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Vasculaire

Publié le 19 sep 2006Lecture 11 min

Quand et comment opérer un anévrisme asymptomatique de l’aorte abdominale ?

J.-P. BECQUEMIN, hôpital Henri Mondor, Créteil

Les anévrismes de l’aorte abdominale (AAA) touchent :
• 4 % de la population > 60 ans,
• 6 % de la population > 70 ans
• autour de 10 % de la population > 80 ans.
L’homme en est atteint 10 fois plus fréquemment que la femme et 10 ans plus tôt. Longtemps asymptomatiques, les AAA peuvent se révéler par une rupture entraînant une hémorragie interne, le plus souvent mortelle.

Une meilleure détection des AAA en France Les Anglais ont récemment lancé une campagne de presse pour la détection systématique de ce qu’ils ont surnommé the silent killer (le tueur silencieux). De fait, les séries d’AAA provenant de Grande-Bretagne font état de 20 à 30 % de patients opérés en urgence avec une mortalité schématiquement de 50 %. En France, la plupart des anévrismes sont détectés plus précocement et, dans les services de chirurgie vasculaire, le nombre de ruptures a diminué ces dernières années pour atteindre environ 10 % de la totalité des AAA opérés. Cette différence est probablement due à la réalisation plus systématique de l'échographie abdominale dans le cadre du bilan prostatique, de l'exploration des pathologies digestives ou du bilan cardiovasculaire chez des patients ayant des facteurs de risque d’athérosclérose ou des antécédents familiaux d’anévrisme.   Opérabilité La découverte d’un AAA aboutit immédiatement à la question de son opérabilité car jusqu’ici aucun traitement médical n’a prouvé son efficacité pour en ralentir ou stopper l’évolution. Les résultats d’essais ayant évalué les bêtabloquants ou la doxicycline, ne se sont pas révélés concluants. L’arrêt du tabac, en revanche, diminue significativement la rapidité de croissance et le taux de ruptures des AAA. La décision d’intervenir ou d’établir une surveillance est basée sur la comparaison des risques respectifs de l’histoire naturelle et de l’intervention chirurgicale qui corrige cette évolution. On dispose maintenant de plusieurs études qui permettent de prendre des décisions sur des données probabilistes (approchant donc la réalité) plutôt que sur les données affectives "Monsieur, vous avez une bombe dans le ventre". Par ailleurs, le traitement chirurgical proposé n’a qu’un but, prévenir le risque de décès par rupture. Cette intervention n’aura donc aucune utilité chez un patient dont l’espérance de vie est limitée par une autre pathologie grave (cancer terminal par exemple) ou un très grand âge. Elle n’aura, bien sûr, aucune utilité si le patient décède de l’intervention.   Les données sur l’histoire naturelle Le diamètre de l’AAA Le bras surveillance du Small Aneurysm Trial comparant la chirurgie précoce et la surveillance par échographie des AAA compris entre 4 cm et 5,5 cm donne des éléments indicatifs : pendant les 6 années de l’étude, il y eut 103 ruptures chez 2 257 patients, ce qui représente un taux annuel de 2,2 %. Au total, 98 % des ruptures se sont produites pour des AAA entre 3 et 6 cm et 75 % pour des AAA ≥ 5 cm. L’essai ADAM (Affairs aneurysm Detection And Management), effectué dans les hôpitaux des anciens combattants aux États-Unis, a confirmé ces données. Les facteurs significativement associés à un risque accru de rupture sont le genre féminin, le diamètre initial, un VEMS altéré, l’intoxication tabagique et l’hypertension artérielle.   La rapidité de croissance de l’AAA Avant la rupture, la croissance est un facteur important à connaître. Une étude de cohorte a montré, chez 1 743 patients suivis pendant 1,9 année en moyenne, avec un AAA compris entre 28 mm et 85 mm, que la croissance moyenne est de 2,6 mm/an (1 à 6,1 mm).   Les anévrismes les plus gros étant ceux qui progressaient le plus rapidement. Ces études, très importantes, permettent de mieux appréhender le risque que fait courir un anévrisme. Mais plutôt que de fixer des seuils stricts de diamètre, elles donnent des indications générales sur le délai dans lequel la chirurgie doit être pratiquée. En effet, le groupe étudié pour les besoins statistiques (de 4 à 5,5 cm) n’est pas réellement homogène (la rapidité de croissance est différente d’un diamètre à l’autre), le taux de ruptures réel a bien évidemment été sous-estimé par le fait que les anévrismes atteignant 5,5 cm, douloureux ou rapidement évolutifs, ont été opérés et finalement 75 % des patients randomisés dans le bras surveillance ont été opérés dans un délai de 2,5 ans. Le tableau résume les risques de rupture tels que l’on peut les déduire actuellement des études disponibles. Il faut souligner aussi que le diamètre pour lequel le risque de rupture est élevé est plus petit chez la femme que chez l’homme (4,5 mm semble le diamètre à retenir).   Les autres facteurs Bien que moins évaluables, d’autres facteurs comme le caractère sacciforme, la rapidité d’évolution, ou la sensibilité spontanée ou à la palpation de l’AAA entrent également en considération dans la décision d’opérer.   Les risques de l’intervention   La chirurgie classique Elle comporte la mise à plat de l’anévrisme, sous anesthésie générale avec un rétablissement de la continuité vasculaire par une prothèse synthétique. Bien qu’il y ait plusieurs variantes techniques concernant notamment la voie d’abord chirurgicale, transpéritonéale, rétropéritonéale ou laparoscopique, aucune n’a fait la preuve d’une supériorité sur les autres. Le choix reste donc du domaine du praticien. La mortalité chirurgicale d’un AAA opéré à froid varie de 2 à 8 %, selon que l’on considère les études provenant de centres d’expertise, les études multicentriques protocolisées ou les registres nationaux. Ces différences s’expliquent probablement par les sélections des patients et l’expertise des équipes.   Facteurs de risque opératoire La prédiction des risques d’une intervention classique a fait l’objet de plusieurs évaluations. Les facteurs les mieux étudiés concernent l’état général du patient. Il s’agit, par ordre de gravité, de l’insuffisance rénale, d’une cardiopathie ischémique instable, d’une insuffisance cardiaque, d’un infarctus récent (< 6 mois), d’une insuffisance respiratoire sévère et d’un âge > 80 ans. Bien évidemment, ces facteurs doivent être modulés selon qu’ils sont isolés ou associés entre eux. Parallèlement, d’autres éléments, qui n’ont pas pu être pris en compte dans ces évaluations statistiques, vont influer la décision. Par exemple, la présence d’une cirrhose avec hypertension portale ou d’une ascite, un rétrécissement aortique calcifié serré, des antécédents de chirurgie abdominale septique, l’âge physiologique. L’anatomie de l’anévrisme joue un rôle sur les résultats opératoires. Toute difficulté opératoire est facteur de complication postopératoire, allongeant la durée d’intervention, le saignement et potentiellement la mortalité. Certaines sont prévisibles, d’autres non. Les collets sous-rénaux courts, qui nécessitent un clampage suprarénal, sont facteurs d’insuffisance rénale postopératoire, les anévrismes iliaques et hypogastriques associés augmentent le risque d’hémorragie peropératoire (souvent par plaie veineuse) et le risque de complications ischémique digestives. Les anévrismes à coque inflammatoire sont particulièrement difficiles, les tissus périanévrismaux étant souvent indissécables. L’expérience de l’équipe est fondamentale. La mortalité est plus importante quant ces interventions ne sont réalisées qu’occasionnellement. Il est actuellement possible par des calculs probabilistes, d’évaluer le risque de l’intervention en tenant compte des facteurs généraux précités et des résultats de l’équipe.   Comment réduire ce risque ? Une préparation à l’intervention peut sûrement réduire le risque opératoire. Le mieux établi est le risque cardiaque. Ce risque a été drastiquement réduit par les bêtabloquants et les statines. Les explorations cardiologiques préopératoires sont actuellement bien codifiées. Il est démontré que la réalisation d’une scintigraphie myocardique, d’une échographie de stress ou d’une coronarographie n’a d’intérêt que chez les patients qui ont déjà des signes cliniques ou électriques de coronaropathie ou qui présentent des pathologies associées, tel un diabète ou une insuffisance rénale. Dans ce sous-groupe, qui représente moins de 50 % des patients ayant un AAA, la mise en évidence de lésions coronariennes, peut aboutir à une revascularisation préalable par angioplastie ou par chirurgie (dans notre expérience moins de 10 % des patients opérés d’anévrisme). Angioplastie ou chirurgie : le choix entre l’une ou l’autre technique de revascularisation coronarienne, doit tenir compte de plusieurs facteurs dont l’aspect et l’étendue des lésions coronariennes, le retard pour effectuer la chirurgie aortique et les résultats à distance des revascularisations coronariennes. Ainsi, la nécessité d’un traitement par clopidogrel ou la mise en place d’un stent actif peut s’avérer un mauvais choix si l’anévrisme est relativement urgent. De même, un pontage aortocoronarien va retarder de plusieurs semaines, voire de plusieurs mois, l’intervention sur l’anévrisme. Ces décisions ne sont pas toujours faciles à prendre et une discussion multidisciplinaire est alors utile. La chirurgie combinée cardiaque et abdominale a quelques rares indications (2 %) chez les patients dont la hiérarchie des urgences lésionnelles ne peut être établie clairement. Ce petit sous-groupe de patients garde malgré toute une mortalité opératoire plus élevée (mais il s’agit des malades les plus graves). Les autres actes comme une kinésithérapie respiratoire préopératoire chez les bronchopathes hypersécrétants, l’arrêt du tabac, le maintien d’une hyperhydratation chez les insuffisants rénaux, l’extirpation des chicots dentaires, sont autant de facteurs à prendre en compte. Quant aux sténoses carotidiennes serrées, présentes chez 5 % des patients ayant un AAA et bien qu’il n’y ait pas d’étude l’ayant formellement démontré, il est de coutume en France de les traiter en préalable à la chirurgie aortique.   Les endoprothèses (figure 1) Figure 1. Photo d'une endoprothèse.   Elles offrent une alternative très intéressante à la chirurgie classique. Mises en place par un abord fémoral, parfois même entièrement en percutané, éventuellement sous anesthésie locale, elles sont a priori moins agressives que la chirurgie (figure 2).   Figure 2. CT-scan postopératoire d'un patient traité d'un AAA par endoprothèse. Bonnes et mauvaises indications Il faut souligner que tous les malades ne peuvent être traités par endoprothèses. Les critères anatomiques doivent être respectés sous réserve d’un échec dont les conséquences peuvent être dramatiques. En effet, la nécessité d’une conversion chirurgicale précoce est associée à une mortalité variant de 5 à 30 %. En pratique, environ 50 % des malades ont les critères précités. Chez ces patients, les études de cohortes et les essais randomisés, DREAM (Diabetes REduction Assessment with Ramipril and Rosiglitazone Medication) et EVAR I (EndoVascular Aneurysm Repair), ont montré une réduction significative du saignement peropératoire, des complications postopératoires et une réduction de la durée de séjour. La mortalité précoce était divisée par trois. Les résultats plus tardifs sont moins favorables. Certes, la mortalité liée à l’anévrisme (incluant la mortalité opératoire précoce et la mortalité liée à l’anévrisme ou aux reprises) est plus faible dans le bras endoprothèse que dans le bras chirurgical, mais la survie totale était similaire dans les deux groupes. Plus troublant est le fait que l’étude EVAR II n’ait pas montré de réduction de mortalité chez des patients à haut risque entre un groupe traité par endoprothèse et un groupe non traité. Les raisons en incombent aux décès par cancer et aux complications vasculaires, le taux de décès par rupture ayant été faible dans le groupe non traité. En fait, cette dernière étude souligne les limites de ce type d’évaluation. Le groupe à haut risque est très hétérogène, comme nous l’avons détaillé précédemment. Curieusement, contrairement au groupe non traité, la majorité des décès dans le groupe endoprothèse a été par cancer, ce qui fait suspecter un biais de répartition. Par ailleurs, les changements de bras ont atteint jusqu'à 20 % des patients. Une étude plus fine en sous-groupe serait donc nécessaire pour mieux cerner les indications des endoprothèses chez des patients qui a priori ne peuvent pas relever d’une chirurgie traditionnelle et qui ont un anévrisme volumineux. Les auteurs ont conclu de cette étude que la prise en charge des comorbidités était probablement essentielle pour la survie des patients ayant un AAA. Inconvénients des endoprothèses Elles obligent à une surveillance à vie bien qu’intéressantes à court terme, cette surveillance représente un inconvénient non négligeable à long terme. En effet, avec cette technique, l’anévrisme est laissé en place. Lorsque la prothèse est efficace (80 % des cas), le sac est dépressurisé et, avec le temps (généralement entre 12 à 24 mois), le diamètre diminue progressivement. Malheureusement il n’en est pas toujours ainsi. Les effets adverses sont les migrations des endoprothèses, les plicatures et les thromboses de jambages. • Des endofuites peuvent aussi survenir à n’importe quel moment du suivi et même chez des patients dont l’anévrisme décroît (figure 3). Ces endofuites sont de plusieurs types : • soit un passage direct au point d’ancrage supérieur ou inférieur de la prothèse (type I), • soit la réinjection rétrograde à partir des artères lombaires ou mésentérique inférieure (type II), • soit une déconnection d’un composant de la prothèse (type III), • soit une perforation (en général par usure) de la prothèse (type IV), • soit des microfuites (type V).   Figure 3. Schéma montrant les différentes endofuites.   Ces endofuites n’ont pas toutes les mêmes conséquences. Les endofuites avec pressurisation directe (type I, III, IV) sont dangereuses et doivent être traitées rapidement, les autres ont une évolution plus lente et peuvent même disparaître spontanément. La surveillance inclut au minimum un écho-Doppler annuel et un scanner avec injection et clichés précoces et tardifs (protocole à suivre strictement sous réserve de méconnaître l’endofuite). Le traitement préventif de ces altérations n’augmente pas la mortalité tardive et améliore considérablement le taux de succès technique et clinique. Soixante-dix pour cent des gestes nécessaires peuvent être effectués par des techniques percutanées.   Que faire en pratique ? • Un anévrisme approchant les 50 cm chez l’homme et 45 mm chez la femme doit faire l’objet d’un bilan d’opérabilité. La décision finale vient de la mise en balance du risque de l’histoire naturelle (en tenant compte du diamètre et des pathologies associées) et du risque opératoire. • Lorsqu’une indication opératoire n’a pas été retenue, le patient ne doit pas être laissé dans la nature avec la notion d’avoir été récusé pour la chirurgie. En effet, trop souvent des malades avec un anévrisme connu non traité viennent en  urgence avec une rupture. Une surveillance régulière permet de mieux cerner l’évolutivité avant la catastrophe. • En cas d’indication retenue, le choix de la technique dépend des critères anatomiques, de l’état général du patient et de la législation en vigueur en France. Rappelons que l’Afssaps n’a autorisé la mise en place des endoprothèses que chez les patients à haut risque. Il est ironique de constater que les études randomisées qui viennent d’être publiées contredisent cette option administrative, prise à l’époque en dehors de toute évaluation scientifique.   Conclusion   Bien que les résultats de deux essais soient actuellement disponibles, les évaluations doivent se poursuivre. En effet, la technologie évolue très rapidement et l’on dispose maintenant de prothèses plus fiables et plus durables. De plus, la diffusion de la technique chez les patients à haut risque fait qu’elle est entrée malgré tout dans la pratique chirurgicale quotidienne. La Direction à la Recherche Clinique finance en France l’essai ACE comparant chirurgie ouverte aux endoprothèses chez les patients à risque opératoire habituel. Un autre essai, OVER (AAA Open Vs Endovascular Repair), est en cours aux États-Unis. Les résultats de ces deux essais attendus dans trois ans, donneront d’avantage d’informations pour un choix éclairé.

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