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Thérapeutique

Publié le 09 nov 2010Lecture 9 min

Mise en perspective - Chez qui faut-il réduire la fréquence cardiaque par l’ivabradine ?

P. DOS SANTOS, F. PICARD, E. HARCAUT, CHU de Bordeaux


Les Journées françaises de l'insuffisance cardiaque
Chez qui faut-il réduire la fréquence cardiaque par l’ivabradine ? Poser cette question suppose que, chez certaines catégories d’individus, une fréquence cardiaque « élevée » pourrait produire des effets délétères comme l’apparition de symptômes, l’altération de la qualité de vie ou la réduction de l’espérance de vie. Les argumentations autour de cette notion trouvent un premier point d’appui sur la remarquable relation linéaire qui lie l’espérance de vie des différentes espèces de mammifères, de la souris (600 bpm pour une espérance de vie de 1 à 2 ans) à la baleine (20 bpm pour une espérance de vie de 35 ans) et leur fréquence cardiaque respective. L’homme cependant, avec ses 80 ans d’espérance de vie pour une fréquence cardiaque de 70 bpm, s’écarte progressivement de cette droite depuis plus de mille ans.

La fréquence cardiaque comme marqueur de risque De nombreuses études de cohortes et de registres apportent des arguments plus précis et hissent de manière convaincante la fréquence cardiaque au rang de marqueur de risque. À titre d’exemple, Benetos et coll. (Hypertension 1999) ont montré, sur une population française de plus de 19 000 sujets, âgés de 40 à 69 ans, et ayant bénéficié d’un examen de routine entre 1974 et 1977 dans un centre de prévention, qu’« une fréquence de repos élevée représente un facteur prédictif indépendant de mortalité non cardiovasculaire dans les deux sexes et de mortalité cardiovasculaire chez les hommes, indépendamment de l’âge ou de la présence d’une hypertension artérielle ». Diaz A. et coll. (Eur Heart J 2005) ont montré sur une population de près de 25 000 patients issus du registre CASS, présentant une pathologie coronarienne suspectée ou prouvée, qu’une fréquence cardiaque ≥83 bpm est prédictive d’une augmentation de la mortalité totale comme de la mortalité cardiovasculaire. L’analyse du groupe placebo (plus de 5 000 patients) de l’étude BEAUTIFUL (Fox K et coll. Lancet 2008) montre que, dans une population de patients souffrant de coronaropathie avec dysfonction ventriculaire gauche, la fréquence cardiaque est prédictive d’événements comme la mortalité cardiovasculaire, les hospitalisations pour aggravation de l’insuffisance cardiaque, les hospitalisations pour infarctus du myocarde et les revascularisations.   Ces observations sont confirmées et renforcées par l’étude du groupe placebo (plus de 3 000 patients) de l’étude SHIFT (Böhm M et coll. Lancet 2010), qui réunissait une population de patients en insuffisance cardiaque modérée à sévère, d’origine ischémique ou non, avec dysfonction systolique du ventricule gauche. Conséquences physiologiques d’une fréquence cardiaque élevée Le coeur est un organe fonctionnant exclusivement en aérobie. Cela signifie que la production d’ATP par les cardiomyocytes dépend entièrement de la fourniture en oxygène et de la vitesse de respiration mitochondriale. De plus, l’extraction par le myocarde de l’oxygène artériel coronaire est quasi maximale en conditions basales. Ainsi, toute augmentation de la demande énergétique des cardiomyocytes devra être assurée par une augmentation du débit de perfusion coronaire. Or, ce mécanisme d’adaptation à une augmentation de la demande métabolique du myocarde est altéré en cas d’élévation des résistances coronaires ou de réduction de la réserve de vasodilatation coronaire à l’effort, comme cela est observé lors de l’athérosclérose ou de l’insuffisance cardiaque. Dans ce contexte, une élévation de la fréquence cardiaque, en augmentant la demande énergétique du myocarde et en réduisant sa perfusion par raccourcissement de la durée de la diastole, est susceptible d’altérer profondément l’équilibre fragile des paramètres contrôlant les apports et les besoins en énergie.   L’élévation de la fréquence cardiaque est également susceptible d’altérer le cours de l’athérosclérose en augmentant le stress mécanique sur la paroi artérielle (notamment coronaire) et, par voie de conséquence, en favorisant les phénomènes de rupture de plaque, la survenue d’événements ischémiques aigus, l’altération de la fonction endothéliale et la progression de l’athérosclérose (figure 1). Figure 1. Intérêt d’une baisse de la fréquence cardiaque par l’ivabradine chez le coronarien. Utilisation thérapeutique des agents bradycardisants Les considérations générales développées ci-dessus sont à la base de l’emploi et de l’efficacité des bêtabloquants, notamment chez les patients coronariens et insuffisants cardiaques. Leur utilisation est cependant délicate dans certaines circonstances, comme l’existence d’une bronchopneumopathie chronique obstructive, d’un asthme ou d’une artériopathie oblitérante des membres inférieurs. De plus, certains effets, comme la fatigue, les troubles de l’érection ou l’hypotension symptomatique, en limitent souvent l’emploi et gênent considérablement l’atteinte de doses cibles ou ayant un effet optimal sur la fréquence cardiaque.   Dans ce contexte, l’ivabradine, inhibiteur du courant If, qui diminue sélectivement la fréquence cardiaque tout en ayant un effet neutre sur les autres paramètres hémodynamiques, offre des perspectives intéressantes en cas de contre-indication aux bêtabloquants, ou en association à ces derniers chez les patients ne tolérant pas des doses cibles, ou en cas de contrôle imparfait de la fréquence cardiaque indépendamment de la dose, cible ou non, du traitement bêtabloquant.   Du fait de son effet neutre sur les autres paramètres hémodynamiques, l’ivabradine se distingue des bêtabloquants sur plusieurs points. Nous citerons ici l’absence d’altération de la vasodilatation coronaire à l’effort et l’absence de ralentissement de la vitesse de relaxation. De plus, différentes études réalisées sur des modèles animaux chroniques d’insuffisance cardiaque et/ou d’ischémie myocardique ont montré que le traitement par l’ivabradine est susceptible de prévenir la survenue de la dysfonction endothéliale, de réduire le stress oxydant et de ralentir le développement de l’athérosclérose (figure 1). À ce stade, il est raisonnable de penser que ces effets sont des effets « pleiotropiques » d’une baisse isolée de la fréquence cardiaque et non des effets spécifiques de la molécule. L’ivabradine chez le coronarien symptomatique : amélioration de la capacité d’effort et réduction de l’ischémie à l’effort En tant qu’inducteur d’une baisse isolée de la fréquence cardiaque, l’ivabradine, en diminuant la demande énergétique du myocarde et en améliorant sa perfusion, trouve une indication de prédilection chez le coronarien symptomatique. Son efficacité dans ce contexte est clairement démontrée par l’étude de Borer et coll. (Circulation 2003) qui a étudié, contre placebo, l’effet de l’ivabradine sur les paramètres de l’épreuve d’effort et la symptomatologie fonctionnelle de 360 patients coronariens en angor stable. L’ivabradine (5 ou 10 mg x 2/j) augmente significativement la durée totale de l’effort, le délai d’apparition du sous-décalage et le délai d’apparition d’une douleur limitante. Dans la lignée de cette étude, l’étude INITIATIVE (Tardif JC et coll. Eur Heart J 2003) a montré, sur une population de près de 1 000 patients en angor stable, que l’efficacité de l’ivabradine sur les paramètres de l’épreuve d’effort est comparable à celle de l’aténolol. L’ivabradine chez le coronarien symptomatique malgré le traitement bêtabloquant : notion de « titration » de la fréquence cardiaque Comme signalé plus haut, ivabradine et bêtabloquants n’ont ni le même mode d’action, ni le même profil hémodynamique. La tendance naturelle qu’il y a à les opposer peut et doit être remplacée par une pratique qui vise à les utiliser de concert et en complémentarité dans un objectif visant le contrôle de la fréquence cardiaque. Les résultats de l’étude ASSOCIATE (Tardif JC et Coll. Eur Heart J 2009) qui a comparé, chez près de 900 patients en angor stable, l’effet de l’association ivabradine + aténolol à l’aténolol seul sur les paramètres de l’épreuve d’effort, fournit des arguments dans ce sens. Dans cette étude, les patients recevant l’association ivabradine + aténolol affichaient 8 bpm de moins que ceux sous aténolol seul (58 bpm vs 66 bpm). Cet effet était associé à une amélioration significative de l’ensemble des paramètres de l’épreuve d’effort, significative dès la première dose de 5 mg x 2/j et renforcée à 7,5 mg x 2/j. Une étude récente de plus petite taille (29 patients) est allée plus loin dans l’analyse de ce concept en comparant l’association ivabradine + demi-dose de bisoprolol (5 mg/j) au bisoprolol à pleine dose sur les capacités fonctionnelles (Amosova et coll.). L’association ivabradine + demi-dose de bisoprolol entraîne une meilleure amélioration des capacités d’effort que le bisoprolol pleine dose malgré une fréquence cardiaque de repos équivalente dans les deux groupes (60 bpm). L’ivabradine chez le coronarien avec dysfonction ventriculaire gauche : amélioration du pronostic par la réduction de la fréquence cardiaque L’étude BEAUTIFUL (Fox K. Lancet 2008) est le premier essai de grande envergure ayant testé les effets d’un traitement bradycardisant par l’ivabradine sur des paramètres pronostiques dur s comme la mor tal i té cardiovasculaire, les hospitalisations pour infarctus du myocarde non fatal, les hospitalisations pour aggravation de l’insuffisance cardiaque ou la nécessité de recourir à une procédure de revascularisation. La population de l’étude était constituée de plus de 10 000 patients coronariens, présentant une fréquence cardiaque à l’inclusion ≥60 bpm et une fraction d’éjection < 40 %. Si cette étude ne sort pas sur son critère primaire combinant la mortalité cardiovasculaire, les hospitalisations pour infarctus du myocarde non fatal ou l’aggravation de l’insuffisance cardiaque malgré une baisse de 5 bpm par rapport au groupe placebo, l’étude du sous-groupe de patients ayant une fréquence cardiaque > 70 bpm à l’inclusion (plus de 5 000 patients) montre que le traitement par ivabradine réduit significativement les hospitalisations pour infarctus du myocarde (-36 %) et les revascularisations (-30 %). L’étude BEAUTIFUL ANGINA s’est intéressée au sous-groupe de patients présentant un angor limitant (plus de 1 500 patients, soit 15 % de la population de l’étude BEAUTIFUL). Dans cette indication, le traitement bradycardisant par ivabradine réduit de 24 % le critère primaire composite (p = 0,05) et de 42 % les hospitalisations pour infarctus du myocarde (p = 0,021). Dans le sous-groupe des patients présentant un angor limitant et une fréquence cardiaque ≥70 bpm (plus de 700 patients), ces réductions sont, respectivement, de -31 % et -73 %. L’ivabradine chez l’insuffisant cardiaque : amélioration du pronostic par la réduction de la fréquence cardiaque. La fréquence cardiaque est un facteur de risque cardiovasculaire L’étude SHIFT (Swedberg K. et coll Lancet 2010), quant à elle, a étudié l’effet d’un traitement bradycardisant par l’ivabradine sur une population de patients souffrant d’insuffisance cardiaque congestive en classe II à IV de la NYHA, avec une fraction d’éjection ventriculaire gauche à l’inclusion ≤35 %, en rythme sinusal, et avec une fréquence cardiaque ≥70 bpm (plus de 6 500 patients) ; 90 % de ces patients étaient sous traitement bêtabloquant (dont 56 % prenaient au moins 50 % de la dose cible). Après un suivi médian de 23 mois, le traitement par ivabradine (réduction de la fréquence cardiaque de 8 bpm par rapport au groupe placebo) réduit significativement le critère primaire de jugement combinant la mortalité cardiovasculaire et les hospitalisations pour aggravation de l’insuffisance cardiaque de 18 % (p < 0,0001). La fréquence des hospitalisations pour aggravation pour insuffisance cardiaque et la mortalité par insuffisance cardiaque étaient toutes deux réduites de 26 % (p < 0,0001 et p = 0,014, respectivement) (figure 2). Enfin, l’étude montre que le niveau de fréquence cardiaque atteint après titration de l’ivabradine est prédictif du pronostic. Figure 2. Intérêt d’une baisse de la fréquence cardiaque par l’ivabradine chez l’insuffisant cardiaque. En pratique Les études animales et cliniques menées sur les effets de la réduction isolée de la fréquence cardiaque par l’ivabradine précisent l’influence de ce paramètre sur le devenir des patients cardiaques, et procurent un nouvel éclairage sur l’intérêt de son contrôle. Cet éclairage, qui hisse la fréquence cardiaque du rang de marqueur de risque à celui de facteur de risque, est susceptible de modifier significativement et rapidement les recommandations des sociétés savantes et nos pratiques dans la mesure où ce paramètre est d’un recueil très facile. Nous devrions être conduits à considérer sérieusement l’introduction, ou le renforcement, du traitement bradycardisant de tout patient coronarien ou insuffisant cardiaque dont la fréquence cardiaque est ≥70 bpm de manière à l’amener à 60 bpm. Cette indication semble d’autant plus forte que la fréquence cardiaque est élevée, qu’il existe une altération de la fonction systolique et, chez le coronarien, qu’il existe un angor limitant et/ou des signes d’ischémie lors des tests de provocation. Les deux outils majeurs dont nous disposons dans cet objectif sont, sans conteste, les bêtabloquants et l’ivabradine. Leur emploi combiné et réfléchi devrait nous permettre d’accroître significativement la proportion de patients aux objectifs thérapeutiques, tout en améliorant la tolérance du traitement. Les différentes données à notre disposition font penser que près de plus de 50 % des patients insuffisants cardiaques et/ou coronariens pourraient être concernés par une révision de leur prise en charge médicamenteuse. D’autres contextes d’utilisation du traitement bradycardisant méritent maintenant notre attention. Nous citerons, entre autres, l’insuffisance cardiaque à fonction systolique préservée, où la préservation de la vitesse de la relaxation et l’allongement de la durée du remplissage sont des éléments clefs, et l’insuffisance cardiaque aiguë, situation où la fréquence cardiaque atteint souvent des valeurs très élevées, notamment en cas de recours nécessaire aux amines pressives.

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