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Coronaires

Publié le 23 nov 2010Lecture 9 min

Rôle de la fréquence cardiaque dans la maladie coronaire et dans l’insuffisance cardiaque - La fréquence cardiaque, acteur ou témoin ?

B. PIERRE, Lyon

CNCF

Qu’est ce qu’un témoin ? Littéralement, un témoin atteste d’une réalité tout en étant extérieur à celle-ci, passif, alors que l’acteur prend une part active, joue un rôle clef. En termes médicaux, un marqueur (de risque) indique, repère, signale, exprime, témoigne, alors qu’un facteur (de risque) est générateur de risque, avec une relation causale possiblement sensible à une intervention. Qu’en est-il de la fréquence cardiaque ?

Depuis l’antiquité, les médecins étudient le pouls de leurs patients (fréquence, « qualité ») à la recherche d’indices diagnostiques et pronostiques. Du fait de leur expérience clinique, de leur connaissance (même parfois modeste) de la physiologie et de la physiopathologie, les cardiologues traitants sont intuitivement convaincus depuis longtemps de l’intérêt d’agir sur une fréquence cardiaque (FC) trop rapide : – meilleure qualité de vie lorsque la tachycardie est mal vécue ; – préconisation d’un exercice physique régulier ; – constatation d’insuffisances cardiaques induites par une tachycardie (le plus souvent par FA[Fibrillation Auriculaire]) et totalement résolutives par la normalisation de la FC (myocardiopathies rythmiques en tachyarythmie, thyréotoxicose) ; – décompensation hémodynamique chez les insuffisants cardiaques à fonction systolique préservée en raison d’une tachycardie, (le plus souvent par FA), même s’il est alors difficile de faire la part entre FC trop rapide et perte de la coordination auriculoventriculaire ; – objectif d’une FC abaissée entre 50 et 60 bpm chez le coronarien chronique dans l’optique de réduire les événements ischémiques, marqueurs pronostiques connus de longue date. Depuis une cinquantaine d’années les études épidémiologiques successives ont démontré avec cohérence qu’une FC rapide est un marqueur de risque, un prédicteur de mortalité.   FC : marqueur de risque   Chez les sujets sains L’étude de FRAMINGHAM débutée en 1948 (Kannel WB et al. Am Heart J. 1987) dans une cohorte de 5 070 adultes suivis 30 ans montre que le risque de décès « toutes causes », cardiovasculaires ou coronaires est positivement corrélé à la FC de repos indépendamment des autres facteurs de risque cardiovasculaire. Une étude d’observation française (Benetos A et al. Hypertension 1999), chez 25 000 individus suivis pendant 20 ans, retrouve, après ajustement sur les  autres facteurs de risque, une augmentation de 40 % du risque de décès cardiovasculaire pour une augmentation de FC de 20 bpm. La relation entre FC rapide et décès étant plus claire chez l’homme et pour la mort subite.   En pathologie cardiovasculaire • L’HTA et le syndrome métabolique sont habituellement corrélés à une élévation (modérée mais significative) de la FC (Levy RL et al. JAMA, 1945 et Palatini P et al. Hypertension, 1997). • Dans la maladie coronaire chronique ou aiguë, la valeur pronostique de la FC au repos a été bien démontrée par de nombreuses études parmi lesquelles le registre CASS (Circulation 1981), le registre GISSI-3 et les études GUSTO, CIBIS II, DANAMI II, EUROPA… En particulier, le registre américain CASS, avec un suivi moyen de 15 ans, révèle que les patients coronariens dont la FC dépasse 83 bpm, ont un excès de risque de décès « toutes causes » de 32 % (p < 0,001), de décès de cause cardiovasculaire de 31 % (p < 0,007) par rapport à  ceux dont la FC est < 83 bpm. L’étude BEAUTIFUL (Fox K et al. Lancet 2008) a également démontré de façon prospective que le risque cardiovasculaire est corrélé à une FC élevée, à partir de 70 bpm au repos, chez des coronariens ayant une dysfonction ventriculaire gauche. L’incompétence chronotrope d’effort comme une diminution lente de la FC à l’arrêt de l’effort sont également des marqueurs pronostiques défavorables. • Dans l’insuffisance cardiaque, SHIFT (Swedberg et al, Lancet 2010) retrouve une corrélation positive entre événements cardiovasculaires, mortalité et élévation de la FC.   Peut-on passer du concept de marqueur à celui de facteur de risque réversible ? Les données physiologiques et physiopathologiques offrent des arguments pour considérer que l’élévation de la FC (par augmentation du tonus sympathique et baisse du tonus parasympathique) est un véritable facteur de risque. En effet, il existe une corrélation positive entre FC et insulinorésistance, syndrome métabolique, hématocrite, HVG (Hypertrophie Ventriculaire Gauche), remodelage VG, dysfonction endothéliale, rigidité artérielle, athérosclérose, risque de rupture de plaque, risque d’ischémie myocardique, laissant espérer une réduction de l’ensemble de ces risques par un ralentissement de la FC.   Les études d’intervention La plupart d’entre elles ont été réalisées avec les bêtabloquants. Chez le coronarien en postinfarctus et dans l’insuffisance cardiaque par dysfonction systolique VG, les bêtabloquants ont démontré leur efficacité en termes de réduction de mortalité totale et de mort subite, suggérant le bénéfice d’un ralentissement de la FC. Cependant si les bêtabloquants sont bradycardisants, ils possèdent également bien d’autres modes d’action et il est donc difficile d’affirmer que les bénéfices obtenus sont le seul fait du ralentissement de la FC. Cependant, chez le coronarien comme chez l’insuffisant cardiaque, il parait exister une relation directe entre baisse de la FC et amélioration pronostique (Cucherat M et al. Eur Heart J 2007 et Lechat P et al. CIBIS II trial. Circulation 2001). L’ivabradine, bradycardisant « pur » offre un « modèle expérimental ». L’étude BEAUTIFUL laissait entendre (par l’analyse du sous-groupe spécifié à FC > 70 bpm) que la FC avait un rôle de facteur de risque causal dans la maladie coronaire mais que, dans l’insuffisance cardiaque, elle n’était peut-être qu’un marqueur de risque du fait d’un effet neutre de l’ivabradine sur les événements de l’insuffisance cardiaque. En revanche l’étude SHIFT (menée chez des insuffisants cardiaques ayant tous une FC de repos d’au moins 70 bpm, et en rythme sinusal) et son analyse en sous-groupes par quintiles de FC  sont  en faveur du rôle de facteur de risque et non seulement de marqueur de risque de la FC dans l’insuffisance cardiaque par dysfonction systolique. Plus la FC est basse, à l’entrée dans l’étude comme en fin d’étude, plus les critères d’évaluation primaire (décès de cause cardiovasculaire et hospitalisation pour insuffisance cardiaque) et secondaires sont favorables.   En pratique   Bien que la fréquence cardiaque de repos soit influencée par de nombreux facteurs (âge, sexe, génétique, entraînement physique, pathologies cardiaques comme extra cardiaques) et donc d’interprétation difficile, les études expérimentales, physiopathologiques, épidémiologiques et d’intervention l’ont fait passer progressivement du rôle de marqueur à celui de facteur de risque pour la maladie coronaire et l’insuffisance cardiaque, à partir d’une valeur de 70 bpm au repos.   L'ivabradine "au secours" de l'angioscanner E. Millara d’après J. Bax et al. Une visualisation fiable des coronaires à l’angioscanner est facilitée par une FC stable et basse. Les bêtabloquants IV sont classiquement utilisés à cet effet, mais rencontrent des limitations en cas de maladies respiratoires obstructives ou d’insuffisance cardiaque. Du fait du mécanisme d’action de l’ivabradine, qui abaisse sélectivement la FC à l’exclusion de tout autre effet hémodynamique, il était tentant d’en envisager l’utilisation en vue de faciliter cet examen. Un essai randomisé versus placebo a ainsi été conduit dans 58 centres auprès de 370 patients en rythme sinusal avec une FC ≥ 70 bpm, devant subir un angioscanner mais présentant des contre-indications à l’emploi des bêtabloquants. L’ivabradine était injectée en bolus IV, à raison de 10 mg si la FC était comprise entre 70 et 79 bpm et de 15 mg à partir de 80 bpm. Si une FC ≤ 65 bpm n’était pas atteinte 15 mn après l’injection, la décision de réaliser ou non l’examen était laissée à l’appréciation de l’investigateur. 252 patients ont été randomisés dans le groupe ivabradine et 118 dans le groupe placebo. La FC initiale moyenne était de 79 vs 80 bpm, respectivement. Une FC ≤ 65 a été obtenue en 15 min chez 55 % des patients avec l’ivabradine et 23 % avec le placebo (p < 0,0001). L’angioscanner a pu être réalisé chez 87 % des patients recevant l’ivabradine contre 65 % dans le bras placebo (p < 0,0001). La fréquence cardiaque moyenne au cours de l’examen a été de 65 ± 8 bpm dans le groupe ivabradine vs 76 ± 12 bpm pour le placebo (p < 0,0001). La praticabilité de l’examen a été jugée significativement meilleure pour le groupe ivabradine (p < 0,05) avec un score « bonne ou très bonne » pour 79 % des patients vs 63 % pour le placebo. La dose de radiations subie durant l’examen a été significativement moindre avec l’ivabradine. La tolérance s’est révélée très bonne, sans aucun effet indésirable sévère. En conclusion, chez les patients présentant une contre-indication aux bêtabloquants, l’ivabradine permet de ralentir la FC afin d’améliorer les conditions de réalisation d’un angioscanner.   SHIFT : une nouvelle étape dans l’insuffisance cardiaque Les données des registres européens montrent que plus de la moitié des patients insuffisants cardiaques ont une FC ≥ 70 bpm au repos et que la FC reste souvent élevée malgré l’administration d’un traitement bêtabloquant. Cette élévation de la FC est par ailleurs corrélée positivement à la morbi-mortalité cardiovasculaire. L’intérêt de réduire une FC élevée au moyen d’un traitement spécifique vient d’être démontré par l’étude SHIFT qui apporte la preuve de l’efficacité de l’ivabradine versus placebo, administrée chez des patients insuffisants cardiaques modérés à sévères (FEVG ≤ 35 %), ayant une FC ≥ 70 bpm au repos, en sus d’un traitement optimal (90 % étaient sous IEC, 90 % sous bêtabloquant) : le critère primaire (décès cardiovasculaire ou hospitalisations pour aggravation de l’insuffisance cardiaque) a été significativement réduit de 18 % (p < 0,0001), soit une réduction du risque absolu de 4,2 %. La diminution du risque est manifeste dès le 3e mois. Les hospitalisations pour insuffisance cardiaque et les décès par défaillance cardiaque ont diminué chacun significativement de 26 % sous traitement par ivabradine. L’analyse des résultats en fonction de sous-groupes pré-spécifiés montre une efficacité identique, mais avec un effet d’autant plus important que la FC de repos est plus élevée. Les patients inclus dans l’étude recevaient pour la plupart un traitement bêtabloquant, mais 26 % seulement étaient à la dose cible et 56 % recevaient au moins la demi-dose cible malgré les  fortes incitations du comité scientifique de l’étude pour atteindre les doses cibles. Cette situation qui reflète bien la réalité de la pratique et s’explique par les difficultés de tolérance rencontrées par les insuffisants cardiaques (fatigue, hypotension). Chez les malades recevant au moins la moitié de la dose cible de bêtabloquant, une diminution significative de 19 % des hospitalisations pour insuffisance cardiaque a été observée, mais la diminution du critère principal n’atteint pas la significativité. Dans l’ensemble, le traitement par ivabradine a été bien toléré, comme en témoigne le très faible pourcentage de sorties d’étude et d’arrêts de traitement pour bradycardie symptomatique. L’étude SHIFT marque une avancée dans la prise en charge de l’insuffisance cardiaque. En effet, le taux de mortalité par insuffisance cardiaque observé dans cette étude grâce à l’adjonction de l’ivabradine à un traitement optimal est le plus bas qui ait jamais été observé dans le cadre d’un essai clinique. D’après la communication de M. Galinier, Toulouse   Quelle place pour un traitement ciblant exclusivement la FC en pratique ? Le rôle délétère de la FC de repos élevée n’est plus à démontrer, qu’il s’agisse des patients coronariens ou insuffisants cardiaques. En pratique, un pourcentage important de ces patients garde une FC de repos élevée, souvent parce que le traitement bêtabloquant n’a pas pu être instauré, ou administré à la dose cible, principalement pour des problèmes de tolérance. Dans ce contexte, un traitement ciblant exclusivement la FC et bien toléré tel que l’ivabradine représente un atout important pour les malades. En effet, grâce à son mode d’action spécifique, l’ivabradine ralentit la FC sans effet inotrope négatif, tout en maintenant la dilatation coronaire à l’effort ce qui permet d’améliorer la perfusion sous-endocardique. L’efficacité de cette molécule est aujourd’hui prouvée en association aux bêtabloquants tant dans l’insuffisance coronaire que dans l’insuffisance cardiaque. Il est donc temps de reconnaître que l’abaissement de la FC est un objectif thérapeutique à part entière et que l’ivabradine devient quasi incontournable chez tout insuffisant cardiaque dont la FC de repos est ≥ 70 bpm après optimisation des traitements de base recommandés ainsi que chez les coronariens angineux ou ayant une FC ≥ 70 bpm.   D’après la communication de P. Jourdain, Paris

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