Cardiomyopathies
Publié le 30 avr 2025Lecture 6 min
Intelligence artificielle en IRM cardiaque pour le diagnostic précoce de cardiomyopathie hypertrophique à risque d’insuffisance cardiaque
Jeremy FLORENCE*, Solenn TOUPIN, Théo PEZEL

Les patients atteints de cardiomyopathie hypertrophique sarcomérique (CMH) peuvent être sujets à plusieurs types de complications bien connues : l’insuffisance cardiaque (IC), qu’elle soit d’origine obstructive ou non obstructive, les accidents vasculaires cérébraux et la fibrillation atriale, ainsi que la mort subite(1). Il reste néanmoins une partie des patients ayant un phénotype de CMH bien identifié, et qui restent asymptomatiques au cours du suivi. La détection précoce de l’IC dans ce groupe de patients, afin de faciliter un suivi plus strict et/ou une intervention thérapeutique précoce, reste un défi majeur (figure 1).
Figure 1. Principales complications et thérapeutiques possibles dans le parcours des patients atteints de CMH sarcomérique (d’après Dr Alexander Schulz, présentation orale SCMR 2025).
Une part de patients restent asymptomatiques malgré un diagnostic phénotypique de CMH.
Le but de cette étude était de stratifier le risque d’évolution vers l’IC chez des patients atteints de CMH asymptomatiques, en utilisant une méthode de regroupement automatique de patients (clustering).
Principe général du clustering pour comprendre
Le clustering, ou classification automatique, est une méthode d’intelligence artificielle qui permet de regrouper des patients en fonction de leurs similitudes de phénotype, sans connaître à l’avance ces groupes. Prenons l’exemple de la CMH, pour laquelle on collecte de nombreuses données pour chaque patient : cliniques (âge, symptômes, antécédents familiaux), biologiques (dosages sanguins comme le NT-proBNP, la troponine), échographiques et IRM cardiaques (épaisseur du muscle, fibrose myocardique) et génétiques (présence de variants pathogènes). L’algorithme de clustering analyse ces données et identifie des sous-groupes de patients partageant des caractéristiques similaires. Par exemple, un groupe pourrait inclure de jeunes patients avec une mutation génétique particulière et peu de symptômes, tandis qu’un autre pourrait regrouper des patients plus âgés avec une fibrose myocardique importante et un risque élevé d’arythmie. Cette classification aide les médecins à prédire l’évolution de la maladie, à adapter les traitements et à identifier de nouvelles cibles thérapeutiques. En somme, le clustering permet de mieux comprendre la CMH et de personnaliser la prise en charge des patients.
Méthodes
Il s’agit d’une analyse rétrospective d’une cohorte prospective multicentrique internationale, impliquant 4 centres universitaires aux USA et en Italie (figure 2). L’étude a inclus 377 patients asymptomatiques (NYHA I) atteints de CMH obstructive et non obstructive (49 ± 16 ans, 74 % d’hommes, 51 % de forme obstructive). Les critères d’exclusions étaient un antécédent d’intervention chirurgicale de myomectomie septale, une FEVG < 50 % et un statut NYHA > 1. Tous les patients avaient bénéficié d’une IRM cardiaque entre janvier 2002 et avril 2019. Le suivi s’est tenu jusqu’en janvier 2022. Le critère de jugement principal était composite, incluant :
– l’apparition de symptômes, définie par une détérioration du statut NYHA ≥ 2 ;
– et/ou une altération de la FEVG < 50 % en échocardiographie.
Figure 2. Flow chart de la population à l’étude.
Une méthode de machine learning non supervisée, appelée clustering, a été utilisée pour identifier des clusters homogènes de patients à partir de 20 variables, qui ont été choisies comme données d’entrée du modèle (figure 3) :
– les données démographiques et cliniques (âge, sexe, traitements) ;
– les données échocardiographiques (forme apicale, obstruction) ;
– les données volumétriques et fonctionnelles en IRM cardiaque (épaisseur pariétale, volume atrial, volumes ventriculaires droit et gauche) ;
– l’étendue du rehaussement tardif au gadolinium (LGE) mesurée de manière quantitative, marqueur de fibrose myocardique.
Figure 3. Principe du processus de regroupement non supervisé de variables de type mixte.
Après avoir sélectionné 20 variables dans le jeu de données, les variables catégorielles sont mises à l’échelle à l’aide d’un codage et les variables continues à l’aide de la normalisation Min-Max. Les distances par paires sont calculées pour les deux types de variables individuellement, en utilisant la distance de « Hamming » pour les variables catégorielles et la distance « euclidienne » pour les variables continues. Les distances moyennes sont stockées dans une matrice de distance. Un nombre optimal de clusters est défini à l’aide du score de Silhouette, et un regroupement non supervisé est effectué à l’aide du regroupement K-Medoids sur la base des distances précalculées.
Clustering : explication de la méthode K-Medoids
Les auteurs ont utilisé une méthode de clustering appelée K-Medoids, une variante de l’algorithme K-Means. Contrairement à K-Means, qui utilise une moyenne pour définir les centres de groupes (centroïdes), K-Medoids sélectionne un point réel du jeu de données comme centre de chaque cluster. Cette méthode minimise l’influence des valeurs extrêmes, elle est donc plus robuste aux variations dans le jeu de données.
Voici les principales étapes statistiques utilisées :
Calcul des distances : Une matrice de distances a été établie pour comparer les différents patients entre eux, en prenant en compte les types de données mixtes (continues et catégorielles) qui sont normalisés a priori.
Détermination du nombre optimal de clusters : Le critère du Silhouette Score, qui mesure la cohésion et la séparation des groupes, a permis d’identifier deux clusters optimaux parmi les patients.
Analyse des différences pronostiques entre les clusters : la progression vers l’IC a été calculée entre les clusters en utilisant l’estimateur de Kaplan-Meier pour estimer les courbes de survie, puis comparée avec le test du log-rank. Les caractéristiques des clusters ont été comparées à l’aide de tests t et de tests du chi 2.
Résultats
Au total, 32 (9 %) patients ont at teint le critère de jugement principal au cours d’un suivi moyen de 4 ± 3 ans. Deux clusters distincts de patients asymptomatiques atteints de CMH ont été identifiés (figure 4). Les patients du cluster 1 avaient un risque plus élevé de progression vers l’IC au cours du suivi comparativement au cluster 2 (cluster 1 : 21/191 (11 %) vs cluster 2 : 11/186 (5,9 %), p = 0,039). Les patients du cluster 1 étaient significativement plus âgés et avaient plus de fibrillation atriale que le cluster 2, mais étaient comparables sur le genre, l’obstruction et la forme apicale. Les patients du cluster 1 avaient une épaisseur de paroi myocardique, une masse VG et une étendue de LGE significativement plus faible, tandis que les volumes ventriculaires VG et VD, et la fraction d’éjection étaient altérés comparativement au cluster 2.
Figure 4. Deux clusters sont identifiés, le cluster 1 (en orange) avec un risque plus élevé de progression vers l’insuffisance cardiaque comparativement au cluster 2 (en bleu).
Les patients du cluster 1 étaient significativement plus âgés, avaient une épaisseur pariétale myocardique et des volumes ventriculaires significativement plus faibles, comparativement au cluster 2. Le test du log-rank montre une probabilité plus élevée de progresser vers l’IC chez les patients du cluster 1 versus les patients du cluster 2 (p = 0,039).
Limites de l’étude
Il s’agit d’un petit échantillon de patients recrutés dans des centres tertiaires majoritairement pour une intervention de myomectomie septale, il est donc possible qu’un biais de sélection soit présent dans cette analyse. Si tous les patients disposaient d’une IRM cardiaque à l’inclusion, seulement une échocardiographie était réalisée durant le suivi. De plus la réalisation de tests génétiques n’était pas systématique dans cette étude, nous ne pouvons donc pas généraliser ces résultats aux patients dont le statut génétique est connu. Enfin, nous pouvons remarquer que, si la technique de clustering semble robuste, aucune validation croisée ni validation externe n’est réalisée dans cette étude, ce qui fragilise la robustesse de ces résultats pour d’autres populations de patients atteints de CMH sarcomérique asymptomatique.
EN PRATIQUE
• Une approche de clustering basée sur des paramètres cliniques, échocardiographiques et d’IRM cardiaque, met en évidence un cluster de patients asymptomatiques atteints de CMH qui présente un risque plus élevé de progression vers l’IC à long terme.
• Les caractéristiques de ce groupe doivent être étudiées de manière plus fine afin d’améliorer la prévention précoce de l’IC chez ces patients.
* Plateforme de recherche en imagerie cardiovasculaire MIRACL.ai (Multimodality Imaging for Research and Analysis Core Laboratory and Artificial Intelligence), AP-HP, Paris Service de Cardiologie et Radiologie, CHU Lariboisière (AP-HP), Paris
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