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Valvulopathies

Publié le 01 déc 2020Lecture 8 min

Chirurgie de la valve tricuspide chez l’adulte

Pascal LEPRINCE, Sorbonne université ; Hôpital Pitié-Salpêtrière, APHP, Paris

Techniquement, la chirurgie de la valve tricuspide est simple. Elle consiste dans la plupart des cas en une annuloplastie. Le plus souvent les sigmoïdes sont intactes et la régurgitation est avant tout liée à une dilatation de l’anneau (figure 1). Dans de rares cas (délabrements valvulaires liés aux endocardites notamment), il est nécessaire de réparer les feuillets valvulaires ou de remplacer la valve native par une prothèse (figure 2). En pratique courante, les questions qui se posent ont donc plus à voir avec l’indication d’un geste sur la valve tricuspide que du choix de la technique. Cette notion est importante, car une insuffisance tricuspide (IT), même sévère, peut rester longtemps asymptomatique, pouvant entraîner une altération sournoise et parfois irréversible de la fonction ventriculaire droite.

Figure 1. Figure 2. Annuloplastie et IT fonctionnelle La question la plus fréquente concerne l’indication d’une annuloplastie tricuspide lorsqu’il existe une indication à une chirurgie mitrale. S’il s’agit d’une atteinte primitive de la valve tricuspide et que la fuite est au moins modérée, la chirurgie est plutôt recommandée (classe Ia, niveau de preuve C selon les recommandations de l’ESC)(1). Néanmoins, il s’agit beaucoup plus fréquemment d’une IT fonctionnelle. C’est le cas de 25 à 30 % des patients opérés d’unechirurgie mitrale(2,3). La chirurgie est alors recommandée si la fuite est moyenne à modérée et que l’anneau tricuspide est dilaté, c’est-à-dire que le diamètre antéro-postérieur est supérieur ou égal à 40 mm ou 21 mm/m2 (classe Ia, niveau de preuve C)(1) (tableau 1). Une attention particulière doit également être donnée à l’existence d’une fibrillation atriale (FA) comme le montrent les résultats de plusieurs études convergeant dans le même sens. Dans une étude rétrospective portant sur 1 568 patients, Wang et coll. ont étudié l’impact de la FA sur l’évolution de la fuite tricuspide après chirurgie mitrale(4). Dans cette étude, 408 patients avaient subi un traitement ablatif de la FA contre 1 160 non ablatés et les différences entre les deux groupes ont été lissées par l’utilisation d’un score de propensité. Dans chaque groupe, le degré moyen de régurgitation tricuspide au moment de la chirurgie était de 1,1. Le taux de réopérations pour IT était nettement plus élevé dans le groupe non ablaté. À 10 ans, après appariement, les patients ablatés avaient significativement une meilleure survie (HR 1,57) moins de réopérations (HR 1,85) et moins de fuites tricuspides modérées à sévères (HR 1,37). Par ailleurs, cette différence persistait dans les groupes des patients ablatés selon qu’ils présentaient ou non une récidive de FA. Cette relation avec la FA ressortait aussi de la métaanalyse publiée par Kara et coll.(5). Dans cette étude, en l’absence d’annuloplastie tricuspide, les facteurs de risque d’aggravation d’une IT moyenne à modérée sont résumés dans le tableau 2. Chez certains patients, la régression temporaire d’un IT négligée après correction de la pathologie mitrale peut être faussement rassurante. Dans une étude rétrospective portant sur 737 patients opérés d’une pathologie mitrale et présentant une IT fonctionnelle, Kusajima et coll.(6) ont analysé les dossiers de 96 patients présentant une IT grade 2 non traitée et les ont comparés à 47 patients de même sévérité, mais ayant subi une annuloplastie tricuspidienne. Les suivis échographiques à 1 semaine et 1 an montraient une régression significative de la sévérité de l’IT qui passait en moyenne d’un grade 2 à un grade 1,6 ± 0,7 (1 semaine) et 1,7 ± 0,9 (1 an). Par contre, les évaluations suivantes montraient une réaggravation progressive de l’IT avec une sévérité moyenne à de 1,9 à 7 ans et de 2,1 à 10 ans. À 5 ans, 35,8 % des patients présentaient une IT grade 3 ou 4, et presque la moitié à 10 ans (53,3 %). Inversement, aucun des patients ayant bénéficié d’une annuloplastie tricuspide ne présentait une IT supérieure à un grade 1 à 5 ans. Dans le groupe de patients non traités, les facteurs de risque indépendants d’aggravation de l’IT étaient l’âge, l’existence d’une FA et le diamètre de l’anneau. Ces différentes études plaident donc en faveur d’un traitement « préventif » et en tout cas « proactif » des IT fonctionnelles même modérées lors d’une chirurgie cardiaque, et notamment mitrale. Peu de publications ont évalué le risque engendré par une chirurgie d’annuloplastie tricuspide associée à une chirurgie mitrale. Jouan et coll.(7) ont récemment rapporté une série de 201 patients opérés pour une maladie mitrale non ischémique parmi lesquels 88 patients avaient eu une annuloplastie tricuspide associée. Chez ces derniers, l’indication de chirurgie tricuspide associée était portée sur l’existence d’une fuite moyenne à sévère alors que pour deux tiers d’entre eux, l’indication était portée sur l’association d’une IT minime à modérée et d’une dilation de l’anneau. Les suites opératoires étaient comparables dans les deux groupes et le taux d’implantation de pacemaker était significativement plus élevé en cas de chirurgie tricuspide associée. Cinq des 7 implantations de pacemaker avaient été réalisées dans les 3 premiers mois suivant la chirurgie et, à 36 mois, le taux actuariel d’absence de PM était de 94,1 % en cas de chirurgie tricuspide associée contre 99 % parmi les autres patients. À l’exception d’un cas de bloc sino-auriculaire, tous les PM ont été implantés pour un bloc auriculo-ventriculaire complet. Il est à noter que 26 % des patients ont présenté en postopératoire un trouble de conduction de haut degré persistant plus de 3 jours, mais ces troubles de conduction ne persistaient que chez 14,5 % des patients en l’absence de chirurgie tricuspide contre 40,2 % chez les autres. Remplacement valvulaire tricuspide Rarement, la chirurgie tricuspide consiste en un remplacement par une prothèse. Ce geste peut se révéler nécessaire dans certains cas de réparation pour récidive d’une IT, de délabrements majeurs d’origine endocarditique ou de lésions tumorales. Les mauvais résultats souvent rapportés avec cette procédure sont donc plus souvent liés à l’état clinique des patients avant la chirurgie qu’à la difficulté de la chirurgie elle-même. Dans une étude rétrospective portant sur 360 patients, une équipe de Séoul a comparé les résultats de 97 remplacements valvulaires tricuspides contre 263 réparations(8). La régurgitation tricuspide était principalement associée à une pathologie rhumatismale du cœur gauche. Les endocardites actives ne représentaient que 4 à 5 % de la série. Près de la moitié des patients opérés d’un remplacement valvulaire tricuspide avaient au moins 1 antécédent de chirurgie valvulaire préalable contre 15 % dans le groupe réparation. L’Euroscore logistique était proche de 10 % dans les deux groupes. Une prothèse mécanique était utilisée dans 71 % des cas de remplacement. La mortalité à 30 jours était identique entre les 2 groupes (3,1 % vs 3,4 %). De même, la survie à 15 ans était comparable dans les deux groupes, de l’ordre de 60 % et cette similitude persistait même après appariement des deux groupes. Dans le sous-groupe remplacement, l’étude montrait une évolution comparable selon que les patients recevaient une prothèse mécanique ou biologique. Toutefois, l’absence de récidive de fuite tricuspide à 15 ans était de 96 ± 3 % chez les premiers contre 59 ± 25 % chez les seconds (p = 0,007). Dans le groupe réparation, ce taux était de 75 ± 7 %, mais différent selon la technique chirurgicale : 90 % en cas de plastie avec anneau contre 60 % en l’absence d’anneau prothétique. En cas de remplacement valvulaire tricuspide, le choix de la prothèse reste discutable. Il est en effet difficile de transposer les résultats obtenus avec le remplacement valvulaire mitral, les conditions de charge étant clairement différentes(9). La littérature, et notamment deux grandes métaanalyses, ne retrouvent pas de différence majeure entre les deux types en termes de survie ou de nécessité de réopération(10,11). Le choix doit donc se faire au cas par cas en intégrant la nécessité d’un traitement anticoagulant pour une autre cause, mais aussi la possibilité de traiter une dégénérescence de biopothèse tricuspide par voie percutanée en réalisant un « valve-in-valve ». Pathologie carcinoïde Les atteintes carcinoïdes du cœur constituent une entité très particulière touchant avant tout la valve tricuspide, mais aussi potentiellement la valve pulmonaire. Les lésions correspondent à des épaississements fibreux endocardiques responsables de rétractions des feuillets valvulaires et entraînant habituellement une régurgitation tricuspide. L’amélioration de la prise en charge médicale des patients présentant des tumeurs carcinoïdes a fait de l’atteinte cardiaque un facteur pronostique de premier ordre. Dans cette situation, la chirurgie valvulaire impacte significativement la survie(12). Dans un article récent, l’équipe de la Mayo Clinic rapporte le suivi de 195 patients d’âge moyen 61 ans opérés d’un remplacement valvulaire tricuspide par prothèse biologique (82 %) ou mécanique (18 %)(13).La mortalité hospitalière était de 10 % et la survie à 1, 5 et 10 ans respectivement de 69 %, 35 % et 24 % avec une amélioration du statut fonctionnel chez les trois quarts des patients. Endocardites tricuspides Les endocardites de la valve tricuspide constituent une autre particularité. Elles se voient essentiellement chez les patients présentant une dépendance aux drogues intraveineuses, mais aussi en cas d’infection de matériel endocavitaire (pacemaker, port-à-cath…). Le germe le plus fréquent est le staphylocoque doré. Plus de 80 % de ces endocardites, notamment en l’absence de matériel endocavitaire, sont traitées efficacement par antibiothérapie seule. La chirurgie n’est indiquée qu’en cas de sepsis non contrôlé au récidivant, de mutilation valvulaire sévère ou de végétations menaçantes. Dans ces situations, une chirurgie précoce semble permettre un contrôle plus rapide de l’infection et éviter le retentissement ventriculaire droit. En cas de matériel endocavitaire, il est le plus souvent nécessaire de procéder à son extraction. En fonction des lésions valvulaires, la chirurgie consiste soit en une réparation, soit en un remplacement par une prothèse biologique ou mécanique. Les recommandations sont en faveur d’une réparation lorsque celleci est possible (classe Ia). Dans les cas les plus sévères, et notamment dans les cas à haut risque de récidive, il peut être réalisé une valvectomie seule et envisagé la mise en place de matériel prothétique à distance, lorsque le risque infectieux est mieux contrôlé(14). Traitement percutané Comme pour les autres pathologies valvulaires, les méthodes percutanées commencent à apparaître pour le traitement de la valve tricuspide. Il s’agit de systèmes qui visent à améliorer la coaptation des feuillets (de type clip ou anneau percutané) ou de valves biologiques, soit utilisées pour traitement percutané de la valve aortique, soit dédiées à la valve tricuspide et implantées dans les veines caves ou au niveau de l’orifice atrio-ventriculaire droit(15). Les séries restent de petite taille, essentiellement chez des patients à haut risque chirurgical ou récusés à la chirurgie. Bien que les résultats soient hétérogènes, les différentes séries rapportent un bénéfice indéniable (tableau 1) qui devrait continuer à s’améliorer au fur et à mesure du perfectionnement des systèmes. En pratique ▸ La valve tricuspide est souvent décrite comme la valve délaissée. Pourtant, un dysfonctionnement chronique de cette valve peut conduire à une insuffisance cardiaque droite irréversible. ▸ La réalisation d’une annuloplastie tricuspide doit être systématiquement évoquée en cas de chirurgie mitrale, notamment chez les patients rhumatismaux ayant une HTAP et/ou une FA. En cas de chirurgie tricuspide isolée, qu’il s’agisse d’une réparation ou d’un remplacement valvulaire, le pronostic de la chirurgie réside plus dans la sévérité de la dysfonction ventri culaire droite et du retentissement général que dans la difficulté chirurgicale. ▸ Les techniques percutanées de traitement de la valve tricuspide en sont encore à leur début, mais nul doute qu’elles vont progressivement prendre leur place dans l’arsenal interventionnel.

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