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Cardiomyopathies

Publié le 07 juin 2005Lecture 6 min

Les cardiomyopathies de stress

P. BRACQ, CH Bretagne-Atlantique, Vannes et CHU de Rennes

Parmi les manifestations organiques du stress, la cardiomyopathie de stress n’est pas la moins étonnante. À côté des « myocardites adrénergiques » reconnues, secondaires aux catécholamines exogènes ou au phéochromocytome, de nouvelles formes de cardiomyopathies aiguës réversibles, secondaires à divers phénomènes aigus, ont été décrites, dont le syndrome de ballonisation apicale transitoire du ventricule gauche ou cardiomyopathie « takotsubo ».
Deux observations de cardiomyopathie de stress émotionnel avaient été rapportées dès 1997 par Pavin et coll. Une série de 10 observations de cardiomyopathie aiguë de stress émotionnel nous permet désormais de valider cette entité clinique et de préciser ses caractéristiques.

Les cardiopathies catécholergiques reconnues Les cardiopathies catécholergiques, ou myocardites adrénergiques, sont bien documentées dans le phéochromocytome ou en cas de surdosage en catécholamines exogènes (adrénaline, noradrénaline, isoprénaline, etc.). Les tableaux d’insuffisance cardiaque aiguë, de syndrome coronarien aigu sans lésion angiographique, voire d’arrêt cardiocirculatoire sont liés à une dysfonction systolique ventriculaire gauche circonférentielle de l’apex et des segments adjacents et accompagnés d’anomalies pseudo-ischémiques de l’ECG. Ces anomalies sont réversibles avec le traitement de la cause. L’analyse histologique montre une dégénérescence des myofibrilles sous-endocardiques du ventricule gauche, associant zones d’hypercontraction en bandes, infiltration inflammatoire mononucléaire et fibrose, voire nécrose focale (contraction bands necrosis ).   Constatations épidémiologiques Lors de situations exceptionnelles, psychologiquement traumatisantes pour une population entière, comme les tremblements de terre d’Athènes en 1981 ou de Los Angeles en 1994, une surmortalité subite d’origine cardiaque a été observée, en l’absence de tout traumatisme physique significatif, principalement pendant la première heure du séisme. Cette surmortalité a été expliquée en partie par des syndromes coronaires aigus, mais aussi par une augmentation des morts subites non-ischémiques.   Constatations anatomiques M. Cebelin et C. Hirsch ont conclu en 1980, à l’existence d’une cardiomyopathie secondaire au stress, en retrouvant les mêmes lésions histologiques que celles des cardiopathies catécholergiques citées plus haut, chez 15 personnes décédées subitement sans cause apparente, dans les suites d’une aggression physique.   Constatations cliniques   Syndrome de ballonisation apicale transitoire du ventricule gauche ou cardiomyopathie « takotsubo » Ce syndrome décrit initialement au Japon par Satoh et coll. en 1990 puis plus récemment en Occident par Desmet et coll., est l’objet de diverses hypothèses physiopathogéniques (spasme coronaire, dysfonction endothéliale de la microcirculation, toxicité catécholergique directe, etc.). Ce syndrome est défini morphologiquement par une dysfonction systolique aiguë, réversible, là aussi particulière dans sa localisation apicale et péri-apicale, circonférentielle (sans correspondance directe avec l’anatomie coronaire). Il occasionne, dans une population essentiellement féminine (86 %) et âgée (67 à 75 ans selon les séries), des douleurs thoraciques (67 %), œdèmes pulmonaires (22 %) et parfois chocs cardiogéniques (15 %), et est associé à des anomalies pseudo-ischémiques de l’ECG, ainsi qu’à une élévation discrète de la troponine, en l’absence de sténose coronaire. Le pronostic à moyen terme semble bon, une fois passée la phase initiale (quelques tachycardies et fibrillations ventriculaires [9 %], rares défaillances multiviscérales). Parmi les facteurs déclenchants, le stress psychologique est mentionné mais ne concerne que 20 % des cas. La multiplicité des autres situations pathologiques (AVC, épilepsie, pathologie pulmonaire aiguë, hémorragie digestive, pancréatite, etc.), ou iatrogènes (chirurgie, endoscopie, exercice physique, etc.), voire l’absence de facteur déclenchant (26 %), rendent l’analyse étiopathogénique délicate.   Cardiomyopathie de stress émotionnel Depuis la publication de « The influence of fear on the electrocardiogram » de F. Mainzer et M. Krause en 1940, quelques observations sporadiques d’œdèmes pulmonaires aigus ou d’anomalies ECG secondaires à des stress psychologiques ont été décrites. En 1997, D. Pavin décrivit, grâce à deux observations bien documentées, une cardiomyopathie de stress purement émotionnel. Depuis, nous avons colligé les observations de patients hospitalisés dans les services de cardiologie des CHU de Rennes et Nantes pour cardiomyopathie aiguë secondaire à un stress émotionnel, après avoir éliminé les diagnostics différentiels : maladie coronaire, vasospasme épicardique, myocardite inflammatoire, phéochromocytome, catécholamines exogènes. Cette série de 10 observations nous permet de préciser les caractéristiques d’une forme « pure » de cardiomyopathie de stress.   Caractéristiques de la cardiomyopathie de stress émotionnel   La population touchée est exclusivement féminine, d’âge médian 52 ans (ménopause 7/10), volontiers anxio-dépressive chronique (6/10). Il n’existe pas de cardiopathie sous-jacente, mais une prévalence assez importante d’HTA modérée (6/10) et de dyslipidémie (5/10). Le stress émotionnel déclenchant est brutal : mort subite d’un proche (4/10), altercation verbale violente (3/10), appel au secours nocturne dans l’immeuble (1/10), perte des clefs d’une voiture prêtée pour se rendre à un entretien d’embauche (1/10), frayeur en voyant ses enfants s’approcher de lignes électriques arrachées (1/10). Les symptômes débutent immédiatement après le stress (8/10), ou dans les 3 premières heures : douleur thoracique constante et défaillance hémodynamique (dyspnée par œdème pulmonaire : 5/10 ; état de choc : 7/10), parfois accompagnées de nausées et/ou lipothymies. L’ECG initial montre des anomalies prédominantes en précordial, pouvant mimer un syndrome coronaire aigu : diminution d’amplitude des ondes R, voire des ondes Q, et sus-décalage ST discret. L’évolution est caractéristique : inversion diffuse et profonde des ondes T et allongement important de l’intervalle QT (QTc médian à 510 ms) dans les 48 premières heures, puis régression progressive (figures 1 et 2). Figure 1. ECG enregistrés chez une femme de 78 ans hospitalisée pour douleur thoracique et œdème pulmonaire aigu, survenus immédiatement après une altercation verbale violente.   Figure 2. Angiographie du ventricule gauche réalisée le lendemain de l’admission chez la même patiente. A gauche : Télédiastole. A droite : Télésystole : aspect de ballonnisation apicale du VG avec akinésie apicale et périapicale de façon circonférentielle, contrastant avec l’hyperkinésie basale. L’élévation de la troponine I est constante mais modérée (4 à 9,7 ng/ml), contrastant avec la sévère dysfonction systolique initiale (FE initiale médiane à 22 %), avec hypocinésie voire a- ou dyskinésie circonférentielle apicale et périapicale respectant les segments basaux (donnant l’aspect de « ballonisation apicale » du VG). L’évolution est rapidement favorable, malgré la sévérité initiale, sous traitement symptomatique : amélioration clinique en 48 h, normalisation rapide de la fonction systolique (FE médiane : 55 % à J8, et 61 % à 1 mois). L’ECG se normalise, y compris les ondes Q initiales, mais plus lentement (3 mois en moyenne). Le pronostic est bon, avec un suivi médian de 36 mois en l’absence d’événement cardio-vasculaire, excepté une récidive de cardiomyopathie de stress de présentation similaire (douleur thoracique, OAP et état de choc) pour le même type de stress (décès d’un proche) 4 ans après le premier épisode, et qui guérira sûrement, elle aussi, sans séquelle. Le mécanisme physiopathologique de cette entité clinique méconnue est incertain, et certaines de ses caractéristiques restent inexpliquées (prépondérance des femmes, atteinte segmentaire mais circonférentielle de la contractilité, etc.). Cependant, le lien évident et immédiat entre stress émotionnel et cardiomyopathie aiguë réversible, les similitudes avec les cardiopathies catécholergiques connues et certains modèles expérimentaux de cardiomyopathie de stress émotionnel chez l’animal (prévenues par un double blocage alpha- et bêta-adrénergique) font évoquer un rôle central des catécholamines endogènes.   En pratique La cardiomyopathie de stress d’origine émotionnelle est une nouvelle entité clinique, mimant un syndrome coronaire aigu compliqué de défaillance hémodynamique, avec aspect de ballonisation apicale transitoire du ventricule gauche et évolution électrique particulière (inversion diffuse des ondes T et allongement de l’intervalle QT), survenant chez des femmes volontiers ménopausées et/ou anxio-dépressives, dans les suites immédiates d’un stress émotionnel majeur. L’évolution est marquée par une guérison rapide, l’absence de séquelle, un bon pronostic à distance, mais la possibilité de récidive occasionnée par un nouveau stress. Ce syndrome rare peut être considéré comme un modèle physiopathologique « pur » pour les cardiopathies secondaires à divers stress, tel le syndrome de ballonisation apicale transitoire du ventricule gauche. Une bibliographie sera adressée aux abonnés sur demande au journal.

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