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Insuffisance cardiaque

Publié le 23 oct 2012Lecture 12 min

Vieillissement primaire du cœur et insuffisance cardiaque

A. WAJMAN, M.-C. MALERGUE, A. COHEN SOLAL, Paris

L’insuffisance cardiaque (IC) cliniquement patente est une maladie spécifique du sujet âgé : sa prévalence augmente avec le vieillissement de la population, 1 % entre 55 et 64 ans, 10 % entre 80 et 89 ans (Framingham 1999). Sa réelle incidence est sous-estimée, tant sa présentation est trompeuse chez le patient âgé. L’IC pose des problèmes majeurs de prise en charge de la fin de vie de ces patients. Le vieillissement « normal » du cœur dit « primaire », est une entité difficile à appréhender et peu documenté. Nous perdons 40 millions de myocytes par an et le vide est comblé par une hypertrophie et une fibrose compensatrices(1).

Cœur sénile et cerveau sénile : le lien existe-t-il ?   L’amylose cardiaque sénile est retrouvée chez 86 % des patients de plus de 80 ans (autopsies) : • L’amylose atriale forme la plus fréquente, localisée et limitée à l’oreillette, est un facteur favorisant de fibrillation atriale, comorbidité fréquemment associée chez le patient âgé. • L’amylose systémique sénile, touchant l’ensemble du myocarde, est rare.   Un lien entre amylose cardiaque sénile et démences vasculaires précoces est la présence de dépôts amyloïdes de fibrilles myocardiques, retrouvées aussi au niveau cérébral dans la maladie d’Alzheimer.   Le vieillissement normal du cœur associe anomalies structurelles et fonctionnelles affectant le volume d’éjection systolique, la fréquence cardiaque et la périphérie : QC= VES x Fc   • Le volume d’éjection systolique (VES) est modifié par l’altération de la : - contractilité (modérée, mal appréhendée par nos méthodes actuelles) - post charge : importante augmentation de la rigidité artérielle (contractilité diminuée, relaxation ralentie) - précharge : baisse de la distensibilité (compliance) par fibrose, glycation des protéines ; surtout ralentissement de la relaxation (HVG, BBH, HTA, etc.) ; les 2 sont souvent associés. • FC : incompétence chronotrope fréquente • Facteurs d’aggravation périphériques : - Atteintes des vaisseaux musculaires : (peu de données actuelles) ; - Fonctionnement aérobique altéré des muscles périphériques ; - Insuffisance rénale, néphropénie et anémie.   Les causes d’IC chez le sujet âgé sont multiples Elles s’intriquent dans l’histoire naturelle du vieillissement primaire du système cardiovasculaire.   • L’HTA, première cause retrouvée après 70 ans avec fraction d’éjection conservée ( FE > 40 %) et altération de la contraction-relaxation diastolique dans 59 % des cas, elle semble correspondre au tableau de vieillissement primaire. L’atteinte coronaire est soulignée dans : • Le registre CASS. On retrouve 57 % d’atteintes coronaires tritronculaires chez les plus de 80 ans versus 43 % chez les 70-79 ans, et une lésion d’un tronc commun dans16 % des cas versus 6 %.(2) • Les valvulopathies et les myocardiopathies.   Peut on visualiser cette cardiomyopathie liée à l’âge ?   Les données échographiques Elles sont peu contributives sur l’évolution de la masse ventriculaire avec l’âge, mais retrouvent les classiques réponses adaptatives. Le Doppler couleur apporte une contribution majeure : • Altération de la fonction pompe (systolique et diastolique), augmentation des pressions de remplissage avec, lors du passage en arythmie complète par fibrillation atriale, de poussée d’HTA ou d’ischémie coronaire, la survenue d’une poussée d’insuffisance cardiaque aiguë sur un cœur, jusque-là asymptomatique et « de taille normale ou petit » ; • Faible augmentation voire diminution de la masse ventriculaire avec l’âge : les parois ventriculaires gauche et septale s’épaississent relativement et la dimension base apex diminue ; • Petite altération de la fonction systolique longitudinale ou de la torsion avec fonction radiale conservée au repos ; • Ralentissement de la relaxation diastolique (phase active du remplissage) avec diminution du remplissage protodiastolique et altération de la distensibilité du VG (phase passive) ; • Images de nécrose séquellaire, de cardiomyopathie et bien entendu d’atteintes valvaires.   Chez le sujet âgé, les calcifications annulaires mitrales et fuites mitrales seront soigneusement recherchées : • Leur prévalence est grande(3) : > 10 % chez l’homme et > 16 % chez la femme, et les autopsies > 90 ans, 27 % chez l’homme et > 53 % chez la femme ; • Leur présence accroit le risque d’endocardite, d’accident vasculaire cérébral et de surmortalité.   Schématiquement, on peut distinguer 3 cas de figures, illustrés par les images suivantes : 1. Hypertension chez une nonagénaire (figure 1) 2. Insuffisance cardiaque gauche post IDM (figure 2) 3. Cardiomyopathie, parois amincies, cavité VG dilatée (figure 3)   Figure 1. Hypertension chez une nonagénaire. Incidence 4 cavités diastole/systole : importante hypertrophie ventriculaire gauche concentrique, dilatation auriculaire gauche. La fraction d’éjection est conservée. Figure 2. Insuffisance cardiaque gauche post IDM ; Séquelle de nécrose infero basale avec amincissement ; Hyperéchogénéicité et remodelage (incidence 2 cavités apicales). Figure 3. Cardiomyopathie, parois amincies, cavité VG dilatée. Cardiomyopathie dilatée, dilatation des 4 cavités - A. 4 cavités fraction d’éjection 20%. B. TM. * Clichés aimablement confiés par M.C. Malergue.    L’IRM montre l’accroissement de l’épaisseur myocardique au détriment des dimensions de la cavité ventriculaire et permet de mieux évaluer l’extension de la fibrose, important facteur pronostique chez ces patients(4). Le scanner apporte également une information sur la fonction globale, régionale et surtout sur l’extension de la fibrose (rehaussement tardif). La réponse à l’exercice du sujet âgé est altérée même si le débit cardiaque est conservé au détriment d’une augmentation des pressions de remplissage ; le déconditionnement à l’effort est majoré par l’atteinte de la réserve chronotrope fréquemment associée et par l’atteinte musculaire périphérique (sarcopénie musculaire).   Cliniquement, l’insuffisance cardiaque du sujet âgé est atypique   Les pièges diagnostiques fréquents, et le nombre de cas sous-estimé :   Le signe majeur est la dyspnée et surtout la fatigabilité majorée à l’effort. Mais les patients âgés restent souvent au lit pour des raisons non cardiologiques.   La dyspnée chez le sujet âgé peut être : • Absente : réduction progressive spontanée consciente ou inconsciente des efforts chez les personnes âgées depuis des années ne permet pas l’expression de la symptomatologie, (prothèse de genou ou de hanche par exemple) ; • Anorganique, d’angoisse : elle est alors variable dans son intensité et son déclenchement ; • Confondue par le patient avec la douleur thoracique (blockpnée d’effort) ; • La dyspnée se mêle à l’asthénie, à une altération de l’état général, à des bronchites à répétition ; • Intriquée avec : - Un syndrome confusionnel, réponse clinique au stress, fréquent chez le sujet âgé en présence de lésions cérébrales dégénératives ou vasculaires et/ou de prise de médicaments qui altèrent la vigilance, (l’aspect psychiatrique risque d’orienter à tort le patient vers des services non cardiologiques), - Un syndrome dépressif, dans 24 à 42 % des décompensations cardiaques chez le sujet âgé, - Un syndrome démentiel dont la prévalence est également croissante, facteur limitant de la prise en charge (le diagnostic d’insuffisance cardiaque est masqué par des difficultés de communication). • À l’inverse, l’insuffisance cardiaque peut être un facteur d’aggravation d’une démence préexistante et parfois même être la circonstance de découverte d’une démence jusque-là non connue. L’association IC et démence est retrouvée chez 50 % des insuffisants cardiaques âgés. Ces deux syndromes partagent les mêmes facteurs de risque en particulier l’hypertension artérielle.   BNP, NT-proBNP : the lower, the better   • L’utilisation des biomarqueurs se fait en routine, à bon escient, en dehors des poussées d’insuffisance cardiaque, pour décider d’une hospitalisation, suivre certains patients et pour leur valeur pronostique(5). • À toujours corréler aux mesures de la créatininémie, du poids et du contexte (l’obésité, l’âge, l’embolie pulmonaire, le CPC, l’HTAP, l’insuffisance rénale peuvent augmenter les taux de BNP). • Prendre pour valeurs seuils limites, respectivement 100 pg/ml et 1 000 pg/ml pour le BNP et le NT-ProBNP. • Ne retenir le diagnostic d’insuffisance cardiaque après 75 ans que si le BNP est supérieur à 500 pg/ml et NT-ProBNP > 1 000 pg/ml. • Sert à mieux guider le traitement : PROTECT (151 patients en ICC de type systolique avec fraction d’éjection < 40 %) (a montré que le bénéfice du traitement guidé par la mesure du NT-Pro BNP avec valeur cible à 1 000 pg/ml était supérieur au traitement standard, avec une réduction significative de plus de 50 % de l’ensemble des évènements cardiovasculaires et en particulier les hospitalisations pour poussées d’IC. Ces résultats étaient meilleurs encore dans le groupe des plus de 75 ans. (AHA, 2010).   Quelles sont les causes de décompensation cardiaque chez ces patients âgés ?   Très fréquentes, elles doivent aussi être connues par le patient et son entourage : • Non observance du régime sans sel et rupture du traitement (arrêt des diurétiques) ; • Prescription inappropriée d’inotropes négatifs (bêtabloquants, inhibiteurs calciques (diltiazem, vérapamil), d’antiarrythmiques classe I (disopyramide, flecainide, propafenone, association digitaliques cordarone, quinidiniques) ; • Insuffisance rénale, fonctionnelle ou liée par exemple à des doses excessives de diurétiques, ou à une association de diurétiques, IEC et AINS ++) ; • Administration de collyres de bêtabloqueurs pour glaucome, AINS, que le patient ne considère pas comme des médicaments ; • Traitement par glitazones ; • Aggravation brutale d’une valvulopathie ; • Surinfection bronchopulmonaire, fièvre, (intrication des signes bronchiques et congestifs) ; • Passage en AC par FA ou simple tachycardie (très fréquent) ; • Embolie pulmonaire ; • Épisodes ischémiques ou infarctus myocardique (mais parfois indolores) ; • Anémie, insuffisance rénale.   Que faire ?   Primum non nocere ou « le mieux est l’ennemi du bien » • Se fixer un objectif et privilégier la qualité de vie chez les patients très âgés plutôt que la quantité de vie et distinguer les traitements en fonction de ces objectifs ; • Le patient âgé est polymédiqué (5 à 8 médicaments) et souvent insuffisant rénal : les posologies seront adaptées en fonction du poids, de la créatininémie : il faut utiliser la formule de Cockroft et Grault qui malgré ses aspects critiquables demeure le seul outil qui nous rappelle la prudence. • En pratique, oublier les doses dites « recommandées » qui n’ont pas de sens après 75 ans : elles sont incompatibles avec une qualité de vie normale chez ces patients fragiles. Start low, go slow… • Faire le bilan des co-morbidités et des co-médications, et surveiller les patients sur le plan clinique et biologique. Ne pas oublier le régime hyposodé (3 g/j) et non désodé et être moins strict en été… • Recommander la marche et l’activité physique modérée quotidienne sont bénéfiques.   Quels médicaments ?   Les diurétiques Ils sont incontournables : ils doivent être utilisés à tous les stades de l’IC surtout s’il y a des signes de congestion et d’œdèmes.   • Les diurétiques de l’anse ont transformé la qualité de vie à tous les stades de l’insuffisance cardiaque, mais n’ont pas fait l’objet d’études randomisées. • Les antagonistes de l’aldostérone débutés à 12,5 mg/j en association aux IEC, aux diurétiques de l’anse et aux bêtabloqueurs diminuent la morbi-mortalité (étude RALES) dans l’IC de stade III et IV et EPHESUS dans la suite d’infarctus myocardique avec FE < 40 %). • Plus récemment l’étude EMPHASIS- HF a démontré l’efficacité et la sécurité de l’éplérenone (25-50 mg/j) du traitement standard de l’insuffisance cardiaque et les dernières recommandations de l'ESC 2012 étendent son indication à tous les patients encore symptomatiques, malgré des bêtabloqueurs, des IEC (ou sartans).   Les IEC Ils doivent être prescrits à tous les stades NYHA avant les bêtabloqueurs. On débutera par la dose la plus faible possible surtout si le patient est déjà sous diurétiques, et en surveillant la kaliémie et la fonction rénale (la créatininémie peut augmenter en début de traitement, tout doublement de la créatininémie devra faire interrompre le traitement). Il faut éviter les associations fixes IEC-HCTZ.   Les ARAII En cas de toux sous IEC (10 %), on prescrira un ARA II, valsartan ou candesartan.   Les bêtabloquants Pierre angulaire du traitement, ils seront titrés progressivement. Seul le nébivolol peut être utilisé dans l’IC du sujet âgé (étude SENIORS).   Chez les patients de plus de 80 ans la stratégie du « start low, go slow » avec une titration progressive (1,25 mg/j puis 2,5 mg/j, puis 5 mg/j puis 10 mg/j, permet une réduction de mortalité de 20 %. En cas de décompensation cardiaque sous bêtabloquants, il n’est pas nécessaire de les interrompre lors de l’hospitalisation (étude B CONVINCED).   Les digitaliques Ils sont en perte de vitesse : ils ne doivent pas être prescrits seuls, mais une association aux diurétiques et ou aux bêtabloqueurs.   Les dérivés nitrés Ils sont parfois utiles sous forme de patches, en addition aux traitements précédents. Ils peuvent améliorer la qualité de la vie et doivent être administrés en discontinu en surveillant la PAS et le risque d’hypotension orthostatique.   L’ivabradine Médicament bradycardisant par action sur les canaux If et le nœud sinusal, l’ivabradine réduit l’incidence des hospitalisations pour aggravation d’insuffisance cardiaque et les décès cardiovasculaires chez des insuffisants cardiaques symptomatiques, en rythme sinusal, ayant une FC ≥ à 70 bpm, une fraction d’éjection basse < 35 % recevant déjà des diurétiques, des IEC et des bêtabloqueurs à la dose optimale (étude SHIFT). Ce médicament fait partie de l’arsenal thérapeutique des dernières recommandations de l’insuffisance cardiaque 2012. Chez le sujet âgé, on débutera par une demi-dose soit 2,5 mg matin et soir.   Les anticoagulants Ils sont à utiliser en cas de fibrillation atriale. En cas de contre-indication aux AVK l’aspirine ou le clopidogrel n’ont pas montré de réel bénéfice dans l’insuffisance cardiaque sans FA en particulier chez les patients âgés.   Anémie : fréquemment associée surtout en cas d’insuffisance rénale   Après avoir éliminé d’autres causes d’anémie, l’administration d’érythropoietine SC en débutant par de faibles doses, hebdomadaires, doit être discutée en fonction du risque thromboembolique et améliore considérablement ces patients : une augmentation de 2 points de l’hémoglobine transforme considérablement la qualité de vie des patients et leur donne de « l’allant ». (le seuil de décision retenu est de Hb 10 g/l, avec un objectif de 12 g/l), améliore la fonction rénale et la FE, même si aucune étude n’a encore montré de réduction de mortalité. Les résultats de l’étude RED HF apporteront une réponse à cette question. Le fer injectable IV en cas de sidéropénie même sans anémie a montré une amélioration de la qualité de vie (étude FAIR).   La stimulation multisites   Elle est de plus en plus souvent proposée à des patients parfois nonagénaires, lorsque le traitement médical optimal est insuffisant, et si le patient répond aux critères de sélection. La place du défibrillateur, associée ou non à une stimulation multisite n’est pas encore courante sauf en cas d’arrêt cardiaque ressuscité, de troubles du rythme ventriculaires soutenus (TV, FV) documentés.   Mais il faut également : • Prévenir les rechutes ; • Ne pas oublier l’efficacité du vaccin antigrippal(6) vraisemblablement le traitement le plus efficace et antipneumococcique. • Traitement des infections respiratoires et ou urinaires. • Envisager la revascularisation coronaire en cas d’IC ischémique et en fonction du terrain, • Bien maitriser la pression artérielle dans tous les cas.   • Éviter certains médicaments : - Inotropes négatifs, bêtabloqueurs si administrés per os hors des protocoles de titration préconisés dans l’IC ou en ophtalmologie (timoptol), - Antiarythmiques (sauf amiodarone), - Vasoconstricteurs nasaux, AINS et coxibs, - Corticoides (rétention sodée), Lithium et antidépresseurs (mais dépression souvent associée dans les formes avancées d’IC), Glitazones.   La fin de vie des insuffisants cardiaques : un problème de santé publique et d’éthique   Soit le patient décède de mort subite par grave trouble du rythme ventriculaire soit, le plus souvent, son décès se fait de façon lente et douloureuse pour lui et son entourage, dans un tableau de déchéance progressive, avec dénutrition, œdèmes réfractaires, escarres. L’absence de réelles structures d’accompagnement constitue un problème majeur de société et de santé publique. Nous sommes, en France, très en retard sur le traitement palliatif des IC par rapport aux britanniques ou scandinaves.   Les réseaux « ville – hôpital » et la nécessité du contact avec le patient sont primordiaux   Les réseaux de soins et le rôle des infirmières a été mis en valeur récemment, entre autre par les résultats de l’étude DIAL où l’intervention téléphonique d’une infirmière a permis de réduire les hospitalisations pour insuffisance cardiaque. Les réseaux de soins gériatriques fonctionnent avec succès. L’initiative RESICARD doit être reconsidérée et optimisée. L’éducation thérapeutique est essentielle et doit concerner tant le patient que sa famille.   1. Olivetti G. et Capasso J.M., Circ. Research 1991. 2. Halon D.A. et al. JACC 2004. 3. NEJM 1992. 4. Galinier M. et al. Revue du Prat 2009. 5. Logeart D. et al. J Am Coll Cardiol 2004. 6. Nichol K.L. et al. NEJM 1994.

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