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Coronaires

Publié le 23 oct 2012Lecture 11 min

L’infarctus du myocarde après chirurgie générale

Y. LE MANACH, P. CORIAT, Groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière, Paris

Prévenir de façon efficace la survenue d’un infarctus du myocarde et ainsi préserver l’espérance de vie du coronarien à chaque étape de la prise en charge périopératoire est une véritable démarche qualité intégrant, d’une part des objectifs de soins et d’autre part des indicateurs assurant que la prise en charge de l’opéré coronarien a atteint son but : éviter tout dommage myocardique périopératoire.

Le cardiologue et l’anesthésiste-réanimateur ont un rôle prépondérant dans cette prise en charge de l’opéré souffrant d’une pathologie coronarienne : - en préopératoire, en s’assurant que l’opéré bénéficie d’un traitement médical « optimal » adapté à ses facteurs de risque ; - en préopératoire, en définissant comment devront être administrés les traitements cardiovasculaires pris au long cours par l’opéré en pré- et postopératoire ; - en proposant des thérapeutiques prophylactiques adaptées à l’évaluation préopératoire ; - tout au long de la période opératoire en détectant toute instabilité de la maladie coronarienne et en mettant en place en urgence un traitement médical spécifique à cette pathologie ; - en postopératoire, en contrôlant l’ensemble des facteurs qui déstabilisent la maladie coronarienne. Ces facteurs vont bien au-delà de la décharge catécholergique ; ils concernent la dysfonction endothéliale, l’inflammation et l’hyperagrégabilité plaquettaire ; - à la sortie du milieu chirurgical, en prescrivant à l’opéré ayant présenté un signe d’instabilité de la maladie coronarienne pendant la période opératoire, une prévention secondaire de la maladie coronarienne et un bilan cardiologique.   Diagnostic de l’infarctus du myocarde postopératoire   Infarctus du myocarde postopératoire Pour la conférence d’experts réunie par l'American Heart Association et l’American College of Cardiology(1), un infarctus du myocarde est caractérisé par l’élévation d’un biomarqueur myocardique associée à : - soit une symptomatologie clinique (douleur thoracique par exemple), - soit une modification électrocardiographique, - soit la mise en évidence d’une perte de viabilité myocardique par échographie, scintigraphie ou imagerie par résonance magnétique nucléaire.   L’infarctus postopératoire n’est que rarement associé à une symptomatologie clinique. Par ailleurs, les modifications électrocardiographiques sont le plus souvent frustes et/ou non spécifiques. Finalement, la mise en évidence de perte de viabilité a montré ses limites, en postopératoire. Cette définition universelle de l’infarctus du myocarde n’est donc pas vraiment adaptée à la période périopératoire. Une autre entité nosographique est donc couramment utilisée pour caractériser les événements cardiaques péri-opératoires : l’élévation de troponine ou syndrome coronaire postopératoire.   Syndrome coronaire postopératoire Toute valeur de troponine supérieure au 99e percentile de la distribution des valeurs normales du laboratoire définit un syndrome coronaire postopératoire (SCP). Tous les infarctus du myocarde (selon la définition universelle(1)) sont donc inclus dans l’ensemble des SCP. Néanmoins, en excluant les critères évocateurs d’un processus ischémique de la définition, les SCP prennent en compte aussi des événements qui ne sont pas en rapport avec une maladie coronaire chronique (anémie profonde sur coronaires saines, par exemple).   La résonance magnétique, qui quantifie avec précision les territoires myocardiques touchés par la nécrose et les territoires myocardiques siège d’un œdème sans nécrose, a confirmé la spécificité de l’élévation du taux de troponine pour déterminer l’étendue des nécroses.   Place des troponines ultrasensibles L’amélioration des techniques de mesure a permis d’obtenir des troponines d’une nouvelle génération appelée « troponines ultrasensibles ». Ces troponines ultrasensibles présentent une positivité plus précoce (dès la première heure) et a une fréquence supérieure, car des événements non détectés par les tests standard sont maintenant révélés par ces tests plus sensibles. Les progrès en termes de sensibilité apportés par cette nouvelle génération de tests sont équivalents à l’amélioration observée sur les tests standard entre 1995 et 2010. Mais l’identification de ces événements coronaires mineurs soulève de nombreuses interrogations sur l’attitude thérapeutique à adopter. En effet, les SCP définis par une élévation des troponines ultrasensibles ne semblent pas imposer une intervention thérapeutique urgente (angioplastie, par exemple) bien que toute élévation de ces biomarqueurs soit associée à une réduction de l’espérance de vie à long terme des opérés. Des études multicentriques internationales sont actuellement en cours pour d’une part mieux comprendre les mécanismes impliqués dans cette surmortalité à long terme et d’autre part, tester des stratégies thérapeutiques de prévention secondaire après SCP.   Fréquence et chronologie des événements cardiaques postopératoires Les nouveaux critères diagnostiques de la nécrose myocardique aiguë postopératoire qui permettent son diagnostic avec une grande fiabilité, conduisent à reconsidérer l’incidence de cette complication. L’analyse des études publiées ces cinq dernières années retrouve en chirurgie non cardiaque, un taux de décès postopératoires d’origine cardiaque compris entre 0,5 et 1,5 % et une incidence des complications cardiaques postopératoires majeures entre 2 et 3,5 %. L’incidence des SCP était évaluée entre 2 et 15 %, et la fréquence des troponines supérieure à 1,5 mg/ml variait entre 5 et 10 %. L’étude POISE(2), qui représente la plus grande étude randomisée réalisée à ce jour, sur le sujet, retrouve chez 8 351 patients opérés de chirurgie non cardiaque, un taux de mortalité postopératoire d’origine cardiaque de 1,6 %, et un taux d’infarctus du myocarde postopératoire non létal de 4,4 %.   L’utilisation de troponines ultrasensibles permet d’identifier un grand nombre d’événements supplémentaires. Ainsi, en chirurgie vasculaire majeure, la fréquence des élévations de troponine est classiquement de 10-12 %, celle des troponines ultrasensibles de 47 %. Ceci permet de définir une nouvelle sous-population avec une élévation « isolée » de troponine ultrasensible. En 2012, nous savons que cet état est associé à une surmortalité. Néanmoins, l’attitude thérapeutique à adopter face à ces événements n’est pas connue, tout comme la fréquence des faux positifs liés à la présence dans le plasma d’auto-anticorps dirigés contre la troponine.   L’utilisation d’un diagnostic biologique a permis de préciser la chronologie des SCP. À la douzième heure postopératoire, plus de 30 % des opérés qui développent un SCP sont déjà entrés dans une phase d’instabilité de la maladie coronaire, caractérisée par l’élévation modérée du taux de troponine (figure). Le délai court qui existe entre la première valeur anormale de troponine et la fin de l’intervention confirme que ce sont bien les contraintes métaboliques, inflammatoires et circulatoires de la période opératoire qui sont à l’origine des SCP.   Figure. Chronologie des élévations de troponines standard et ultrasensibles en postopératoire.    Alors que la mortalité d’origine cardiaque, et plus particulièrement celle liée à une insuffisance coronarienne, était il y a 15 ans la première cause de mortalité postopératoire, aujourd’hui, plus de 70 % des décès postopératoires touchent des opérés indemnes de toute élévation de troponine pendant la période opératoire. Par ailleurs, 75 % des décès postopératoires surviennent chez des malades souffrant d’une complication chirurgicale.   Prise en charge périopératoire   Pendant de nombreuses années, l’évaluation préopératoire du risque opératoire a été la phase la plus importante de la stratégie pour diminuer le risque cardiaque de la chirurgie générale. La difficulté de déterminer avec précision le risque cardiaque postopératoire renforce l’intérêt de deux démarches qui ont fait la preuve de leur efficacité pour améliorer l’espérance de vie postopératoire du coronarien : - l’optimisation préopératoire du traitement médical de l’opéré à risque ; - la détection précoce par le monitorage biologique de la nécrose myocardique aiguë postopératoire suivie d’un traitement agressif de l’insuffisance coronaire aiguë postopératoire. L’efficacité des stratégies de prévention du risque cardiaque de la chirurgie générale rend compte d’une amélioration très significative du risque cardiaque de la chirurgie générale. La mise en perspective des études épidémiologiques publiées dans la littérature montre que l’incidence de la nécrose myocardique postopératoire a diminué de plus de 50 % ces dix dernières années ; parallèlement, la mortalité cardiaque postopératoire est significativement réduite. Lors de l’évaluation préopératoire, une prise en charge adaptée influence favorablement l’espérance de vie de l’opéré coronarien, en assurant une prévention efficace du dommage myocardique aigu postopératoire.   Revascularisation coronaire préopératoire Les progrès de la cardiologie interventionnelle ont amené à étendre les indications de la coronarographie préopératoire pour traiter d’éventuelles sténoses coronaires. La dilatation coronaire était supposée assurer de façon efficace la prévention des complications coronariennes postopératoires. En fait, les bienfaits de l’angioplastie coronaire préopératoire sont très inconstants(3). En fait, la revascularisation myocardique n’est que très rarement indiquée avant une intervention de chirurgie générale. Les indications actuelles reposent essentiellement sur les résultats des épreuves dynamiques (échocardiographie de stress, IRM de stress, scintigraphie) réalisées en préopératoire, chez des patients présentant des facteurs de risque comme précisés par les recommandations en cours.   Traitements cardiovasculaires pris au long cours par l’opéré Tous les médicaments de la maladie coronaire ont un effet bénéfique significatif sur les différents mécanismes à l’origine des complications coronariennes postopératoires (tableau). C’est pourquoi l’optimisation du traitement médical et la poursuite des traitements chroniques jouent un rôle important dans la prévention des complications coronaires postopératoires. Néanmoins, il est capital de comprendre que ces traitements ne sont pas équivalents en termes de risque induit par leur utilisation péri-opératoire. Ainsi, il n’existe pas d’effets secondaires des statines en périopératoire, alors que l’administration d’aspirine augmente le risque de saignement lié à l’intervention chirurgicale, que les IEC augmentent la fréquence des hypotensions peropératoires et que les bêtabloquants augmentent la mortalité dans certains cas (en réduisant les SCP dans le même temps).     Les statines diminuent la fréquence des SCP, des infarctus du myocarde postopératoires et la mortalité postopératoire(4). L’effet bénéfique des statines est si important, que l’on peut considérer qu’un infarctus du myocarde postopératoire est évité pour 30 malades traités(5). Cependant, ces bénéfices sont soumis à une administration continue des statines durant toute la période péri-opératoire(6).   Si l’effet bénéfique des statines n’est contrebalancé par aucun effet délétère potentiel de ces médicaments, la diminution de la fonction plaquettaire et le risque de rhabdomyolyse étant négligeable pendant la période opératoire, il n’en va pas de même des bêtabloquants lorsque ces médicaments sont poursuivis à titre prophylactique. En effet, les bêtabloquants aggravent le risque cardiovasculaire de l’opéré si apparaît une complication chirurgicale(7). Lorsque le traitement bêtabloquant est poursuivi, toute complication met en jeu le risque vital, car les bêtabloquants limitent les réserves de fonction circulatoire que l’organisme met en jeu pour faire face aux contraintes des complications postopératoires. Ces conséquences seront d’autant plus sévères que l’hémoglobinémie est basse(7).   En conséquence, chez les opérés recevant un traitement bêtabloquant au cours de la période postopératoire, la survenue ou la crainte de survenue d’une complication doit conduire à reconsidérer le traitement bêtabloquant. La surveillance de l’équilibre circulatoire doit faire l’objet d’une grande attention pour éviter la survenue favorisée et majorée par le traitement bêtabloquant d’une insuffisance circulatoire relative, qui se traduit le plus souvent par des dysfonctions d’organes insuffisamment perfusés (insuffisance rénale, ischémie mésentérique, delirium, etc.)(7).   L’absence de preuve de l’efficacité des bêtabloquants pour diminuer le risque cardiaque postopératoire dans des essais cliniques récents de grande envergure, rend compte du fait que les recommandations plus récentes publiées en 2009 par l’ACC/AHA sont beaucoup plus nuancées que celles publiées en 1996.   Si l’administration à titre prophylactique des bêtabloquants reste controversée pendant la période opératoire, il n’en va pas de même de l’administration des bêtabloquants à titre curatif devant la survenue d’une tachycardie postopératoire, dont on connaît les effets délétères sur la balance énergétique du myocarde. Cependant, il est nécessaire de préciser la cause de cette tachycardie, car une tachycardie liée à une hypovolémie ne relève pas des bêtabloquants.   Prise en charge postopératoire C’est au cours de la période postopératoire qu’une prise en charge adaptée de l’opéré coronarien, offre le plus de possibilité de préserver son pronostic à court et moyen termes. La possibilité de détecter à un stade précoce toute évolutivité péjorative de la maladie coronaire, constitue une avancée fondamentale de la prise en charge des opérés. Comme nous l’avons vu, toute valeur de troponine anormale justifie des mesures spécifiques, dans le but de contrôler l’instabilité de la maladie coronarienne.   L’intensification du traitement médical de la maladie coronaire améliore de façon spectaculaire l’espérance de vie des opérés qui souffrent d’un SCP. Lorsque l’élévation de troponine ne fait pas l’objet d’un traitement médical spécifique, l’espérance de vie des opérés est significativement altérée. Si l’élévation du taux de troponine est immédiatement suivie d’une intensification du traitement médical avec admission si besoin en unité de soins intensifs, l’espérance de vie des opérés est strictement superposable à celle des malades n’ayant pas présenté d’élévation de la troponine postopératoire.   Le traitement médical qui s’impose, face à une élévation de troponines postopératoire, est parfaitement établi. Il comporte la prescription : - de statines à forte posologie administrées si besoin par la sonde gastrique ; - d’un bêtabloquant administré de façon titrée pour contrôler le rythme cardiaque sans menacer la fonction circulatoire ; - de l’administration d’aspirine si l’intervention chirurgicale le permet ; - d’une transfusion sanguine qui s’impose dès que le taux d’hémoglobine postopératoire est inférieur à 10 g/dl ; une attention toute particulière doit être portée pour corriger une anémie postopératoire, l’enquête SFAR/INSERM sur la morbi/mortalité postopératoire révélant que l’anémie joue fréquemment un rôle important dans la survenue des complications coronaires postopératoires. La recherche de facteurs déclenchants est primordiale. L’absence de facteur déclenchant significatif révèle une insuffisance coronaire chronique sous-jacente qui impose une prévention secondaire. La présence d’un facteur déclenchant évident (anémie profonde sur traumatisme du sujet jeune, par exemple) impose un traitement spécifique. Dans de nombreux cas, une évaluation de la gravité et de l’évolutivité de la maladie coronarienne dépistée par le monitorage biologique postopératoire imposera des examens complémentaires guidés par des facteurs de risque de l’opéré.   En pratique   La fréquence de survenue des complications coronaires chez les opérés à risque coronaire ainsi que leurs effets délétères sur l’espérance de vie à court et à moyen termes imposent de définir de façon prospective une démarche préventive périopératoire efficace de ces complications. Préserver l’espérance de vie du coronarien, en prévenant ou en contrôlant toute instabilité de la maladie coronaire pendant la période postopératoire, est la finalité moderne de la prise en charge de tout opéré à risque adressé en milieu chirurgical. La troponine, marqueur biologique hautement spécifique du dommage myocardique, doit être utilisée à la fois comme référentiel de la qualité de la prise en charge, conditionnant l’espérance de vie à court et à long termes de l’opéré, et comme élément diagnostique qui guide les modalités de prise en charge de ces opérés à risque.

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