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Risque

Publié le 15 déc 2018Lecture 8 min

Cholestérol et coronaires : le fardeau de l’exposition cumulée

Jean FERRIÈRES, Fédération de cardiologie, CHU de Toulouse

Le cardiologue, qui reçoit les résultats d’un bilan lipidique, analyse de manière précise la valeur du LDL-cholestérol (LDL-C). Par contre, peu d’entre nous s’attachent à recueillir l’ancienneté de l’exposition à ces valeurs élevées de LDL-C. Il est donc logique de se poser la question des conséquences éventuelles de l’exposition prolongée à des valeurs anormales de LDL-C.

La physiopathologie  de l’athérosclérose et la continuité du risque L’athérosclérose est une maladie qui dure toute la vie et dont les conséquences cliniques n’apparaissent que tardivement. Les études autopsiques ont bien montré que des sujets très jeunes présentaient déjà des lésions d’athérosclérose au niveau aortique et au niveau des artères coronaires. Il est traditionnel en médecine de parler de prévention primaire, de prévention secondaire et de prévention tertiaire (figure 1). Néanmoins, l’exposition aux facteurs de risque est continue tout au long de la vie et il n’existe pas de réelle frontière entre la prévention primaire et la prévention secondaire. Ce sont les cliniciens qui désignent sous le terme de prévention secondaire les patients qui ont eu une manifestation clinique de l’athérosclérose. Cependant, le patient qui présente un syndrome coronarien aigu avait la veille de son événement quasiment les mêmes lésions coronaires en ce qui concerne leur étendue et leur sévérité. Figure 1. Les 3 grandes étapes de la prévention. Ainsi, le risque d’événements cliniques coronaires est directement proportionnel à l’étendue des lésions coronaires. Dans la figure 2, on constate la transition très progressive du risque selon le statut coronaire sans qu’il y ait de frontière très marquée entre les lésions non obstructives et les lésions significatives sur le plan du flux coronaire. Figure 2. Survie à 5 ans : augmentation progressive du risque coronaire en fonction de l’étendue des lésions. L’hypercholestérolémie familiale hétérozygote est un modèle d’athérosclérose accélérée L’hypercholestérolémie familiale est une maladie génétique qui est un modèle parfait d’athérosclérose accélérée. L’hypercholestérolémie familiale est une maladie autosomique dominante qui reproduit parfaitement les modèles expérimentaux chez l’animal. En d’autres termes, l’hypercholestérolémie est présente dès la naissance et l’exposition est telle que des accidents coronaires peuvent survenir très fréquemment dès l’âge de 30 ans. La prévalence de cette affection est de 1 sujet sur 200 ou de 1 sujet sur 250 en population générale, ce qui en fait la maladie génétique la plus fréquente dans le monde, et ceci quelle que soit la pathologie. L’hypercholestérolémie familiale est également la cause d’un rétrécissement aortique accéléré qui doit être dépisté le plus tôt possible chez les sujets jeunes exposés à une histoire familiale d’hypercholestérolémie. L’athérosclérose liée à l’hypercholestérolémie est d’abord une athérosclérose purement lipidique et non calcifiée et ce n’est que tardivement que les calcifications coronaires apparaissent. Ainsi, le score calcique sera pris en défaut dans la première partie de la vie des patients porteurs d’une hypercholestérolémie familiale. Néanmoins, le risque coronaire chez les patients porteurs d’une hypercholestérolémie familiale peut être circonscrit à la fois par le niveau de l’élévation du LDL-C et par la présence d’une mutation au niveau du LDL-récepteur, de l’apolipoprotéine B ou de la protéine PCSK9. Nous avons montré récemment la valeur prédictive et indépendante du niveau de LDL-C supérieur à 3,30 g par litre et de la présence d’une mutation, sur le risque d’une maladie coronaire prématurée dans une large série de patients ayant tous fait l’objet d’une analyse génétique exhaustive (tableau 1). En d’autres termes, le niveau du LDL-C représente la sévérité de la maladie alors que la présence d’une mutation responsable est le reflet de la durée de l’exposition à ces valeurs élevées de LDL-C. Le fardeau  du cholestérol au niveau populationnel Dans une étude publiée récemment, nous avons analysé en population générale la valeur prédictive des facteurs de risque cardiovasculaire. Il s’agissait d’un échantillon de 3 208 sujets français représentatifs de la population générale et qui ont été suivis 10 ans. Nous avons enregistré 156 décès, ce qui a permis de construire un modèle multivarié. Dans une analyse ajustée pour l’ensemble des facteurs de risque de la maladie cardiovasculaire, un LDL-C supérieur à 2 g par litre est associé à un risque relatif significatif de 1,62 pour la mortalité totale. Ceci signifie que l’exposition cumulée à des valeurs de LDL-C élevé ampute l’espérance de vie chez des Français tout-venant issus de la population générale. Dans une autre étude publiée récemment, nous avons voulu savoir si les niveaux de LDL-C pouvaient stratifier le risque. Nous avons ainsi suivi 4 930 sujets pendant 8,6 ans et nous avons enregistré 123 décès. Afin de mieux illustrer la relation entre le LDL-C et le risque, nous avons choisi les niveaux de LDL-C utilisé dans la classification de Dutch recommandée par la Société européenne de cardiologie pour dépister une hypercholestérolémie familiale. Il s’agit de 4 seuils de LDL-C : 1,60 g par litre, 1,90 g par litre, 2,50 g par litre et 3,30 g par litre. Nous avons réalisé plusieurs analyses multivariées avant et après exclusion des patients sous traitement par statines. Quel que soit le modèle multivarié, il existe un effet-dose entre le niveau de LDL-C et le risque relatif de mortalité totale. Dans le modèle présenté dans la figure 3, le risque de décès augmente significativement dès que le LDL-C franchit 1,60 g par litre ; ce risque relatif est de 8,17 lorsque le LDL-C dépasse 3,3 g par litre (figure 3). En d’autres termes, le niveau du LDL-C enregistré à un moment donné a un effet cumulatif sur le risque qui est loin d’être négligeable. Figure 3. L’effet cumulatif du niveau du LDL-C sur le risque vital. Ajustement pour l’âge, le sexe, le tabac, l’hypertension artérielle et le diabète, et après exclusion des sujets sous statines. Dans un travail récent, des collègues américains ont réalisé une étude similaire. Dans l’étude du Cooper Center, 36 375 participants sans antécédent de maladie cardiovasculaire ou de diabète, ont été suivis pendant 26,8 ans et 1 086 décès cardiovasculaires ont été enregistrés. Après ajustement pour les facteurs de risque cardiovasculaire, les sujets dont le LDL-C est entre 1,60 g et 1,90 g par litre ont un risque relatif de décès cardiovasculaires de 1,7 et les patients dont le LDL-C est supérieur à 1,90 g/l ont un risque relatif de 1,5 de décès cardiovasculaires. Comme dans notre travail, il existe une relation significative entre le niveau du LDL-C et le risque. De plus, la valeur de LDL-C de 1,60 g/l semble être la valeur déterminante pour faire basculer le sujet dans une situation à risque élevé ; par ailleurs, il existe un effet-dose entre le LDL-C et la mortalité cardiovasculaire (tableau 2). La notion d’exposition cumulée au cholestérol La bibliographie nous apprend beaucoup en général et nous montre que cette notion n’est pas nouvelle. Dans un article publié en 1996 dans l’American Journal of Cardiology, les auteurs ont émis l’hypothèse que les dépôts lipidiques dans les artères étaient corrélés à la fois à la durée et à la sévérité de l’hypercholestérolémie. Ils ont utilisé comme modèle d’étude 17 patients porteurs d’hypercholestérolémie familiale à l’état homozygote et ils ont étudié leur histoire clinique et leurs antécédents. Ces auteurs ont défini un score de cholestérol-années comme le produit de la valeur du cholestérol total plasmatique par l’âge du patient au moment du diagnostic initial. L’atteinte athéroscléreuse au niveau des coronaires a été évaluée par la charge calcique au scanner. L’atteinte coronaire a ainsi été corrélée de manière significative au score de cholestérol-années. Ainsi, les auteurs définissent un seuil de 16,58 g/l-années comme seuil à partir duquel il existe une atteinte significative au niveau des artères coronaires ; si le patient n’est pas porteur d’une hypercholestérolémie génétique, les auteurs indiquent que les patients qui ont un cholestérol total à 3 g/l atteignent ce risque coronaire dès l’âge de 55 ans. Plus récemment en 2018, dans une revue générale du Journal of the American College of Cardiology, les auteurs introduisent à nouveau la notion de cholestérol-années (figure 4). Il s’agit d’un calcul qui tient compte du niveau du LDL-C et de la durée de cette exposition au LDL. Les auteurs indiquent qu’un cholestérol-années de 5 g/l-années expose les patients à un risque cumulatif d’infarctus du myocarde de 1 %. Ainsi, à plus de 20 ans d’intervalle, cette notion de fardeau cumulé lié au cholestérol semble s’imposer dans le paysage de l’athérosclérose. Figure 4. La relation entre l’exposition cumulée au LDL-C et le risque d’infarctus du myocarde. Réduire la charge athéromateuse en débutant tôt le traitement médical La notion de fardeau de l’exposition cumulée au cholestérol renvoie immédiatement à la nécessité de dépister tôt et de traiter tôt les anomalies du LDL-C. Ceci renvoie également à la notion de « Cholesterol Legacy » qui a été montré dans WOSCOPS et ASCOT où le traitement par statines sur une durée relativement courte permet une amélioration très importante du pronostic à très long terme. Afin de réduire la charge athéromateuse, il faut donc considérer le niveau de l’élévation du LDL-C et la durée d’exposition à ce même LDL-C. Réduire le niveau du LDL-C va dans le sens de l’histoire des essais cliniques ; la valeur obtenue pour le LDL-C dans l’étude PROVE-IT était de 0,62 g/l ; la valeur obtenue dans IMPROVE-IT était de 0,53 g/l ; la valeur obtenue dans l’étude FOURIER était de 0,30 g/l et la valeur moyenne dans ODYSSEY-Outcomes était de 0,53 g/l pour le LDL-C. En synthèse, plus le LDL-C est bas et meilleur est le pronostic. D’autre part, les études observationnelles dans l’hypercholestérolémie familiale démontrent les conséquences anatomiques et cliniques de l’exposition cumulée à des valeurs de LDL-C élevé lorsque l’exposition débute dans l’enfance. Cette notion de précocité d’exposition au LDL-C se retrouve également dans les études contemporaines dans lesquelles l’imagerie moderne arrive à capter l’évolution progressive des plaques d’athérosclérose au fur et à mesure de l’ancienneté de l’exposition au LDL-C. En pratique Le fardeau de l’exposition cumulée au cholestérol sur les coronaires n’est pas une notion nouvelle. Il s’agit d’un concept hautement réaliste découlant de la physiopathologie de l’athérosclérose où le niveau et la sévérité d’un facteur de risque influencent toujours le pronostic cardiovasculaire. Cette notion a un double impact clinique. D’une part, le dépistage du LDL-C élevé doit se faire dès l’enfance et la recherche des lésions vasculaires infracliniques doit être une obsession du cardiologue. D’autre part, le traitement du LDL-C élevé doit être le plus rapide possible afin d’éviter les conséquences cliniques qui seront plus tard irréversibles.

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