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Cardio-gériatrie

Publié le 13 fév 2024Lecture 7 min

Place de l’évaluation gériatrique et de l’évaluation de la fragilité en cardiologie : que peut apporter le gériatre ?

Amaury BROUSSIER(1), Anne-Sophie BOUREAU(2)*

Le dépistage de la fragilité et des syndromes gériatriques a une place particulière chez les patients âgés porteurs de maladies cardiovasculaires du fait de leurs prévalences significatives et de leur impact pronostique dans cette population.

Évaluation gériatrique approfondie et fragilité : de quoi parle-t-on ?   La fragilité est un syndrome clinique qui reflète une diminution des capacités physiologiques de réserve altérant les mécanismes d’adaptation au stress. La fragilité est un processus potentiellement réversible, en particulier durant sa phase initiale(1,2). Quand elle n’est pas prise en charge, la fragilité est de mauvais pronostic avec une augmentation de la morbidité, des pertes de capacités fonctionnelles, d’institutionnalisation et de mortalité. Plusieurs modèles de fragilité ont été proposés, mais les deux suivants sont les plus fréquemment utilisés : • Le premier modèle, défini par Fried en 2001, correspond à « un phénotype physique de fragilité »(2). Les cinq critères suivants définissent la fragilité : une perte de poids involontaire > 4,5 kg au cours de la dernière année, une faiblesse musculaire, une asthénie déclarée, une vitesse de marche lente et un faible niveau d’activité physique. Dans ce modèle, un sujet est considéré comme « fragile » s’il présente au moins trois de ces critères, « préfragile » s’il en présente un ou deux et « robuste » s’il n’en présente aucun. • Le second modèle, défini par Rockwood, est un modèle de « fragilité multidomaine »(3). L’évaluation de la fragilité dans ce modèle porte sur les domaines suivants : cognition, humeur, motivation, motricité, équilibre, capacités pour les activités de la vie quotidienne, nutrition, condition sociale et comorbidités.   Fragilité et pathologies cardiovasculaires   La prévalence de la fragilité varie en fonction de l’âge, du sexe, des pays et de la définition utilisée pour la mesurer(4). La prévalence de la fragilité est élevée chez les patients atteints de pathologies cardiovasculaires, et ce quelle que soit l’échelle utilisée, allant jusqu’à 70 % des patients hospitalisés pour insuffisance cardiaque ou de 2/3 des patients adressés pour un bilan pré-TAVI(5). De même, la fragilité est un facteur de mauvais pronostic que ce soit dans l’insuffisance cardiaque, ou en post-interventionnel de gestes mini-invasifs ; plusieurs études retrouvant une association forte entre fragilité et augmentation de réhospitalisation, de déclin fonctionnel et de mortalité dans ces populations(5). La fragilité et les pathologies cardiovasculaires semblent être étroitement liées dans une relation bidirectionnelle, car la présence d’une entité entraîne invariablement la progression de l’autre. L’hypothèse physiopathologique avancée repose sur une combinaison de facteurs génétiques et environnementaux provoquant un dysfonctionnement à l’échelle cellulaire et moléculaire. Celui-ci est associé à des réponses physiologiques sur différents organes suivis de manifestations cliniques de maladies cardiovasculaires et/ou de fragilité(6).   Comment diagnostiquer la fragilité et la prendre en charge   Le diagnostic et la prise en charge de la fragilité sont réalisés à partir de résultats d’une évaluation gériatrique approfondie (EGA). En effet, celle-ci permet d’appréhender les facteurs de fragilité et les différents syndromes gériatriques à savoir les comorbidités, les performances physiques, les fonctions sensorielles, les fonctions cognitives et thymiques, ou les fonctions vésico-sphinctériennes, le statut nutritionnel et l’existence de douleurs ainsi que le retentissement sur les capacités à réaliser les gestes de la vie quotidienne. À l’issue de cette évaluation, la prise en charge est basée sur un plan personnalisé de santé (PPS), fruit d’une concertation en équipe(7,8). Les actions synergiques des différents professionnels permettent de diminuer le risque de chutes, d’hospitalisations, d’entrée en institution, et de favoriser le maintien de l’autonomie et de la qualité de vie au domicile(9). Les interventions proposées et validées reposent sur de l’activité physique aérobie, des méthodes rééducatives nutritionnelles et cognitives, et l’adaptation du domicile(10-14). Ces interventions ont montré qu’elles pouvaient induire une réversibilité de l’état de fragilité chez des patients âgés préfragiles(15,16) ou ralentir la progression de la fragilité chez les personnes âgées dans la population générale et chez les patients présentant une pathologie cardiovasculaire(13,17-20). Cependant, cette évaluation multidomaine, qui est chronophage (en moyenne 60 à 90 minutes), ne peut être réalisée que par des médecins et infirmier(e)s spécialisé(e)s. Aussi, plusieurs échelles de dépistage ont été proposées et validées afin de cibler les patients devant bénéficier d’une EGA : le Short Emergency Geriatric Assessment (SEGA)(21), le Gerontopole Frailty Screening Tool (GFST)(23), le Triage Risk Screening Tool (TRST)(24), ou la Clinical Frailty Scale (CFS)(25) par exemple.   Évaluation pratique de la fragilité en cardiologie   Fragilité et TAVI Dans les recommandations européennes sur la prise en charge des valvulopathies, l’implantation d’une valve aortique par voie mini-invasive (TAVI) est désormais le traitement de première intention de la sténose aortique symptomatique sévère chez les patients âgés de 75 ans et plus(26). Cependant, malgré les avancées majeures, près d’un quart des patients ne parvient pas à tirer un bénéfice clinique du TAVI en raison d’un décès précoce (dans l’année), d’une altération de la qualité de vie ou d’une perte d’autonomie fonctionnelle, ce qui conduit rétrospectivement à considérer le TAVI comme une procédure futile(27). Parmi tous les facteurs gériatriques analysés, les facteurs majeurs associés à un mauvais pronostic post-interventionnel sont les performances physiques, évaluées avec la vitesse de marche, la fragilité (que ce soit la fragilité phénotypique selon Fried ou la fragilité multidomaine type Rockwood) et la perte de capacités fonctionnelles. En effet, de nombreuses analyses secondaires des études randomisées ont démontré qu’une vitesse de marche altérée est associée à une mortalité augmentée à 30 jours ainsi qu’à 1 an (si de vitesse de marche < ou > 0,4 m/s associé respectivement à une mortalité à 1 an de 21,9 % vs 7,7 %)(28). L’impact de la perte des capacités fonctionnelles a été évalué dans une étude avec l’échelle d’activités de la vie quotidienne ADL de Katz (toilette, habillage…). La dépendance étant un bon reflet de l’état de santé global, ce paramètre indirect est déjà connu comme étant associé à une augmentation de la mortalité à distance d’un épisode médical aigu(41). Un score d’ADL perturbé (< 5) est significativement associé à une augmentation de la mortalité à 3 ans postinterventionnelle(29). Sachant que 40 % des patients âgés adressés pour un TAVI sont robustes, l’EGA pré-opératoire doit être prioritairement proposée aux patients les plus fragiles afin de dépister les variables gériatriques associées au pronostic et influençant donc la décision thérapeutique. Pour ce faire, il est intéressant d’intégrer des échelles de dépistage de fragilité citées plus haut ou les tests combinant l’ADL à une vitesse de marche (test mis en avant dans les recommandations américaines) lors du bilan préopératoire. En parallèle, il est également nécessaire de proposer un parcours de soins coordonnés pour les patients préfragiles qui bénéficient du TAVI afin d’optimiser au mieux leur récupération, avec un plan personnalisé de soins en amont, au cours de l’hospitalisation et après la prise en charge interventionnelle.   Fragilité et amylose cardiaque La fragilité prend une part importante dans le phénotype clinique des patients atteints d’amylose cardiaque à transthyrétine sauvage (ATTRwt). La fragilité a une prévalence élevée dans cette population, 33 à 48 % selon la fragilité multidomaine, et entre 50 et 57 % selon le modèle de Fried(30), avec un phénotype particulier (plus grande fréquence de troubles nutritionnels, troubles de l’équilibre, plainte mnésique spontanée) par rapport aux insuffisants cardiaques indemnes de la maladie, et de valeur pronostique indépendante des paramètres cardiovasculaires antérieurement identifiés(31). Le dépistage de la fragilité dans cette population peut se faire via un score validé (score SEGA), réalisable en 5 à 10 minutes, par les équipes cardiologiques formées au préalable (médecin cardiologue, infirmier(e) spécialisé(e) en insuffisance cardiaque, infirmier(e) de pratique avancée). Cela permettra d’orienter les patients ayant un score > 8 vers une équipe gériatrique, pour réaliser l’EGA, prendre en charge cette fragilité spécifique, et proposer un PPS. Ainsi, le dépistage de la fragilité doit être progressivement intégré au plan de prise en charge multidisciplinaire de l’amylose cardiaque ATTRwt, avec pour objectifs une amélioration de la qualité de vie des patients(32), et une meilleure stratification de la balance bénéfice/risque pour une aide dans les décisions thérapeutiques (d’autant plus justifié par des traitements couteux)(33,34). Le dépistage de la fragilité par le score SEGA pourrait être couplé à l’évaluation clinique bisannuelle de ces patients, recommandée par les sociétés savantes(35,36). En effet, une étude récente a montré que dans le suivi des patients atteints d’amylose cardiaque ATTR, la dégradation progressive de la Clinical Frailty Scale associée au score NYHA et aux marqueurs nutritionnels était associée à la mortalité(37).   En pratique   Ces différents éléments montrent l’importance de continuer de développer les liens entre cardiologues et gériatres, dans un but d’améliorer le diagnostic et la prise en charge de la fragilité des patients atteints de maladies cardiovasculaires, et d’améliorer encore la qualité des soins apportés au patient.   * 1 Service de gériatrie ambulatoire - Unité de cardiogériatrie, hôpital Émile-Roux, Hôpitaux universitaires Henri-Mondor AP-HP, Créteil ; Université Paris Est Créteil, INSERM, IMRB, Créteil 2 Nantes Université, CHU de Nantes, Pôle de gérontologie clinique, Nantes ; INSERM, Institut du thorax, Nantes Références sur demande à la rédaction : biblio@axis-sante.com

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