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La lettre du GACI

Publié le 15 oct 2017Lecture 13 min

Entretien avec le Pr Michel Bertrand

Propos recueillis par Flavien VINCENT, chef de clinique en cardiologie interventionnelle, CHU de Lille

Retracer le parcours du Pr Michel Bertrand, c’est retracer 40 ans d’histoire de la cardiologie interventionnelle.

Pourquoi avez-vous décidé de faire médecine, alors que vous étiez étudiant en classe préparatoire (math-sup) ? Pr Michel Bertrand : Je suis natif de Lille et j’ai réalisé toute ma scolarité au Lycée Faidherbe de Lille. J’ai acquis dans cet établissement une formation scientifique de bon niveau qui me fut très utile pour la suite de ma carrière. J’ai effectué le certificat de physique-chimie-biologie (PCB) pour accéder à la 1re année de médecine. Reçu 6e je ne suis pas parti en vacances d’été pendant lesquelles je me suis familiarisé avec l’ostéologie et la myo­logie en disséquant des pièces anatomiques. Ayant acquis ces connaissances, je pus, simultanément aux cours de 1re année, m’inscrire dans une conférence d’externat. En fin de 1re année, j’ai présenté le concours d’externat qui comprenait des épreuves de chirurgie, anatomie et médecine. L’externat était la condition nécessaire pour aller à l’hôpital et approcher les malades. Reçu second, j’ai pu accéder aux stages hospitaliers de 6 mois en neurochirurgie, puis urologie et chirurgie générale. En chirurgie générale, le chef de service étant malade, les chefs de cliniques absents et les internes (qui opéraient seuls) étaient débordés : j’ai été autorisé à effectuer des petits gestes chirurgicaux ce qui serait impensable aujourd’hui ! J’avais un tempérament très chirurgical et je pensais vrai­ment à devenir chirurgien. En fin de 3e année de médecine, j’ai été reçu major au concours d’internat (écrit + oral + épreuve clinique). J’ai finalement choisi la médecine, un peu sur un coup de tête – alors que je n’avais réalisé aucun stage de médecine pendant l’externat – influencé par mes amis et mon entourage qui m’expliquaient que c’était une voie plus intellectuelle, avec plus de réflexion et de raisonnement que la chirurgie. Et c’était un choix sans retour !   Quand avez-vous choisi  de devenir cardiologue ?   J’ai commencé à m’intéresser à la cardiologie très tôt puisque j’ai effectué une grande partie de mon internat dans le service de clinique médicale à orientation cardiologique du Pr Henri Warembourg. J’ai entamé un travail de thèse expérimentale passionnant, pour lequel pendant de nombreux mois, j’ai élevé des lapins dyslipidémiques. Je leur grattais l’aorte et les plaques d’athérome pour analyser les acides gras par technique de chromatographie gazeuse. Pendant ce temps, mon patron me demanda de prendre en charge l’épuration extrarénale par rein artificiel. J’ai été envoyé à Paris auprès du Pr Jean Hamburger afin d’apprendre la technique du rein artificiel. Outre l’apprentissage de l’épuration extrarénale, j’ai acquis dans le service du Pr Hamburger des connaissances en anatomopathologie rénale. Après un bref stage à Lyon chez le Pr Jules Traeger, j’ai débuté un programme d’hémodialyse chronique à Lille. J’étais de garde un jour sur deux et les cathéters de dialyse en téflon se thrombosaient très souvent et il a fallu attendre l’avènement des fistules A-V pour que l’hémodialyse des insuffisants rénaux chroniques prenne l’essor qu’elle connaît aujourd’hui. Toutefois, la néphrologie lilloise fut confiée à un autre service et je me suis donc reporté sur la cardiologie. Je n’avais jamais cessé de m’intéresser à la cardiologie depuis mon travail sur le modèle d’athérosclérose animale. Je pratiquais déjà le cathétérisme cardiaque dans le service d’hémodynamique de l’hôpital. À cette époque en cardiologie, il y avait les « bons » qui faisaient de la cardiologie non invasive (phonocardiographie, carotidogrammes, tracés synchrones) et les « méchants » qui faisaient du cathétérisme. Je faisais partie des « méchants ». J’ai voulu débuter la coronarographie mais j’ai hérité d’une salle qui ne fonctionnait abso­lument pas avec des appareils chaotiques non compatibles les uns avec les autres et qui délivraient des doses massives de rayonnement. Je n’avais qu’un radiocinéma de 16 mm alors qu’il fallait du 35 mm. On utilisait des plans-film. Les conditions étaient épouvantables, et les images étaient d’une qualité catastrophique. Par exemple, j’ai réalisé la technique de corona rographie selon Nordenström qui consiste à injecter une dose importante de produit de contraste (250 cm3) dans l’aorte ascendante chez un patient intubé, sous anesthésie générale. Le principe était de créer une hyperpression bronchique qui supprime le retour veineux créant une hypotension, une bradycardie et quasiment un arrêt cardiaque afin que le produit injecté simultanément puisse pénétrer dans les coronaires. Nous prenions les clichés en oblique antérieure gauche avec un chargeur Elema Schönander, pour voir simultanément la coronaire droite, la circonflexe et l’interventriculaire antérieure moyenne et distale. Toutefois, on ne visualisait pas bien le tronc commun ni l’IVA proximale dans cette incidence. La principale complication était le pneumothorax… J’ai été nommé professeur agrégé en 1969 et c’est seulement en 1973 que j’ai convaincu mon patron d’acquérir un équipement de qualité, avec un arceau et un radiocinéma 35 mm J’ai réalisé 300 coronarographies la première année et 600 la seconde année.   À cette époque en cardiologie, il y avait les « bons » qui faisaient de la cardiologie non invasive (phonocardiographie, carotidogrammes, tracés synchrones) et les « méchants » qui faisaient du cathétérisme. Je faisais partie des « méchants ».   Mes premiers travaux qui ont eu un retentissement concernaient le spasme coronaire. L’un des grands patrons de la cardiologie en France, le Pr Jean Lenègre, interdisait que l’on prononce ce mot. Il ne croyait pas du tout à son existence ! Pour lui, qui était un champion de la méthode anatomoclinique, les artères qu’il voyait à l’autopsie étaient calcifiées et ne pouvaient se spasmer… Pourtant, je voyais des modifications dynamiques des artères durant mes coronarographies, avec des artères qui se rétrécissaient ou se dilataient sous nitroglycérine. J’accumulais des cas et j’ai présenté mes images lors d’une communication à une séance de la Société française de cardiologie. Après ma présentation, en présence du Pr Lenègre, l’audience, dans un silence de mort, attendait sa réaction (probablement cinglante). À la surprise générale, il a reconnu qu’il fallait désormais réfléchir à la possibilité que le spasme coronaire existe. J’ai lancé les tests à l’ergonovine dans toutes les situations : angor stable, instable, patients valvulaires, pendant les infarctus. Ultérieurement j’ai pu publier dans Circulation la carte épidémiologique du spasme coronaire en rapportant les résultats de plus de mille tests à l’ergométrine.   Quels ont été les débuts de l'angioplastie coronaire ?   MB : Tout le mérite en revient, comme on le sait, à Andreas Gruentzig, né à Dresde en Allemagne de l’Est. Il avait fait des études de radiologie à Heidelberg puis s’était dirigé vers l’angiologie dans le service de l’hôpital universitaire de Zurich. Fasciné par les travaux de Charles Dotter sur l’angioplastie périphérique, il a eu l’idée de pratiquer l’angioplastie coronaire en miniaturisant des ballonnets. Aucune firme ne voulait l’aider dans ses travaux. Il a donc travaillé de manière artisanale en fabriquant ses ballonnets sur sa table de cuisine, le tout ayant été immortalisé par une photo devenue célèbre. Après une longue phase de mise au point chez l’animal, c’est aux États-Unis, à San Francisco, avec Richard Myler, qu’il a réalisé ses premiers cas d’angioplastie au ballon en peropératoire. En Suisse, il s’est heurté à la réticence de ses confrères qui ne souhaitaient pas lui confier des patients. C’est finalement Bernhard Meier qui va lui présenter un premier patient, un ingénieur de 37 ans c’est-à-dire du même âge que Gruentzig, qui refusait la chirurgie alors qu’il présentait un angor lié à une sténose de l’IVA proximale. Il a réalisé ainsi la première angioplastie percutanée le 16 septembre 1977 et le résultat s’est avéré satisfaisant angiographiquement. Puis, comme promis à son ami allemand le Pr Martin Kaltenbach, une deuxième procédure fut réalisée à Francfort . C’était une dilatation du tronc commun ! La troisième, une double revascularisation coronaire droite et tronc commun, s’est hélas compliquée et a nécessité un pontage en urgence. Il a présenté ses quatre premiers patients à l’AHA à Miami puis des séries plus importantes les années suivantes dans tous les congrès internationaux. Gruentzig a voulu diffuser sa technique et son matériel à la condition de suivre une formation (payante) à Zurich. Tous les grands noms   de la cardiologie interventionnelle sont allés à Zurich afin d’obtenir un diplôme d’angioplastie coronaire   Comment se déroulait une angioplastie en 1979 ?   MB : Il faut en effet faire un petit retour en arrière et oublier le matériel actuel si facile à utiliser. On travaillait avec un cathéter guide 9 F (3 mm) et les ballons n’étaient pas montés sur guide. Ils étaient juste poussés dans la coronaire. Nous ne pouvions donc pas les diriger. Seuls les segments proximaux et non tortueux de l’IVA et la coronaire droite étaient accessibles. Et il était impossible d’opacifier simultanément les coronaires. Nous pouvions simplement mesurer un gradient de pression entre l’extrémité distale du ballon et l’aorte. C’était le seul indicateur de succès de l’angioplastie. Le ballon était gonflé par une seringue métallique remplie de produit de contraste et poussée par du carbogène.   Lille a été l’un des premiers centres pratiquant les angioplasties coronaires en France. Comment avez-vous réussi à débuter ce programme ?   MB : Nous étions quelques français à nous être rendus à Zurich, très rapidement, afin d’obtenir notre diplôme d’angioplastie. C’est Jean-Luc Germonprez en 1979, qui a été le premier à réaliser une angioplastie en France. Il n’a pas eu le droit de la réaliser dans son propre service. Il a dû faire cette intervention à l’hôpital de Versailles, sans couverture chirurgicale sur site ! Une équipe SMUR était présente, à la porte de la salle de cathétérisme, prête à transférer le patient dans un centre chirurgical pour un pontage en urgence en cas de complication. La semaine suivante, Jean Marco à Toulouse puis moi-même avons réalisé nos premières angioplasties. Le premier patient Lillois présentait une sténose serrée de l’IVA proximale. Après deux inflations du ballon, la sténose persistait. Nous avions très peur des cas de dissection coronaire et nous avions conclu que la lésion était faite de tissu élastique et résistante. La procédure a donc était stoppée et le patient envoyé en chirurgie pour pontage. En réalité, après développement du film, nous avons réalisé que nous avions gonflé le ballonnet au-delà de la sténose ! Très rapidement, l’angioplastie a pris un essor considérable en France et dans le monde. Nous avons réalisé avec Jean Marco les premiers cours d’angioplastie comportant des cas live en France pour enseigner la technique (Toulouse 1983, Lille 1984, Nancy 1985). Des inno­vations successives ont facilité la diffusion de la technique, sa généralisation et l’élargissement des indications. Tout d’abord, l’invention du guide dirigeable coaxial par Simpson en 1983 et, enfin, la technique du monorail de Tassilio Bonzel pour monter les ballons à l’intérieur du cathéter guide et dans les coronaires.   Puis vous avez vécu l’arrivée du stent, qui fut encore une révolution dans l’angioplastie coronaire ?   MB : Nous nous heurtions en effet à des taux de resténose importants, supérieurs à 30 %, ce qui limitait les indications de la technique et restait un argument fort pour les détracteurs de l’angioplastie. De plus, les cas de dissection coronaire étaient relativement fréquents et imposaient une couverture chirurgicale. La naissance du stent fut, comme le plus souvent, le fruit d’une rencontre fortuite entre un chirurgien suédois, Ake Senning et Hans Wallsten, un ingénieur travaillant dans l’imprimerie. Lors d’un cocktail, Ake Senning a raconté comment il avait dû batailler plusieurs heures lors du traitement d’une dissection aortique. Pragmatique, Hans Wallsten lui a proposé d’inventer un tuteur métallique qui pourrait soutenir la réparation de l’aorte. L’idée du stent était née. Avec Christian Imbert et Ulrich Sigwart, ils ont créé le stent autoexpansible Wallstent. C’est à Toulouse que fut implantée le premier stent, le 28 mars 1986, par Jacques Puel.   Vous avez également participé au développement de l’environnement pharmacologique après pose de stent.   MB : En effet, que ce soit après angioplastie au ballon seul, ou après pose de stent, nous faisions face à un taux important d’occlusions aiguës. Pourtant, nous utilisions différents cocktails avec de l’HNF, les HBPM, les AVK, le sulfinpyrazone, du dextran. En conséquence, les points de ponctions fémoraux saignaient entraînant de nom­breuses complications vasculaires et des réparations chirurgicales. Au début des années 1990 on pensait que les plaquettes intervenaient dans le phénomène de resténose et j’ai mené, à la demande de Sanofi, l’étude TACT évaluant la ticlopidine dans la resténose (Ticlopidine Angioplasty Coronary Trial). Évidemment cette étude fut négative mais nous avions remarqué que nos taux d’occlusion coronaires étaient assez bas. Mais cette étude négative non publiée, n’a pas eu de retentissement. En comparant nos pratiques au sein du groupe de cardiologie interventionnelle de la Société française de cardiologie, nous nous sommes aperçus que Paul Barragan, de Marseille, qui à la suite de l’étude TACT continuait à utiliser la ticlopidine dans son centre, avait des taux de thrombose de stent très faibles. J’ai donc eu l’idée de réaliser un essai clinique randomisé multicentrique comparant la ticlopidine à diverses associations d’anticoagulants (essai FANTASTIC : Full ANticoagulation vs Aspirine Ticlopidine). Nous avons ainsi démontré l’intérê des anti-agrégants plaquettaires avec une réduction des thromboses à moins de 3 %. Ce travail a été publié dans Circulation au début de l’année 1997. Il fait partie des 3 études (ISAR, FANTASTIC, STARS) démontrant l’intérêt du double traitement antiagrégant plaquettaire (DAPT). La compréhension de la pharmacologie a permis d’augmenter les indications d’angioplastie avec pose de stent. La dernière innovation majeure a été le stent actif, en 2001, qui a réglé le problème de la resténose dans un grand nombre de cas.   Comment Lille est devenu un centre pionnier de l’athérectomie rotationnelle ?   MB : Cette technique a été inventée aux États-Unis pour l’artériopathie oblitérante périphérique par David Auth. Mais il se heurtait aux atermoiements et aux exigences de la FDA pour transposer sa technique aux artères coronaires. Nous avons pu importer cette technique et réaliser à Lille le premier cas au monde d’angioplastie par athérectomie rotationnelle en janvier 1988.   Comment avez-vous pris des responsabilités à l’ESC en parallèle de vos activités scientifiques ?   MB : J’avais été repéré assez jeune en 1976, à Amsterdam, lors d’une présentation au congrès de la Société européenne de cardiologie. On m’a alors invité à participer à l’organisation du congrès suivant à Paris en 1980. Puis j’ai été invité à rentrer dans le board de la société européenne. En 1980, j’étais par ailleurs secrétaire général de la Société française de cardiologie, ce qui était une première pour un provincial ! Mais on m’a expliqué que j’étais trop jeune pour devenir président. J’ai donc pris des responsabilités au niveau européen. J’ai été secrétaire général, puis President-Elect. En janvier 1991, le président en cours (Attilio Reale) est décédé brutalement au début de son mandat. En tant que President-Elect on m’a demandé de terminer son mandat et d’enchaîner avec le mien. Ont suivi quatre années passionnantes, intenses durant lesquelles je sautais régulièrement dans un avion en sortant de la salle de cathétérisme pour répondre aux nombreuses sollicitations que ce poste implique. J’ai travaillé pour que l’Europe soit reconnue sur le plan scientifique au niveau internatio­nal. En particulier, j’ai signé des agréments pour qu’il y ait des sessions communes Europe et États-Unis dans tous les congrès américains et euro­péens. C’était important car à l’époque, l’importance de la cardiologie européenne n’était pas reconnue. L’une des réalisations dont je suis assez fier est la création de la Maison du cœur, siège de la Société européenne, en France à Sofia-Antipolis. Il a fallu trouver un financement et des partenariats avec les sociétés nationales et les grands laboratoires internationaux. On a débuté avec dix personnes et maintenant il y a plus de 200 employés permanents. C’est une maison qui édite douze journaux de grande qualité, (impact factor du European Heart Journal > 20), les abstracts de l’ESC, les organisations des congrès, etc. Les congrès de l’ESC sont devenus très importants (le dernier à Barcelone a rassemblé 31 500 participants. Main­tenant, le congrès de l’ESC est devenu le plus grand congrès de cardiologie au monde.   Cela a dû être terriblement excitant de vivre une telle carrière ?   MB : En effet, vivre et participer à l’épopée de la cardiolo­gie interventionnelle fut une chance formidable. Je suis très heureux de l’existence que j’ai vécue et de la carrière que j’ai eu la chance de mener. J’ai voyagé et effectué des exposés, des lectures, partout dans le monde et rencontré des gens formidables. Mon seul petit regret est de ne pas avoir réussi à réunir sur le même site à Lille, la recherche fondamentale et la recherche clinique. Je pense que la recherche est un continuum, que cette distinction n’a pas lieu d’être et que les collaborations entre ces différents chercheurs doivent être favorisées. Je pense c’est le rôle des CHU de promouvoir une recherche translationnelle de qualité.

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