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Vasculaire

Publié le 15 mar 2020Lecture 10 min

Anévrisme de l’aorte ascendante : ce que le cardiologue doit savoir

Guillaume LEBRETON, Chirurgie cardiaque, GH Pitié-Salpêtrière, Sorbonne Université, Paris

L’anévrisme de l’aorte ascendante est une pathologie relativement fréquente qui expose à des complications létales : la rupture et la dissection aortique. Le risque de complication étant corrélé à la taille de l’anévrisme, la prise en charge consiste, outre le contrôle de la tension artérielle, à surveiller l’évolution du diamètre de l’anévrisme (angio-TDM) et la valve aortique (échocardiographie). En dehors d’une indication portée sur la valve aortique, la chirurgie, seul traitement curatif de l’anévrisme, sera proposée lorsque le risque de rupture devient supérieur au risque opératoire pour mettre le patient à l’abri d’une dissection ou d’une rupture aortique. Les seuils d’opérabilité varient en fonction de la pathologie sous-jacente (maladie de Marfan vs absence de pathologie du tissu élastique), d’un geste chirurgical associé, de la croissance de l’anévrisme, du risque opératoire, etc. L’intervention consiste à remplacer l’aorte ascendante et reste à faible risque (< 1 %) dans des centres experts.

L'anévrisme de l’aorte ascendante touche 3 à 4 % des patients de plus de 65 ans et expose à un risque létal de dissection aortique et/ou de rupture aortique. Les enjeux consistent à identifier les patients à risque pour leur proposer une chirurgie, seul traitement curatif. L’aorte ascendante L’aorte ascendante (figure 1A) débute au niveau de l’anneau aortique et s’étend jusqu’au tronc artériel brachiocéphalique, au-delà duquel l’aorte horizontale donne naissance aux troncs supra-aortiques (segment II), puis chemine en postérieur pour devenir l’aorte thoracique descendante (segment III). Dans sa portion ascendante, l’aorte est mobile et intrapéricardique, et donne naissance aux artères coronaires. La valve aortique, l’anneau la racine aortique et l’aorte ascendante constituent une seule et même entité anatomique et fonctionnelle. Les pathologies affectant l’un de ces éléments ont un retentissement sur les autres. On distingue alors deux types d’anévrismes de l’aorte ascendante, selon qu’ils affectent ou non la racine aortique (anévrisme de la racine aortique vs anévrisme développé au-dessus de la jonction sinotubulaire). La racine aortique n’est pas statique, il s’agit d’un élément anatomo-physiologique dynamique, qui répond à des proportions particulières pour assurer la biomécanique de la valve aortique (figure 1B). Un anévrisme de la racine peut entraîner une fuite valvulaire. Celle-ci peut être la conséquence d’une dilatation de l’anneau, mais aussi de la traction des commissures valvulaires par les parois aortiques. Ces mécanismes doivent être finement analysés lorsqu’une chirurgie est proposée. Figure 1. Anatomie de l’aorte ascendante. A. Segments aortiques. B. Rapports géométriques de la racine aortique (segment 0). JST : jonction sinotubulaire ; DA : diamètre de l’anneau aortique ; HE : hauteur effective ; PV : profondeur de valvule ; HCo : hauteur de coaptation On distingue principalement 3 groupes d’étiologies des anévrismes et des maladies annulo-ectasiantes : les pathologies acquises (hypertension, âge, aortite, dissection, traumatisme, etc.), congénitales (bicuspidie, Fallot, etc.), et du tissu élastique ou conjonctif (Marfan, Ehler-Danlos, etc.). La taille de l’aorte (2-4 cm chez l’adulte) varie suivant la corpulence, le sexe et l’âge des patients (figure 2). On parle d’ectasie lorsque le diamètre maximal de l’aorte dépasse le 95e percentile normé pour l’âge, le sexe et la surface corporelle, et d’anévrisme lorsqu’il en est supérieur à 50 %. Figure 2. Diamètre aortique en fonction de la surface corporelle et de l’âge. Selon la loi de Laplace (tension pariétale = pression x rayon), la tension exercée sur la paroi aortique est proportionnelle à la pression aortique et au rayon de l’aorte. Aussi, lorsque l’aorte commence à se dilater, la tension pariétale ne fait qu’augmenter, majorant alors la dilatation. Un anévrisme ne peut donc diminuer de taille, son diamètre n’ira qu’en augmentant, ou au mieux se stabilisera. De plus, en se dilatant, l’épaisseur de l’aorte diminue et donc sa résistance à la distension diminue (stress intramural = tension pariétal/épaisseur de la paroi), facilitant alors la dilatation. Cette fragilisation de l’aorte expose alors au risque de dissection et de rupture aortique (figure 3). Figure 3. Incidence cumulée du risque de dissection et/ou de rupture aortiques en fonction de la taille de l’anévrisme de l’aorte ascendante. Le risque de rupture ou de dissection aortique est difficilement prévisible, mais augmente de manière exponentielle avec le diamètre de l’anévrisme. Les études montrent que lorsque le diamètre atteint 60 mm, l’aorte est à risque élevé de complications graves (rupture, dissection ou insuffisance aortique) et mortelles (50 % de mortalité à 5 ans). Prise en charge médicale et surveillance Un contrôle rigoureux de l’hypertension artérielle (< 130/ 80 mmHg) est essentiel car il permettra de réduire la tension pariétale exercée sur l’aorte (loi de Laplace). Toutefois, le seul traitement curatif de l’anévrisme de l’aorte ascendante est chirurgical. On distingue deux types d’indications : des indications curatrices pour le traitement de la régurgitation aortique, et des indications prophylactiques pour prévenir le risque de rupture ou de dissection aortique. Dans le second cas, cette attitude n’est acceptable que si le risque opératoire est inférieur au risque d’évolution naturelle de l’anévrisme. Les mesures du diamètre de l’aorte sont donc essentielles. L’examen de référence pour l’évaluation des dimensions d’un anévrisme de l’aorte est l’angio-TDM (ou l’angio-RM). Les méthodes de mesure répondent à des règles précises (perpendiculaires au grand axe du vaisseau, en plusieurs points : anneau, jonction sino-tubulaire, sinus de Valsalva, portion tubulaire, etc.). Le suivi est réalisé au mieux avec les mêmes modalités d’imagerie et de mesure, puisque les indications se jouent à quelques millimètres. La surveillance d’un anévrisme de l’aorte ascendante implique d’évaluer ses dimensions mais également sa vitesse de progression (en moyenne, surveillance tous les 6 à 12 mois en fonction de la taille et du contexte). L’échocardiographie vient compléter ce bilan pour évaluer le retentissement valvulaire. Quand opérer ? La chirurgie peut être réalisée en urgence dans le cadre d’une complication (rupture ou dissection) de l’anévrisme passé jusqu’alors inaperçu, avec dans ce contexte une morbi-mortalité qui reste élevée (20 à 50 % de mortalité hospitalière). De manière programmée, la chirurgie des anévrismes de l’aorte ascendante a une mortalité à 30 jours inférieure à 5 % (< 1 % dans les centres à haut débit), les complications neurologiques restent exceptionnelles, et la survie à long terme est très bonne (> 75 % à 10 ans). Compte tenu des risques auquel expose l’anévrisme de l’aorte ascendante, il convient d’adresser le patient à la chirurgie lorsqu’ils deviennent supérieurs au risque opératoire. Il n’existe malheureusement pas de seuil absolu en dessous duquel le risque est nul ou au-delà duquel le risque est majeur. Les dimensions doivent donc être interprétées en fonction du contexte et des pathologies associées, mais également de l’évolutivité et de la morphologie de l’anévrisme. Les recommandations internationales (ESC et AHA) s’appuient sur des recommandations d’experts (classe C), et ont été revues en 2014 (figure 4). Elles s’accordent pour recommander une chirurgie (I) à partir de 50 mm dans le cadre d’une maladie de Marfan, et peut être abaissé à 45 mm (IIa) pour les patients présentant des facteurs de risque : antécédents familiaux, progression rapide (> 3 mm/an), fuite aortique, coarctation aortique, grossesse planifiée, comorbidités… En dehors d’une pathologie du tissu élastique, ce seuil est porté à 55 mm (IIa), et abaissé à 50 mm (IIa) en présence d’une bicuspidie avec facteurs de risque. Les seuils peuvent également être abaissés (IIb) en fonction de la corpulence du patient, en cas de progression rapide (> 3 mm/an), de chirurgie valvulaire aortique associée, de désir de grossesse ou par convenance personnelle du patient. Figure 4. Représentation synthétique des recommandations internationales (ESC et AHA, 2014) sur les indications opératoires des anévrismes de l’aorte ascendante. Les recommandations américaines introduisent la notion de « centres experts » et intègrent le risque chirurgical dans la décision, en considérant que les seuils peuvent être abaissés si la chirurgie est pratiquée dans des centres experts. Techniques chirurgicales L’intervention chirurgicale consiste à remplacer l’aorte ascendante par un matériel prothétique (tube en Dacron le plus souvent). Cette chirurgie s’effectue par sternotomie sous circulation extracorporelle. Le remplacement de l’aorte s’étend parfois à l’aorte horizontale (nécessitant alors un arrêt circulatoire partiel en hypothermie avec perfusion cérébrale sélective) et à l’aorte thoracique descendante, en fonction de l’étendue de l’anévrisme. Plusieurs techniques chirurgicales peuvent être proposées. Leur choix dépend de l’atteinte ou non de la racine aortique et de la valve aortique (figure 5). Figure 5. Choix de la technique opératoire en cas d’anévrisme de l’aorte ascendante. • La procédure la plus simple, appelée improprement « tube sus-coronaire » consiste à limiter le remplacement à l’aorte audessus de la jonction sino-tubulaire. Ceci n’est possible que si la dilatation n’intéresse pas le culot aortique. Si la valve aortique présente une sténose ou une fuite, une chirurgie valvulaire peut y être associée, sans remplacer le sinus de Valsalva (intervention de Bahnson ou de Wheat), ce qui évite la réimplantation coronaire. L’atteinte de la racine aortique impose d’étendre le remplacement au culot aortique et donc de réimplanter les artères coronaires. L’intervention de Bentall consiste à remplacer l’aorte ascendante et la racine aortique, à remplacer la valve aortique et à réimplanter les artères coronaires sur le tube. Cette intervention constitue l’intervention de référence de ce genre de pathologie, et présente l’avantage de la reproductibilité. Elle est très largement pratiquée, notamment dans un contexte d’urgence. Les résultats rapportés dans la littérature rapportent une mortalité variant de 1 à 20 % selon les équipes et les contextes cliniques (urgence, dissection…). Par ailleurs, cette intervention impliquant un remplacement de la valve aortique, elle expose aux limites des remplacements valvulaires : dégénerescence de prothèse, complications thrombo-emboliques et hémorragiques. • Une chirurgie conservatrice de la valve aortique peut être proposée. L’intervention consistant alors à remplacer l’aorte ascendante (et le culot aortique) et à réimplanter les coronaires, sans remplacer la valve. Ces interventions, proposées uniquement en absence de sténose aortique ou de remaniements valvulaires, sont de deux types : les techniques de remodeling et la technique de réimplantation. Le remodeling (intervention de Yacoub) consiste à remplacer l’aorte ascendante au-dessus du plan de la valve aortique (et à réimplanter les coronaires). La limite de cette technique repose sur la dilatation de l’anneau (anneau > 28 mm = contre-indication), puisque le remodeling ne corrige que la dilatation de l’aorte et la traction des commissures valvulaires mais ne corrige pas ni ne protège d’une dilatation de l’anneau. Elle expose donc au risque de récidive de fuite aortique par dilatation de l’anneau. Certains proposent alors d’associer à ce remodeling une annuloplastie sous annulaire pour contenir l’anneau aortique (Lansac, Tirone David). • L’intervention de Tirone David (technique de réimplantation) consiste quant à elle à réimplanter la valve aortique dans le tube prothétique, implanté sur l’anneau aortique. Cette techniquea ssure donc une correction complète de la dilatation aortique mais également de l’anneau aortique. Afin de préserver la physiologie de la racine aortique essentielle à la biomécanique de la valve, les tubes utilisés reproduisent les sinus de Valsalva. Les résultats rapportés dans la littérature montrent une meilleure durabilité que pour les techniques de remodeling (Yacoub). Conserver ou remplacer la valve aortique ? Lorsque le culot aortique n’est pas dilaté, il est préférable de ne pas remplacer celui-ci car la réimplantation des coronaires lorsqu’elles ne sont pas ascensionnées peut s’avérer techniquement difficile. En outre, en cas de dilatation le remplacement de l’aorte implique la valve aortique. Une fuite aortique peut résulter de la simple traction des commissures valvulaires ou de la dilatation de l’anneau. Une chirurgie conservatrice de la valve aortique (remodeling ou réimplantation) permet alors de s’affranchir des limites liées aux prothèses valvulaires (dégénérescence structurelle, anticoagulation…). Fautil alors préférer une chirurgie conservatrice à une chirurgie de remplacement ? Cette question occasionne de nombreux débats mais n’est pas totalement tranchée. Les résultats rapportés dans la littérature rapportent d’excellents résultats en termes de survie et de durabilité des chirurgies conservatrices, mais ne le sont que par des équipes « expertes » le plus souvent dans des indications électives, et des résultats plus nuancés ne sont sans doute pas rapportés. A contrario, les résultats des chirurgies de remplacement (Bentall) sont plus contrastés et disparates (1 à 20 % de mortalité à 30 j), mais proviennent de très nombreuses équipes, témoignant de la reproductibilité de cette chirurgie, et dans des contextes très différents, notamment en urgence (endocardites, dissection, rupture, etc.). Le manque de données standardisées et d’essais cliniques sur le sujet ne permet donc pas de trancher cette question. Toutefois, il est admis que si la valve aortique est conservable, il est préférable de la conserver (notamment si le patient est jeune, pour s’affranchir d’une prothèse mécanique), si l’équipe chirurgicale est coutumière de cette chirurgie, avec de bons résultats. Ceci plaide pour la notion de centre expert ou « aortic center », comme le suggèrent les recommandations nord-américaines. Après chirurgie, les patients doivent être suivis et régulièrement surveillés. Une imagerie doit être programmée dans les 3 mois postopératoires puis à un an. Un suivi échocardiographique et d’imagerie doit ensuite être adapté à la technique chirurgicale et au contexte clinique. Dans le cadre de pathologies héréditaires ou du tissu élastique, un dépistage familial doit être proposé. En pratique Les anévrismes de l’aorte ascendante exposent aux risques de fuite aortique, de rupture et de dissection aortique. Le contrôle des facteurs de risque (hypertension artérielle), la surveillance du diamètre de l’anévrisme par imagerie de coupe (angio-TDM ou angio-IRM), et l’échocardiographie (valve aortique) sont essentiels. Le diamètre de l’anévrisme est le principal facteur de risque de rupture/dissection. Une chirurgie de remplacement aortique, seul traitement curatif, doit être proposée à partir de 50 mm en cas de maladie de Marfan (I-C) ou 55 mm hors de pathologie du tissu élastique (IIa-C). La chirurgie consiste à remplacer la partie dilatée de l’aorte, et si le culot aortique est touché à le remplacer, à réimplanter les artères coronaires, et à associer une chirurgie de la valve aortique (remplacement ou conservation).

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