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Risque

Publié le 29 sep 2009Lecture 10 min

Peut-on évaluer le risque de l'arrêt du traitement antiagrégant plaquettaire ?

G. CAYLA, J.-P. COLLET, Groupe Hospitalier Pitié-Salpêtrière, Paris

Environ 3 millions de français sont traités quotidiennement par de l’aspirine à faible dose et près de 1 million sont traités par clopidogrel dans le cadre de la prévention des complications de la maladie athérothrombotique. Si les recommandations sur l’utilisation de ces traitements au long cours manquent de niveau de preuve, en particulier sur la poursuite de la bithérapie au-delà de 1 an, toutes ont clairement souligné la nécessité de poursuivre une monothérapie indéfiniment.

La nécessité d’interrompre le traitement antiagrégant plaquettaire se pose fréquemment à l’occasion d’un geste invasif dans le but de prévenir les complications hémorragiques. Le risque d’événement thrombotique aigu n’est alors pas négligeable. Depuis l’arrivée des endoprothèses actives et la médiatisation dans la communauté médicale de la problématique des thromboses de stent, des efforts importants d’information et de prévention ont été faits sur le risque d’arrêt du traitement antiagrégant plaquettaire. Ce débat déchaîne les passions, d’autant plus qu’il n’existe pas de règle absolue en raison du manque d’évaluation scientifique. Finalement, cette question se résume à l’art d’exercer la médecine et repose sur l’évaluation du risque lié à cet arrêt. Cela suppose des connaissances mais surtout la communication autour du patient, centre d’intérêt d’une communauté de médecins. L’évaluation du risque est généralement bien faite chez les patients les plus à risque. En revanche, elle est largement sous-estimée chez les patients stables, souvent à faible risque, et qui constituent la majorité des cas où se pose la question de la gestion de l’arrêt. Notre objectif ici est de faire le point sur l’évaluation de ce risque. Principales recommandations sur l’utilisation des AAP oraux Nous avons résumé dans l’encadré 1 et la figure 1 les recommandations sur l’indication des AAP en prévention secondaire et sur leur interruption dans un contexte de chirurgie. Figure 1. Interruption des antiagrégants oraux en péri-opératoire. On remarque la nécessité de poursuivre une monothérapie sur le long cours. On remarque aussi que la gestion de l’arrêt des AAP repose sur des avis d’experts qui laissent le clinicien sur sa faim. L’évaluation du risque hémorragique n’est jamais prise en compte, on ne parle pas du traitement de substitution ; enfin, les délais proposés sont incompatibles avec la réalisation d’une chirurgie programmée dans les mois suivant un geste de revascularisation. Risques liés à l’arrêt du traitement antiplaquettaire Le message le plus important à retenir est que c’est le dernier antiplaquettaire arrêté qui tue. Ce risque thrombotique devient maximal après le 7e jour d’arrêt du traitement antiplaquettaire. Il s’explique par le recouvrement d’une fonction plaquettaire normale. Il est également lié à la réaction inflammatoire de cicatrisation postopératoire systématiquement associée à une augmentation du turn-over plaquettaire et du fibrinogène, qui favorisent une résistance naturelle aux AAP. Enfin, le défaut d’absorption des AAP administrés par voie orale est classique en postopératoire. L’arrêt des AAP est responsable d’environ 5 % des hospitalisations pour syndrome coronarien aigu et 15 % des récidives de syndromes coronariens aigus. Dans la période péri-opératoire d’environ 10 jours, on estime le taux de thrombose de stent à 2,5 %. Le taux de thrombose de stent rapporté dans la période des 10 jours péri-opératoires correspond exactement à celui rapporté en un an en l’absence d’arrêt des traitements AAP. Cette thrombose coronaire (avec ou sans stent) survient aussi bien avant qu’après l’intervention. Les facteurs prédictifs les plus évidents sont l’arrêt de tous les AAP et l’acte invasif effectué dans les 6 premières semaines suivant la pose du stent alors que la nature du stent n’a qu’un poids négligeable (tableau 1). Une récente revue de la littérature de tous les cas de thrombose de stent a bien démontré que l’arrêt complet de la bithérapie est associé à la survenue de la thrombose dans un délai de 10 jours. À l’inverse, en cas de maintien de l’aspirine à faible dose, le délai de survenue de la thrombose de stent est de 122 jours, remettant en cause le lien de causalité entre l’arrêt du clopidogrel et la survenue de l’accident thrombotique aigu (figure 2). Figure 2. Délai de survenue de la thrombose de stent en fonction de l’arrêt partiel ou complet de la bithérapie antiagrégante plaquettaire orale. (bleu = stent nu et rouge = stent actif). Ces données sont confortées par une récente analyse des patients ayant interrompu le traitement à l’étude (placebo ou clopidogrel) dans l’étude CHARISMA. Les patients ayant interrompu le clopidogrel (retrait de consentement ou hémorragie mineure) et chez qui l’aspirine à faible dose est maintenue ne présentent pas de rebond d’accident thrombotique et conservent le bénéfice acquis du clopidogrel comparativement à ceux ayant interrompu le placebo (figure 3). Figure 3. L’interruption partielle de la bithérapie dans l’étude CHARISMA n’est pas associée à un risque de rebond. Ce risque n’est pas une fatalité L’enquête REGINA (Registre sur la gestion de l’interruption des antiagrégants plaquettaires oraux chez le coronarien) a été effectuée auprès de praticiens soumis à des scénarios d’interruption des AAP oraux chez des coronariens stentés. Au total, 21 scénarios étaient proposés et l’arrêt complet de la bithérapie était requis dans un seul. Elle montre que le taux d’arrêt complet de la bithérapie est deux fois supérieur à celui attendu dans des situations de faible risque hémorragique (figure 4). De façon rassurante, les situations les plus à risque (hémorragique ou ischémique) sont les mieux gérées mais les moins fréquentes dans la vie de tout les jours (figure 5). Figure 4. Enquête REGINA sur les pratiques de l’arrêt de la bithérapie chez des patients ayant un stent actif et devant bénéficier d’un geste invasif à faible risque hémorragique. Plus de 2 500 praticiens ont participé à cette enquête. Figure 5. Arrêt complet de la bithérapie en fonction de l’existence d’un risque majeur ischémique. Pour autant, le risque lié à l’arrêt complet de tout AAP est bien établi et concerne tous les patients en prévention secondaire : il multiplie par 3 le risque d’événement cardiovasculaire grave. Or, deux fois sur 3, cet arrêt n’est pas justifié médicalement et témoigne souvent d’une erreur d’appréciation du risque hémorragique ou de l’absence de concertation médicale. Comment évaluer ce risque ? Cela demande du pragmatisme et surtout une décision collégiale et donc le partage de l’information. Le risque d’accident thrombotique aigu, et en particulier celui de thrombose de stent, dépend de deux facteurs essentiels : – la nécessité ou nom d’arrêter les deux antiagrégants plaquettaires ; – le délai d’interruption par rapport à l’implantation de l’endoprothèse ou par rapport au syndrome coronaire aigu. Les autres facteurs à prendre en compte sont en général non modifiables et constituent des comorbidités, qui sont résumées sur la figure 6. Il est probable que la nature du stent ait un impact moindre que ce que l’on ait pu imaginer au départ. Cela est d’ailleurs conforté par la figure 2 et le registre RECO des anesthésistes. L’évaluation du risque hémorragique lié au geste invasif est bien plus difficile, notamment pour le cardiologue qui ne prend en général pas en compte la période postopératoire qui est très complexe. L’analgésie postopératoire et donc la technique anesthésique (rachianesthésie fréquemment pratiquée), la nécessité d’une prévention des accidents veineux thromboemboliques postopératoires, la reprise d’un transit intestinal et la réaction inflammatoire sont autant de facteurs qui vont rendre aléatoire la reprise des AAP mais également leur efficacité biologique. L’encadré 2 résume le risque hémorragique des interventions chirurgicales. On voit que, dans certains cas, il n’est pas raisonnable de défendre la poursuite de la bithérapie. Mais ces situations sont heureusement rares (neurochirurgie, chirurgie carcinologique lourde, etc.). Figure 6. Facteurs prédictifs de la thrombose de stent. Que faire en pratique ? Les règles de base à observer : – Ne pas envisager d’endoprothèse active chez les patients à risque de chirurgie intercurrente (importance de l’interrogatoire précis, précautions chez les sujets âgés à risque élevé de chirurgie intercurrente). – Différer tout geste invasif et en particulier la chirurgie non urgente de 6 à 12 mois au mieux en cas d’endoprothèse active. – En cas de chirurgie qui ne peut être différée, on doit respecter la règle des 6 semaines quelle que soit la nature de l’endoprothèse. – Pas d’arrêt systématique de tous les AAP : la majorité des actes invasifs peuvent se faire sous aspirine faible dose. – Favoriser les discussions pluridisciplinaires (cardiologues, chirurgiens, anesthésistes). – Se reporter aux consensus d’expert et aux recommandations des sociétés savantes. – En cas d’arrêt nécessaire : arrêt court (5 jours) et reprise rapide (avec dose de charge si arrêt de tous les AAP). – Pas de traitement de substitution. Les recommandations de la SFAR et de la société française de cardiologie Ces recommandations ont été rédigées pour guider la gestion du traitement antiagrégant plaquettaire chez les patients porteurs d’endoprothèses actives (tableau 2). Ce tableau à double entrée évalue pour chaque intervention le risque hémorragique et le risque thrombotique. L’arrêt de tout traitement est nécessaire en cas de risque hémorragique majeur sans hémostase possible et ce, quel que soit le risque de thrombose associé. Dans tous les autres cas de figure, le maintien de l’aspirine doit rester une règle de base et la bithérapie sera maintenue en cas de risque mineur, ce qui est le cas de la plupart des gestes endoscopiques. En ce qui concerne le risque de thrombose de stent, ce risque est majeur dans les 6 premières semaines d’un SCA ou de la pose du stent et le maintien de la bithérapie doit rester la règle. Dans tous les autres cas de figure, l’arrêt temporaire du clopidogrel peut être envisagée et discutée. « Substitution » du clopidogrel par l’aspirine pendant la période opératoire Elle ne repose sur aucune étude ou recommandation. Le risque hémorragique du geste chirurgical probablement plus faible que sous clopidogrel, sa plus grande facilité d’emploi en péri-opératoire et sa moindre résistance biologique potentielle en font une alternative intéressante dans les situations chirurgicales. Ceci ne concerne pas les biopsies où la résection tissulaire est infime et la réaction inflammatoire nulle. Substitution de l’aspirine ou du clopidogrel Elle n’a aucun intérêt scientifique et pratique à ce jour. Elle doit être considérée comme délétère dans la mesure où elle favorise des interruptions prolongées de la bithérapie mais, surtout, elle favorise le risque hémorragique peropératoire. En l’état actuel des connaissances, aucun traitement substitutif (HNF ou HBPM) à doses curatives, ou anti-inflammatoire non stéroïdien n’a été validé de façon prospective, même si le flurbiprofène (Cébutid®) possède une AMM comme agent antiplaquettaire dans la maladie coronaire. Cas particulier des gestes « interventionnels » • Gestes endoscopiques gastro-entérologiques : Tous les gestes endoscopiques diagnostiques peuvent être réalisés sous bithérapie antiplaquettaire. Presque tous les gestes biopsiques peuvent être effectués sous aspirine seule voire sous apirine et clopidogrel (elles sont en cours de réédition par l’HAS) (www.sfed.org). • Gestes endoscopiques pneumologiques : Tous les gestes endoscopiques peuvent réalisés sous aspirine seule à l’exception des biopsies transbronchiques (www.splf.org). • Gestes odontologiques : Toute la chirurgie parondontale peut être faite sous aspirine seule. (www.sfmbcb.org). • Rhumatologie interventionnelle : Pas de recommandation spécifique à ce jour. Les infiltrations articulaires périphériques (à l’exception de la hanche) sont possibles sous aspirine. Concernant la bithérapie antiplaquettaire, il n’y a pas de données disponibles concernant le risque. Les infiltrations des articulaires postérieures sont possibles également. Les infiltrations rachidiennes exposent au risque d’hématome périmédullaire. La SFAR (Conférence d’expert 2001) ne contre-indique pas la réalisation d’une anesthésie périmédullaire en cas de prise d’aspirine à faible dose ; en revanche, en l’absence de données sur le risque hémorragique ce type d’anesthésie est contre-indiqué chez les patients traités par thiénopyridines. Éducation du patient et des praticiens Les patients porteurs d’un stent doivent bénéficier, tout comme les patients sous traitement par antivitamine K, d’une éducation et doivent porter une carte de liaison des antiplaquettaires. Cette carte, validée par de nombreuses sociétés savantes, doit être remise à chaque patient porteur d’une endoprothèse. Les praticiens doivent aussi être éduqués ; cela passe par un très bon interrogatoire des patients devant bénéficier de la mise en place d’endoprothèse avec recherche de chirurgie programmée dans l’année suivant l’implantation ou de sur-risque hémorragique particulier faisant craindre une mauvaise tolérance de la bithérapie antiplaquettaire au long cours. En pratique La gestion des AAP oraux dans la période péri-opératoire doit être pragmatique et nécessite la prise en compte du double risque : le risque ischémique relativement facile à mesurer et un risque hémorragique souvent plus difficile à évaluer. Retenons que c’est le dernier antiagrégant arrêté qui tue et que, lorsque l’on a respecté un délai de 6 semaines après la pose d’un stent ou après un SCA, le risque d’accident thrombotique est mineur voire inexistant si l’aspirine est maintenue. En attendant STRATAGEM et les études randomisées qui évaluent l’interruption de la bithérapie vers une monothérapie il faut continuer à exercer l’art de la médecine au mieux. Cela passe par les discussions pluridisciplinaires qui restent incontournables, l’information du patient sur les attitudes envisagées.

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