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Insuffisance cardiaque

Publié le 26 juin 2012Lecture 10 min

Détection précoce de l’insuffisance cardiaque - Comment faire ?

M.-C. MALERGUE, Hôpital privé Jacques Cartier Massy, Clinique Turin, Paris

Pendant de nombreuses années, la fonction ventriculaire gauche a été estimée par la fraction d’éjection (FE) ; l’évaluation de la FE a fait l’objet de nombreuses études et a servi de critère dans l’évaluation des essais thérapeutiques, pharmacologiques ou non pharmacologiques. Depuis une dizaine d’années, le concept d’insuffisance cardiaque (IC) à fraction d’éjection conservée a vu le jour, laissant supposer qu’un véritable tableau d’IC était possible alors que la FE était conservée. La terminologie de cette réalité clinique a reçu plusieurs appellations : IC à fonction systolique conservée, IC diastolique, IC FE préservée. Aucune ne correspondait à la réalité physiopathologique : le terme « IC à fonction systolique conservée » n’est pas adapté, car une FE conservée ne signifie pas que la fonction systolique le soit, et une dysfonction diastolique peut se voir dans une cardiopathie à FE basse. Donc le terme adéquat est bien celui d’ « IC à FE conservée », témoignant d’une dysfonction VG alors que la FE est préservée.

Le Doppler tissulaire a été largement utilisé pour évaluer la dysfonction régionale et la dysfonction diastolique ; de nombreuses limitations sont apparues au fur et à mesure de son utilisation, limites liées à son caractère angle-dépendant, à la difficulté de différencier un mouvement passif d’un mouvement actif et à sa mauvaise reproductibilité.   L’imagerie de déformation a fait son apparition il y a quelques années ; elle se rapproche des objectifs de l’imageur, en accédant à une réalité jusqu’alors inaccessible par les techniques échographiques habituelles : la physiopathologie des différentes fibres myocardiques. Les fibres myocardiques ont une architecture complexe, fibres longitudinales (couches sous-endo et sous-épicardiques), radiaires (mi-paroi) et circonférentielles. Les avantages du speckle tracking comparativement au Doppler tissulaire sont l’indépendance par rapport à l’angle, la bonne résolution spatiale, le bon rapport signal/bruit, une bonne reproductibilité, la rapidité d’utilisation ; ses inconvénients : il dépend de la qualité de l’image, a une cadence image limitée rendant son utilisation difficile en cas de tachycardie. Les perspectives d’analyse sont très intéressantes car le strain donne accès à un diagnostic précoce de dysfonction ventriculaire gauche, avant toute modification de la FE, voire avant l’apparition d’une dysfonction diastolique.   Rappel physiologique de l’analyse de la fonction VG   Étudier la fonction cardiaque intrinsèque laisse supposer que l’on peut accéder à la contractilité réelle du myocarde (figure 1). Les éléments contractiles du myocarde peuvent développer une force contractile et ainsi se raccourcir. Ces éléments contractiles sont intégrés, grâce à une distribution très spécifique dans le ventricule gauche, à une certaine géométrie (forme et épaisseur) et des propriétés élastiques spécifiques. Par l’action de ces forces contractiles, le ventricule peut augmenter sa pression intracavitaire jusqu’à un niveau suffisant pour ouvrir les sigmoïdes aortiques. À partir de ce moment, le raccourcissement des éléments contractiles entraîne une diminution de la taille de la cavité et l’éjection. En ne mesurant que la FE, toutes les autres informations (niveau de pressions, propriétés tissulaires et ensemble des déformations allant du raccourcissement individuel des fibres jusqu’à la déformation globale de la cavité VG) restent méconnues.   Figure 1. Le fonctionnement du cœur, d’après Bijnens et al. Eur J Echocardiogr 2009 ; 10 : 216-26.   Pour décrire totalement la fonction cardiaque, deux aspects et leur interaction doivent être distingués : la force de développement (contractilité des myocytes) et la déformation (raccourcissement des myocytes).   La fonction VG peut être interprétée, de façon globale comme une fonction pompe, ou selon une perspective régionale, tenant compte de la contribution de chaque segment myocardique. Les interactions entre les composants des forces actives et de déformation sont déterminées par les conditions spécifiques dans lesquelles le cœur fonctionne.   Cela inclut : - les propriétés pariétales telles que la composition tissulaire et l’élasticité, la structure des fibres, la géométrie globale ; - l’interaction du cœur et de la circulation périphérique, le plus souvent décrite comme les conditions de charge (pressions et volume).   L’estimation simple de la fonction globale est basée sur des indices globaux, telles la fraction d’éjection et la fraction de raccourcissement. Ces paramètres directement liés aux calculs des volumes ont d’importantes limitations dans l’évaluation de la fonction intrinsèque dans un contexte de conditions de charge anormale : - l’assomption mathématique est mise en défaut par les déformations ventriculaires ; - les paramètres basés sur le calcul des volumes sont charge-dépendants ; - les paramètres conventionnels donnent accès à la fonction globale, basés sur les propriétés de raccourcissement (fonction radiaire) en ignorant la fonction longitudinale, qui dans la plupart des pathologies est atteinte avant que ne surviennent les indices radiaires. L’augmentation de la fonction radiaire peut, de plus, témoigner d’un phénomène compensateur, secondaire à la réduction de la fonction globale longitudinale. Pour surmonter ces limitations, de nouvelles techniques échocardiographiques ont été proposées, basées sur la cinétique myocardique et sa déformation.   Déformation myocardique 2D strain   Le 2D strain est basé sur une imagerie 2D, en échelle de gris, utilisant la technique du speckle tracking. Les « speckles » sont des marqueurs acoustiques naturels, réflecteurs d’ultrasons ; le « tracking » est une méthode de suivi des speckles, fondé sur le repérage de leur position dans la paroi ventriculaire gauche durant le cycle cardiaque. L’analyse conventionnelle de la fonction systolique, par l’étude de l’épaississement pariétal, ne permet d’explorer que la fonction systolique radiaire.   L’analyse de la déformation en 2D permet d’explorer les trois composantes de la déformation myocardique (radiale, longitudinale et circonférentielle). C’est une méthode comparable au « tagging » en IRM ; elle est simple et rapide, non dépendante de l’angle et reproductible, avec une meilleure reproductibilité pour le strain longitudinal. Les mesures de strain longitudinal sont plus robustes et plus reproductibles que le strain radiaire et circonférentiel.   La figure 2 rappelle l’organisation et l’architecture des fibres myocardiques, longitudinales, radiaires et circonférentielles. Le strain longitudinal est accessible en incidence des 4 cavités (la base du ventricule allant normalement vers la pointe qui est fixe), alors que la voie parasternale (petit et long axe) permet d’analyser le strain radiaire. Le résultat exprimé en pourcentage est positif si le segment s’épaissit (strain radiaire), le résultat est négatif si le segment se raccourcit (strain longitudinal) (figure 3).   Figure 2. A. architecture des fibres myocardiques longitudinales, radiaires et circonférentielles ;  B. raccourcissement des fibres longitudinales et des fibres radiaires selon l’incidence d’étude en échographie. Figure 3. Sujet normal 2D strain. A. strain longitudinal avec courbes régionales, s’inscrit en négatif (raccourcissement) ; B. strain radiaire avec courbes régionales, s’inscrit en positif (épaississement).   La relation entre les forces agissant sur une structure et sa déformation dépend essentiellement de l’élasticité de l’objet. Plus un objet est élastique, plus il est déformé par les forces actives. Cette relation est illustrée par la figure 4. Dans un segment myocardique, les forces développées, et par le segment et sur le segment, doivent être prises en considération. La force contractile intrinsèque aboutissant à un raccourcissement des myocytes donc à une déformation négative est la plus importante. Il faut garder en mémoire que chaque élément du myocarde est toujours contraint dans le ventricule à des forces externes agissant dans une direction opposée à la force contractile : il s’agit des conditions de charge qui sont constituées par le stress pariétal régional (secondaire à la pression intracavitaire) et l’interaction des segments voisins. La relation entre toutes les forces actives et la déformation qui en résulte est régulée par l’élasticité régionale qui, pour le myocarde, dépend directement de la structure de la fibre, de la présence ou de l’absence de fibrose ou de dépôts intramyocardiques.   Figure 4. Relation entre les forces locales et la déformation (d’après Bijnens).   En résumé, les principaux facteurs influant sur la déformation régionale sont : - la contractilité intrinsèque, - la pression intracavitaire (souvent assimilée à la postcharge et influencée par la précharge) dépendant de la géométrie locale ventriculaire, - l’interaction des différents segments influencée par l’état contractile des segments adjacents, - l’élasticité tissulaire (qui dépend de l’histologie locale, telle la fibrose) et fonction de l’état d’étirement préalable. Ces facteurs peuvent se résumer en une force active (contractilité), 2 forces passives (pressions et interaction segmentaire) et les propriétés tissulaires.   Applications cliniques La mesure du strain va permettre une analyse de la cinétique segmentaire quantitative et dans les trois directions ; elle permet une approche de la fonction globale différente de celle de la FEVG. Les trois composantes de la déformation peuvent évoluer différemment dans les pathologies (altération longitudinale possible alors que les autres composants sont conservés), ce qui permet un dépistage précoce de nombreuses pathologies. L’analyse segmentaire La détection automatique de l’endocarde rend très rapide l’ajustement de la zone d’intérêt et la quantification de la déformation de chacun des segments pour une incidence donnée (figure 5). Les corrélations entre l’IRM et le 2D strain dans l’analyse de la cinétique segmentaire sont bonnes ; son application est utile en routine en cas de cinétique qui paraît visuellement douteuse, et permet une approche rapide de la fonction longitudinale difficile à évaluer « à l’œil » ; elle permet de quantifier l’amélioration des segments dans le cadre de recherche de viabilité. Son utilisation dans le dépistage d’anomalie régionale en échographie de stress reste limitée au-delà d’une fréquence > 120 bpm. Figure 5. Quantification des troubles régionaux, représentation en œil de bœuf (infarctus antéroseptal, infarctus inférolatéral, infarctus inférieur).   L’insuffisance cardiaque à FE préservée C’est l’exemple typique d’une dissociation entre la FE, qui est préservée (grâce à l’action des fibres radiaires), et les fibres longitudinales qui sont altérées sans interférer directement sur la FEVG. Le strain global Il correspond à la moyenne du strain dans les différents segments VG, il s’agit d’une approche rapide de la fonction VG globale. Les valeurs normales de 2D strain en longitudinal sont de l’ordre de -19,9 % ± 5,3, +34,4 ± 11,4 pour le 2D strain radiaire, avec des valeurs un peu moindres dans les études faites en 3D strain. La variabilité intra-observateur diffère selon les études entre 3,5 % et 7 %, et interobservateur entre 3,6 et 8 %. Plusieurs études ont récemment montré que le 2D strain global est un moyen indirect d’étude de la FEVG et ce, comparé à la méthode de référence qu’est l’IRM. La faisabilité est de l’ordre de 97 %. La mesure du strain global longitudinal a également une valeur pronostique. Un strain longitudinal global < -12 % est un facteur prédictif supérieur à la FE (Stanton, Circulation 2009). Ce cut-off varie selon les auteurs : -9 % (Nahum, Circulation CVI 2009) et -7 % (Mignot JASE 2010). Figure 6. Strain global longitudinal abaissé à 9,7 %.   Le strain a également montré son intérêt pour le diagnostic précoce de certaines cardiomyopathies alors que la FE était conservée ; c’est le cas de l’amylose (Bellavia, JASE 2007), la cardiopathie hypertrophique (Serri, JACC 2006), la maladie de Fabry, mais aussi dans des pathologies beaucoup plus fréquentes telles que l’HTA ou la cardiopathie du diabétique, alors que la FE est conservée et qu’il n’existe pas encore d’altération de la fonction diastolique.   Surcharge volumétrique   On sait qu’une FE « normale » en cas d’IM chronique témoigne déjà d’une altération de fonction, d’où un seuil opératoire fixé à 60 %. Quand le ventricule se dilate, en préservant son volume d’éjection, la déformation régionale se réduit. Pouvoir dépister une dysfonction précoce dans l’IM asymptomatique sévère reste un challenge d’actualité. Plusieurs études ont comparé les différents paramètres prédictifs de récupération VG postopératoire en cas d’IM sévère. Il semble que le strain longitudinal permette une détection précoce de la dysfonction, et pourrait optimiser le moment de la chirurgie.   L’étude du strain à l’effort dans l’IM asymptomatique peut également déceler une absence de réserve contractile et être un élément supplémentaire pour décider de l’intervention. L’absence de réserve contractile se définit comme une diminution ou une augmentation de moins de 1,8 % de la déformation longitudinale globale par rapport à la valeur de repos ; cela permettrait de prédire une dysfonction VG en postopératoire.   Surcharge de pression   Le remodelage hypertrophique a pour conséquence à long terme des modifications délétères et irréversibles. Le segment septal basal est souvent le premier à montrer des modifications en termes de déformation. Le développement de fibrose locale accentue ces anomalies.   La gestion des sténoses aortiques sévères asymptomatiques à FE conservée est un problème fréquent et croissant. Les études en imagerie de déformation retrouvent des dysfonctions myocardiques infracliniques qui apparaissent dans le sous-endocarde puis progressent en transmural. Dans les RAC serrés asymptomatiques, on constate une altération de la fonction de déformation, alors que la FE est conservée, paramètres de déformation qui s’améliorent en postopératoire.   Dépistage de la cardiotoxicité des chimiothérapies   L’utilisation croissante des chimiothérapies liée à la longévité des patients fait du dépistage de la cardiotoxicité induite par les traitements, un problème difficile.   La FE est le seul paramètre demandé en routine, mais la baisse de la FE est souvent tardive et manque de sensibilité à un stade précoce. En cas de cardiotoxicité induite par la chimiothérapie, contrairement à ce que l’on retrouve dans les cardiopathies ischémiques, toutes les couches myocardiques sont atteintes entraînant une altération tant de la fonction des fibres longitudinales que des couches radiaires. Plusieurs études expérimentales chez le rat soumis à des cures d’anthracyclines ont retrouvé une altération du strain radiaire, alors que la fraction d’éjection ne diminue pas de façon significative ; le contrôle anatomopathologique a retrouvé une fibrose extensive interstitielle et périvasculaire.   Des données récentes confirment l’intérêt du strain chez les patientes sous trastuzumab (Herceptine®) ; la bonne reproductibilité fait du strain un outil prometteur pour un diagnostic précoce, avant une altération de la fraction d’éjection. Le « cut-off » de pic de déformation longitudinale reste à déterminer pour fixer au-delà de quel seuil il est nécessaire de diminuer, voire d’interrompre la chimiothérapie.   En pratique   L’étude de la fonction VG ne peut se limiter désormais à l’évaluation simple de la fraction d’éjection pour dépister précocement une dysfonction ventriculaire gauche. L’écho-Doppler en routine permet d’évaluer les volumes et le volume d’éjection, les pressions de remplissage et les pressions pulmonaires. L’imagerie de déformation est devenue un outil accessible en routine, facile d’utilisation, reproductible ; elle permet une étude plus adaptée des différents mécanismes de dysfonction globale et régionale alors que les paramètres habituels restent normaux.  Elle se rapproche des préoccupations du praticien en donnant accès à des phénomènes complexes par une technique désormais validée.

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