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Congrès et symposiums

Publié le 13 mar 2012Lecture 9 min

Risque thromboembolique et FA : les AVK ont-ils encore leur place ?

M. DEKER

Journées européennes de la SFC (II)

Il peut paraître curieux de parler de renouveau des antivitamines K (AVK), alors qu’une nouvelle génération d’anticoagulants arrive. Toutefois, certains patients sont difficilement éligibles pour ces nouvelles classes thérapeutiques, ce qui laisse des indications pour les AVK, une bonne raison pour que leur bon usage ne se perde pas et pour se réapproprier leur prescription.

Comment prescrire les AVK dans l’insuffisance rénale ? L’insuffisance rénale constitue un facteur de risque thrombotique, avec une augmentation du risque quasi linéaire à mesure de la dégradation de la fonction rénale. La prévalence de la fibrillation atriale (FA) est aussi beaucoup plus élevée chez les insuffisants rénaux. Alors que chez ces patients, l’optimisation du traitement anticoagulant est particulièrement importante, on constate que ce traitement est souvent omis par peur des risques hémorragiques dans cette population fragile. On peut considérer que l’insuffisance rénale est un facteur de risque hémorragique si l’on se réfère aux recommandations qui sont fondées sur un faible nombre d’études. Un travail récent a montré un surcroît de risque hémorragique chez les patients dont le débit de filtration glomérulaire est < 30 ml/min comparativement à > 30 ml/min (Limdi NA et al. J Am Soc Nephrol 2009 ; 20 : 912-21). Ce qui est vrai des AVK l’est tout autant pour les autres anticoagulants, le taux d’hémorragies étant d’autant plus important sous dabigatran que la fonction rénale est altérée, d’où des contraintes d’utilisation des nouveaux anticoagulants chez les insuffisants rénaux. La prédiction du risque hémorragique peut être réalisée au moyen des scores de risque tel Has-Bled qui affecte d’1 point l’existence d’une altération de la fonction rénale. On remarquera que Has-Bled et CHADS2 ont en commun plusieurs facteurs (HTA, antécédents d’AVC, âge), ces deux scores étant bien corrélés, si bien que le risque de thrombose augmente parallèlement au risque hémorragique. Par ailleurs, les sujets les plus à risque d’hémorragie parmi les populations âgées sont ceux dont la clairance est la plus basse et qui ont le plus faible poids (Mahé I et al. Drugs Aging 2007 ; 24 : 63-71). L’appréciation du risque hémorragique devrait donc combiner ces trois paramètres que sont la fonction rénale, l’âge et le poids, comme le fait la formule de Cockroft. Il faut donc prescrire des AVK chez l’insuffisant rénal et, pour optimiser la sécurité, intégrer certaines notions. De manière générale, les insuffisants rénaux ont besoin d’une dose moindre d’AVK (Limdi NA et al. Am J Kid Dis 2010 ; 56 : 823-31). À l’instauration du traitement, il est donc inutile et dangereux d’utiliser d’emblée les doses les plus fortes. À cet égard, il serait intéressant de développer des abaques adaptés à la population des insuffisants rénaux, à l’instar de ceux conçus pour les sujets âgés. Le pourcentage d’INR dans la fourchette 2-3 est bas, et le pourcentage d’INR > 3 augmente, lorsque la fonction rénale est mauvaise. Il faudrait donc multiplier les contrôles et au mieux pouvoir utiliser des automates pour surveiller l’INR.   Patients âgés ou très âgés… Sachant que la FA est une pathologie du sujet âgé (la moitié des > 80 ans hospitalisés sont en FA) et que le risque attribuable d’AVC massif lié à la FA est de 20 %, le traitement préventif s’impose. Toutes les recommandations préconisent l’emploi des AVK pour prévenir les événements thromboemboliques après 75 ans. D’un autre côté, le risque hémorragique, cérébral, mais aussi digestif, augmente également avec l’avancée en âge, surtout après 75 ans. Paradoxalement, les AVK sont toutefois d’autant plus bénéfiques que les sujets sont âgés, mais dans une fourchette d’INR 2 - 3, où ils sont à la fois efficaces et dénués de risque. Le score Hemorra2ages, qui intègre le risque de chutes et le déficit cognitif, est plus adapté à la population gériatrique (Cage BF. Am Heart J 2006 ; 151 : 713-9). Plusieurs facteurs favorisent le risque hémorragique, en plus de l’âge : l’anticoagulation intense, les antécédents hémorragiques, le caractère récent du traitement, la variabilité de l’effet du traitement, les comorbidités et la durée du traitement. Les « chuteurs » ont davantage de risque d’hémorragie intracrânienne que les « non-chuteurs » ; sous AVK, l’incidence de ces hémorragies est identique, mais leurs conséquences sont plus graves. Toutefois, chez les patients justifiant ce traitement, le traitement AVK reste bénéfique sur un critère combinant AVC, IDM et hémorragies (Cage BF. Am J Med 2005 ; 118 : 612-7). Chez les sujets très âgés et très fragiles, le traitement antithrombotique (aspirine et AVK) a démontré qu’il prolonge la survie, y compris après 85 ans (Frischer MA J Am Geriatr Soc 2003 ; 51 : 887-8). Dans le choix entre l’aspirine et les AVK, il faut souligner que la première est associée à une incidence plus élevée d’effets indésirables pour une efficacité moindre. Les nouveaux anticoagulants pourraient être intéressants chez les patients difficiles à équilibrer, à surveiller, prenant des traitements qui interagissent avec les AVK, qui sont à faible risque de saignement digestif ou qui ont déjà fait un AVC sous traitement anticoagulant bien conduit. Chez le sujet âgé, avant de prescrire un AVK, il faut pouvoir répondre aux questions suivantes : qui prépare le traitement ? Qui le donne ? Qui surveille sa prise ? Y a-t-il des risques d’automédication ? Le contrôle biologique sera-t-il suivi ? Si l’on ne peut répondre à ces questions, étant entendu qu’une évaluation gériatrique globale est un préalable, le traitement AVK n’est pas envisageable.   INR, stable ou instable ? Il existe plusieurs méthodes pour évaluer la stabilité de l’INR : en calculant le pourcentage d’INR dans la fourchette thérapeutique, par la méthode de Rosendaal, en prenant en compte d’INR moyen et l’écart type. En pratique, c’est le TTR, pourcentage de temps dans la fourchette thérapeutique d’INR qui est le critère le plus utilisé pour évaluer la stabilité du traitement anticoagulant, même si ce n’est pas le meilleur. Le TTR varie dans le temps, surtout à l’initiation du traitement. L’instabilité de l’INR a des conséquences cliniques. Plus le patient est stable, moins il thrombose et moins il saigne (Wan Y et al. Circ Cardiovasc Qual Outcomes 2008 ; 1 : 84-91) : chaque augmentation du TTR de 10 % est associée à une diminution de 1 % des risques de thrombose et d’hémorragie. La stabilité de l’INR peut aussi être calculée en exprimant en quartiles les pourcentages de patients qui passent < 50 %, 50-59 %, 60-69 % ou > 70 % du temps dans l’index thérapeutique : un patient stable correspondrait ainsi à un patient qui passe plus de 70 % de son temps dans l’index (Drouet L. J Throm Trombolysis 2007 ; 23 : 83-91). Pour évaluer les performances des nouveaux anticoagulants, le pourcentage de TTR a été calculé pour chaque centre à partir des moyennes de TTR individuels, puis la population de chaque centre est répartie en quartiles, afin de définir l’impact sur les risques de mortalité, d’hémorragie majeure, d’AVC et d’embolie systémique. En procédant de la sorte, on vérifie que la stabilité de l’INR a un impact majeur sur les événements de morbi-mortalité ; en appliquant cette méthode aux résultats obtenus dans l’étude RE-LY, il apparaît que les AVK donnent d’aussi bons résultats que le dabigatran chez les patients dont l’INR est stable. Dans l’étude ROCKET-AF comparant le rivaroxaban aux AVK, une analyse complémentaire par centres montre la disparité des performances des centres en termes d’anticoagulation : dans les centres où le traitement anticoagulant est le mieux géré, les AVK font aussi bien en termes de thrombose et d’hémorragies. Dans l’étude Aristotle, le même procédé d’évaluation de la stabilité de l’INR par quartiles montre une relation inverse entre cette dernière et les risques de thrombose et d’hémorragie, bien qu’en moyenne, l’apixaban paraisse plus efficace et moins hémorragique que les AVK. Certaines caractéristiques cliniques sont corrélées à l’instabilité de l’INR : le score CHADS2, les antécédents d’AVC, l’insuffisance cardiaque, les traitements par aspirine ou interagissant avec les AVK. En analyse multivariée, plus l’âge augmente, plus l’effet anticoagulant est stable, indépendamment des autres facteurs ; en revanche, l’insuffisance cardiaque est un facteur d’instabilité, associée à une diminution du TTR. Or, si on diminue le TTR de 7 %, le risque d’hémorragie majeure augmente de 1 %. Chez des patients stables (TTR > 70 %), à condition d’avoir un suivi optimal et de pouvoir prédire la stabilité de l’INR, les AVK ont probablement un meilleur rapport coût-efficacité. Il faut conserver la maîtrise de ce traitement qui demeure très utile chez des patients à très haut risque ischémique qui ne sont pas éligibles aux nouveaux anticoagulants, tels que les insuffisants rénaux.   Comment optimiser le traitement AVK ? La pratique de l’anticoagulation en France est assez médiocre. Dans les grandes études, près de la moitié des patients qui devraient être anticoagulés ne le sont pas et ce, indépendamment du score de risque ischémique ; mais parmi les patients à haut risque ayant déjà fait un ou plusieurs AVC, seuls 10 % des patients sont anticoagulés dans la zone thérapeutique et un tiers ne reçoivent aucun traitement antithrombotique (Gladstone DJ et al. Stroke 2009 ; 40 : 235-40). En France, les patients inclus dans les grandes études comparatives se situent à la limite du 2e quartile pour le temps passé dans la zone thérapeutique et le pourcentage d’INR > 3 est le double de celui d’autres pays. Il y a donc d’importants progrès à faire. L’une des voies pour améliorer la situation est d’affiner l’organisation du système actuel où le patient est peu éduqué à l’anticoagulation qui est en règle initiée par le cardiologue, puis confiée au médecin généraliste. Il serait souhaitable de replacer le patient au centre du processus et qu’il puisse être en rapport avec un centre structuré pour pouvoir répondre à ses besoins, à son suivi et à l’adaptation du traitement, telle une clinique d’anticoagulation, qui serait éventuellement aidée d’un logiciel de prescription. Une autre possibilité serait que les patients disposent d’appareils d’automesure à partir du sang capillaire, technique sûre et fiable, qui a été démontrée chez l’enfant. Une des meilleures garanties d’amélioration de la gestion du traitement anticoagulant est la qualité de l’éducation du patient. Les expériences réalisées montrent qu’un patient ayant bénéficié d’une éducation thérapeutique conserve un contrôle INR stable (TTR > 70 %) même s’il ne bénéficie plus d’un appareillage d’automesure. En France, il est interdit à des non-biologistes de réaliser les contrôles d’INR, les appareils d’automesure sont onéreux et peu de centres se chargent de faire une bonne éducation thérapeutique. L’arrivée des nouveaux anticoagulants ne règlera pour autant pas tous les problèmes. En reprenant les résultats de l’étude ARISTOTLE, on voit que dans les centres qui gèrent le moins bien les AVK (critère du temps passé dans la zone thérapeutique), le taux d’événements ischémiques survenus sous la nouvelle molécule anticoagulante est deux fois plus élevé que dans les centres qui gèrent bien les AVK. Le problème tient donc probablement davantage à la rigueur de la prise en charge qu’au type d’anticoagulant prescrit. Pour progresser, il faudra donc concentrer les efforts sur la qualité de l’éducation prodiguée aux patients, sur l’amélioration du circuit de prise en charge et sur le contrôle de l’observance du traitement. Symposium organisé avec le concours de Merck Serono et la participation de G. Pernod (Grenoble), P. Friocourt (Blois), P. Mismetti (Saint-Etienne)  et L. Drouet (Paris)

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