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Cardiologie générale

Publié le 11 avr 2006Lecture 7 min

Cœur et sida : ce que le cardiologue doit savoir

F. BOCCARA, S. LANG, S. JANOWER, C. MEULEMAN, S. EDERHY, G. ODI, J. BARDET et A. COHEN, CHU Saint-Antoine, Paris

Depuis l’avènement, en 1996, d’un traitement antirétroviral hautement efficace (en anglais HAART pour Highly Active Antiretroviral Therapy, tableau 1), la morbi-mortalité liée à l’infection par le VIH (virus de l’immunodéficience humaine) a diminué de façon spectaculaire dans les pays industrialisés. Il s’agit maintenant d’une maladie chronique faisant apparaître des complications cardiovasculaires, en particulier l’athérosclérose accélérée, qui n’existaient pas avant l’ère du traitement antirétroviral. En effet, les sujets infectés par le VIH présentent un excès de risque d’infarctus du myocarde (IDM) en raison de la présence de facteurs de risque vasculaire plus nombreux (tabagisme important, dyslipidémie athérogène, insulinorésistance) et d’autres facteurs inflammatoires encore méconnus.

    Risque cardio-vasculaire accru Il semble bien établi maintenant que le risque d’IDM est plus important chez les sujets infectés par le VIH comparativement à la population générale ; parmi les patients infectés par le VIH, ceux traités par antirétroviraux, en particulier par antiprotéase, présentent un risque accru. L’étude DAD (Data collection on adverse events of Anti-HIV Drugs), confirmée par l’étude française de Mary-Krause et coll., a montré que le risque d’IDM est augmenté de 26 % par année d’exposition au traitement antirétroviral (DAD) et que le risque d’IDM est plus élevé après une exposition prolongée aux antiprotéases (SMR = 3,6 quand on compare une durée de traitement > 30 mois à une durée de traitement < 18 mois). La population infectée par le VIH vieillit grâce au traitement antirétroviral mais en même temps son risque cardiovasculaire augmente par rapport à la population générale. L’étude française APROCO ayant inclus des sujets infectés par le VIH (233 hommes et 51 femmes) âgés de 35 à 44 ans, nouvellement traités par antiprotéase, a montré un excès de risque cardiovasculaire (équation de risque PRIME) plus élevé chez l’homme et la femme infectés par le VIH comparativement à des sujets non infectés (étude MONICA), de 20 et 59 % respectivement. Cet excès de risque semble lié à plusieurs facteurs : il existe notamment un tabagisme plus important et des troubles lipidiques plus fréquents dans la population infectée par le VIH.   Dyslipidémie athérogène Avant l’ère du traitement antirétroviral, il existait déjà une dyslipidémie liée à l’infection par le VIH caractérisée par une hypertriglycéridémie, une baisse du HDL-C, du LDL-C et du cholestérol total. Actuellement, près de 50 % des sujets infectés traités par antirétroviraux présentent une dyslipidémie avec le plus souvent une hypertriglycéridémie (60 % des cas), une hypoHDLémie (50 % des cas), une augmentation modérée du cholestérol total et du LDL-C (accumulation de petites particules denses). Les causes de cette dyslipidémie restent encore discutées : – quel est le rôle du traitement antirétroviral ? – quelles molécules en particulier ? – quel est le rôle de l’infection chronique ?   Le syndrome de lipodystrophie À côté de ces anomalies biologiques, on a vu apparaître un syndrome de lipodystrophie correspondant à une anomalie de répartition des graisses (30 à 40 % des cas) se caractérisant par une lipoatrophie ou une lipohypertrophie ou les deux, avec une perte de la graisse des joues (boules de Bichat), des membres supérieurs et inférieurs, et une accumulation de graisse au niveau abdominal et cervical (buffalo-neck). Nous ne connaissons pas encore la physiopathologie de ce syndrome de lipodystrophie chez le sujet infecté, plus fréquent quand le patient est sous traitement par antirétroviraux. Il semble que le traitement antirétroviral (antiprotéases et analogues nucléosidiques) ait pour cible le tissu adipeux, entraînant une anomalie quantitative et fonctionnelle de celui-ci. Les conséquences seraient une accumulation de graisse viscérale avec augmentation des acides gras circulants qui s’accumuleraient au niveau hépatique et musculaire, une diminution de la synthèse d’adiponectine et une augmentation de la production de cytokines pro-inflammatoires (TNF-a, interleukine-6) entraînant une insulinorésistance. Ces désordres du tissu adipeux associés aux désordres lipidiques (hypoHDLémie, hypertriglycéridémie) seraient à l’origine d’une dysfonction endothéliale (diminution de la biodisponibilité du NO, vasoconstriction), d’un état procoagulant (augmentation de PAI-1 plasmatique) pouvant provoquer un syndrome coronaire. Ces désordres métaboliques ressemblent au syndrome métabolique du sujet obèse, l’obésité en moins.   Syndrome métabolique atypique ? En effet, selon la définition utilisée (NCEP/ATP III ou IDF), la prévalence du syndrome métabolique semble importante dans la population infectée par le VIH associant le plus souvent hypoHDLémie, hypertriglycéridémie, puis tour de taille abdominale augmenté, hypertension artérielle et hyperglycémie alors que l’indice de masse corporelle de ces patients est normal, ce qui souligne là encore la meilleure sensibilité de la mesure du périmètre abdominal pour détecter le syndrome métabolique. En 2003, Gazzaruso et coll. ont montré que la prévalence du syndrome métabolique est beaucoup plus importante chez les sujets infectés par le VIH (n = 287) comparativement à des sujets non-infectés appariés sur l’âge et le sexe (n = 287) [33,1 vs 2,4 %, p < 0,0001] et de façon identique pour l’hypertension artérielle [34, 2 vs 11,9 %, p < 0,0001]. En régression logistique, la présence d’un antécédent familial d’HTA (odds ratio 8,7), d’un syndrome métabolique (odds ratio 6,8), d’un syndrome de lipodystrophie (odds ratio 4,8) et d’une insulinorésistance (odds ratio 4,1) étaient des facteurs prédictifs d’une HTA dans cette population. Les mécanismes physiopathologiques expliquant ce syndrome métabolique à poids faible, faisant intervenir la dysrégulation du tissu adipeux secondaire au traitement antirétroviral et à l’infection chronique par le VIH, sont encore mal connus. Le rôle de l’inflammation et de l’infection chronique reste à définir (figure). Figure. Hypothèses physio-pathologiques des anomalies du tissu adipeux. Adaptée du Pr J. Capeau (Unité INSERM 680). Athérosclérose accélérée ? Au niveau de l’athérosclérose carotidienne infraclinique mesurée par l’épaisseur intima-média (EIM) carotidienne, les études vont presque toutes dans le même sens en montrant une augmentation de l’EIM carotidienne chez les sujets infectés par le VIH par rapport à la population générale mais l’impact du traitement antirétroviral, en particulier des antiprotéases, reste discuté. Ce sont les facteurs de risque classiques (tabac, dyslipidémie, HTA) qui sont le plus souvent mis en cause dans ces études. Certaines études ont montré que les calcifications coronaires au scanner sont plus fréquentes chez les sujets infectés par le VIH par rapport à la population générale. Récemment, il a été montré que la rigidité aortique mesurée par la vitesse de l’onde de pouls carotido-fémorale (VOP) est plus élevée chez les sujets infectés par le VIH (n = 32) comparativement à des sujets non infectés (n = 32). L’âge, la durée d’infection et, là encore, la durée d’exposition aux antiprotéases étaient des facteurs prédictifs indépendants de l’augmentation de la VOP. Enfin, il semble exister une toxicité directe du VIH lui-même sur la paroi artérielle (augmentation de la synthèse du facteur tissulaire in vitro, VIH retrouvé au niveau d’une rupture de plaque coronaire in vivo).   Prise en charge Il n’y a pas de contre-indication à réaliser une thrombolyse et/ou une angioplastie coronaire avec mise en place d’un stent dans la population infectée par le VIH présentant un IDM en phase aigu. Les médicaments du post-IDM (bêtabloquant, aspirine, clopidogrel, IEC) ne sont pas contre-indiqués avec le traitement antirétroviral. À l’inverse, le traitement de la dyslipidémie (tableau 1), nécessite une attention particulière chez les patients infectés par le VIH car plusieurs statines sont contre-indiquées en raison de l’interaction du cytochrome P-450 3A4 avec le traitement par antiprotéase (tableau 2). La simvastatine et l’atorvastatine voient leur taux plasmatique augmenté ce qui accroît de rhabdomyolyse. De plus, on note une diminution de l’efficacité biologique de la pravastatine chez ces patients ; celle-ci doit donc être utilisée à 40 mg/j pour atteindre les objectifs. Aux États-Unis, l’atorvastatine est prescrite à faible dose, 10 mg /j, en surveillant de façon régulière les CPK et la tolérance clinique. L’effet biologique et la tolérance de la rosuvastatine chez les sujets infectés par le VIH dyslipidémique sera évaluée en 2006 dans une étude comparative avec la pravastatine actuellement en cours. La place des fibrates reste entière en cas d’hypertriglycéridémie et d’hypoHDLémie isolée. Les glitazones sont en cours d’évaluation dans le traitement de l’insulinorésistance chez le sujet infecté par le VIH et la metformine semble être le traitement le mieux adapté du diabète. Il est nécessaire de réaliser le sevrage tabagique en cas d’accumulation des facteurs de risque cardiovasculaire car il semble bien que le cocktail tabac-antiprotéase soit d’autant plus explosif que s’y associe une dyslipidémie.   Autres complications   Cardiomyopathies et péricardites Avant l’arrivée du traitement antirétroviral efficace, les cardiomyopathies (myocardites) et péricardites étaient fréquentes (30 et 10 % respectivement), liées à l’état d’immunodépression, et présentaient un mauvais pronostic. Leur fréquence a régressé depuis l’apparition du traitement antirétroviral sans qu’on connaisse avec précision sa prévalence actuelle. À l’inverse, les analogues nucléosidiques (zidovudine, stavudine, etc.), la pentamidine, l’adriablastine et l’amphotéricine B ont été mis en cause au cours de myocardites aiguës après instauration de ce traitement (atteinte mitochondriale toxique).   Hypertension artérielle pulmonaire L’hypertension artérielle pulmonaire était 200 fois plus fréquente chez le patient infecté par le VIH comparé à la population générale (0,5 %) avant l’ère des antirétroviraux et sa prévalence actuelle est encore cours d’évaluation. Comme l’a montré l’équipe de G. Simonneau à Clamart, le traitement par le bosentan semble prometteur dans cette indication (étude non contrôlée).   Endocardites infectieuses Enfin, les endocardites infectieuses sont plus fréquentes chez les patients infectés par le VIH, en particulier celles du cœur droit touchant plus particulièrement les toxicomanes.   Conclusion Le spectre des complications cardiovasculaires chez les patients infectés par le VIH a bien changé depuis l’apparition d’un traitement antirétroviral efficace dans les pays industrialisés. Elles représentent la 4e cause de décès chez les patients infectés après les causes liées au virus lui-même, les cancers et les hépatopathies. Une accélération de l’athérosclérose, en particulier coronaire, est à craindre dans cette population jeune en raison des complications métaboliques fréquentes et d’autres facteurs qui restent à déterminer (inflammation et infection chronique, etc.). Les médecins prenant en charge l’infection par le VIH doivent maintenant prendre en compte le risque cardiovasculaire global de ces patients. Ces efforts amélioreront encore le bénéfice du traitement antirétroviral, déjà bien supérieur au risque d’IDM. Une bibliographie sera adressée aux abonnés sur demande au journal.

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