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Thrombose

Publié le 20 juin 2017Lecture 8 min

Thromboses et néoplasies myéloprolifératives

Jean-Christophe IANOTTO, Service d’Hématologie clinique, Institut de cancérohématologie, CHRU de Brest

Les néoplasies (ex-syndromes) myéloprolifératives (NMP) sont un groupe hétérogène de pathologies hématologiques clonales ayant pour caractéristique commune une prolifération médullaire puis sanguine des éléments figurés du sang.
Les plus fréquentes sont la polyglobulie de Vaquez (PV), la thrombocytémie essentielle (TE), la leucémie myéloïde chronique (LMC) et la myélofibrose primitive (MF).

L’hypercellularité sanguine entraîne une hyperviscosité avec une répercussion clinique, induisant un risque élevé de thromboses artérielles et veineuses (surtout dans la PV et la TE). Il s’agit des complications les plus fréquentes, entraînant une morbi-mortalité très importante chez ces patients. Le traitement, qui comporte aspirine à faible dose ± traitement cytoréducteur selon l’âge permet de réduire les risques de survenue d’un premier épisode ou d’une récidive. Les néoplasies myéloprolifératives Les NMP sont des pathologies chroniques acquises des lignées myéloïdes : polynucléaires, globules rouges et plaquettes. L’âge moyen de survenue est de 60 ans avec un pic chez la femme jeune vers 30-40 ans. Leurs incidences varient aussi de 2-3/100 000 pour la PV à 0,5/100 000 pour la MF. Elles sont secondaires à l’acquisition de mutations spécifiques des facteurs de croissance aboutissant à une prolifération cellulaire permanente. Les mutations les plus fréquentes sont la mutation JAK2V617F (présente à 97 % dans les PV et 50-60 % dans les TE et MF) ; les mutations de la calréticuline (15-20 % des cas de TE et MF), les mutations de MPL (1-5 % des TE et MF) et bcr-abl (issu du chromosome Philadelphie) qui caractérise la seule leucémie myéloïde chronique (LMC). Il reste donc 10-15 % des TE et MF qui ne présentent pas de mutation récurrente identifiée (pour l’instant). Différents profils de NMP Au niveau de l’hémogramme, on retrouve un profil différent selon la NMP. La polyglobulie de Vaquez est caractérisée par une polyglobulie : hémoglobine ≥ 18,5 g/dl et ≥ 16,5 g/dl ou taux d’hématocrite ≥ 51 % ou ≥ 48 % chez l’homme et la femme respectivement. Elle peut être isolée ou associée à une polynucléose neutrophile ou une hyperplaquettose dans moins de 30 % des cas. La thrombocytémie essentielle est caractérisée par une hyperplaquettose (2 fois ≥ 450 giga/l à 1 mois d’intervalle). On observe moins de 20 % de polynucléose neutrophile associée. La myélofibrose primitive présente un tableau mixte, prolifératif et cytopénique : une hyperleucocytose (±), une hyperplaquettose associée avec une anémie et des anomalies de forme et taille des globules rouges. Sur le frottis sanguin, on observe la présence de cellules immatures, des globules rouges et des polynucléaires neutrophiles (= érythro-myélémie), voire des blastes (cellules souches). La leucémie myéloïde chronique. Les patients sont hyperleucocytaires avec une polynucléose neutrophile (> 50 %) ainsi qu’une myélémie et parfois une hyperplaquettose. Les complications des NMP À court et moyen termes (< 10 ans) : les thromboses sont les plus fréquentes (20-30 %), les hémorragies étant plus rares mais parfois plus dévastatrices que les premières (10 %). Les poussées hypertensives ainsi que les dépôts d’acide urique sont fréquents. À long terme (> 10 ans), ce sont les évolutions phénotypiques : ces pathologies chroniques sont amenées à se transformer spontanément sous l’action des traitements mutagènes. Les risques sont alors la transformation en myélofibrose secondaire ou en myélodysplasie, voire en leucémie aiguë (~ 10 % à 10 ans et 20 % à 20 ans)(1-2). Les thromboses Généralités Dans cet article nous aborderons uniquement les complications thrombotiques observées au cours de la polyglobulie de Vaquez et de la thrombocytémie essentielle (car de loin les plus fréquentes)(3). Les thromboses peuvent précéder (de plusieurs années parfois) ou être le mode de découverte de la NMP dans 20-30 % des cas. Une fois le diagnostic établi, le risque thrombotique diminue mais reste élevé tout de même à près de 15-20 % des patients suivis. Ce risque thrombotique est le plus important dans la première décennie du diagnostic, mais il persiste quand même au-delà. Ces thromboses peuvent toucher tous les territoires vasculaires avec une répartition de l’ordre de 2/3 de localisations artérielles et 1/3 de localisations veineuses : Les localisations artérielles. Elles concernent le cerveau (accident ischémique transitoire et accident vasculaire cérébral constitué), le cœur (infarctus), les vaisseaux abdominaux (ischémie mésentérique, etc.) et les membres inférieurs. Les localisations veineuses sont classiques : thrombophlébite cérébrale, embolie pulmonaire secondaire ou non à une thrombose veineuse des membres inférieurs, thrombose veineuse superficielle, thrombose péri-hépatique. Les érythromélalgies. Chez les patients atteints de TE, elles sont très fréquentes : se sont des accès douloureux distaux (doigts et orteils) avec un aspect inflammatoire liées à des troubles circulatoires dans les micro-vaisseaux des extrémités. Recherche d’une NMP au cours d’une thrombose De nombreux sites thrombotiques ont fait l’objet d’une recherche systématique de la présence d’une NMP. Les recherches impliquaient la présence éventuelle de la mutation JAK2V617F ou celles de la calréticuline réalisées sur un prélèvement sanguin(5). Cette recherche n’est valable que pour les sites thrombotiques veineux périhépatiques. Comme évoqué plus haut, un taux élevé de mutation JAK2 retrouvé dans les thromboses porte et sus-hépatique, justifie cette recherche systématique, même sans anomalies de l’hémogramme. En revanche, il n’a pas été montré d’intérêt à rechercher les mutations de calréticuline (taux proche de zéro). Pour les sites veineux périphériques, les thromboses veineuses cérébrales, les AVC, les infarctus, des recherches systématiques ont mis en évidence la présence de JAK2V617F dans moins de 2 % des cas. La recherche de mutants de la calréticuline (réalisée dans les cas de TVP) ne permet pas de révéler la présence de NMP cachées. Il n’est donc pas recommandé de rechercher les mutations de JAK2 ou de la calréticuline lors d’un épisode thrombotique veineux ou artériel idiopathique. À l’inverse, il semble raisonnable de réaliser des investigations complémentaires si un événement thrombotique survient avec un hémogramme anormal qui ne se corrige pas secondairement, ceci afin de ne pas passer à côté d’un NMP qui induirait des risques élevés de récidives thrombotiques s’il n’était pas pris en charge spécifiquement. Physiopathologie des thromboses La physiopathologie des thromboses est complexe et associe de nombreuses situations procoagulantes(6-7). L’hyperviscosité sanguine créée par l’hypercellularité sanguine secondaire à la polyglobulie, l’hyperplaquettose et la leucocytose. Elle induit un ralentissement du flux sanguin, une augmentation du contact cellule-cellule (donc auto-formation d’agrégats circulants) ainsi que des lésions endothéliales qui favorisent la création de lésions pro-aggrégantes pariétales pour les plaquettes et les protéines de la coagulation. L’activation de tous les types cellulaires avec l’expression de molécules de contact à la surface (contact cellule-cellule et adhésion aux cellules endothéliales), de relargage de grande quantité de cytokines pro-coagulantes (interactions cellule-cellule) et d’enzymes protéolytiques lésant l’endothélium. De plus, il existe une augmentation des microparticules circulantes qui sont issues des membranes des cellules sanguines et endothéliales (qui augmentent les interactions cellule-cellule et l’activation cellulaire).  Les cellules endothéliales peuvent être mutées pour JAK2 : c’est le cas des cellules du tronc porte où l’incidence de thrombose sur NMP est importante. Ces cellules appartiendraient donc au même clone que les cellules médullaires et sanguines pathologiques, ce qui conforte l’hypothèse delon laquelle la maladie apparaît dans une cellule très immature, type hémangioblaste. La coagulation sanguine perturbée par relargage de substances contenues dans les cellules clonales sanguines, l’augmentation des facteurs de coagulation (FVIII, FVa, etc.), la présence de marqueurs génétiques de thromboses (mutation G20210A du FII et/ou FV Leiden, etc.). Les facteurs de risque cardiovasculaires classiques : tabac, surpoids, HTA, diabète, hyperlipidémie qui induisent un risque élevé d’athéromatose. Bilan biologique au diagnostic des NMP Lors du diagnostic d’une NMP, il n’y a pas de recherche systématique d’anomalie de la coagulation sanguine. Il est fréquent de faire les tests TP,TCA et fibrinogène seulement. En revanche, il faut clairement rechercher les facteurs de risque cardiovasculaire biologiques par la réalisation d’une glycémie et d’un bilan lipidique à jeun. Les marqueurs sanguins procoagulants veineux ne sont pas plus fréquents chez les patients avec une NMP que dans la population générale. Les seules anomalies à rechercher systématiquement chez les patients atteints de TE sont reliées au risque hémorragique : la présence éventuelle d’un Willebrand acquis. Cela arrive en particulier lorsque les patients ont des taux de plaquettes élevés (surtout > 1 000 giga/l). Sa présence justifiera de ne pas utiliser l’aspirine comme cela sera abordé dans la partie Prise en charge thérapeutique(6-7). Prise en charge thérapeutique Les patients avec une NMP (surtout PV et TE) sont stratifiés pour une prise en charge thérapeutique en fonction de deux paramètres simples : l’âge supérieur à 60 ans et un antécédent personnel de thrombose. Ils sont classés en « faible risque thrombotique » s’ils ne présentent aucun des 2 critères et en « haut risque thrombotique » s’ils présentent au moins un des 2. Prévention primaire En prévention primaire, le traitement comporte une association thérapeutique. De l’aspirine à faible dose (75 mg/j) en traitement de fond antiagrégant dont la justesse de prescription n’a été que partiellement justifiée dans la PV et jamais dans la TE(8). Mais ce traitement est systématique pour toute NMP quel que soit le risque thrombotique. Un traitement cytoréducteur dont le but est de normaliser la numération sanguine : traitement per os (hydroxyurée, pipobroman, anagrélide ainsi que ruxolitinib) ou sous-cutané (interféron pégylé α2a ainsi que α2b). Les saignées sont une option thérapeutique dans la PV : elles consistent en une extraction sanguine de 300 à 400 cc réalisée en ambulatoire, elles sont surtout réalisées pour soustraire les globules rouges soit en urgence, soit en traitement d’entretien. De plus, il est obligatoire de prendre en charge les facteurs de risque cardiovasculaire présents : tabac, surpoids, hypercholestérolémie, hypertension artérielle et diabète. Les objectifs thérapeutiques sont simples : il faut normaliser l’hémogramme avec une réduction du taux d’hématocrite à 45 % chez l’homme (42 % chez la femme) ainsi que le taux de leucocytes (< 10 giga/l) et des plaquettes (< 400 giga/l), qui définissent la réponse complète hématologique. L’obtention de cette réponse sur le taux d’hématocrite peut permettre de réduire le risque thrombotique de plus de 50 %(9). Mais malgré cette prise en charge thérapeutique et l’obtention d’une réponse complète, il est impossible de réduire à zéro le risque thrombotique… Traitements des thromboses Le traitement des accidents vasculaires artériels ou veineux n’est pas modifié par la présence d’une NMP (par exemple, le syndrome coronarien). Dans le cas des thromboses veineuses, il n’y a pas ou peu de données spécifiques concernant la durée optimale du traitement anticoagulant. Les thromboses veineuses périhépatiques sont le plus souvent traitées au long cours, les autres thromboses, en général sur une durée de 6 mois. Les nouveaux anticoagulants oraux directs n’ont pas été évalués spécifiquement dans les NMP et ils n’ont pas l’AMM dans les cancers pour l’instant. Prévention secondaire La prévention secondaire reste à l’heure actuelle la prescription minimale d’aspirine à faible dose (si les AVK sont arrêtés), mais le taux de récurrence thrombotique est important (20-30 %) même sous AVK. Conclusion Les NMP sont des pathologies relativement rares qu’il est important de ne pas sous-diagnostiquer ou sous-traiter car les enjeux de morbi-mortalité sont le plus souvent très problématiques. Les thromboses artérielles et veineuses sont les complications les plus importantes et la prévention primaire associe une faible dose d’aspirine et l’addition d’un traitement cytoréducteur avec pour objectif la normalisation de l’hémogramme. 

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