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Thrombose

Publié le 19 juin 2012Lecture 10 min

Traitement de la maladie thromboembolique veineuse par héparines de bas poids moléculaire

T. MIRAULT, hôpital européen Georges-Pompidou, Université Paris Descartes

La thérapeutique de la maladie thromboembolique veineuse (MTEV) connaît une véritable révolution depuis quelques années avec l’arrivée de nouvelles molécules anticoagulantes administrables par voie orale : les nouveaux anticoagulants (NAC). La révolution tient plus au fait qu’ils vont détrôner dans la plupart de leurs indications les antivitamines K (AVK), médicaments issus de l’après-seconde-guerre mondiale, avec une sécurité d’emploi égale voire supérieure mais surtout un maniement simplifié. Leurs indications dans le traitement curatif et en prévention de la récidive de la MTEV devraient être validées par les agences administratives prochainement. A l’instar des AVK, les héparines de bas poids moléculaires (HBPM) ont également été utilisées comme comparateurs des NAC dans les essais de phase III : surtout en prévention chirurgicale, mais également en prévention médicale et en traitement curatif pour l’un d’entre-eux, le rivaroxaban. Malgré tout les HBPM restent à l’heure actuelle la classe thérapeutique de choix dans certaines situations que nous allons aborder : grossesse, cancer, prophylaxie en milieu médical, prophylaxie en milieu chirurgical non orthopédique.

Indications des différentes HBPM dans la MTEV   Le tableau 1 résume les indications des différentes HBPM disponibles sur le marché français et leurs posologies de prescription, selon le résumé des caractéristiques du produit (RCP) et les recommandations professionnelles(1,2).   Les HBPM instaurées avant introduction d’un NAC   Afin de prévenir les récidives précoces de MTEV lors de la phase initiale de traitement, les investigateurs des grands essais sur les NAC ont maintenu un traitement avec héparines avant relais par le NAC testé, ou ont augmenté la posologie du NAC testé durant les premières semaines. Ces craintes de récidives précoces de MTEV proviennent des résultats de deux grands essais antérieurs : THRIVE avec le ximélagatran(3), et Van GOGH avec l’idraparinux(4). Dans THRIVE, le ximélagatran à la dose de 36 mg, 2 fois par jour, pendant 6 mois, était comparé à l’enoxaparine (Lovenox®) 100 UI anti-Xa/kg en sous-cutané (SC) 2 fois par jour avec relais par warfarine pour un total de 6 mois. Si à 6 mois, le taux de récidive de MTEV était non différent (2,1 % vs 2,0 %), à 30 jours, on observait un taux de récidive supérieur de 0,7 points (1,5 % vs 0,8 %) dans le groupe ximélagatran, à la limite de la significativité (intervalle de confiance 95 % (IC 95 %) [-0,1–1,6]). Dans l’étude Van GOGH, l’idraparinux à la dose de 2,5 mg en SC par semaine puis 1,5 mg en SC à partir de la 2nde injection pendant 3 ou 6 mois était comparé à tinzaparine (Innohep®), enoxaparine (Lovenox®), ou héparine non fractionnée (HNF) puis relais AVK. Dans le groupe inclus pour embolie pulmonaire, le taux de récidive était supérieur de 1,8 points (3,4 % vs 1,6 %) soit un hazard ratio (HR) de 2,14 (IC 95 % [1,21–3,78]). Cette augmentation de récidives précoces n’était pas observée dans le groupe inclus pour thrombose veineuse profonde distale.   Dans les essais récents des NAC comme traitement curatif de la MTEV, deux approches ont été réalisées afin de limiter les récidives précoces.   L’augmentation des posologies dans la période initiale de traitement Dans les essais EINSTEIN DVT et EINSTEIN PE, le rivaroxaban (Xarelto®) a été administré d’emblée à une posologie de 15 mg deux fois par jour pendant 3 semaines puis 20 mg par jour en comparaison à l’enoxaparine (Lovenox®) 100 UI anti-Xa/kg en sous-cutané (SC) 2 fois par jour avec relais par warfarine pendant 3, 6 ou 12 mois(5).   Le taux de récidive de MTEV ne différait globalement pas (à 3 ; 6 ou 12 mois) entre les 2 groupes de traitement: 2,1 % vs 3,0 % soit un HR de 0,68 (IC 95 % [0,44–1,04]). Le rivaroxaban (Xarelto®), seul, est donc non inférieur à un régime HBPM avec relais AVK en traitement curatif des thromboses veineuses profondes. Les résultats de l’essai Einstein-PE dans l’embolie pulmonaire ne sont pas encore disponibles.   L’apixaban (Eliquis®), en cours de phase III avec l’essai AMPLIFY, est administré d’emblée à une posologie de 10 mg deux fois par jour pendant 7 jours puis 5 mg deux fois par jour en comparaison à l’enoxaparine (Lovenox®) avec relais par warfarine pendant 6 mois.   L’instauration du NAC après traitement par héparines Dans l’essai RECOVER, le dabigatran (Pradaxa®) a été introduit après au moins 5 jours d’anticoagulation par héparines (HBPM ou HNF) à la dose de 150 mg deux fois par jour comparé à un relais par warfarine pendant 6 mois. Le dabigatran (Pradaxa®) 150 mg était donné 2 heures avant la prochaine dose prévue d’HBPM ou 2 heures avant l’arrêt de l’HNF(6). Le taux de récidive de MTEV ne différait pas au terme des 6 mois de traitements : 2,4% vs 2,1% soit un HR de 1,10 (IC 95 % [0,65–1,84]).   L’edoxaban, en cours de phase III avec l’essai HOKUSAI-VTE, est introduit après au moins 5 jours d’anticoagulation par héparines (HBPM ou HNF) à la dose de 60 mg par jour comparé à un relais par warfarine pendant 6 à 12 mois.   En conclusion, les HBPM (enoxaparine [Lovenox®] et tinzaparine [Innohep®]) ou l’HNF resteront le traitement de la phase initiale en cas d’embolie pulmonaire ou thrombose veineuse profonde avant relais par le dabigatran (Pradaxa®) ou l’edoxaban (si les résultats de l’essai HOKUSAI-VTE sont probants). En revanche, le rivaroxaban (Xarelto®) ou l’apixaban (Eliquis®) (si les résultats de l’essai AMPLIFY sont probants) pourraient être prescrits d’emblée, mais à une dose plus forte durant les 7 ou 21 premiers jours. Bien sûr, tout ceci sous réserve des autorisations de mise sur le marché (AMM) définitives.   Prophylaxie de la MTEV en milieu médical : HBPM vs NAC   La prévention de la MTEV en milieu médical est actuellement recommandée pendant 7 à 14 jours avec les molécules suivantes à doses prophylactiques : enoxaparine (Lovenox®), daltéparine (Fragmine®) et fondaparinux (Arixtra®), (tableau). Cela concerne une catégorie de patients sélectionnés : patients âgés de plus de 40 ans, hospitalisés pour une durée prévue de plus de 3 jours en raison : - d’une décompensation cardiaque ou respiratoire aiguë ou - d’une infection sévère, d’une affection rhumatologique inflammatoire aiguë, d’une affection inflammatoire intestinale, associées à un facteur de risque de MTEV notamment : âge > 75 ans, cancer, antécédent thromboembolique veineux, traitement hormonal, insuffisance cardiaque ou respiratoire chronique, syndrome myéloprolifératif.    Une prophylaxie est également proposée chez les patients non hospitalisés avec une restriction de mobilité de plus de 3 jours et une affection médicale aiguë comme précédemment définie avec le même degré de sévérité(1,7).   En prophylaxie en milieu médical, deux NAC ont été comparés à l’enoxaparine (Lovenox®). Dans l’essai ADOPT)(8), l’apixaban (Eliquis®) a été administré à une posologie de 2,5 mg deux fois par jour pendant 30 jours, comparé à l’enoxaparine (Lovenox®) 40 mg en SC pendant 6 à 14 jours. En termes d’efficacité : pas de différence à 14 jours (1,73 % vs 1,61 %) ou à 30 jours (2,71 % vs 3,06 %) sur la survenue d’événements thromboemboliques. En termes de sécurité d’emploi, pas d’augmentation du risque hémorragique à 14 jours ; alors qu’à 30 jours les saignements majeurs sont de0,47 % vs 0,19 % (p = 0,04) soit un HR de 2,58 (IC 95 % [1,02–7,24]).   Dans l’essai MAGELLAN, non publié(9), le rivaroxaban (Xarelto®) a été administré à une posologie de 10 mg par jour pendant 35 ± 4 jours comparé à l’enoxaparine (Lovenox®) 40 mg en SC pendant 10 ± 4 jours. En termes d’efficacité : pas de différence à 10 jours (2,7 % vs 2,7 %) mais réduction à 35 jours (4,4 % vs 5,7 %) (p = 0,02) sur la survenue d’événements thromboemboliques. En termes de sécurité d’emploi, augmentation à 10 jours (2,8 % vs 1,4 %) (p < 0,0001) et entre 11 et 35 jours (1,4 % vs 0,5 %) (p < 0,0001) des saignements majeurs ou cliniquement relevant.   En conclusion, les NAC ne sont pas supérieurs en terme d’efficacité que l’enoxaparine (Lovenox®) en prophylaxie de la MTEV en milieu médical, en revanche leur sécurité d’emploi est inférieure avec plus de saignements majeurs.   Prophylaxie de la MTEV en milieu chirurgical : HBPM vs NAC   La prophylaxie de la MTEV en chirurgie orthopédique majeure pour prothèses totales de hanche ou de genou, a été le premier champ d’application des NAC par les laboratoires pharmaceutiques. Ainsi, le dabigatran (Pradaxa®), le rivaroxaban (Xarelto®), l’apixaban (Equilis®) ont démontré leur non-infériorité et leur sécurité d’emploi, comparés à l’enoxaparine (Lovenox®).   Toutefois, les autres types de chirurgie n’ont pas fait l’objet d’études avec les NAC. Les HBPM, le fondaparinux (Arixtra®) restent les traitements de choix en prophylaxie de la MTEV en milieu chirurgical. (tableau)   Pour la chirurgie orthopédique majeure de fracture de hanche, la prophylaxie par HBPM débute dès l’arrivée du patient, et au plus tard 12 h avant la chirurgie. En post-opératoire le fondaparinux est supérieur aux HBPM. Il est recommandé de maintenir la prophylaxie jusqu’au 35e jour post-opératoire. Pour le polytraumatisé, comme pour la fracture du fémur, ou du plateau tibial, il est suggéré de débuter la prophylaxie par HBPM dans les 36 heures suivant l’admission, et de la poursuivre en l’absence d’événements hémorragiques.   Pour la chirurgie digestive, il est recommandé de réaliser une prophylaxie par HBPM à dose élevée ou fondaparinux (Arixtra®) 2,5 mg par jour, jusqu’au 10e, voire 30e jour post-opératoire en cas de chirurgie majeure abdomino-pelvienne (abdominoplastie, foie, pancréas, côlon, maladie inflammatoire ou cancer du tube digestif).(10)   Traitement en situation de cancer en cours de traitement   Les dernières recommandations (9e édition, 2012) de l’ACCP apportent une nouveauté dans la prévention de la MTEV chez les patients avec cancer. En effet, alors qu’auparavant, les recommandations allaient contre une prophylaxie, en dehors des situations habituelles chirurgicales ou médicales comme tout patient, elles recommandent désormais pour les patients ambulatoires avec cancer solide, et un facteur de risque additionnel de MTEV (antécédent de MTEV, immobilisation, hormonothérapie, inhibiteurs de l’angiogénèse, thalidomide ou lenalidomide) l’utilisation d’HBPM ou d’HNF à doses prophylactiques(7). L’étude récente SAVEONCO(11) d’Agnelli et al. A d’ailleurs démontré une diminution de 64 % de la survenue d’un premier événement thromboembolique sous semuloparin, une héparine de très bas poids moléculaire, chez les patients sous chimiothérapie pour cancer solide, et ce sans surrisque hémorragique.   Le traitement curatif de la MTEV par AVK en présence d’un cancer évolutif est moins efficace et moins bien toléré que chez les patients indemnes de cancer, alors que le traitement prolongé par HBPM permet une réduction importante du risque de récidive (50 %) sans réduction de tolérance.(12-16)   Ces résultats ont été obtenus avec des posologies d’HBPM adaptées au contexte. (tableau) La durée du traitement est de 3 à 6 mois. Au delà, il est nécessaire de réévaluer le bénéfice par rapport au risque hémorragique et à l’acceptabilité des injections SC par le patient. Un relais par AVK peut toujours être envisagé selon le souhait du patient.(1,2,7)   En cas de thrombopénie < 50 G/L, il est recommandé d’interrompre le traitement par HBPM et de le reprendre quand la concentration repasse au-dessus de ce seuil.   Parmi les NAC, seuls le dabigatran et le rivaroxaban ont démontré leur non-infériorité face au traitement AVK dans le traitement curatif de la MTEV, avec entre 5 et 7 % de patients avec cancer actif. Toutefois il n’y a pas d’étude comparant l’efficacité et la tolérance des NAC face aux HBPM, laissant ces dernières les mieux indiquées dans cette situation à ce jour.   Traitement en situation de grossesse   La MTEV complique 1 à 2 grossesses sur 1 00017-19 et la grossesse constitue un critère d’exclusion de l’ensemble des essais thérapeutiques randomisés contrôlés. Toutefois de nombreuses publications attestent de l’efficacité des HBPM et de leur sécurité d’emploi au cours de la grossesse. Les HBPM sont les anticoagulants de choix au cours de la grossesse selon les recommandations(20), mais leur utilisation comporte des zones d’ombre. Faut-il ajuster la posologie à la prise de poids durant la grossesse, ou se contenter du poids initial avant grossesse ? Faut-il préférer les HBPM à 2 ou 1 injection(s) par jour, étant donné l’augmentation du volume de distribution et du débit de filtration rénale durant la grossesse. D’après les études de cohorte l’utilisation des HBPM à 1 injection ne semble pas majorer le risque de récidive(21,22). L’évolution des paramètres pharmacocinétiques des HBPM durant la grossesse sont contradictoires. Une injection vs 2 injections par jour : idem(23).   Les HBPM ne passent pas la barrière hématoplacentaire et présentent une sécurité d’emploi pour le fœtus(24). En revanche, les antivitamines K induisent une carence en vitamine K chez le fœtus après passage placentaire, peuvent engendrer une foetopathie, dite coumarinique mais survenant également avec les indanediones, caractérisée par une hypoplasie nasale, une microcéphalie, une chondrodysplasie ponctuée, et une micromélie rhizomélique(25). La période d’exposition à risque se situe entre la 6e et la 9e semaines d’aménorrhée. Ce risque est estimé entre 4 et 10 % d’après les grossesses menées sous AVK pour valves mécaniques(26,27). Plus tard, l’exposition au cours du 2e et 3e trimestre expose à une foetopathie cérébrale(28,29). Ainsi il paraît licite d’utiliser les HBPM à la place des AVK pour la prise en charge de la MTEV au cours de la grossesse. Le danaparoïde de synthèse (Orgaran®) ou le fondaparinux (Arixtra®) sont des alternatives à préferer aux AVK en cas d’antécédent de thrombopénie induite par l’héparine. Il convient de garder à l’esprit la possibilité de passage placentaire du fondaparinux(30) et les difficultés d’équilibre de l’anticoagulation par danaparoïde sodique avec risque de complication par surdosage pour la femme enceinte(31).   L’allaitement est contre-indiqué avec le groupe des indanediones (fluindione : Previscan®), alors qu’il est possible sous coumariniques (acenocoumarol : Sintrom®, warfarine : Coumadine®), car ceux-ci passent en très faible quantité dans le lait maternel, sans aucun effet indésirable observé chez les enfants allaités.   Concernant les NAC, leur efficacité au cours de la grossesse n’est pas évaluée, les femmes enceintes étant exclues de l’ensemble des essais. Leur toxicité fœtale est quant à elle démontrée clairement pour le dabigatran et le rivaroxaban, ce qui laisse supposer leur contre-indicationformelle durant la grossesse dans les prochains résumés des caractéristiques des produits.   En pratique   Nous venons de parcourir différentes indications en prévention ou en traitement curateur de la maladie thromboembolique veineuse où les HBPM restent le traitement de référence malgré l’arrivée des nouveaux anticoagulants. Si le traitement au cours de la grossesse et l’allaitement, ou le traitement initial avant relais (pour certains NAC) seront difficiles à contrer, les indications de prévention et en situation de cancer actif feront certainement l’objet d’essais à venir. Ainsi, dans cette révolution thérapeutique, plus que de substituer un traitement pour l’autre, l’arrivée des NAC élargit le choix et redéfinit la place de chacun des traitements disponibles au cours de la MTEV.

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