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Risque

Publié le 09 nov 2010Lecture 6 min

Maîtrise et gestion des risques - Expériences de l’anesthésie, perspectives pour la médecine ?

A. MIGNON, Hôpital Cochin, Paris

Les Journées françaises de l'insuffisance cardiaque

La médecine a effectué au cours des 10 dernières années une prise de conscience salutaire ! Le rapport « To Err Is Human » aux États-unis (1999), repris récemment en France par l’enquête ENEIS (Effets Indésirables liés aux Soins, 2004)(1), indique bien que les risques d’erreur et de non qualité en médecine existent, qu’ils sont loin d’être rares et le plus souvent évitables. Ils sont par ailleurs de moins en moins acceptés et acceptables, ni par la société, ni par les patients devenus consommateurs, voire procéduriers. Les accidents ne peuvent plus être le prix à payer pour les inestimables bénéfices attendus de la médecine et de ses progrès, comme cela fut le cas jusqu’à encore assez récemment. Et pourtant, cette « insécurité », cette « non qualité » des soins, ces risques persistent, ce d’autant que la médecine soigne des affections de plus en plus complexes, grâce à des techniques de plus en plus puissantes, donc non dénuées d’autant d’effets indésirables potentiels que d’effets positifs. Cette médecine moderne implique par ailleurs de plus en plus d’intervenants, de culture et de formation différentes, de plus en plus compétents sur des sujets de plus en plus étroits et pointus : Le travail d’équipe porté au plus haut niveau d’exigences qui soit !

De grands progrès depuis les années 80 L’anesthésie-réanimation a depuis longtemps porté une réflexion de fond sur le sujet. En France, le point de départ remonte à la première enquête sur la mortalité liée à l’anesthésie dans les années 80. Rappelons qu’à l’époque, près d’une anesthésie sur 10 000 conduisait à un décès directement en rapport avec la technique ou la prise en charge anesthésique, ce qui pour une pratique médicale qui ne guérit de rien, mais permet seulement à un autre médecin ou chirurgien de traiter un patient, était tout simplement inacceptable ! Ceci intervenait par ailleurs dans la perspective d’une explosion des actes (à l’époque 1,5 millions, aujourd’hui plus de 9 millions chaque année) !   Vingt ans plus tard, la mortalité directement imputable à l’anesthésie a été réduite quasiment d’un facteur 10 (1 pour 150 000), en France comme dans tous les autres pays développés, devenant ainsi un signal faible, de plus en plus difficile à mesurer et étudier ainsi qu’à améliorer de manière continue(2).   Dès la première enquête, l’analyse des causes de mortalité directement en rapport avec l’anesthésie avait permis de démontrer que les décès étaient fortement liés à des facteurs humains, le plus souvent intervenant en dominos (erreurs ou retard d’exécution, manque de compliance aux standards de soins), mais aussi à des facteurs structurels ou systémiques (manque ou mauvaise utilisation de ressources/manque de supervision/défaut de communication orale ou écrite). Ainsi, l’accident d’anesthésie grave résulte d’interactions entre des actes non sûrs réalisés par des acteurs de première ligne et des conditions latentes d’exercice favorisant la survenue d’erreurs ou limitant la récupération de ces erreurs (near-miss ou « presque-accident » des Canadiens). Ces conditions latentes sont les différents trous du désormais célèbre gruyère suisse du modèle de Reason, au travers desquels la probabilité qu’une flèche (sommation d’erreurs individuelles) traverse toute la meule est d’autant plus faible que le système est ultra performant.(3)    Une fois réglés les pré-requis liés à la formation des acteurs, aux équipements et aux infrastructures, c’est en mettant en place par voie réglementaire des standards pour ces structures de surveillance (salle de réveil, SSPI) et certaines procédures de soins qu’a pu chuter de manière très significative la mortalité anesthésique en 20 ans.   Une démarche normative   Cette démarche normative, avec toutes ses rigidités et ses limites (mauvaise adaptation aux situations changeantes, relative perte de liberté de décision, voire frein à l’innovation), est celle des systèmes ultra-sûrs (aéronautique, nucléaire). La création d’agences comme le Joint Commission on Accreditation of Healthcare Organizations (JCAHO), l’Agency for Healthcare Research and Quality (AHRQ) aux États-Unis, et en France l’Agence Nationale d’Évaluation en Santé (ANAES), puis la Haute Autorité de Santé (HAS), avec pour objectif de promouvoir la standardisation, les protocoles, les procédures et l’évaluation des pratiques, s’inscrit pleinement dans cette démarche. On l’oppose (mais on peut aussi l’associer) à celle des systèmes HRO (High Reliability Organisation ou systèmes « à haute fiabilité ») dont les activités comportent de nombreuses situations d’imprévu, qui se prêtent mal à la standardisation. De hauts niveaux de sécurité y sont obtenus par l’excellence de la cohésion et de la communication au sein des équipes, tout en laissant une grande liberté de décision aux acteurs, permettant une meilleure gestion de l’inattendu et de la résilience(4). On voit vite comment et pourquoi de nombreux pans de la médecine autres que l’anesthésie-réanimation pourraient s’inscrire dans ce cadre, on y reviendra, mais examinons un autre exemple très actuel et finalement très proche, parfois même commun, la sécurité au bloc opératoire.   Améliorer la sécurité au bloc opératoire   Le nombre d’interventions chirurgicales réalisées chaque année dans le monde est supérieur à 200 millions, soit une intervention pour 25 personnes par an. Les progrès enregistrés dans les spécialités chirurgicales et en anesthésie-réanimation ont largement contribué à l’amélioration de l’état de santé et de l’espérance de vie des populations. Néanmoins, le taux de complications graves induites par la chirurgie dans les pays industrialisés serait encore de 3 à 20 %, et la mortalité toute chirurgie confondue proche de 1 %(5).   La moitié de ces complications sont considérées comme évitables.   Ceci correspond à 7 millions de complications graves et 1 million de décès par an dans le monde, 20 à 40 000 en France ! C’est un tel problème de santé publique que l’OMS a placé en 2008 «safe surgery saves lives» comme une des priorités mondiales de santé publique. La publication début 2009 de l’étude princeps de Haynes dans le New England Journal of Medicine tombe alors à pic(6) ! Ce travail a testé l’efficacité de l’implémentation d’une check-list au bloc opératoire de 19 items intéressant tous les acteurs du processus chirurgical au travers d’une étude « avant-après » menée sur près de 8 000 interventions chirurgicales réalisées dans 8 pays sur une période courte (moins d’un an). Les résultats bruts sont édifiants : diminution hautement significative du taux de mortalité de 1,5 % à 0,8 % et du taux de complications de 36 % en moyenne, passant de 11,0 % à 7,0 %. Ces résultats concernent toute la population, sont impressionnants tant qualitativement que quantitativement (réduction de moitié de la mortalité), et sont enregistrés aussi bien dans l’hôpital rural de Tanzanie que dans les hôpitaux prestigieux de Seattle, Toronto ou Londres.   Ainsi, cette nouvelle méthode très efficace, dénuée d’effets secondaires, qui n’a fait l’objet d’aucunes controverses notoires, qui peut être mise en place rapidement (1 semaine à 1 mois), et pour un coût très réduit, est-elle en train de devenir obligatoire en Grande-Bretagne comme en France (début 2010 dans une version un peu francisée pour permettre une meilleure appropriation).   Un autre point intéressant de cette check-list est qu’elle joint les 2 démarches précédemment citées, normatives et « HRO ». En effet, les 19 points de la check-list ciblent 2 objectifs, celui de s’arrêter avant les points critiques de non-retour pour vérifier que rien d’essentiel n’a été oublié (le bon patient, le bon côté, l’absence d’allergie, la vérification transfusionnelle, l’antibio-prophylaxie selon les recommandations de bonne pratique (RPC) normatives), et celui d’imposer une communication centrée sur le patient, standardisée, entre les différents acteurs au début et à la fin de la chirurgie, chacun devant exprimer à haute voix les difficultés qu’il prévoit, afin qu’elles soient partagées par toute l’équipe.   Un travail en équipe Les progrès en chirurgie ou périnatalité, travail éminemment collectif, résident forcément dans l’amélioration du travail en équipe. Ainsi, l’anesthésie (ou la transfusion) ont des risques résiduels très faibles aujourd’hui. Les progrès individuels de ces spécialités n’ont pas d’impact décisif pour le malade si la synergie nécessaire avec les autres n’est pas une réalité(7). Par ailleurs, cette synergie peut-elle ne se limiter qu’au seul bloc opératoire ? Le soin est le produit d’équipes multiples, travaillant aussi dans les consultations ou les salles d’hospitalisation, et devant sans cesse échanger des informations. Ainsi, le « quoi faire » devient aussi important que le « comment faire », plus particulièrement en équipe. C’est donc une approche globale, centrée sur le patient, impliquant les différents intervenants tout au long de la chaîne de soins qu’il faut construire et amplifier. C’est une démarche très structurante à laquelle l’exercice dans différents domaines de la médecine a de nombreuses raisons d’adhérer : plusieurs patients à gérer parfois en même temps, nombreuses compétences différentes sollicitées, imprévu permanent ! Il ne fait ainsi de doute pour aucun médecin que l’anticipation des situations à risque et la présence simultanée de professionnels qui se connaissent, communiquent, se respectent, connaissent les problèmes des uns et des autres, permettent de réduire les délais et de mettre en route au plus vite des interventions thérapeutiques coordonnées au mieux pour la qualité et la sécurité des soins. Ces éléments intuitifs sont désormais documentés par des études conduites dans différents pays et différentes spécialités(8).   En 2011, cessons de nous limiter à la théorie ou de regarder chez les autres, passons à la phase opérationnelle !  

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