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Congrès et symposiums

Publié le 15 mar 2020Lecture 8 min

AOD : comment protéger sans nuire ?

Michèle DEKER, Neuilly

JESFC

Il y a encore loin entre les recommandations, fondées sur les études contrôlées, et la pratique. Cela est particulièrement vrai en matière de traitement anticoagulant chez les patients porteurs d’une fibrillation atriale, où les recommandations sont encore appliquées avec un retard certain, et en tenant compte davantage du risque hémorragique que du risque ischémique.

L'analyse du registre suédois SWEDE-Heart HF portant sur des patients insuffisants cardiaques avec fibrillation atriale montre que les patients à faible risque d’AVC et de saignement sont paradoxalement autant anticoagulés que si leur risque d’AVC était élevé alors que ceux dont le risque d’AVC est élevé ne reçoivent pas de traitement anticoagulant(1). Ce constat, qui ne se limite pas à la population suédoise, incite à en rechercher les raisons. En pratique, les médecins se basent surtout sur le risque de saignement, davantage que sur le risque d’AVC. Les autres facteurs de non-prescription des anticoagulants mis en évidence dans ce registre sont l’âge, le sexe féminin, la prescription par un non-spécialiste, l’ancienneté de l’insuffisance cardiaque, le niveau socio-économique, le fait de vivre seul. Quels freins à la prescription des AOD ? Les prescripteurs soulèvent régulièrement des objections à propos du traitement par AOD. La première tient à la singularité de leurs patients qui ne ressembleraient pas aux patients hypersélectionnés des essais cliniques. Il existe pourtant une énorme quantité de données sur les AOD couvrant de multiples situations cliniques. Dans ROCKET- AF ont été inclus des patients à risque élevé (CHADS2 3,5), typiques (65-78 ans), ayant une insuffisance cardiaque ou une dysfonction ventriculaire gauche (63 %), avec des antécédents ischémiques (55 %) et de multiples comorbidités(2). Comparativement à la warfarine, les courbes d’AVC/embolie systémique divergent rapidement en faveur du rivaroxaban. Sur le critère de tolérance, les résultats sont meilleurs sous AOD que sous AVK, en particulier les hémorragies intracrâniennes ; tous les critères sont améliorés y compris chez les patients ayant un antécédent d’insuffisance cardiaque. A contrario, il existe de bonnes raisons de ne pas prescrire un AOD : prothèse valvulaire mécanique, clairance de la créatinine < 30 ml/min pour le dabigatran, < 15 ml/min pour le rivaroxaban ou l’apixaban, insuffisance hépatique, non-observance du traitement. En outre, une proportion importante des traitements par AOD sont prescrits à dose réduite sous le prétexte du principe de précaution. Il est possible d’ajuster la dose de chacun des AOD, mais difficile de se souvenir de la formule d’ajustement spécifique à chaque AOD. Cet ajustement paraît plus facile lorsque le seul facteur d’ajustement est la clairance de créatinine, comme avec le rivaroxaban. Une autre objection concerne les patients âgés, qui suscitent des réticences à la prescription d’un anticoagulant avec une préférence éventuelle pour un AVK. Or, le bénéfice/risque chez ces patients est en faveur des AOD ; cette différence apparaît précocement et est probablement due à la réduction du risque d’hémorragie intracrânienne. Le bénéfice/risque net est même significativement plus élevé chez les > 75 ans vs < 75 ans, sur les AVC non hémorragiques, les saignements létaux et les décès de toutes causes. Dernière objection, la fonction rénale, fréquemment altérée chez les patients en FA. Or, cette dysfonction, qui augmente avec l’âge, accroît le risque d’AVC, de saignements et de décès. Ce type de patients est largement représenté dans les essais cliniques des AOD. En vie réelle, chez les patients ayant une insuffisance rénale, la réduction sous AOD du risque d’AVC ischémique, d’IDM ou embolie périphérique est significative, sans surcroît d’hémorragies majeures(3). A contrario, la warfarine n’est pas elle-même dénuée d’inconvénients (calcifications, etc.). Enfin, le déclin de la fonction rénale est ralenti sous AOD comparativement aux AVK. Patient âgé : la précaution nuit-elle à la prévention ? Comment définir la fragilité ? La règle des 4 C — cognition (à évaluer avec le test MIS, le test de l’horloge), chutes (rechercher une hypotension orthostatique), comédication, Cockroft (âge, poids) — est utile. L’observance est souvent altérée en cas de troubles cognitifs. Le dernier consensus des gériatres(4) recommande de prescrire un traitement anticoagulant chez les patients en FA âgés de ≥ 75 ans en tenant compte du risque hémorragique. Il convient de préférer les AOD aux AVK chez les > 75 ans en raison d’un moindre risque d’hémorragie cérébrale (réduction > 50 %) et d’une meilleure efficacité (réduction des AVC de 20 %). Les essais des AOD ont inclus peu de patients âgés de > 80 ans. C’est donc tout l’intérêt de SAFiR-AC (Bleeding risk in elderly subjects aged more than 80 years in atrial fibrillation treated by rivaroxaban anticoagulant), une étude observationnelle prospective réalisée dans des services de gériatrie chez des patients initiés sous AVK ou rivaroxaban, suivis tous les 3 mois, avec pour critère principal le risque hémorragique (durée 2 ans). Près de 2 000 patients ont été inclus (âge moyen 86 ans ; 25 % > 90 ans), dont 46 % de sujets déments, 66 % souffrant de malnutrition, 36 % chuteurs, 52 % avec une anémie. Les résultats à 1 an montrent sur le critère principal, les hémorragies majeures, une réduction de près de 47 % dans le groupe rivaroxaban, persistante après ajustement sur les facteurs confondants. Les hémorragies cérébrales sont réduites de près de 60 %. Il n’y a pas de différence significative en termes d’hémorragies gastro-intestinales ou d’AVC. Les mêmes résultats sont obtenus après ajustement. Le meilleur score de risque pour évaluer les hémorragies semble être ATRIA, plus discriminant qu’HAS-BLED ou HEMORRAGE. Ce score prend en compte 5 critères : anémie (3), insuffisance rénale sévère (3), âge ≥ 75 ans (2), antécédents hémorragiques (1), hypertension (1). Un total > 4 points définit un haut risque hémorragique. Dans l’étude SAFIR-AC, une clairance < 30 ml/min augmente fortement le risque hémorragique (HR = 4,1 ; 1,5-10,9) mais sans différence significative entre rivaroxaban et AVK. Dans l’étude, 68 % des patients apparaissent bien dosés. Le surdosage se traduit par une augmentation du risque hémorragique ; en revanche, il n’y a pas de signal de risque ischémique avec la moindre dose. Recommandations ESC dans l’embolie pulmonaire Dans les guidelines de l’ESC, la stratification du risque aura un impact sur le choix thérapeutique : thrombolyse dans les formes graves ; toutes les formes d’anticoagulation dans les formes non graves ; dans les formes intermédiaires faibles HBPM/fondaparinux ou anticoagulants oraux ; dans les formes intermédiaires élevées, une forme injectable est préférable pendant 48/72 heures avant de passer à une forme orale(5). Dans cette indication, les traitements oraux disponibles en France sont le rivaroxaban et l’apixaban, recommandés de préférence aux AVK : – rivaroxaban : 15 mg x 2 /j pendant 21 j puis 20 mg (ou 15 mg/j) ; – apixaban 10 mg x 2/j pendant 7 jours puis 5 mg x 2/j. L’ESC a amendé ses propositions : en 2014, les AOD étaient recommandés comme une alternative au traitement parentéral/ AVK ; aujourd’hui, ils sont considérés comme préférables en 1re intention. Le rivaroxaban et l’apixaban ont été évalués sans traitement HBPM préalable, contrairement au dabigatran ou edoxaban. Pour être utilisés de prime abord, sans HBPM, les deux schémas thérapeutiques ont opté pour une maximisation de dose à la phase aiguë. Ainsi, la dose de départ n’est pas la même que la dose d’entretien sous peine d’un risque de récidive. Cette stratégie dérive des essais Van Gogh qui comparaient l’idraparinux (isomère du fondaparinux de très longue demi-vie administré une fois par semaine) au traitement standard ; en termes de récidives de TVP, les résultats étaient équivalents mais le taux de récidives dans l’embolie pulmonaire était beaucoup plus élevé sous idraparinus comparativement au schéma HBPM + AVK. Le deuxième signal est venu du ximelagatran (étude THRIVE IIV), premier anticoagulant oral direct (antithrombine) utilisé à la même dose pendant toute la durée du traitement vs HBPM + AVK ; à 6 mois le pourcentage de récidives était équivalent dans les deux groupes mais il y avait un surrisque à la phase précoce (15-20 premiers jours). D’où l’idée de conserver un traitement biphasique débutant par une HBPM – schéma choisi avec le dabigatran et l’edoxaban – ou d’augmenter les doses initiales pendant la période la plus à risque – option choisie pour le rivaroxaban et l’apixaban. Dans l’essai EINSTEIN pendant la période initiale, avec une augmentation de dose pendant les 3 premières semaines, le taux de récidives est moindre vs traitement conventionnel (0,9 % vs 1,2 %) et il y a moins d’événements hémorragiques (0,4 % vs 0,8 %)(6). Quelle durée de traitement ? Les recommandations préconisent de poursuivre le traitement anticoagulant pendant au moins 3 mois (IA). Le taux de récidives est beaucoup plus important en cas de traitement < 3 mois(7). Au-delà de 3 mois, le traitement est recommandé pour une durée indéfinie chez les patients ayant une récidive de TEV sans rapport avec un facteur de risque majeur transitoire ou réversible (IB). Cette notion de durée indéfinie a été établie à partir de l’étude PADIS-PE qui avait évalué 2 ans de traitement vs 6 mois par warfarine avec un de 2 ans après l’arrêt. Sous traitement le taux de récidives est très faible, mais à son arrêt, les récidives réapparaissent et à 42 mois les deux bras de l’étude sont équivalents(8). Quels patients sont justifient-ils d’un traitement prolongé ? Après un premier épisode sans facteur déclenchant identifiable (IIaA) ; après un premier épisode associé à un facteur de risque persistant autre qu’un syndrome des anticorps antiphospholipides (IIaC) ; après un premier épisode associé à un facteur de risque mineur transitoire ou réversible (IIaC), ce qui est peutêtre excessif ! Les Canadiens ont mis au point le score HEDOO permettant d’estimer le risque de récidive, approche peut-être encore un peu excessive. Se pose la question de la dose en cas d’extension de la durée. L’ESC propose éventuellement des réductions de dose : apixaban 2,5 mg x 2/j, rivaroxaban 10 mg 1 x/j après 6 mois, schémas testés en comparant la dose standard à la réduction de dose après 6 mois de traitement avec un bras placebo dans la première (AMPLIFY- Extension(9)) et un bras aspirine dans la seconde (EINSTEIN-Choice(10)). Malheureusement aucune de ces deux études ne répond à la question. En effet, AMPLIFY comparait chacun des deux bras au placebo et EINSTEIN, les deux bras à l’aspirine ; en plus les malades à haut risque de récidive n’étaient pas inclus dans ces essais car ils n’auraient pas pu être traités par placebo ou aspirine. Un essai actuellement en cours en France va comparer faible dose à dose standard sans bras placebo ni forte dose. Deux AOD ont été évalués dans un contexte carcinologique, edoxaban et rivaroxaban, chacun comparés à la deltaparine. Les recommandations préconisent la prescription d’une HBPM pendant les 6 premiers mois (IIaA). L’étude SELECT-D a montré un moindre risque de récidive avec le rivaroxaban (HR 0,43 ; 0,19-0,99), au prix d’un surcroît de saignements essentiellement dans les cancers gastro-œsophagiens(11). D’après un symposium Bayer avec la participation de M. Cowie, O. Hanon et G. Pernod, JESFC 2020

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