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Prévention et protection

Publié le 25 jan 2005Lecture 10 min

Place de l'aspirine en prévention primaire cardio-vasculaire : les nouvelles indications

P. SABOURET, groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière, Paris

L’athérosclérose, dont l’histoire naturelle évolue vers des accidents thrombotiques, représente la principale cause de mortalité dans les pays industrialisés, et sa responsabilité est de plus en plus fréquente dans les pays en voie de développement. Les études épidémiologiques et interventionnelles montrent que ce risque a été réduit par les progrès de la prise en charge clinique.

L'athérothrombose : le mal du XXIe siècle L’origine de l’athérosclérose est multifactorielle, avec des facteurs de risque qui sont universels, ainsi que vient de l’illustrer l’étude INTERHEART (figure 1). La prise de conscience de ce problème majeur de santé publique a incité à la mise en place de programmes, nationaux et internationaux, de prévention cardio-vasculaire, visant à diminuer les pathologies cardio-vasculaires par le biais d’une diminution du poids des facteurs de risque liés au style de vie dans la population (tabagisme, surpoids, sédentarité, diabète de type 2, dyslipidémies). Figure 1. Odds ratio des différents facteurs de risque après ajustement pour la zone géographique, l’âge et de le sexe (Lancet 2004). Les patients dont le risque cardio-vasculaire absolu (RCVA) est élevé nécessite une intervention clinique pour réduire à la fois la morbidité et la mortalité cardio-vasculaires. Les études épidémiologiques et interventionnelles montrent que ce risque a été réduit par les progrès de la prise en charge clinique, impliquant l’association de modifications du style de vie et de traitements pharmacologiques, ayant démontré des bénéfices significatifs sur le long terme. Malgré les avancées thérapeutiques constatées, le problème des pathologies cardio-vasculaires reste plus que jamais d’actualité. Une approche globale des facteurs de risque est actuellement l’attitude la plus pertinente, en mettant en œuvre des traitements dont les modes d’action sont complémentaires, entraînant des bénéfices additionnels. Si l’utilisation des antiagrégants plaquettaires, et en particulier de l’aspirine, semble adéquate pour les patients en prévention secondaire d’une maladie artérielle (infarctus du myocarde, accident ischémique cérébral, artériopathie des membres inférieurs), leur prescription chez les patients en prévention primaire, dont le risque cardio-vasculaire est élevé, mérite d’être affinée.   Physiopathologie des plaquettes Les plaquettes jouent un rôle fondamental dans l’hémostase et dans l’homéostasie en permettant la formation de thrombi en cas de traumatismes. Leur rôle est également déterminant dans les complications athérothrombotiques par leur capacité à adhérer sur le site de la rupture de plaque d’athérome, à s’accumuler rapidement et entraîner des phénomènes d’amplification en boucle qui conduisent à l’accident ischémique aigu (figures 2 et 3). La production quotidienne de plaquettes est de 1011, et peut être multipliée par 10 dans des circonstances pathologiques. Elles sont formées par la fragmentation du cytoplasme des mégacaryocytes et ont une durée de vie d’une dizaine de jours. Les plaquettes peuvent libérer, à partir de leurs granules de stockage, des cytokines, des chémokines et des facteurs de croissance. Les plaquettes activées peuvent synthétiser des prostanoïdes (principalement le thromboxane [TX] A2) à partir de l’acide arachidonique (AA), issu des phospholipides membranaires, par l’activation de la cyclooxygénase (Cox)-1 et de la TX-synthase. Les plaquettes néoformées expriment des isoformes inductibles de la Cox-2 et la prostaglandine(PG) E-synthase, ce phénomène étant amplifié avec l’accélération de la régénération plaquettaire. Figure 2. Rôle des plaquettes dans l’accident cardio-vasculaire aigu. Figure 3. Accident aigu thrombotique. Mécanisme d’action de l’aspirine (acide acétylsalicylique) L’aspirine présente de nombreuses propriétés pharmacologiques qui en font un antiagrégant plaquettaire de référence. Son action entraîne une inactivation de longue durée de la fonction plaquettaire, par le blocage d’une enzyme clé, la PGH-synthase 1 (ou Cox-1), responsable de la formation de la PGH2, précurseur du thromboxane A2 et de la PGE2 (figure 4). Cette inhibition est maximale pour des faibles doses d’aspirine (75 à 100 mg), ce qui explique l’efficacité clinique antithrombotique à faibles doses de l’aspirine lors des études cliniques. L’inhibition de la Cox-1 est permanente, complète et irréversible, ce qui explique que la fonction plaquettaire ne redevient normale, après l’arrêt de l’aspirine, que quand le pool plaquettaire est reconstitué après 7 jours. Figure 4. Mode d’action de l’aspirine. Les preuves cliniques de l’aspirine en prévention cardio-vasculaire La récente métaanalyse de l’ATT collaboration démontre qu’un traitement antiplaquettaire au long cours (principalement l’aspirine), chez les patients dont le RCVA est élevé, permet une réduction significative de 25 % des événements cardio-vasculaires majeurs (infarctus du myocarde, accidents ischémiques cérébraux, mortalité cardio-vasculaire). L’analyse séparée de ce critère combiné montre une réduction de 33 % des infarctus myocardiques, de 25 % des accidents vasculaires cérébraux (AVC), de 15 % de la mortalité cardio-vasculaire. La réduction du risque absolu (RRA) est remarquable dans cette population à haut risque puisqu’elle est de : - 3,6 % pour le critère combiné à 2 ans, pour les patients aux antécédents d’infarctus, - 3,8 % à 1 mois de traitement au décours immédiat d’une nécrose myocardique, - 3,6 % à 2 ans pour les patients aux antécédents d’AIT ou AVC, - 2,2 % pour les autres catégories de patients (angor stable, AOMI, fibrillation auriculaire, etc.). Cet impact favorable sur les événements cardio-vasculaires l’emporte largement sur le risque d’hémorragies majeures, évalué à 0,1-0,2 %/an, avec un bénéfice supérieur aux risques de 10 à 50 fois selon les sous-groupes étudiés. Le rapport risque/bénéfice est favorable pour les patients dont le risque coronarien est > 1,5 % par an et s’applique donc aux patients dont le RCVA est élevé. Compte tenu des preuves cliniques d’efficacité de l’aspirine, confortant les preuves biologiques selon lesquelles l’inhibition de la Cox-1 est maximale à 75-100 mg d’acide acétylsalicilique, et du risque dose-dépendant de toxicité gastrique, les recommandations européennes et françaises préconisent une dose quotidienne de 75 à 100 mg pour la prévention à long terme, une dose de charge de 160 mg étant conseillée pour obtenir un effet antiagrégant plaquettaire dans certaines situations à risque (syndromes coronariens aigus, accident ischémique transitoire).   Bénéfices spécifiques de l’aspirine en prévention primaire : l’étude HOT L’étude HOT (Hypertension Optimal Treatment) a été initiée devant la constatation que les patients hypertendus traités conservaient un risque cardio-vasculaire supérieur à celui des patients normotendus. Cette étude novatrice proposait de répondre à deux questions : quelle est la pression diastolique optimale chez les patients hypertendus et quel est le bénéfice de l’addition de 75 mg d’aspirine aux traitements antihypertenseurs, avec une analyse statistique séparée pour les patients diabétiques et non diabétiques. Cette étude a inclus 18 790 pa-tients de 26 pays, âgés de 50 à 80 ans, présentant une hypertension diastolique (PAD entre 100 et 115 mmHg), et randomisés en 3 groupes avec des objectifs respectifs de PA diastolique < 90 mmHg, < 85 mmHg, < 80 mmHg. Ces 18 790 patients ont également été randomisés entre l’aspirine 75 mg (n = 9 399) et le placebo (n = 9 391). Cette étude remarquable, avec très peu de perdus de vue (2,6 %) pour un suivi au long cours (4,8 ans), a permis deux enseignements majeurs pour la prise en charge des hypertendus diabétiques, et plus généralement pour les hypertendus dont le risque cardio-vasculaire est élevé : - la PA diastolique doit être ≤ 80 mmHg (réduction du risque relatif de MACE : RRR de 51%, p = 0,005 versus une PAD < 90 mmHg) ; - l’aspirine à 75 mg permet une réduction hautement significative des événements cardio-vasculaires majeurs (RRR 15 %, p = 0,03), en particulier des infarctus du myocarde (RRR 36 %, p = 0,002), sans surcroît d’hémorragies majeures, notamment cérébrales, ce qui était redouté avant cette étude chez les patients hypertendus. Cette étude randomisée, prospective, multicentrique, dont la méthodologie rigoureuse est indiscutable, a permis de confirmer les bénéfices de l’adjonction de faibles doses d’aspirine chez des patients à risque cardio-vasculaire élevé, en l’occurrence les hypertendus diabétiques. Ces données d’efficacité et de bon profil de tolérance ont été corroborés par les récentes méta-analyses. La difficulté en pratique clinique demeure l’identification de patients asymptomatiques, mais dont le risque cardio-vasculaire absolu est élevé. De récents progrès épidémiologiques ont permis d’affiner l’évaluation de ce risque cardio-vasculaire absolu.   Identification des patients à haut risque cardio-vasculaire en prévention primaire Les recommandations internationales récentes (European guidelines on cardiovascular disease prevention in clinical practice, International Atherosclerosis Society) ont défini des priorités de prévention primaire. Les patients à haut risque doivent faire l’objet d’une intervention clinique immédiate et intensive visant à réduire le nombre d’événements cardio-vasculaires majeurs (MACE), sur la base des essais randomisés. Les patients en prévention primaire considérés à haut risque sont : - les patients dont le risque coronarien à 10 ans est > 20 % (sur l’échelle de Framingham pour les États-Unis, ou sur PROCAM pour les européens) ; - les patients dont le risque actuel (ou extrapolé à l’âge de 60 ans) d’événements cardio-vasculaires mortels à 10 ans est > 5 % sur l’échelle du système SCORE (figure 3) ; - les patients ayant une élévation marquée d’un des facteurs de risque cardio-vasculaire : un taux de cholestérol total > 3,2 g/l, un LDL-C > 2,4 g/l, une PA > 180/110 mmHg ; - les patients diabétiques de type 2 ou de type 1 présentant une microalbuminurie, auxquels on pourrait associer tous les patients diabétiques ayant au moins un facteur de risque associé sur la base des études récentes (études HPS-diabétiques et CARDS). L’algorithme UKPDS « engine2 » permet également une estimation du RCVA des patients diabétiques.   Données épidémiologiques sur les patients à RCVA élevé - Le nombre de patients dont le risque cardio-vasculaire absolu va croissant dans le monde, en raison des modifications du style de vie et de l’urbanisation qui ont entraîné une épidémie de surpoids (index de masse corporel (IMC) ≥ 25 kg/m2) et d’obésité (IMC ≥ 30 kg/m2). Cette épidémie est particulièrement évidente aux États-Unis, et dans une moindre mesure en Europe, mais la prévalence de l’obésité augmente également à une vitesse alarmante dans de nombreuses régions du monde, notamment en Asie. - La sédentarité est présente chez plus de 60 % de la population mondiale et constitue un facteur aggravant. - Si le tabagisme est freiné dans certains pays, sous l’influence de politiques de santé volontaristes, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) estime que le tabagisme est responsable de 4 millions de décès par an dans le monde et que l’évolution de la consommation tabagique, particulièrement préoccupante dans les pays en voie de développement, devrait rendre le tabac responsable d’un taux annuel de mortalité de 10 millions lors de la prochaine décennie. - Concernant l’hypertension, on estime à 690 millions le nombre de patients hypertendus dans le monde, avec pour corollaire 5 millions de décès annuels liés à l’HTA. - Le diabète, dont 90 % sont représentés par le diabète de type 2, lui-même étroitement lié aux habitudes actuelles, concerne plus de 120 millions de personnes dans le monde, ce nombre devant « progresser » à 230 millions en 2010 et à 300 millions en 2025. - L’incidence des dyslipidémies est plus difficile à évaluer dans les pays en voie de développement, mais l’on sait que l’incidence et la prévalence des dyslipidémies est élevée dans l’ensemble de pays industrialisés.   Sommes-nous protégés en France par un éventuel « paradoxe » français ? Les données issues de l’étude MONICA ainsi que celles plus récentes de l’étude SCORE montrent que la France appartient au groupe de pays définis à faible risque létal, avec un gradient nord-sud de risque cardio-vasculaire. Le registre MONICA nous indique la prévalence des principaux facteurs de risque cardio-vasculaire en France et les résultats sont préoccupants (tableau). Ces données sont concordantes avec celles de l’étude FLASH 2002 qui estime que les patients hypertendus sont au nombre de 8 millions, les dyslipidémies touchant environ 5 millions de patients, tandis que le diabète concerne environ 2,1 millions de patients. Or, plus d’un tiers des patients hypertendus ont au moins trois facteurs de risque associés, et près de la moitié en ont au moins deux. Le nombre d’événements cardio-vasculaires majeurs recensés en France annuellement (100 000 infarctus du myocarde et 130 000 AVC) constitue un signal d’alarme qui doit nous inciter à optimiser la détection des patients à haut risque et leur prise en charge. La convergence fréquente des facteurs de risque fait qu’un nombre important de patients en France est en situation de prévention primaire avec un risque cardio-vasculaire élevé. La Société Internationale d’Athérosclérose (IAS) estime qu’une utilisation appropriée de l’aspirine à faibles doses pourrait sauver chaque année 40 000 vies, en diminuant également la morbidité liée aux événements cardio-vasculaires majeurs.   Conclusion   Les maladies cardio-vasculaires athéromateuses demeurent un problème majeur dans le monde et en particulier dans les pays industrialisés. Les facteurs de risque ont une incidence et une prévalence qui continuent à progresser, avec pour conséquence directe une augmentation du risque cardio-vasculaire absolu liée aux manifestations athérothrombotiques aiguës. Compte tenu des ressources médicales actuelles, la prise en charge clinique s’adresse aux patients dont le risque cardio-vasculaire est élevé. La convergence des facteurs de risque nécessite leur prise en charge globale, visant à diminuer la morbi-mortalité. Les règles hygiéno-diététiques sont la pierre angulaire à l’échelle de la population générale et impliquent une coopération entre les autorités en matière de santé publique, les industries alimentaires et celles du tabac. Bien qu’indispensables, elles sont cependant insuffisantes chez les patients à haut risque, pour lesquels les traitements médicamenteux ont démontré des bénéfices additionnels. Parmi l’arsenal thérapeutique à disposition, l’aspirine, utilisée à faibles doses (75-100 mg), a démontré une réduction des événements cardio-vasculaires majeurs, en particulier des infarctus du myocarde, chez les patients à haut risque cardio-vasculaire en prévention primaire. L’aspirine en prévention primaire est indispensable, puisque ce traitement simple, efficace, bien toléré, peu coûteux et validé permettrait, par une prescription appropriée, d’épargner 40 000 vies par an dans le monde. L’utilisation des algorithmes adaptés à la population française (système SCORE) devrait permettre d’optimiser l’identification des patients dont le risque cardio-vasculaire est élevé et de leur faire bénéficier d’un traitement antiagrégant à faibles doses, en conformité avec les recommandations des sociétés savantes.      Une bibliographie sera adressée aux abonnés sur demande au journal. 

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