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Coronaires

Publié le 07 mar 2006Lecture 8 min

Quand et comment prescrire le clopidogrel en phase aiguë d'infarctus du myocarde ?

J.-M. JULIARD, hôpital Bichat-Claude-Bernard, Paris

Les bénéfices du traitement antiagrégant plaquettaire à la phase aiguë de l’infarctus du myocarde ont initialement été démontrés avec l’aspirine, qu’il est recommandé de prescrire en dose de charge en association avec la fibrinolyse et l’héparine. Les preuves d’un effet bénéfique du clopidogrel en association avec l’aspirine ont été apportées par les résultats de l’étude CURE, qui a abouti à l’indication actuelle de cette association après tout syndrome coronaire aigu (SCA), avec ou sans revascularisation en phase aiguë.

Bases physiopathologiques En phase aiguë d'infarctus du myocarde, la rupture de la plaque athéromateuse met à nu le sous-endothélium, ce qui génère l’activation et l’agrégation plaquettaires, et induit la formation de thrombine exposant au risque d'occlusion coronaire. Ce thrombus est entouré d'un riche agrégat plaquettaire le protégeant de l'action des fibrinolytiques. L'impact majeur d'une dose initiale d'un antiagrégant a été démontré dès 1988 avec l'aspirine dans l'étude ISIS-2. Comparativement au placebo, une dose de 160 mg d'aspirine réduit la mortalité de 23 %, bénéfice comparable à l'effet de la streptokinase seule. Cet effet est additif avec la streptokinase, avec une réduction de mortalité de 42 % par l'association fibrinolyse plus aspirine, et même 50 % chez les patients traités avant la sixième heure. Le bénéfice de l'aspirine est conservé sur un suivi de 10 ans. L'aspirine contribue également à réduire la réocclusion coronaire de 22 % en comparativement au placebo. Il est donc recommandé de prescrire systématiquement une dose de charge d'aspirine d'au moins 160 mg en association avec la fibrinolyse au cours de l'infarctus aigu du myocarde. L'héparine non fractionnée est également recommandée en association avec l'aspirine et la fibrinolyse en respectant les posologies suivantes : bolus 60 UI/ kg, maximum 4 000 UI suivies d'une perfusion de 12 UI/kg pour 24 à 48 heures avec un maximum de 1 000 UI/h (cible aPTT 50 à 70 ms avec mesure dès la 3e heure). Ce schéma thérapeutique est également validé en préhospitalier, et ne peut être remis en question dans l'état actuel de nos connaissances. Les héparines de bas poids moléculaire (HBPM) n'ont pas, actuellement, d'AMM en association avec la fibrinolyse au cours de l'infarctus aigu. Tout au plus, on peut émettre une recommandation à la suite des résultats de l'étude ASSENT-3 Plus, en utilisant l'enoxaparine (0,5 mg/kg IV et 1mg/kg toutes les 12 heures) en association avec la métalyse chez les patients de moins de 75 ans. La validation de l'utilisation des HBPM (enoxaparine) en association avec la fibrinolyse est attendue avec les résultats de l'étude EXTRACT-TIMI 25 prévus en 2006.   Clopidogrel et syndromes coronaires aigus ST Les données proviennent principalement de l’étude CURE. Dans cette étude, 12 562 patients avaient été randomisés en deux groupes au cours d’un SCA ST– : • aspirine en monothérapie ou en association avec du clopidogrel. Le critère de jugement principal était composite, associant décès, infarctus et accident vasculaire cérébral (AVC). Une réduction significative du risque a été démontrée par l'association aspirine plus clopidogrel (9,3 vs 11,4 %, p < 0,001), sans augmentation du risque d'hémorragie majeure (2,0 vs 1,8 %, p = 0,13). Les patients ont reçu en moyenne le traitement pendant 9 mois, ce qui explique l’indication actuelle du clopidogrel après tout SCA, avec ou sans revascularisation en phase aiguë. Au sein de cette étude, le bénéfice du clopidogrel a été évalué chez les patients traités par angioplastie (étude PCI-CURE) : • 2 658 patients ont bénéficié d'une angioplastie coronaire, • 1 313 ont reçu le clopidogrel, • 1 345 un placebo. Le critère de jugement primaire était composite, associant décès cardiovasculaire, infarctus ou revascularisation urgente du vaisseau cible à 30 jours. Dans ce groupe de patients ayant bénéficié d'un geste invasif, le clopidogrel a réduit le taux d'événements de 30 %, 6,4 % sous placebo contre 4,5 % sous clopidogrel (p = 0,03) (figure 1). À noter que la différence restait significative sur le critère associant décès et réinfarctus (4,4 vs 2,9 %) en raison d’une réduction significative du nombre de réinfarctus sous clopidogrel. Il y a eu moins d'utilisations d’anti-GP IIb/IIIa dans le groupe clopidogrel et le risque hémorragique était comparable entre les deux groupes de traitement. Figure 1. Résultats de l'étude PCI-CURE : réduction de 6,4 % à 4,5 % (p = 0,03) du critère décès, infarctus et revascularisation urgente du vaisseau cible à 30 jours. Clopidogrel et infarctus du myocarde ST +   Clopidogrel et fibrinolyse Malgré les progrès pharmacologiques en matière de produits fibrinolytiques, le pourcentage d'échecs est stable, de l'ordre de 40 %, même avec les produits de dernière génération, véritablement fibrino-spécifiques, comme le TNK-tPA qui s’administre en bolus unique, ce qui favorise son utilisation en préhospitalier, lieu idéal pour une fibrinolyse précoce. En raison de ces échecs de fibrinolyse, il était donc séduisant de renforcer l'activité antiagrégante de l'aspirine par une autre molécule dont le mécanisme d'action agissait par d'autres voies, comme le clopidogrel, inhibant la voie de l'ADP, afin de faciliter l'action initiale de la fibrinolyse. Pour mémoire, les résultats d’essais d’association entre fibrinolyse à dose réduite et anti-GP IIb/IIIa (GUSTO V, ASSENT 3 et ENTIRE-TIMI 23) avaient été concordants quant au risque hémorragique accru de ces « cocktails antithrombotiques » qui actuellement ne peuvent être recommandés sans validation ultérieure par des études complémentaires. Deux études randomisées ont testé le clopidogrel comparativement au placebo au cours de l'infarctus aigu traité par fibrinolyse et aspirine, CLARITY et COMMIT. Dans l'étude CLARITY, 3 491 patients âgés de 18 à 75 ans, présentant un infarctus aigu (< 12 h), traités par fibrinolyse + aspirine, ont été randomisés entre clopidogrel (300 mg en dose de charge puis 75 mg/j) et placebo. Une angiographie coronaire était programmée entre la 48e et 192e heure. Le critère principal de jugement associait : taux d'artères occluses sur l'angiographie programmée, décès et réinfarctus. L'efficacité a été en faveur du clopidogrel, avec un taux d'événements de 21,7 % dans le groupe placebo contre 15 % dans le groupe clopidogrel (p < 0,001) (figure 2). Cette différence n'était due, ni à la mortalité (particulièrement faible) (2,6 vs 2,2 % sous clopidogrel), ni aux récidives d'infarctus (2,5 vs 3,6 % sous clopidogrel), mais à une réduction d'artères occluses TIMI 0-1, 18,4 vs 11,7 % sous clopidogrel (p < 0,001). Ce bénéfice était constant dans tous les sous-goupes définis a priori selon l'âge, le sexe, le type de fibrinolytiques ou d'héparine utilisés et la localisation de l'infarctus. À 30 jours, le clopidogrel réduit le taux d'événements associant décès, réinfarctus ou récidive ischémique nécessitant une revascularisation, de 20 % (14,1 vs 11,6 %, p = 0,03). Le taux d'événements hémorragiques a été identique entre les deux groupes, 1,1 contre 1,3 % sous clopidogrel (p = 0,64). Figure 2. Résultats de l'étude CLARITY : efficacité du clopidogrel qui réduit le critère primaire (taux d'artères occluses, décès et réinfarctus) de 21,7 à 15 %. En revanche, l'efficacité de cette association reste à démontrer chez les patients présentant les critères d'exclusion : sujets > 75 ans, de petit poids (< 67 kg) ou ayant des antécédents de pontage aorto-coronaire. Dans ces groupes de patients à risque élevé, le rapport bénéfice/risque n'est pas clairement démontré. Une analyse comparable à celle de CURE-PCI a été effectuée parmi les 1 863 patients qui ont eu une angioplastie (étude PCI-CLARITY). Le prétraitement par le clopidogrel chez les patients traités par angioplastie en phase hospitalière a diminué le risque d'événements (décès, réinfarctus et AVC) de 6,2 % à 3,6 % (p = 0,008) (figure 3). À 30 jours, ces résultats se confirment en faveur du clopidogrel, le taux d'événements diminuant de 12 à 7,5 % (p = 0,001), sans excès d'événements hémorragiques (2 vs 1,9 %). Figure 3. Résultats de l'étude PCI-CLARITY : réduction de 6,2 % à 3,6 % (p = 0,008) du critère décès, infarctus et accident vasculaire cérébral à 30 jours. Le schéma de l'étude COMMIT était un peu différent de celui de l'étude CLARITY car les patients recevaient tous 75 mg/j de clopidogrel sans dose de charge (en association avec 162 mg/j d'aspirine) et un peu plus de 50 % des patients seulement avaient reçu un agent fibrinolytique. Cette étude, menée en Chine, a inclus 45 852 patients suspects d'infarctus du myocarde (< 24 h), qui ont été randomisés entre aspirine plus placebo ou aspirine plus clopidogrel. Le traitement était continué durant toute l'hospitalisation ou jusqu'à 4 semaines. Les patients programmés pour une angioplastie primaire ont été exclus, compte-tenu de la validation déjà reconnue du clopidogrel au décours de l'angioplastie. Deux critères primaires de jugement ont été définis à priori, l'un associant décès, réinfarctus et accident vasculaire cérébral (AVC) durant la période de traitement, l'autre concernant seulement la mortalité toutes causes confondues (tableau). Une majorité de patients avait reçu un traitement fibrinolytique (54,3 % dans le groupe clopidogrel contre 54,6 % dans le groupe placebo). Le résultat est en faveur du clopidogrel sur les deux critères de jugement (figure 4). Figure 4. Résultats de l'étude COMMIT : réduction de 10,1 à 9,3 % (p < 0,002) du critère décès, réinfarctus et accident vasculaire cérébral à 30 jours. Cette réduction relative du risque combiné est plus marquée en cas de fibrinolyse (11 %) qu'en son absence (7 %). Cependant, dans tous les sous-groupes, le bénéfice du clopidogrel est remarquablement constant, malgré l'absence de dose de charge. Le risque hémorragique a été identique entre les deux groupes, 0,55 vs 0,58 %, également dans les groupes à haut risque hémorragique que constituaient les patients âgés (> 70 ans) ou ceux qui avaient reçu un traitement fibrinolytique. À l'échelon de la Chine, si le clopidogrel était donné à 10 % des 10 millions d'infarctus recensés chaque année, ce serait 5 000 vies sauvées et 5 000 réinfarctus évités ! Bon rapport coût/efficacité !   Clopidogrel et angioplastie primaire Quand les conditions sont réunies, l'angioplastie primaire est un moyen sûr, efficace et rapide de réouvrir l'artère coronaire occluse, avec dans près de 95 % des cas la mise en place d'un stent nu (les stents actifs n'ayant pas encore démontré leur efficacité dans ce contexte). L'association aspirine + clopidogrel (avec une dose charge de 300 mg) est indispensable après implantation d'un stent, et idéalement la dose de charge devrait être donnée 4 à 6 heures avant la dilatation, ce qui fait discuter son administration en préhospitalier. Le bénéfice attendu du clopidogrel se situe plus sur la diminution du risque de réocclusion après angioplastie avec mise en place d'un stent plutôt qu'une augmentation du taux d'artères perméables en phase aiguë. Bien qu’il n’y ait pas d'étude prospective sur l'utilisation du clopidogrel au cours de l'infarctus aigu traité par angioplastie primaire, il existe un rationnel pour donner le clopidogrel en amont de l’angioplastie compte tenu de sa pharmacocinétique ; des recommandations peuvent donc être proposées.   Points forts et recommandations • Il n’y a pas d’AMM pour le clopidogrel au cours de l’infarctus aigu du myocarde. Des recommandations sont proposées, aidées par une mise au point récente élaborée par un groupe d’experts européens. • Au cours de la fibrinolyse (préhospitalière ++), on recommande une dose de charge de 300 mg, en association avec l'aspirine et l'héparine, en excluant les sujets âgés > 75 ans où le rapport bénéfice/risque n'est pas validé. • Chez un patient « en route » pour une angioplastie primaire, on recommande une dose de charge de 300 mg dès la prise en charge par l’unité mobile médicale. Une dose de charge de 600 mg peut aussi se concevoir. L'opportunité d’une évolution vers des doses plus fortes de clopidogrel (900 mg) doit être confirmée à plus large échelle à la suite des résultats encourageants de l'étude ALBION (figure 5). Figure 5. Résultats de l'étude ALBION : diminution continue du taux de troponine après angioplastie coronaire, selon diverses posologies de clopidogrel. Après l'infarctus, l'ordonnance de sortie associera clopidogrel (75 mg/j) et aspirine (habituellement 75 mg/j). Sauf angioplastie intercurrente, la durée de ce traitement sera de l'ordre de 9 mois. Il n’y a actuellement aucune donnée pour augmenter cette posologie ni pour la prolonger à vie en association avec l'aspirine.

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