales hospitalisées qui leurs étaient imputées.
Les autres pays, qui prescrivent souvent plus des AVK que la France, n’ont pas ces mêmes « mauvais » chiffres. Faut-il en déduire que la gestion des AVK est moins bonne en France ? Que nous ne disposons pas des mêmes armes pour leur surveillance ? Sûrement les deux.
Enfin, et cette fois en milieu hospitalier, un grand registre canadien et nord-américain portant sur près de 40 000 syndromes coronaires aigus sans sus-décalage de ST, montre que dans les premières heures de la prise en charge d’un syndrome coronaire, le taux d’hémorragies favorisées par les traitements antithrombotiques dans des centres qui travaillent pourtant bien (?) était de 11% ! A fortiori, la mauvaise nouvelle est que ces patients qui saignent ont un risque de décès, pas seulement par hémorragies, mais aussi par thrombose qui se trouve multiplié par 3 à 10 !
Ces données posent le problème actuel et futur d’une gestion optimale de traitements, certes nécessaires, mais potentiellement dangereux. Elle pose aussi le problème du bénéfice de cocktails antithrombotiques dans la « vraie vie », même lorsque ces mêmes cocktails auront pu réellement démontrer un bénéfice dans des études bien cadrées avec des patients « choisis ».
Une des conséquences directes est que dans les bonnes études qui testent maintenant un traitement antithrombotique, les saignements graves ne peuvent plus être considérés comme des effets secondaires peu importants mais qu’ils doivent, au contraire, être intégrés dans un critère d’évaluation principal au même titre qu’une récidive d’infarctus ou un décès.
Le clinicien praticien doit s’intéresser à ce critère et sentir si l’utilisation dans la pratique d’un nouveau médicament ne risque pas d’être contrecarrée par un risque de saignement accru.
En pathologie veineuse
En sus des apports des nouvelles molécules déjà décrites (HBPM puis fondaparinux), les progrès importants ont été, à mon sens, de deux ordres.
• Nous pouvons en 2007 traiter de façon ambulatoire, au moins une TVP, parfois une embolie pulmonaire (avec quelques précautions d’usage). Cela a été rendu possible, en particulier, par les HBPM et l’introduction précoce des AVK.
• Surtout, le progrès important et à venir dans la maladie thromboembolique veineuse est que nous avons progressé sur la question de la durée du traitement nécessaire. Il y a à peine quelques années, la durée du traitement AVK après une embolie pulmonaire reposait sur le bon vouloir du docteur. De grandes études (Schulman/Kearon/Agnelli) ont apporté une rationalisation de la durée de ce traitement.
Nous sommes loin de la perfection mais nous avons compris l’essentiel : les TVP/EP secondaires à une cause réversible ne nécessitent qu’une courte période d’AVK ; en revanche, les TVP/EP idiopathiques ont un taux de récidives annuel d’environ 5 % sans AVK… traitement efficace dénué « d’effet rémanant ».
Les progrès sur ce thème pourraient venir non pas tant de nouveaux traitements (antithrombine orale) mais de la stratification du risque de récidive sur des paramètres simples (D-dimères/persistance d’un thrombus résiduel/coexistence de multiples thrombophilies), en attendant un traitement choisi sur des critères beaucoup plus fins…
Le futur : « un traitement à la carte » ?
Cela permet d’introduire le concept élégant de « traitement à la carte », potentiellement accessible eu égard aux progrès attendus de la génétique, mais dont nous sommes encore loin à ce jour. Sera-t-il possible un jour par une simple étude de l’ADN, ou de tel ou tel marqueur, d’adapter le traitement antithrombotique au risque propre du patient ?…
Le numéro 1 600 de Cardiologie Pratique vous le dira.
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