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Cardiologie générale

Publié le 12 déc 2006Lecture 9 min

Cœur de femme : une énigme pour l’homme ?

M. ONGRAY, Paris

Les maladies cardiovasculaires sont reconnues, depuis une vingtaine d’années, comme la toute première cause de mortalité féminine aux États-Unis avec près de 500 000 décès annuels… Et pourtant, comme partout dans le monde, ce n’est que depuis peu qu’on a pris la mesure de ce risque car longtemps on s’est contenté de penser que les femmes étaient, du moins jusqu’à leur ménopause, protégées par leur système hormonal…

La prise de conscience du risque semble dater de 1984 lorsque les épidémiologistes ont établi qu’aux États-Unis le taux de mortalité féminine de cause cardiovasculaire dépassait celui des hommes. Ce constat a conduit à la publication du premier « guide » de prévention de l’American Heart Association-American College of Cardiology (AHA-ACC) en date de 1999 ; cette mise au point a été suivie de recommandations basées sur des preuves en 2004 ; mais ce n’est qu’en 2005 que l’Association Européenne de Cardiologie (ESC) en a fait le thème central de son congrès annuel à Stockholm « Women at heart ».   Un décès chaque minute Il convient donc de rendre hommage à L. Mosca et à son équipe de l’AHA d’avoir dressé un bilan de la situation cardiovasculaire des femmes : 500 000 décès par an aux États-Unis, soit une mort chaque minute, ce qui est davantage que les 7 autres principales causes de décès féminins réunies… Il s’agit pour l’AHA d’une « épidémie silencieuse » qui touche 1 femme sur 9 après 45 ans, et 1 femme sur 3 après 65 ans.   Une épidémie « silencieuse » Les femmes ne consultent pas le cardiologue parce qu’elles sont loin d’imaginer le danger qu’elles encourent, comme le révèlent les résultats d’une enquête d’opinion (Gallup) réalisée aux États-Unis chez les femmes âgées de 45 à 75 ans. D’après cette même enquête, 4 femmes sur 5 ignorent tout du risque cardiovasculaire, redoutant le cancer, leur ennemi numéro 1 présumé. Une autre enquête réalisée à la fin du 20e siècle alors que l’opinion médicale était avertie, montrait que pour les trois quarts des femmes interrogées, le risque vasculaire était < 1 % alors, qu’en réalité, il est > 35 %. Les femmes ignorent tout de leur risque cardiovasculaire. Ce hiatus entre l’opinion générale et la réalité a conduit à la création aux États-Unis d’Instituts du Cœur de la femme dans les grands centres hospitalo-universitaires, comme la Mayo Clinic à Rochester, aussi bien qu’à Minneapolis, ou en Californie où des femmes soignent des femmes expliquant dans les livrets d’accueil les différences liées au sexe.   Un tableau clinique vécu différemment Ainsi, le tableau clinique susceptible de révéler une maladie coronaire chez la femme est modulé à la fois par la façon dont les femmes vivent et interprètent leurs symptômes et la façon dont elles en parlent : inconscientes du risque, elles poursuivent leurs activités, sous-estimant la gravité des symptômes, d’où un retard à la consultation : on a ainsi estimé le délai à consulter de plus d’une heure, par rapport à un homme dans les mêmes circonstances. Même en unités de soins intensifs, la femme attribue souvent encore ses symptômes à une tout autre cause et, lorsque le médecin l’interroge sur une éventuelle douleur thoracique, elles la nient souvent. Leurs symptômes sont différents : douleurs abdominales, scapulaires, gêne au niveau du cou voire du dos, essoufflement, douleurs irradiantes à la mâchoire, à la gorge. Souvent les femmes « se sentent mal » leur plainte correspond à quelque chose de diffus, d’imprécis mais qui peut correspondre à des événements cardiaques passés inaperçus. Ce qui peut induire le cardiologue en erreur, c’est que les femmes présentent au même âge des signes d’ostéoporose, ou d’arthrose… Le tableau clinique est rarement aussi caractéristique que chez l’homme, ce qui peut prêter à confusion ; lorsque les femmes se plaignent la nuit ou au repos, la plainte est chargée émotionnellement, ce qui présente une difficulté supplémentaire d’interprétation et le médecin aura tendance à minimiser les troubles alors qu’il s’agit en réalité bien souvent de troubles particulièrement graves qui, au contraire, méritent d’être explorés, suivis médicalement et pris en charge. Le tableau clinique chez la femme n’est pas aussi caractéristique que chez l’homme.   Des facteurs de risque connus et évitables Les maladies coronaires chez les femmes sont souvent dues aux mêmes facteurs de risque bien identifiés et recherchés chez l’homme : comme le tabagisme, la surcharge pondérale, le manque d’exercice physique régulier, l’hypertension artérielle, une hypercholestérolémie… autant de facteurs de risques dont le contrôle est efficace.
 Cependant, leur prise en charge n’est pas suffisamment assurée chez les femmes : le tabagisme diminue moins rapidement chez elles, la prévalence de l’obésité tend même à augmenter et plus d’une femme sur quatre qui pense se dépenser physiquement « en bonne ménagère » ne pratique pas d’activité physique de façon régulière. Plus d’une femme sur deux a une hypertension artérielle à 45 ans, et près de 41 % des femmes > 55 ans ont une hypercholestérolémie. Selon une enquête des CDC (Centers for Disease Control) portant sur près de 30 000 consultations, les femmes ne bénéficiaient pas des mêmes conseils d’hygiène de vie que les hommes, et même lorsqu’elles avaient un diagnostic de maladie coronaire, moins de 10 % d’entre elles avaient un bon contrôle de leur cholestérol. Elles bénéficiaient plus rarement que les hommes d’interventions de revascularisation ou d’un programme de réhabilitation. Parmi les risques bien identifiés, le diabète augmente de 3 à 7 fois le risque de maladie coronaire chez la femme alors que l’augmentation est de 2 à 3 fois chez l’homme. Il en est de même du risque lié à un HDL-cholestérol bas qui est chez la femme un plus fort prédicteur de risque cardiovasculaire que chez l’homme, et des élévations du LDL-cholestérol qui justifient d’ailleurs un traitement plus agressif. Rappelons que Gotto a bien démontré un bénéfice d’un même traitement par les statines chez les femmes et les hommes. Les recommandations de préventions primaire et secondaire pourtant publiées ne sont que rarement appliquées aux femmes alors même qu’elles pourraient être sensibles à ces arguments à différentes périodes de leur vie : lors des grossesses ou en début de ménopause. Or, il est également admis que la maladie coronaire est la résultante d’un lent continuum morbide. Grâce au développement des moyens diagnostiques non invasifs permettant un diagnostic précoce à un stade encore asymptomatique, on tendra à perdre la distinction entre prévention primaire et secondaire.   Pour un dépistage systématique Chez la femme, parce que le premier événement cardiovasculaire est souvent fatal, il conviendrait de mieux prendre en considération les facteurs de risque avant l’apparition d’une maladie coronaire au stade clinique, d’où une prise en charge spécifique où les recommandations servent de guide mais ne remplaceront jamais le jugement clinique.   La médecine basée sur les preuves ou EBM (evidence-based medicine) Cinq ans après cette première publication, l’AHA publiait dans Circulation les recommandations basées sur les preuves ; pour arriver à des recommandations indiscutables, l’AHA a demandé à chacun de ses 13 comités de désigner un expert reconnu pour ses compétences afin de travailler sur le risque cardiovasculaire au féminin conduisant à des recommandations. Les recherches ont commencé par une analyse documentaire de plus de 7 000 publications ; les experts se sont basés sur les données de grandes études de populations portant sur plus de 1 000 patients. En effet, il fallait de grands nombres de patients pour retrouver dans la population suffisamment de femmes pour tirer des enseignements… une « évidence » pas si facile à documenter, comme devait le révéler à une autre occasion (Stockholm, 2005) P.-G. Steg lors d’un rapport sur le registre REACH (REduction of Atherothrombosis for Continued Health) où la sous-représentation des femmes (entre 19 et 30 % au lieu de 50 % ou plus) ne permet pas de tirer de conclusion pertinente.   Une mort subite inaugurale ? Les décès sont dus, la plupart du temps, à une maladie coronaire : 2 femmes sur 3 présentent une mort subite sans qu’il y ait connaissance d’antécédents cardiaques. C’est ce constat qui plaide pour un dépistage plus précoce ; la femme doit devenir la cible prioritaire des actions de prévention.   Hygiène de vie et alimentation : une priorité En 2004, l’AHA publiait (Circulation) ses recommandations qui ont insisté sur la nécessité d’intervenir en premier lieu sur l’hygiène de vie et l’alimentation permettant un impact sur la charge pondérale avec à la clé un effet sur la mortalité cardiovasculaire. Les experts ont établi de façon consensuelle une classification de leurs recommandations en classe I, IIa, IIb, III avec un niveau de preuve A, B, ou C… D’après ces règles, les interventions de classe I sont valables pour toutes les femmes sans restriction ni contre-indication, alors que la classe III ne doit pas être préconisée en prévention d’un événement cardiovasculaire. Ainsi, le panel d’experts encourage la consommation de poisson, dont les bénéfices viennent de ce qu’ils sont une source d’acides gras de type oméga 3 ; néanmoins, ils jugent que les femmes en âge de procréer doivent éviter la consommation de requin, de maquereau ou d’espadon car ces poissons sont chargés en mercure, ce qui risque d’entraîner des lésions neurologiques chez le fœtus. Ils préconisent plutôt le saumon. Les femmes qui ne consomment pas de poisson devraient être incitées à consommer des noix, amandes, germes de soja, etc. Les experts ont retenu les recommandations du programme national américain de contrôle du cholestérol et pour la pression artérielle celles du JNC7… Là encore, ils ont plus spécialement retenu une approche portant sur le style de vie (réduction de la consommation de sel, activité physique, etc.) avant de s’engager dans une approche pharmacologique. Ces mêmes remarques concernent les conclusions des experts qui se sont prononcés sur les risques liés au cholestérol et à l’hyperglycémie… Enfin, tout en remarquant qu’il existe un bon consensus sur l’utilisation d’une faible dose d’aspirine (75 à 162 mg/j) chez les femmes à haut risque, ils ont hésité à en prôner l’usage en cas de moindre risque arguant du risque hémorragique. Une approche extrêmement timide donc d’autant que l’hormonothérapie et le recours aux antioxydants ont été mis en classe III.   En bref   Les experts soulignent qu’il leur paraît évident que les maladies cardiovasculaires pourraient être aussi bien prévenues chez la femme que chez l’homme en associant différentes stratégies. Les actions visant le style de vie doivent être préconisées précocement car elles devraient permettre de réduire le besoin d’interventions thérapeutiques plus intensives. Ils reconnaissent que les études dont ils disposaient et qui ont servi de base à leurs recommandations comportaient trop peu d’éléments sur les critères ethniques pour pouvoir en dégager des informations pertinentes ; par ailleurs, ils notent que peu d’études incluaient des femmes âgées.   Euro Heart Survey   En Europe aussi les maladies cardiovasculaires tuent plus de femmes (55 %) que d’hommes, d’après un rapport publié à l’occasion du congrès annuel de l’ESC à Stockholm (2005). C. Daly (Londres) a présenté les résultats de l’étude Euro Heart Survey dans l’angor stable, menée chez 3 779 femmes : elle souligne que ces patientes ont 5 fois moins de chance de subir une épreuve d’effort, presque (40 %) deux fois moins de chances d’avoir une exploration angiographique, trois fois moins de chances de bénéficier d’une revascularisation et qu’elles sont dans l’ensemble toujours considérées comme un sous-groupe de la population des malades atteints de maladie coronaire ; lorsqu’elles récupèrent, elles sont moins souvent envoyées dans un centre de réhabilitation et en post-soins, elles ont moins souvent des traitements hypocholestérolémiants ou de l’aspirine.   États-Unis : des Instituts du Cœur au féminin   La lutte pour l’égalité des chances s’est vite traduite aux États-Unis par la création d’instituts spécifiques, car qui mieux qu’une femme pourra écouter et prendre en charge les cardiopathies de la femme. Ainsi, il y a une Women’s Heart Clinic à la Mayo Clinic qui offre différents services : évaluation du risque, examens complets, soins médicaux et chirurgicaux, éducation et information des patients, traitement hormonal substitutif, coordination avec les autres services : pour les problèmes d’alimentation, de nutrition, pulmonaires, digestifs ostéoarticulaires, etc.

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