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Coronaires

Publié le 01 fév 2005Lecture 11 min

Aspects physiopathologiques, pronostiques et thérapeutiques du no-reflow

D. KARILA-COHEN, centre cardiologique du Nord, Saint-Denis

L’importance de la recanalisation coronaire précoce en phase aiguë d’un infarctus est reconnue par tous ; elle est associée à une amélioration considérable du pronostic et en particulier de la survie. Mais dans certains cas, la réouverture effective de la coronaire responsable de l’infarctus n’est qu’une « illusion de reperfusion ». Les échecs de reperfusion liés à un défaut de recanalisation épicardique sont de plus en plus rares grâce aux progrès du matériel médical et de la pharmacologie (antagonistes des récepteurs GPIIb/IIIa, stents).
Pourtant, la recanalisation coronaire épicardique n’est pas synonyme de reperfusion myocardique. Cette absence de parallélisme est liée à l'existence d'une pathologie de la microcirculation d'aval. Cette atteinte microcirculatoire induite par la séquence ischémie-reperfusion a été décrite en 1974 par Kloner, qui a montré, dans un modèle d'infarctus expérimental chez le chien, l’existence de zones de myocarde non perfusé malgré la réouverture coronaire. Ce phénomène a été baptisé « no-reflow ».

Chez l'homme, au cours de l’infarctus aigu, Ito et al ont montré pour la première fois en 1992, grâce à l'échographie de contraste myocardique, que presque 30 % des patients considérés comme reperfusés sur des critères angiographiques présentaient des défauts de perfusion myocardique. Cette absence d’homogénéité des patients du groupe TIMI 3 est illustrée dans l’étude de Van’t’Hof. Chez 403 patients en phase aiguë d’infarctus, tous recanalisés par angioplastie coronaire, la survie à 7 ans était meilleure chez ceux dont le sus-décalage du segment ST disparaissait en une heure, comparés à ceux dont le segment ST restait sus-décalé. Ces variations du sus-décalage de ST sont donc un reflet de la qualité de la reperfusion effective au niveau myocardique.   Un no-reflow ou des no-reflow ? Le terme « no-reflow », initialement réservé à la recherche fondamentale, est utilisé dans deux situations cliniques.   Le no-reflow de l’infarctus du myocarde Il s’agit d’une absence de reperfusion myocardique à la phase aiguë de l’infarctus, malgré la réouverture complète de la coronaire initialement occluse (flux TIMI 3). Cette définition est la plus proche de la description initiale de Kloner et partage en partie la physiopathologie du no-reflow expérimental.   Le no-reflow angiographique Il s’agit d’un ralentissement du remplissage angiographique des coronaires malgré une angioplastie « réussie » : - en cas d’angioplastie programmée, hors infarctus, il s’agit d’un phénomène de physiopathologie différente, dont le pronostic n’est pas clair ; - en cas d’angioplastie en phase aiguë de l’infarctus du myocarde, les deux types de no-reflow coexistent.   Physiopathologie du no-reflow   Le no-reflow de l’infarctus La reperfusion brutale d’un territoire myocardique ayant subi une ischémie prolongée est responsable de phénomènes appelés lésions de reperfusion. Leurs conséquences sont la nécrose myocytaire induite par la reperfusion, les lésions vasculaires induites par la reperfusion (no-reflow), la sidération myocardique, les arythmies de reperfusion. Le mécanisme des lésions microvasculaires à la phase aiguë de l'infarctus est l'objet de débats, mais l'hypothèse qui prévaut est celle de lésions induites par la reperfusion. En effet, l'ischémie seule (sans reperfusion) ne peut expliquer ces lésions de la microcirculation. La reperfusion entraîne des lésions vasculaires par les mécanismes suivants : • formation de radicaux libres de l’oxygène dans les secondes qui suivent la reperfusion, qui modifient la perméabilité membranaire endothéliale et induisent une dysfonction endothéliale (vasoconstriction, thrombose) ; • gonflement des cellules endothéliales, avec protrusion dans la lumière vasculaire (obstacle mécanique) ; • obstruction microvasculaire par accumulation dans la lumière capillaire de fibrine, de plaquettes, de leucocytes ; • vasoconstriction alpha-adrénergique et induite par les amines vasoactives libérées par les plaquettes activées ; • interaction entre les polynucléaires activés et l’endothélium, responsable d’une libération de radicaux libres de l’oxygène par les neutrophiles et d’une adhésion des neutrophiles à l’endothélium, créant ainsi un obstacle mécanique (plugging) leucocytaire dans la lumière capillaire ; • augmentation des molécules d’adhésion (ICAM-1) lors de l’ischémie-reperfusion, entraînant une adhésion des neutrophiles et des plaquettes à l’endothélium dans les territoires ischémiques, responsable du no-reflow, d’une vasoconstriction et de thrombose in situ ; • activation des médiateurs de l’inflammation, type complément ; • compression extrinsèque des capillaires par l’œdème local ; • augmentation de la concentration intracellulaire en calcium. Une susceptibilité individuelle aux lésions de reperfusion et au no-reflow existe probablement puisque, pour des durées d’ischémie égales, tous les patients n’ont pas la même taille d’infarctus ni le même pronostic. Ces différences sont mal connues, mais on peut évoquer le rôle de la circulation collatérale et de l’angor préinfarctus récent (préconditionnement ischémique). Ces variations de tolérance à l’ischémie-reperfusion dépendent aussi, peut-être, du niveau individuel d’expression des systèmes de destruction des radicaux libres de l’oxygène et des facteurs de l’inflammation.   Le no-reflow angiographique Il est lié à la conjonction d’une embolisation distale des éléments de la plaque (en particulier des plaquettes activées et du thrombus) et d’un relargage local de substances vasoconstrictrices (en particulier alpha-adrénergiques). Une étude récente a montré que le no-reflow angiographique est plus fréquent si la lésion coronaire responsable de l’infarctus est riche en lipides (échographie endocoronaire).   Aspects pronostiques L’association du no-reflow à un pronostic défavorable est démontrée. Avant de disposer de méthodes modernes d’évaluation de la perfusion myocardique, il avait déjà été montré que le flux TIMI 2 est associé à un pronostic défavorable. L’évaluation visuelle du flux TIMI étant peu reproductible et peu précise, Gibson a affiné la méthode en créant le « corrected TIMI frame count », qui repose sur le nombre d’images angiographiques que met le produit de contraste pour remplir la coronaire. Il a séparé les patients TIMI 3 en ceux ayant un TIMI frame count court (donc un remplissage rapide de la coronaire) et ceux ayant un TIMI frame count long (avec un retard non visuellement décelable au remplissage coronaire). Les patients du premier groupe avaient une mortalité hospitalière nulle, contre 2,3 % pour ceux du second groupe. Des méthodes plus précises ont ensuite été développées (échographie de contraste myocardique, IRM, Doppler, etc.) et ont permis de confirmer l’association entre no-reflow et mauvais pronostic. Ito et al ont montré pour la première fois, en échographie de contraste, que certains patients ayant un flux TIMI 3 ont des défauts de perfusion myocardique. Ces patients avaient une fonction ventriculaire gauche à distance plus mauvaise que les patients bien reperfusés. Les patients présentant un no-reflow avaient un pronostic hospitalier plus sombre. De nombreuses études ultérieures, surtout par échographie de contraste, ont confirmé que l’absence de no-reflow était indispensable à la récupération de la fonction ventriculaire gauche à long terme. L’étude de la réserve coronaire par Doppler intracoronaire va dans le même sens. Chez 21 patients traités par angioplastie primaire, tous TIMI 3, Feldman et coll. ont montré que les patients présentant un syndrome de reperfusion électrique (réascension brutale du segment ST) avaient une réserve coronaire plus basse, donc une atteinte plus marquée de la microcirculation. Ces patients avaient un infarctus plus étendu et une fonction ventriculaire gauche plus altérée. L’IRM permet, elle aussi, de repérer les zones de no-reflow. Son avantage est son caractère non invasif, mais sa faible disponibilité et sa lourdeur logistique la rendent pour l’instant peu utilisable en routine pour l’infarctus aigu. Dans des équipes entraînées, disposant de machines performantes, cette restriction est de moins en moins d’actualité. Des études réalisées sur de petits effectifs ont donné des résultats concordant avec les autres techniques.   Thérapeutiques Le point commun des traitements préventifs ou curatifs testés est l’administration du produit évalué avant la reperfusion, afin d’atteindre un pic de concentration au site de l’ischémie au moment de la reperfusion.   Les chélateurs de radicaux libres Ils ont été testés comme traitement préventif des lésions de reperfusion, avec des résultats décevants. La superoxyde dismutase (SOD) et la catalase, deux inhibiteurs physiologiques des radicaux libres, ont fait l'objet d'innombrables études expérimentales. Leurs résultats sont peu reproductibles et dépendent du modèle animal, de la durée d'ischémie, du mode d'administration, etc. Une étude clinique a été réalisée chez 120 patients qui ont reçu du h-SOD (un mutant humain du SOD) ou un placebo au moment d'une angioplastie primaire dans les 6 premières heures d'un infarctus aigu, sans résultat.   Les inhibiteurs des neutrophiles Ils donnent des résultats prometteurs chez l’animal. Une étude récente, réalisée chez 420 patients, a montré que l'injection de LeukArrest (un anticorps monoclonal humain antineutrophiles) au moment de la reperfusion coronaire n’est pas associée à une diminution de la taille de l'infarctus.   Anticorps monoclonaux anticompléments Cette voie a été explorée en raison de l’implication probable des facteurs de l’inflammation dans la chimio-attraction des neutrophiles activés au site de l’ischémie-reperfusion : - chez l’animal, ces anticorps sont efficaces pour limiter la taille de l’infarctus ; - chez l’homme, deux études randomisées, en double aveugle contre placebo, ont utilisé du pexelizumab, un anticorps monoclonal anti-C5, dans un cas en cours d’angioplastie coronaire en phase aiguë d’infarctus, et dans l’autre cas en cours de thrombolyse. Aucune n’a montré de bénéfice du pexelizumab sur la taille enzymatique de l’infarctus. En revanche, l’étude réalisée - chez les patients traités par angioplastie a montré une diminution de la mortalité à 30 jours.   L’adénosine et ses agonistes L'adénosine, théoriquement très efficace contre les différents éléments du no-reflow, a permis d’obtenir chez l’animal une diminution spectaculaire des lésions de no-reflow lorsqu’il est administré avant la reperfusion. Chez l'homme, une équipe italienne a été la première à utiliser l'adénosine par voie intracoronaire à la phase aiguë de l'infarctus comme traitement adjuvant de la recanalisation. Quarante patients traités par angioplastie primaire ont été randomisés pour recevoir, soit de l'adénosine par voie intracoronaire, soit un placebo. Les patients ayant une perméabilité coronaire angiographique complète étaient plus nombreux dans le groupe adénosine. Dans ce groupe, il y a eu moins d'insuffisance cardiaque et plus d'infarctus non-Q. L'étude AMISTAD (Acute Myocardial Infarction STudy of ADenosine) a inclus 236 patients thrombolysés dans les 6 premières heures d'un infarctus, randomisés pour recevoir soit une perfusion intraveineuse d'adénosine dès le début de la thrombolyse, soit un placebo. Chez les patients ayant un infarctus antérieur, sa taille était de 15 % chez les patients traités contre 45 % chez les patients recevant le placebo (p = 0,014). D'autres études sont en cours, dont LISA (Limitation of Infarct Size by Adenosine), étude multicentrique française comparant l'adénosine à un placebo par voie intraveineuse ou intracoronaire chez des patients traités par angioplastie primaire. Contrairement à la précédente, cette étude est randomisée contre placebo, en double aveugle. Le critère principal de jugement est clinique, mais il est aussi prévu, chez certains patients, de mesurer la taille de l'infarctus en scintigraphie et l'étendue du no-reflow par échographie de contraste myocardique.   Les inhibiteurs calciques Le mécanisme potentiel des inhibiteurs calciques est de diminuer l'afflux intracellulaire de calcium au cours de la reperfusion et de réduire la contractilité myocardique : - chez l'animal, leurs effets dans des modèles d'ischémie-reperfusion sont modestes et peu reproductibles ; ils concernent surtout l’aspect « sidération » de l’ischémie-reperfusion ; - chez l'homme, le vérapamil est souvent utilisé pour lever un no-reflow angiographique, avec des résultats assez convaincants, mais il est difficile de savoir s'il s'agit d'un bénéfice purement « cosmétique », ou si cette amélioration de l'image s'accompagne d'un réel bénéfice clinique. Récemment, Ito a injecté du vérapamil par voie intracoronaire en phase aiguë d'infarctus, au moment de la recanalisation. La zone d'hypoperfusion myocardique en échographie de contraste était moins étendue chez les sujets traités que chez les témoins et l'évolution de la fonction ventriculaire gauche à distance a été meilleure chez les sujets ayant reçu le vérapamil. Mais ces résultats n'ont pas été confirmés, et cette étude était méthodologiquement discutable.   Les agonistes potassiques L'ouverture des canaux potassiques a des effets antiplaquettaires et antiradicalaires - chez l’animal, l'administration de nicorandil au moment de la reperfusion améliore la perfusion myocardique et la récupération de la fonction ventriculaire gauche ; - chez l'homme, deux études utilisant le nicorandil en phase aiguë d'infarctus ont montré une amélioration de la perfusion myocardique en échographie de contraste, ainsi qu'une meilleure récupération de la cinétique ventriculaire gauche, mais elles comportaient un biais méthodologique. Pourtant, le mécanisme d'action des agonistes potassiques les rend théoriquement intéressants, d’où la réalisation d'études randomisées en double aveugle contre placebo.   Les antiplaquettaires Le no-reflow a probablement une composante plaquettaire importante, en particulier lorsque la reperfusion a été obtenue par angioplastie. Des études récentes ont montré l'intérêt de l'abciximab pour traiter le no-reflow angiographique en cours d'angioplastie coronaire. Plus récemment, les investigateurs du groupe TIMI ont montré que l'adjonction d'abciximab à un thrombolytique permet d'obtenir non seulement une meilleure perméabilité coronaire angiographique, mais aussi une régression plus rapide du sus-décalage du segment ST comparativement au thrombolytique seul. Enfin, Neumann et coll. ont montré une amélioration de paramètres Doppler intracoronaires et de la fonction ventriculaire gauche chez les patients ayant reçu de l’abciximab en cours d’angioplastie.   Les antagonistes de la pompe Na-H En cas d’ischémie, les pompes Na-H sont utilisées par la cellule pour diminuer le pH intracellulaire. Cette sortie d’ions H+ de la cellule s’accompagne secondairement d’une élévation de la concentration de calcium intracellulaire. L’inhibition de ces pompes permet donc théoriquement de limiter l’élévation délétère de calcium intracellulaire et de diminuer la sidération myocardique postischémique, mais aussi la taille de l’infarctus. Ces produits n’ont pas a priori d’effet direct sur la composante vasculaire des lésions de reperfusion, mais plutôt sur sa composante myocardique. Plusieurs études ont été réalisées chez l’homme avec le cariporide. • La première, GUARDIAN (GUARd During Ischemia Against Necrosis), a inclus 12 000 patients à haut risque d’infarctus ; elle n’a montré aucune différence entre le cariporide et le placebo. • Plus récemment, le cariporide a été testé dans une situation plus proche du modèle classique d’ischémie-reperfusion. Rupprecht et coll. ont inclus 100 patients à la phase aiguë d’un infarctus antérieur traité par angioplastie primaire. Le cariporide a été administré chez la moitié des patients (randomisation, double aveugle) juste avant la désobstruction coronaire. Dans le groupe cariporide, l’infarctus était petit et la fraction d’éjection plus élevée que dans le groupe placebo.   Les méthodes non pharmacologiques Il s’agit des techniques de protection distale perangioplastie permettant d’éviter les embols fibrino-cruoriques. Leur efficacité en termes de protection contre le no-reflow et pour améliorer le pronostic n’est pour l’instant pas connue.   Conclusion   Le no-reflow est un phénomène complexe, difficile à étudier chez l’homme puisque se mêlent les lésions de la séquence ischémie-reperfusion telle qu’elle existe chez l’animal et une composante thrombotique et plaquettaire spécifique à l’infarctus. Il existe, de plus, des lésions liées à l’angioplastie coronaire qui rendent floue la notion même de no-reflow en y mêlant une définition angiographique. Quelle que soit la définition ou la méthode diagnostique utilisées, le no-reflow s’accompagne d’un mauvais pronostic. Les études thérapeutiques sont pour l’instant décevantes chez l’homme, mais il existe un immense champ de recherche visant à réduire l’incidence et les conséquences du no-reflow à la phase aiguë de l’infarctus.

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