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Cardiologie générale

Publié le 04 avr 2006Lecture 6 min

Est-il vraiment possible de raccourcir l'ordonnance des sujets âgés ?

C. VIGUIÉ, hôpital Paul Brousse, Villejuif

La longueur croissante des prescriptions médicamenteuses, en particulier chez les sujets âgés, est en train de devenir un véritable problème. Problème strictement médical d’abord avant que d’être une préoccupation financière. Raccourcir les ordonnances devient ainsi un objectif important mais, en pratique quotidienne, sa réalisation n’est pas loin de s’apparenter à la quadrature du cercle !

Polymédication chez les sujets âgés : de multiples raisons  Avec le poids des ans, l’incidence et la gravité des problèmes cardiovasculaires augmentent : hypertension artérielle, troubles du rythme, insuffisance coronaire, valvulopathies dégénératives, insuffisance cardiaque, accidents vasculaires cérébraux…  avec pour conséquence la première cause de mortalité mais aussi d’incapacité. À une époque où la pratique médicale, et tout particulièrement la cardiologie, peut s’appuyer sur des recommandations croissantes tirées de la médecine basée sur les preuves « evidence-based medecine », chacun peut constater que chez le sujet âgé  «  rationaliser » les prescriptions ne veut pas dire les alléger ! La cardiologie enfin ne résume pas  la morbidité gériatrique et les autres disciplines ont également leurs recommandations spécifiques…   Cette polymédication peut se révéler fâcheuse – La multiplication des prises médicamenteuses, avec ses contraintes pour le patient unduit des risques d’erreurs ou d’oublis ; – Le risque de mauvaise observance mais aussi d’inferférences médicamenteuses, diminue l’efficacité de la thérapeutique ou aggravant sa dangerosité : ainsi, l’effet délétère des AINS vis-à-vis de l’HTA ou les variations de l’INR, souvent méconnues mais potentiellement dangereuses lors de l’association des AVK à divers traitements non cardiologiques (AINS mais aussi antalgiques,  antibiotiques, médications gastro-intestinales…) ; – Le surcoût financier, enfin, d’une médication expansive pour une partie croissante de la population (et la collectivité) n’est pas des moindres.   Des obstacles majeurs à l’allègement des ordonnances   Psychologiques d’abord Les obstacles psychologiques sont l’attachement du patient à un traitement ancien ; force de l’habitude chez le médecin ou souci de ne pas mécontenter un correspondant pour le spécialiste ; sans parler pour le prescripteur de la crainte de s’exposer à la critique de vouloir rationner les soins chez les plus vieux ou de faire de « l’euthanasie socio-gériatrique »…   Mais aussi scientifiques Le souci légitime est d’appliquer les toutes dernières recommandations en matière d’HTA, de syndrome coronarien aigu, d’insuffisance cardiaque mais aussi de fibrillation auriculaire, d’insuffisance rénale, de diabète ou de dyslipémie… Alors comment, malgré tout, optimiser nos prescriptions, c’est-à-dire chercher à concilier rigueur scientifique et ordonnance «  raisonnable » ?                                                                                                                                     Optimiser les prescriptions   Plusieurs conditions préalables apparaissent nécessaires Davantage d’études cliniques reflétant la réalité quotidienne des malades, c’est-à-dire des études non pas centrées sur une pathologie ou une thérapeutique chez un sujet d’ âge moyen, mais des études portant sur divers types de patients d’âges et de comorbidités variables. Ainsi, plusieurs études consacrées à l’AC/FA ou à l’HTA en fonction du terrain  ont été de bons exemples et ont grandement amélioré la morbi-mortalité des sujets âgés. Disposer chaque fois que possible d’un diagnostic objectif, tout particulièrement dans les domaines de l’insuffisance cardiaque et de l’insuffisance coronaire, mais aussi dans l’HTA du sujet âgé, ces pathologies pouvant légitimer de lourds traitements. Quant au surcoût de dépenses induites par l’utilisation des techniques modernes de diagnostic (imagerie diverse, biologie, enregistrements de longue durée), on peut espérer les amortir en récusant de fausses pathologies…   Essayer de bien connaître le patient à traiter, avec prise en considération de l’âge, bien sûr, mais aussi et surtout des comorbidités, de l’espérance de vie, de l’état cérébral, des handicaps et du niveau d’activité physique, enfin, du mode de vie dans la cité ou en institution. D’où l’indispensable collaboration  avec un véritable « médecin traitant » ; Bien savoir ce que l’on peut attendre des divers médicaments : traitement symptomatique ou traitement de fond, prévention primaire ou secondaire, marge thérapeutique, effets secondaires défavorables mais aussi les effets latéraux bénéfiques… Définir au bout du compte un objectif  thérapeutique adapté à la personne grâce à des «  niveaux d’intervention » en fonction des comorbidités (encadré ci-dessous).   En pratique comment intégrer ces considérations dans nos prescriptions ?   Les antiagrégants plaquettaires (aspirine en premier lieu) sont le plus souvent incontournables chez le sujet âgé, quelle que soit la pathologie cardiovasculaire (coronaire ou périphérique, FA si les anticoagulants sont formellement contre-indiqués), mais aussi en l’absence d’atteinte cardiovasculaire patente s’il y a des facteurs de risque significatifs ( HTA, diabète). Les AVK restent a priori indispensables en cas de FA emboligène, de prothèses valvulaires mécaniques et, bien sûr, de maladie thromboembolique veineuse évolutive. Les antiarythmiques jouent un rôle primordial pour rétablir ou maintenir un rythme sinusal, en particulier quand les AVK sont contre-indiqués mais, si leur intérêt perdure pour réduire les risques d’AVC ischémique ou de défaillance cardiaque, leur marge thérapeutique s’amenuise au fil des ans. Les statines apparaissent désormais plus comme un traitement préventif des complications thrombotiques des artériopathies constituées (prévention secondaire +++) que comme un agent de prévention primaire, et gardent toute leur place quand l’objectif est de diminuer les hospitalisations et les complications ischémiques cérébrales ou myocardiques. Les antihypertenseurs restent nécessaires car le bénéfice du traitement a été démontré chez le sujet âgé. Le contrôle de la PA est, en effet, à tout âge un impératif majeur pour réduire les risques d’AVC, mais aussi de passage en AC/FA, de poussée d’insuffisance cardiaque et, à un degré moindre, d’insuffisance coronaire. Si les modalités du traitement restent l’objet de débats, l’important est l’abaissement tensionnel, fonction de l’objectif thérapeutique assigné pour chaque patient. Le plus souvent, une multithérapie est nécessaire, incluant alors un diurétique, mais la polyvalence heureuse des autres classes médicamenteuses (anticalciques, IEC, ARA II, bêtabloquants)  permet si besoin de faire d’une pierre deux coups (ou plus) en cas d’insuffisance cardiaque ou coronaire associée, voire de certains troubles du rythme. Quant à l’insuffisance cardiaque et l’insuffisance coronaire, enfin, il apparaît essentiel de bien différencier  médicaments symptomatiques (diurétiques, dérivés nitrés voire anticalciques) et traitements de fond (bêtabloquants, IEC, ARA II), sans parler de la cardiologie interventionnelle ou de la chirurgie, dont l’utilisation sera directement déterminée par le niveau d’intervention précédemment défini.   En conclusion   Rester lucide : vouloir alléger l’ordonnance d’un sujet âgé est une préoccupation médicalement légitime mais difficile à réaliser. Réussir à concilier progrès des connaissances médicales et conscience des limites de la vie. Cela n’apparaît  possible qu’au prix d’un effort constant et chronophage. Mais n’est-ce pas là la condition d’une cardiologie à visage humain ?

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