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Cardiologie générale

Publié le 01 fév 2021Lecture 11 min

L’entraînement par intervalles, du sportif au cardiaque

François CARRÉ*, Thibaut GUIRAUD**, *CHU de Rennes, **Clinique Cardiocéan, La Rochelle

Deux grands modes d’entraînement en endurance sont principalement utilisés. L’entraînement continu caractérisé par un effort d’intensité modérée maintenu pendant une durée prolongée. L’entraînement par intervalles à haute intensité (EIHI), communément appelé entraînement fractionné, qui est basé sur la répétition de périodes d’efforts intenses entrecoupées de périodes de récupération passive ou active de faible intensité. Utilisé depuis plus de 100 ans par les sportifs, l’EIHI a été proposé comme un mode de réentraînement en réadaptation cardiovasculaire il y a 10 ans avant d’être utilisé dans la plupart des pathologies chroniques

Un peu d’histoire L’entraînement par intervalles a d’abord été utilisé sommairement par Paavo Nurmi, l’homme-chronomètre, dès 1910. En 1930, un entraîneur allemand, Woldemar Gerschler, a mis en place un entraînement par intervalles ou l’allure imposée était monitorée par la prise manuelle de la fréquence cardiaque lors des phases de repos. Dans les années 1950, le tchèque Emil Zatopek, multichampion olympique, qui s’imposait 2 séries de 40 × 400 mètres par jour (!) a popularisé la méthode. Aujourd’hui, les sportifs de tous les niveaux utilisent le fractionné. Rappels sur l’énergétique musculaire Comme toutes les fonctions biologiques, l’activité musculaire requiert de l’énergie fournie par l’hydrolyse de l’ATP. L’ATP est resynthétisé en permanence par trois mécanismes énergétiques, deux anaérobies et un aérobie, qui ont chacun quatre caractéristiques spécifiques. Un délai d’inertie qui est plus long pour l’aérobie. Une puissance maximale, débit énergétique maximal, qui est plus élevée pour l’anaérobie. Une capacité, quantité totale d’énergie libérable, qui est plus grande pour l’aérobie. Enfin, une récupération qui requiert toujours la présence d’oxygène et dont la durée et les modalités varient selon les métabolismes. Pourquoi choisir un entraînement par intervalles et lequel ? La première et la plus simple raison d’utiliser un EIHI, c’est qu’il permet au sportif de maintenir au total une intensité élevée de travail pendant une durée bien supérieure à celle soutenable lors d’un effort continu de même intensité. Ainsi, 6 répétitions de 2 minutes à VO2 max entrecoupées de 30 secondes de récupération permettent de travailler pendant 12 minutes à VO2 max, intensité qui ne peut être maintenue par un sujet très bien entraîné que 6 à 8 minutes en continu. De plus, pour un entraînement qui par définition est répétitif, l’EIHI dont les variations sont quasi infinies est moins monotone que l’entraînement continu. Enfin, le rapport temps de travail/bénéfice obtenu de l’EIHI est supérieur à celui d’un entraînement continu. En effet, si l’entraînement en endurance, continu ou fractionné (figure 1), améliore toujours la puissance maximale (VO2 max) et la capacité aérobie des sujets sains l’EIHI apparaît globalement plus efficace. La différence des contraintes imposées à l’organisme, et en particulier aux systèmes cardio-respiratoire et musculaire squelettique, explique ces différences. Figure 1. Schéma de trois modes d’entraînement en endurance. Entraînement continu à intensité modérée établie individuellement (A). Entraînement par intervalles à haute intensité avec intervalles courts (B) et longs (C). Les flèches illustrent la variation du niveau d’intensité. Si lors d’un entraînement continu, l’intensité de l’effort est sous-maximale, choisie généralement entre les deux seuils ventilatoires, et stable pendant une durée variable, mais d’au moins 40 minutes. L’EIHI consiste à répéter des phases de temps de travail (TT) alternées avec des phases de temps de récupération (TR) dont les durées (10 secondes à 5 minutes) peuvent être identiques ou non. L’intensité de l’effort peut aller de 70 à 100 % de la VO2 max du sujet et le repos peut être passif ou actif sans dépasser alors le premier seuil ventilatoire. Les durées de TT et TR influent sur la difficulté et donc sur la fatigue ressentie et l’objectif du rapport TT/TR est que la période de repos n’autorise pas une récupération complète. Le nombre de répétitions (6 à 15) dans une série et de séries (1 à 4) est défini à l’avance pour chaque séance d’entraînement. Ainsi, l’EIHI stimule plus fortement et à plusieurs reprises les mêmes systèmes que ceux impliqués dans l’exercice d’endurance continu. L’ampleur des bénéfices sur ces systèmes varie avec le nombre, la durée, l’intensité des TT et avec la durée et le type, actif ou passif, des TR. L’entraînement par intervalles, comment ça marche ? Il faut retenir que les deux phases, effort et récupération, de l’EIHI ont un impact physiologique et induisent des adaptations spécifiques de l’organisme. Réponses musculaires squelettiques Les efforts courts et intenses nécessitent une très grande quantité d’énergie, donc d’ATP, qui est délivrée de manière quasi instantanée au muscle par la phosphorylcréatine dont les réserves sont faibles. Les pauses inter-efforts permettent à la glycolyse anaérobie et à la respiration mitochondriale aérobie de refaire progressivement les stocks d’ATP et de phosphorylcréatine musculaires. De plus, la resynthèse de la phosphorylcréatine ne peut se faire qu’en période de repos, contrairement à celle de l’ATP qui se renouvelle aussi au cours de l’effort. Donc « l’efficacité » de la pause, pour répéter un nouvel effort très intense, dépend de sa durée et de l’intensité de l’effort pratiqué pendant celle-ci. Une récupération passive paraît donc préférable. Au début de la séance d’EIHI, les métabolismes anaérobies sont les plus sollicités avec une contribution croissante du métabolisme aérobie au fur et à mesure des répétitions. La vitesse d’apparition et l’importance des adaptations cellulaires du muscle squelettique, en particulier des enzymes oxydatives, sont positivement reliées à l’intensité de l’exercice réalisé. Les réponses musculaires squelettiques sont ainsi voisines chez le sportif et chez le cardiaque. Réponses respiratoires et cardiovasculaires Chez le sportif, les réponses hémodynamiques pendant l’effort sont plus marquées lors d’un EIHI que lors d’un exercice continu. Ainsi, fréquence et débit cardiaques et pression systolique sont plus élevés alors que la réponse du volume d’éjection systolique n’est pas différente. De même, le débit ventilatoire peut être doublé. Ainsi, dans l’EIHI, les contraintes à l’effort sont majorées lors des pics d’exercice, mais si les phases de récupération sont prises en considération, les paramètres hémodynamiques et pulmonaires moyens sur l’ensemble d’une séance sont comparables à celles d’un exercice continu. Un entraînement par EIHI améliore la fraction d’éjection ventriculaire et le volume télédiastolique. Néanmoins, l’augmentation de VO2 max observée n’est pas exclusivement due à l’amélioration de la contractilité myocardique, mais aussi à l’hypervolémie associée au retour veineux accru. Chez le cardiaque, les réponses cardiovasculaires et respiratoires diffèrent de celles des sportifs (figure 2). D’une part, si les contraintes musculaires squelettiques restent très élevées, du fait de l’inertie du métabolisme aérobie majoré et des altérations du système nerveux autonome que présentent ces patients les contraintes cardiovasculaires sont moindres. Les différences d’activations neuro-musculaires des systèmes respiratoires et périphériques semblent aussi jouer un rôle. Enfin, le traitement par bêtabloquant atténue les variations de fréquence cardiaque lors de l’alternance exercice-récupération. Il est cependant recommandé que la durée totale des répétitions ne dépasse pas 25-30 minutes et de respecter un temps de récupération de 5 minutes entre deux séries de 8-10 minutes d’exercice (figure 2). Une récupération passive entre deux répétitions est associée à une contrainte ventilatoire moyenne inférieure à celle observée lors d’un entraînement continu (figure 2). En cas de récupération active, l’intensité de l’exercice doit être diminuée pour prévenir un épuisement trop rapide du patient. Dans ces conditions, chez le cardiaque les contraintes cardiaques et respiratoires, objectives et subjectives, sont moindres lors d’un entraînement fractionné que continu. L’intérêt d’utiliser l’EIHI réside dans sa capacité à provoquer une meilleure utilisation de l’O2 en périphérie par majoration de la différence artérioveineuse en O2. En résumé, à condition qu’il soit limité à une durée courte, moins de 30 minutes, l’EIHI permet au patient cardiaque de travailler à une intensité proche de VO2 max, avec une ventilation moyenne tolérable et des valeurs de fréquence cardiaque sans risque pour le patient. Figure 2. Cinétiques de VO2, de fréquence cardiaque et de ventilation (VE) pour un même patient lors d’un exercice de type continu à 70 % de la PMA (points bleus) et un entraînement par intervalles à haute intensité (points roses). L’EIHI consiste à répéter des phases de 15 s à 100 % de la PMA avec des phases de récupération passive, sur deux séries de 10 minutes espacées d’une récupération de 5 minutes entre les deux séries. Les deux entraînements démarrent par un échauffement de 10 minutes à 50 % de la PMA. La ligne continue noire représente la valeur maximale atteinte à l’épreuve d’effort. Pratique de l’EIHI par le sportif La performance sportive repose sur une combinaison optimale des métabolismes aérobie et anaérobie et des qualités musculaires. La plupart des entraînements reposent sur la combinaison de deux modes d’entraînement, l’EIHI qui augmente la puissance et la capacité des métabolismes énergétiques et la musculation dynamique (resistance training des Anglo-Saxons) qui augmente la force et la puissance musculaire. Pour l’EIHI, la manipulation de l’intensité, basée sur les niveaux individuels des seuils ventilatoires et de VO2 max, et de la durée des TT et des TR induit des adaptations cellulaires et systémiques spécifiques. Lorsque les effets de l’entraînement plafonnent, celui-ci doit être augmenté, en intensité et/ou en volume, pour obtenir une nouvelle progression qui apparaît relativement rapidement. Concernant la VO2 max, son gain est linéairement lié à l’intensité de l’exercice réalisé lors des TT, avec un bénéfice optimal dès deux séances hebdomadaires. Chez les sportifs bien entraînés les TT longs, 4 minutes, avec une intensité ≥ 90 % de VO2 max paraissent les plus efficaces, mais aussi les plus contraignants sur le plan cardio-respiratoire. Dans cette population, le fractionné court, 30 secondes VO2 max et 30 secondes récupération passive, a généralement la même efficacité que l’entraînement continu à 70 % de VO2 max. Il convient toujours d’adapter la difficulté de l’EIHI au niveau d’entraînement et, en dehors du cas des athlètes de très haut niveau, de se limiter à deux séances par semaine, les autres séances d’endurance pouvant se faire sur un mode continu. Pratique de l’EIHI par les cardiaques Rappelons que la VO2 max est le meilleur marqueur d’espérance de vie chez les sujets sains comme chez les patients porteurs d’une pathologie chronique. En réadaptation cardiovasculaire, l’EIHI est proposé aux coronariens et aux insuffisants cardiaques chroniques (ICC). La majorité des études s’appuient sur le protocole d’entraînement développé sur tapis roulant en 2007 par l’équipe norvégienne de Wisloff dans lequel l’échauffement de 10 minutes est suivi de 4 × 4 minutes à 90-95 % de la FC max alternées avec une récupération active de 3 minutes à 50-70 % de la FC max puis 3 minutes de retour au calme. À l’inverse de ce qui est reporté chez les sportifs sains, le choix de protocoles avec des efforts courts très intenses serait plus adapté chez ces patients fatigables et fragiles. Par ailleurs, le choix de phases de récupération passive permet aux patients les plus vulnérables de mieux répéter les séquences d’exercice. Le modèle d’EIHI optimal devrait donc alterner des phases d’effort courtes (15-30 secondes) à la puissance maximale individuelle entrecoupées de phases de récupération passive de la même durée. La durée d’effort maintenue est plus longue avec une perception de fatigue moindre qu’avec les protocoles associant des temps d’effort et de récupération active plus longs. L’EIHI est mieux toléré par les patients que l’entraînement continu avec une monotonie moindre et un ressenti plus proche des activités de la vie quotidienne, d’où une meilleure adhésion au réentraînement. Malgré la plus forte charge de travail périphérique musculaire imposée par l’EIHI chez les ICC les réponses cardio-pulmonaires et hémodynamiques sont similaires à celles observées lors de l’entraînement continu. La comparaison des bénéfices objectifs, surtout sur la VO2 max, des deux modes d’entraînement fait l’objet d’un débat animé. La comparaison est difficile du fait de la variété des populations (nombre, gravité et motivation des patients) concernées, et surtout des protocoles (type, durée…) d’entraînement utilisés qui rendent l’obtention d’une équivalence parfaite de dépense énergétique difficile à obtenir. Les différentes métaanalyses ont cependant toutes démontré la supériorité de l’EIHI par rapport à l’exercice continu chez des patients coronariens et/ou insuffisants cardiaques. Ce rapide bénéfice peut s’expliquer, d’une part par la stimulation plus intense et plus prolongée de l’EIHI avec un temps cumulé d’effort à VO2 max de 15 à 20 minutes contre 4 à 6 minutes lorsque l’exercice est continu, et d’autre part, car l’organisme du patient reste sollicité lors des phases de récupération pendant lesquelles la consommation d’oxygène reste élevée. Outre ses bénéfices sur le pic de VO2, sur la structure et la fonction musculaires, sur la fonction endothéliale et sur le remodelage ventriculaire, l’EIHI améliore la sensibilité à l’insuline, la pression artérielle, et la balance autonomique avec un effet antiarythmique plus net qu’après un entraînement de type continu. Enfin, un bénéfice objectif est rapporté sur les niveaux d’anxiété et de dépression des pratiquants. L’EIHI est globalement sécure pour les patients cardiaques. En effet, parmi les 1 117 patients des 23 études analysées, un seul événement cardiovasculaire majeur a été rapporté sur les 11 333 heures d’entraînement réalisées. Il n’est pas rapporté de sur-risque d’accident musculaire ni ostéo-articulaire. Toutefois, il convient de rappeler que la majorité des enquêtes comparant EIHI-exercice continu portent sur des patients à faible risque et une seule étude a examiné des patients à risque modéré. Aucune enquête publiée à ce jour n’a recruté des patients cardiaques à haut risque. Si ces données sont plutôt rassurantes, elles ne doivent pas faire oublier que l’EIHI nécessite un matériel adapté, une supervision par des personnes expérimentées, et une bonne compréhension des consignes par le patient. La programmation d’un EIHI peut être assez complexe. En effet, l’amélioration des performances est influencée par le mode, la durée et l’intensité des phases d’exercice et de récupération, le nombre d’intervalles, ainsi que par la fréquence et la distribution hebdomadaire des séances. Les caractéristiques des sujets, âge, genre, le statut d’entraînement et antécédents pathologiques ont aussi un impact. Lors du séjour en réadaptation cardiovasculaire, le réentraînement à l’effort ne doit pas se limiter à l’EIHI. Vu ses contraintes élevées, 2 séances hebdomadaires sont recommandées en association à des séances d’entraînement continu, de renforcement musculaire et de gymnastique. Pour la phase 3 de réadaptation qui doit être poursuivie à vie après un EIHI, comme après tout type de réentraînement, le maintien à long terme d’un niveau de VO2 max satisfaisant repose sur la pratique régulière d’une activité physique adaptée dont le contenu, EIHI et/ou exercice continu, peut varier du moment que son caractère ludique est privilégié. Dans ce cadre, la faisabilité et la tolérance de l’entraînement fractionné n’ont été évaluées à notre connaissance que chez des patients coronar iens sans incident notable rapporté.

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