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Thérapeutique

Publié le 15 mai 2023Lecture 7 min

Du traitement de la sténose vers le traitement de l’athérome : une nouvelle ère dans la prévention cardiovasculaire

Barnabas GELLEN et coll.*, service de maladies cardiovasculaires, ELSAN – Polyclinique de Poitiers

Les recommandations 2021 de la Société européenne de cardiologie ont redéfini la stratégie de prévention de l’atteinte artérielle athéromateuse. Elles considèrent désormais la présence de plaques d’athérome coronaires ou carotidiennes, mises en évidence par imagerie, comme une maladie cardiovasculaire (CV) athéroscléreuse à très haut risque, relevant d’un objectif de LDL-C à < 0,55 g/L(1). En pratique, la documentation de plaques carotidiennes par écho-Doppler des troncs supra-aortiques (EDTSA) ou par imagerie en coupe, et/ou de plaques coronaires par coronarographie ou par imagerie en coupe, devrait entraîner des sanctions thérapeutiques, même en l’absence de symptômes et de sténoses hémodynamiquement significatives. Sur quoi repose ce nouveau paradigme, et comment le mettre en œuvre en pratique ?

La théorie de la « charge de cholestérol » et du « seuil d’athérosclérose »   En analogie aux paquets-années des fumeurs, les études épidémiologiques, génétiques et cliniques ont démontré que le risque d’événement ischémique coronaire (syndrome coronaire aigu, SCA) ou cérébral (accident vasculaire cérébral, AVC), regroupé sous l’acronyme anglosaxon « MACE » pour Major Adverse Cardiovascular Events, est corrélé à la charge de LDL-cholestérol accumulée tout au long d’une vie(2). Il s’ensuit que la détermination du taux de LDL-C chez les adolescents et les jeunes adultes semble utile pour apprécier leur futur risque de MACE, car ce taux dépend essentiellement de leur équipement génétique qui est par définition invariable, et de leurs habitudes d’hygiène de vie (alimentation, activité physique) qui sont souvent profondément ancrées. Une autre théorie émergente promeut l’existence d’un « seuil d’athérosclérose », dont le franchissement est marqué par l’apparition de symptômes provoqués par l’ischémie(3). Ce seuil est bien entendu individuel et non prédictible, mais les données de la littérature permettent de l’indiquer grossièrement pour l’ensemble de la population. Ce seuil d’athérosclérose symptomatique, qui peut être d’emblée mortelle en cas d’infarctus du myocarde ou d’accidents vasculaires cérébraux (AVC) ischémiques, sera atteint plus ou moins précocement en fonction de la charge de LDL-C accumulée depuis la naissance, et bien sûr en fonction de l’équipement génétique, de l’hygiène de vie et de facteurs environnementaux. À la lumière de ces deux théories, un bilan lipidique réalisé à l’âge d’adolescent ou de jeune adulte permettrait d’estimer très grossièrement le risque CV athérosclérotique, et inciter plus ou moins fortement à une optimisation de l’hygiène de vie, voire à la mise en place d’un traitement hypolipémiant avec surveillance rapprochée. Une étude française récente démontrant une franche augmentation de l’incidence de la cardiopathie ischémique chez les adultes de 36-50 ans illustre pleinement la place d’une stratégie de dépistage et de traitement précoce de l’athérosclérose(4). On observe la même tendance pour les AVC ischémiques chez les sujets jeunes(5). L’objectif de la prise en charge est donc de baisser le taux de LDL-C aussi tôt que possible et aussi fort que nécessaire pour réduire la « charge de cholestérol » afin que le « seuil d’athérosclérose » ne soit pas atteint au cours de la vie.   L’imagerie : une arme sous-estimée et sous-utilisée dans la prévention CV   Avant la publication des recommandations ESC 2021, la conduite à tenir devant la mise en évidence de plaques coronaires ou carotidiennes non sténosantes par imagerie n’était pas codifiée de façon claire et chiffrée. Désormais, le taux de LDL-C de ces patients doit être abaissé < 0,55 g/L, accompagné bien sûr par le contrôle de tous les autres facteurs de risque (FDR) CV modifiables et l’optimisation de l’hygiène de vie. Ce taux est identique à celui préconisé en prévention secondaire, ce qui s’explique par le niveau de risque CV des patients athérosclérotiques asymptomatiques proche de celui des patients en prévention secondaire. Préconiser les mêmes objectifs thérapeutiques pour les plaques athéromateuses non sténosantes que pour les sténoses hémodynamiquement significatives paraît logique dans la mesure où on sait que les premières sont responsables de la majorité des ruptures de plaques coronaires, et qu’une baisse importante du LDL-C a le potentiel d’arrêter l’évolution de l’atteinte athéromateuse, stabiliser les plaques existantes avec diminution du risque de rupture, voire faire régresser des plaques. À la lumière de ces faits, une intervention pharmacologique chez des patients asymptomatiques paraît parfaitement justifiée, et s’impose désormais en accord avec les recommandations ESC 2021. Ce nouveau paradigme redéfinit la place de l’imagerie artérielle, coronaire ou carotidienne. Une coronarographie retrouvant une infiltration diffuse sans sténose significative n’est plus une « coronarographie blanche », mais un résultat pathologique imposant un objectif de LDL-C < 0,55 g/L. Idem pour l’angioscanner/ IRM coronaire. Un EDTSA retrouvant une plaque du bulbe carotidien sans aucun retentissement hémodynamique doit entraîner les mêmes sanctions, la plaque étant définie par une lésion de ≥ 1,5 mm d’épaisseur, ou par un épaississement focal dépassant de ≥50 % la paroi artérielle saine avoisinante. Il est important de souligner qu’un épaississement de l’intima-média de < 50 % ne remplit pas les critères des recommandations ESC 2021, et ne peut pas justifier des sanctions thérapeutiques visant un taux de LDL-C < 0,55 g/L. Ainsi, l’EDTSA qui est un examen non contraignant, non douloureux, non irradiant, non invasif, peu onéreux par rapport aux autres modalités d’imagerie prend une nouvelle place dans l’arsenal de prévention cardiovasculaire. Étant donné le taux élevé de maladie coronaire chez les patients porteurs de plaques carotidiennes et l’efficacité du traitement hypolipémiant sur les plaques dans les deux territoires artériels, la baisse drastique du LDL-C suite à la détection de plaques carotidiennes a le potentiel de réduire significativement le risque de syndrome coronaire aigu (et donc d’insuffisance cardiaque sur cardiopathie ischémique) dans cette population à risque.   Quelle stratégie pour atteindre les objectifs ?   Chez l’immense majorité des patients, il est illusoire d’espérer qu’un régime même parfaitement conduit permettrait d’atteindre cet objectif sans traitement pharmacologique en parallèle. De même, il est rare qu’une statine de l’ancienne génération (pravastatine, fluvastatine, simvastatine) dite « faible » permette d’atteindre ce taux cible particulièrement bas. Il est donc préconisé de recourir aux statines de nouvelle génération dite « fortes » telles que l’atorvastatine ou la rosuvastatine, de préférence d’emblée en association avec l’ézétimibe. Le potentiel de baisse de LDL-C de l’association d’une statine forte + ézétimibe étant de l’ordre de 65 %, elle permet chez la majorité des patients d’atteindre l’objectif, d’autant plus si le patient respecte un régime contrôlé en graisses saturées et exerce une activité physique régulièrement. En pratique, pour le coronarographiste qui met en évidence une infiltration coronaire athéromateuse avec des lésions non sténosantes, cela implique qu’il ne devrait pas seulement expliquer au patient que son examen est certes rassurant, mais pas tout à fait normal, mais également vérifier son taux de LDL-C et notifier dans son compte rendu final l’objectif de LDL-C < 0,55 g/L, voire mettre en place lui-même un traitement hypolipémiant accompagné de conseils concernant le régime adapté. La même conduite s’impose après un angioscanner ou une angio-IRM coronaire pathologique. Pour le médecin vasculaire et le radiologue, la mise en évidence de plaques carotidiennes devrait entraîner les mêmes conclusions et les mêmes mesures. Les recommandations ESC 2021 changent notre regard sur l’imagerie artérielle des coronaires et des TSA, que ce soit par ultrasons, scanner, IRM ou coronarographie. Nous sommes invités à modifier notre pratique en modifiant notre seuil d’intervention pharmacologique et hygiéno-diététique, considérant les plaques artérielles non sténosantes au même niveau que les lésions coronaires et/ou carotidiennes hémodynamiquement significatives.   La réticence aux statines : une perte de chance   Au décours de la polémique ciblant les statines, dont même des médias à la réputation des plus sérieuses ont été victimes (cf. ARTE « Cholestérol : le grand bluff »), l’instauration d’un traitement hypolipémiant à base de statine est devenue un défi parfois majeur, nécessitant beaucoup de temps, de patience, d’écoute, de finesse psychologique de la part des médecins cardiovasculaires. Or, il est exceptionnel de subir une complication grave et irréversible à cause de la prise d’une statine, tandis que plus de 200 000 personnes en France subissent chaque année un SCA ou un AVC ischémique. Même auprès de nos collègues de médecine générale, la réticence aux statines l’emporte encore trop souvent sur la conscience de leur bénéfice, pourtant indiscutable scientifiquement, car prouvé sur des cohortes de centaines de milliers de patients dans des études randomisées contrôlées. Il n’est pas question de nier ni de minimiser les inconvénients des statines, en particulier les gênes musculo-tendineuses. Il faut cependant rappeler sans cesse qu’il s’agit quasiment sans exception d’inconvénients bénins, car réversibles sans aucune séquelle après arrêt du traitement. Il faut également rappeler qu’une baisse de la posologie ou un changement de molécule peut dans certains cas résoudre le problème. Le médecin cardiovasculaire, cardiologue ou médecin vasculaire, ne devrait en aucun cas minimiser ou ignorer ces symptômes, car ils peuvent impacter très significativement la qualité de vie des patients, et ils sont une cause majeure de non-observance. Contrairement au syndrome coronaire aigu avec rupture de plaque nécessitant de fortes doses de statines d’emblée, le cadre de la prévention permet une instauration progressive du traitement hypolipémiant, avec titration par paliers jusqu’à la posologie suffisamment efficace sans signe d’intolérance. Afin d’atteindre l’objectif de LDL-C avec la dose de statine la plus faible et donc la mieux tolérée, il est préférable de proposer aux patients une association statine + ézétimibe d’emblée, en commençant par la plus faible posologie disponible, dont l’efficacité sera évaluée après 6-8 semaines de traitement associé à un régime aussi pauvre en graisses saturées que possible.   Quelle population cible pour le dépistage ?   À seulement 18 mois de la publication des recommandations ESC 2021, l’implémentation de la stratégie susmentionnée est encore trop faible et le recul encore trop court pour pouvoir redéfinir la population cible de dépistage de plaques artérielles par imagerie coronaire et/ou carotidienne. Cependant, il est d’ores et déjà possible d’appliquer le seuil de LDL-C < 0,55 g/L après toute imagerie réalisée en pratique courante mettant en évidence des plaques coronaires et/ou carotidiennes.

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