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Valvulopathies

Publié le 14 déc 2010Lecture 9 min

Rétrécissement aortique asymptomatique - Quels sont les patients à haut risque ?

J.-L. MONIN, CHU Henri Mondor, Créteil

En cas de rétrécissement aortique calcifié (RAC) sévère, la chirurgie au stade asymptomatique reste largement débattue. Une étude Sud Coréenne récente est en faveur d’une meilleure survie à moyen terme en cas de chirurgie précoce, par comparaison à une décision opératoire basée sur les symptômes. Une autre étude récente est en faveur d’un mauvais pronostic à court terme si le pic de vitesse trans-valvulaire initial est ≥ 5,5 m/s. Ces 2 études publiées en 2010 éclairent d’un nouveau jour la stratification du risque en cas de RAC sévère asymptomatique.

La chirurgie au stade asymptomatique est-elle justifiée ? Un article Sud Coréen publié dans le numéro de Circulation du 06 avril 2010 ravive le débat sur la chirurgie précoce en cas de rétrécissement aortique calcifié (RAC) sévère asymptomatique 1. Entre 1996 et 2006, 197 patients ayant un RAC sévère asymptomatique ont été suivis de manière prospective ; les critères d’inclusion étaient une surface aortique < 0,75 cm2 avec un pic de vitesse trans-valvulaire ≥ 4,5 m/s ou un gradient de pression moyen ≥ 50 mmHg. Le critère de jugement primaire était un composite de mortalité péri-opératoire et de décès d’origine cardiaque pendant la période de suivi. Un remplacement valvulaire au stade asymptomatique (dans les 3 mois suivant le diagnostic) a été pratiqué chez 102 patients. À l’opposé, 95 patients ont été pris en charge de manière conventionnelle. Il n’y avait pas de différence significative entre les 2 groupes en termes d’âge, de sexe ou de facteurs de risque opératoire. Après un suivi moyen de 4 ans, il n’y avait aucun décès d’origine cardiaque ni décès péri-opératoire dans le groupe opéré précocement. À l’opposé, 18 décès d’origine cardiaque sont survenus dans l’autre groupe. Le taux actuariel de mortalité à 6 ans était de 2 % dans le groupe « chirurgie précoce » contre 32 % dans le groupe conventionnel (p < 0,001). Cette étude non randomisée présente certaines limites qui empêchent d’en généraliser les résultats, notamment une population relativement jeune (âge moyen de 63 ans) et l’exclusion systématique des patients coronariens. Elle s’inscrit néanmoins dans une tendance en faveur d’une chirurgie plus précoce en cas de RAC sévère asymptomatique. Opérer ou attendre : le pour et le contre En présence d’un RAC sévère asymptomatique, le cardiologue praticien peut être tenté de proposer une chirurgie précoce pour les raisons suivantes : 1/ le risque de mort subite non précédée de symptôme ; 2/ le risque de décès en attente de chirurgie (en fonction des centres les délais peuvent être plus ou moins longs) ; 3/ le risque de fibrose myocardique avec dysfonction ventriculaire gauche irréversible et 4/ l’anxiété du patient (et de son cardiologue) en attente d’une opération qu’il sait inéluctable. À l’opposé, les arguments en faveur d’une attitude conservatrice sont : 1/ le risque opératoire, au minimum de 2-3 % chez un patient de moins de 75 ans sans comorbidité ni chirurgie coronaire associée ; ce risque peut largement dépasser les 10-15 % chez un patient de plus de 80 ans coronarien et insuffisant rénal ou respiratoire. 2/ Au-delà du risque immédiat, les complications liées à la mise en place d’une prothèse mécanique ne peuvent être négligées : hémorragie, thrombose, endocardite, dont l’incidence cumulée est de 2-3 % par an. De ce fait, une stratification du risque est indispensable afin de dépister les patients dont le risque d’évènements cardiaques est élevé, justifiant une intervention précoce. Mort subite de novo : quel est le risque ? La mort subite non précédée de symptômes est un épouvantail agité par les partisans de la chirurgie précoce. Dans un étude rétrospective de la Mayo Clinic incluant 622 patients, Pellikka et al. rapportaient 11 cas de mort subite de novo (4 % des patients non opérés) 2. Cependant, plus de la moitié de ces patients n’avaient pas été examinés depuis plus d’un an, ce qui rend plausible le fait que d’éventuels symptômes soient apparus entre temps. L’ensemble des études prospectives récentes montre une incidence de mort subite de l’ordre de 0,5 % par an 3-6. Si l’on met ce taux en balance avec un risque opératoire situé entre 2 et 15 %, le risque de décès péri-opératoire est donc 4 à 30 fois plus élevé que le risque annuel de mort subite. Il est donc évident que le rapport bénéfice/ risque n’est pas en faveur de la chirurgie. En conséquence, les recommandations internationales sont très claires : la chirurgie précoce ne doit pas être proposée en cas de RAC sévère asymptomatique dans le seul but de prévenir la mort subite (ACC/ AHA 2006). Quels sont les patients à haut risque d’évènements cardiaques ? Calcification valvulaire aortique L’échocardiographie permet dévaluer le degré de calcification valvulaire, dont l’importance a été rappelée dans une étude prospective parue en 2 000 dans le New England Journal of Medicine 5. Dans cette étude, les calcifications étaient évaluées par échographie transthoracique (incidence parasternale transverse) en 4 grades : absence de calcification (grade 1) ; calcifications limitées à une ou deux sigmoïdes (grade 2) ; calcifications diffuses touchant les 3 sigmoïdes (grade 3) et calcification massive (grade 4). Malgré son caractère relativement subjectif, la distinction entre les grade 1-2 et grades 3-4 avait une valeur pronostique indépendante pour la survenue des symptômes 5. En pratique, bien que le degré de calcification soit assez souvent lié à la sévérité hémodynamique, il est indubitable que cette analyse doit figurer en bonne place dans un compte-rendu d’échographie, compte tenu de sa forte valeur pronostique. Pic de vitesse trans-valvulaire Le pic de vitesse trans-valvulaire est enregistré préférentiellement grâce à la sonde Pedoff (Doppler continu) en multipliant les incidences afin d’optimiser l’alignement sur le jet, notamment par voie para sternale droite (figure 1). L’étude prospective de Seattle avait démontré en 1997 l’importance du pic de vitesse pour prédire la survenue d’évènements cardiaques4. Dans cette étude, 80 % des patients avaient été opérés après 2 ans de suivi en cas de pic de vitesse > 4,0 m/s lors du premier examen. Cependant, les indications chirurgicales dans cette série étaient relativement larges, considérant que 38 % des patients ont été opérés pour une diminution de leur tolérance à l’effort lors des tests d’efforts pratiqués tous les 6 mois4. Une étude Autrichienne parue récemment permet de préciser les choses : Rosenhek et col.6 ont suivi de manière prospective 116 patients consécutifs (57 femmes et 59 hommes, âge moyen : 67±16 ans) ayant un RAC très sévère, défini par un pic de vitesse trans-valvulaire initial ≥ 5,0 m/s. À l’entrée dans l’étude, tous les patients étaient asymptomatiques avec un pic de vitesse trans-valvulaire à 5,4 ± 0,4 m/s et une surface aortique à 0,6 ± 0,1 cm2. Après 3 ans de suivi, 96 évènements sont survenus : 6 décès d’origine cardiaque et 90 indications opératoires, essentiellement dues à l’apparition de symptômes. Une pic de vitesse trans-valvulaire > 5,5 m/s était un facteur prédictif indépendant d’évènements cardiaques ; à l’opposé, une surface valvulaire aortique < 0,6 cm2 n’était pas discriminante. En effet, la survie à sans événement cardiaque 2 ans était de 25 % en cas de pic de vitesse initial ≥ 5,5 m/s, comparé à 43 % en cas de pic de vitesse < 5,5 m/s6. Les auteurs concluent qu’en cas de pic de vitesse initial ≥ 5,5 m/s, il existe un haut risque de survenue des symptômes ou de complications cardiaques à brève échéance (75 % à 2 ans) ; une chirurgie au stade asymptomatique paraît donc licite dans ce cas6. Figure 1. Examen par sonde PEDOF par voie parasternale droite Surface valvulaire aortique Entendons nous bien, il ne faut certainement pas conclure du paragraphe précédent que le calcul de la surface aortique par équation de continuité est devenu inutile, voire dépassé. Il faut continuer à mesure le diamètre de la chambre de chasse, recueillir l’intégrale temps vitesse (ITV) sous aortique et l’ITV trans-valvulaire afin de calculer la surface aortique brute, voire indexée à la surface corporelle en dehors des patients très obèses. La confrontation de la surface aortique aux gradients de pressions trans-valvulaire et à la fonction systolique ventriculaire gauche reste une étape très importante dans l’évaluation d’un RAC, ne serait-ce que pour vérifier la cohérence entre les différents indices. Cependant, en termes purement pronostiques, le pic de vitesse mesuré en Doppler continu semble avoir un impact plus fort que la surface valvulaire pour prédire la survenue d’évènements cardiaques : symptômes et mort subite notamment3, 6, 7. Une des explications à cela pourrait être la meilleure reproductibilité du pic de vitesse, qui ne dépend que d’une seule mesure, par comparaison à la surface valvulaire qui nécessite 3 mesures successives, donc 3 causes d’erreur potentielles. Intérêt de l’épreuve d’effort (ECG d’effort) La place de l’ECG d’effort dans les recommandations actuelles se fonde essentiellement sur 2 études. Une première étude brésilienne comprenant 66 patients ayant un RAC sévère asymptomatique (surface valvulaire < 1,0 cm2) sans autre valvulopathie ni maladie coronaire associée8. Après un test d’effort réalisé sur tapis roulant, les patients ont été suivis de manière prospective pendant 2 ans en moyenne. Le test d’effort était positif dans la majorité des cas (67 %) ; il a permis de démasquer des symptômes chez 20 patients (30 %), essentiellement lipothymie (n = 7), ou angor d’effort (n = 12). Un événement cardiaque (mort subite ou apparition des symptômes) est survenu ultérieurement chez 80 % des patients ayant un test d’effort positif contre seulement 14 % des patients dont le test était négatif (p = 0,001). Quatre cas de mort subite ont été rapportés dans cette série, le test d’effort était positif dans tous les cas sous la forme d’un angor d’effort (3/4) accompagné d’un sous décalage du segment ST ³ 1,5 mm (3/4) et d’une faible élévation tensionnelle (4/4). Ce travail démontre la forte valeur pronostique du test d’effort, notamment pour le risque de mort subite (figure 2)8. Le but de la deuxième étude (anglaise) était de corréler les résultats du test d’effort avec l’apparition de symptômes dans l’année, chez 125 patients asymptomatiques âgés de 65 ans en moyenne 9. Le test d’effort a permis de démasquer des symptômes chez 46 patients (37 %) : dyspnée (n = 28), gêne thoracique (n = 12) ou lipothymie (n = 6 ), ce qui était le seul facteur prédictif indépendant d’évènements cardiaques dans cette étude9. La principale limite de cette étude réside dans le fait que le symptôme le plus fréquent était la dyspnée d’effort, dont le caractère pathologique reste d’appréciation subjective. Figure 2. Valeur pronostique de l’épreuve d’effort. Perspectives d’avenir : échographie d’effort, peptides natriurétiques, déformation myocardique Nombre de publications récentes sont en faveur d’un intérêt des dosages de BNP et NT-proBNP pour prédire la survenue d’évènements cardiaques en cas de RAC asymptomatique. Les travaux de Bergler Klein et al. et Lim et al. ont fixé le seuil pronostique autour de 100 pg/ml pour le taux de BNP dans la sténose aortique10, 11. Plus récemment, un autre travail de notre groupe a proposé de calculer un score de risque en cas de RAC asymptomatique, essentiellement basé sur le pic de vitesse trans-valvulaire et le taux de BNP afin de dépister les patients à haut risque d’évènements cardiaques dans les 2 ans 3. Dans cette étude, le taux d’évènements cardiaque augmente progressivement en fonction de la valeur du score (figure 3). D’autres études ont démontré la valeur pronostique de l’échographie d’effort : les 2 principales montrent qu’une augmentation du gradient moyen trans-valvulaire > 20 mmHg pendant l’effort est un facteur pronostique indépendant qui ajoute à la valeur de l’échographie de repos et du test d’effort simple12, 13. La principale limite de l’échographie d’effort la difficulté technique pour enregistrer les gradients trans-valvulaires pendant l’effort. Encore plus récemment, l’intérêt de l’étude de la déformation longitudinale myocardique par Speckle Tracking (2D-Strain) a été rapporté (figure 4)14. Cependant, l’ensemble de ces nouvelles méthodes doit être validé plus largement avant de faire partie de notre pratique quotidienne et a fortiori de figurer dans les recommandations. Figure 3. Augmentation du taux d’événements en fonction de la valeur du score. Figure 4. Etude de la déformation longitudinale myocardique (2 D – strain). En pratique D’après les recommandations internationales concernant les RAC sévères asymptomatiques (ESC 200715), les patients à haut risque justifiant d’une chirurgie précoce relèvent de 4 catégories : 1/ présence d’une dysfonction ventriculaire gauche définie par une fraction d’éjection < 50 % (indication de Classe 1) ; 2/ nécessité d’une chirurgie cardiaque de pontages ou autre (Classe 1) ; 3/ test d’effort positif démasquant des symptômes à l’effort (Classe 1) ; 4/ test d’effort positif avec chute de la pression artérielle à l’effort (Classe 2a)15. Par ailleurs, au vu de la littérature récente, il semble qu’un pic de vitesse trans-valvulaire > 5,5 m/s soit associé à un fort taux d’évènements dans les 2 ans. De même, la conjonction d’un RAC sévère et d’un fort taux de BNP (en pratique > 100 pg/ml), voire un score de risque élevé (combinant pic de vitesse et BNP) seront peut être des indications opératoires dans un avenir proche, bien que ces nouveaux indicateurs nécessitent encore d’être validés plus largement.

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