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Insuffisance cardiaque

Publié le 15 juin 2017Lecture 10 min

Foie et cœur : atteinte hépatique dans l’insuffisance cardiaque

Damien GUIJARRO*, Jean-Noël TROCHU** *Clinique cardiologique, CHU de Nantes ; Groupe Hospitalier Mutualiste de Grenoble **Clinique cardiologique, CHU de Nantes

L'insuffisance cardiaque peut provoquer un dysfonctionnement des organes périphériques par ses conséquences hémodynamiques d'amont et d'aval. En aval par un défaut de perfusion des tissus, en amont par la congestion sanguine.
Les dysfonctionnements hépatiques liés à l'insuffisance cardiaque sont dus à un bas débit hépatique, à la congestion hépatique ou l'association des deux selon le désordre hémodynamique présenté par le patient.

Physiopathologie   La congestion hépatique est la conséquence d’une insuffisance cardiaque droite. L’élévation de la pression atriale droite est directement transmise à la veine cave inférieure et aux veines sushépatiques. Cette élévation de pression est transmise passivement aux veines centrales des lobules hépatiques et les sinusoïdes veineux de ces lobules (figure 1). Les conséquences sont une dilatation de ces espaces sinusoïdes, un œdème local pouvant conduire à une exsudation vers l’espace de Disse (figure 2). Lorsque cette exsudation excède les capacités de drainage lymphatique on observe la formation d’une ascite riche en protéines. Figure 1. Circulation veineuse hépatique. Le retour veineux digestif se draine dans la veine porte qui de façon originale se divise vers chaque espace porte pour alimenter avec les afférences artérielles issues de l’artère hépatique le réseau capillaire sinusoïde de chaque lobule hépatique (figure 2). Les veines centrolobulaires constituent le point de départ de la formation du réseau sus-hépatique qui se jettera dans la veine cave inférieure puis l’oreillette droite. Figure 2. Schéma de l’unité fonctionnelle hépatique. Le lobule hépatique est caractérisé par des travées cellulaires entre lesquelles se trouvent les sinusoïdes faisant la jonction entre les systèmes veineux porte et cave. Le lobule a une disposition en polygone avec à chaque angle l’espace porte amenant une veinule porte, une artériole issue de l’artère hépatique et le départ d’un canalicule biliaire. L’espace de Disse est un espace quasi virtuel entre les membranes des hépatocytes et les cellules endothéliales des sinusoïdes. Sur la gauche du schéma sont représentées les zones de Rappaport respectivement appelées zone péri-portale (1), zone médiolobulaire (2) et zone centrolobulaire (3). À ce niveau, à distance des espaces portes, la teneur en oxygène du sang est moindre, ce sont des zones particulièrement sensibles aux processus ischémiques. L’hépatite hypoxique est une conséquence d’aval de l’insuffisance cardiaque avec défaut de perfusion des lobules hépatiques. Le foie est un organe richement vascularisé représentant au total 25 % du débit cardiaque d’un individu sain. L’altération du débit cardiaque conduit en priorité à la souffrance hypoxique centrolobulaire (zone 3 de Rappaport, la plus vulnérable à la réduction de perfusion (figure 2), pouvant aller jusqu’à la nécrose hépatocytaire lorsque les capacités compensatrices d’augmentation d’extraction d’oxygène sont dépassées.   Scénarios clinico-biologiques   On peut observer deux grands scénarios cliniques totalement distincts dans leur signification clinique, pratique et pronostique : l’hépatopathie chronique de congestion et l’hépatite aiguë d’origine cardiaque.   Hépatite aiguë d’origine cardiaque Il est habituellement considéré qu’elle est seulement la conséquence d’un défaut de perfusion hépatique (« foie de choc »). Il apparaît cependant qu’en cas d’agression hépatique d’origine cardiaque, c’est la conjonction de la congestion et du bas débit qui est responsable des anomalies biologiques observées. Le terme de « foie de choc » n’est donc pas strictement approprié aux anomalies observées d’origine cardiaque. Le terme d’agression hépatique cardiogénique serait plus adéquat. Cliniquement, en plus des autres signes d’insuffisance cardiaque droite, on peut observer une encéphalopathie hépatique, un ictère. Ces signes pouvant se prolonger 24 à 48 heures au-delà de la restauration d’une hémodynamique hépatique normale. Biologiquement, on pourra observer une cytolyse importante (augmentation de LDH, ALAT, ASAT) associée à une élévation de la bilirubine libre et conjuguée. Les marqueurs de cholestase ( GT et PAL) peuvent également augmenter du fait de la congestion hépatique associée. Un ratio ALAT/LDH < 1,5 calculé précocement par rapport à l’agression hépatique semble être caractéristique de l’atteinte hépatique d’origine cardiaque. L’altération des capacités de synthèse des facteurs de coagulation représentée par exemple par un allongement du TP et réduction du facteur V sont des indicateurs d’une insuffisance hépato-cellulaire surajoutée à la cytolyse. Le délai de normalisation de ces anomalies après correction hémodynamique est d’environ 7 à 10 jours.   Hépatopathie chronique de congestion Cliniquement, la présentation est celle d’une insuffisance cardiaque droite chronique (défaillance biventriculaire sur cardiopathie gauche avec hypertension pulmonaire, insuffisance tricuspide sévère, cardiopathie droite isolée, constriction péricardique, montage de Fontan). Outre les signes cliniques classiques d’insuffisance cardiaque droite, la congestion hépatique pourra se traduire par un inconfort de l’hypochondre droit, une hépatalgie (liée à la mise en tension douloureuse de la capsule hépatique par le foie congestif), des nausées, une anorexie, un ictère. La présence d’une ascite clinique traduit un stade avancé de l’insuffisance cardiaque droite. Une malabsorption et des troubles du transit peuvent traduire la présence d’une entéropathie de congestion associée. Le profil biologique typique est celui d’une cholestase avec augmentation du taux de GT, PAL. Le taux de bilirubine peut être modérément augmenté, principalement sur la bilirubine indirecte. L’existence d’une cytolyse est dans ce cas inhabituelle (sa présence doit donc faire craindre un bas débit associé, une hépatopathie non cardiaque associée (par exemple liée à l’amiodarone). Le mécanisme par lequel la congestion se traduit par une cholestase biologique n’est pas clairement élucidé. Une hypothèse avancée est celle d’une compression des voies biliaires par les tissus hépatiques congestifs. La présence de la cholestase peut avoir pour conséquence une malabsorption des vitamines liposolubles (défaut d’excrétion des sels biliaires) expliquant chez les patients sous AVK des taux d’INR plus élevés dans les périodes de congestion hépatique.   Prévalence et pronostic de l’atteinte hépatique d’origine cardiaque   L’étude SURVIVE testait le levosimendan chez des patients présentant un choc cardiogénique. On disposait des dosages des biomarqueurs hépatiques chez 1 134 patients inclus. On observait des perturbations de dosages d’ALAT, ASAT et PAL chez environ 25 % des patients lors d’épisodes d’insuffisance cardiaque aigus nécessitant un recours aux amines. L’élévation de la PAL traduisait chez les patients une congestion plus marquée alors que l’élévation des marqueurs de cytolyse était associée aux signes cliniques de bas débit. Le pronostic à court terme (un mois) n’est pas affecté par l’élévation des marqueurs de cholestase (congestion). En revanche, l’élévation des marqueurs de cytolyse est un marqueur de mauvais pronostic précoce lors d’un épisode d’insuffisance cardiaque aiguë. Chez les insuffisants cardiaques chroniques stables, les anomalies du bilan hépatique sont de façon prédominante une élévation des marqueurs de cholestase. Dans la série publiée par PŒZL (1 032 patients), on retrouve une élévation des GT chez 46 % des patients (âge moyen 61 ans, FEVG moyenne 28 %, majoritairement (46 %) en classe 2 de la NYHA). Les transaminases ne sont pas plus élevées que dans la population générale. Dans cette étude, l’élévation des taux de bilirubine totale, GT, et PAL est graduellement corrélée à sévérité de la classe NYHA, d’une hypertension pulmonaire et de l’insuffisance tricuspide. De plus, ces trois biomarqueurs prédisent la nécessité d’une greffe cardiaque alors que l’élévation des transaminases n’a pas d’impact pronostique. Ces données confirmant les résultats de CHARM où la bilirubine totale est un marqueur fort d’un mauvais pronostic (mortalité et hospitalisation pour insuffisance cardiaque). L’étude PRAISE (Prospective Randomized Amlodipine Evaluation Study) suggère que les patients ayant un taux élevé de la bilirubinémie totale ont un risque accru de mortalité par défaillance hémodynamique plutôt que par mort subite. Il n’y a pas à l’heure actuelle de spécificité dans la prise en charge des patients présentant une agression hépatique aiguë d’origine cardiogénique. L’essentiel étant la restauration d’une hématose et hémodynamique normales. En revanche, il est important de reconnaître l’existence d’une hépatopathie chronique en rapport avec l’insuffisance cardiaque congestive du patient. Le dosage des biomarqueurs hépatiques de routine doit donc être réalisé au même titre que celui des peptides natriurétiques et pourrait parfois aider le clinicien à renforcer le traitement diurétique pour réduire la congestion hépatique.   Le cas de l’insuffisance cardiaque avancée   Chez les patients les plus sévères ayant une insuffisance cardiaque avancée, il est indispensable de reconnaître une hépatopathie causée ou non par l’insuffisance cardiaque lorsqu’on envisage des thérapeutiques lourdes d’assistance ou de greffe cardiaque.   Le cas de l’assistance ventriculaire gauche L’enjeu principal lorsque l’on s’oriente vers la pose d’une assistance ventriculaire gauche est de reconnaître l’existence d’une dysfonction ventriculaire droite non compatible avec le projet d’assistance du fait des surrisques associés en termes de morbi-mortalité à court et long terme. L’évaluation de la fonction ventriculaire droite est particulièrement difficile chez ces patients dont l’insuffisance cardiaque est ancienne avec un remodelage cardiaque important. L’élévation des biomarqueurs hépatiques sera dans ce contexte d’un intérêt diagnostique. La présence d’une hépatopathie liée à l’insuffisance cardiaque est associée à une hypertension artérielle pulmonaire et la sévérité de la dysfonction cardiaque droite est proportionnelle à l’altération des biomarqueurs hépatiques. Ainsi, on comprend que le taux de bilirubinémie soit reconnu comme un facteur de mauvais pronostic après assistance chez ces patients et intégré dans le calcul de scores de prédiction d’insuffisance ventriculaire droite après assistance (Score de Matthews). Il est aussi possible de calculer un score mixte hépato-rénal : le MELD-score, initialement développé chez les patients ayant une cirrhose hépatique candidats à une transplantation hépatique. Il intègre une évaluation des fonctions rénales (créatininémie) et hépatiques (bilirubinémie, coagulation). Chez les insuffisants cardiaques, il est sans doute plus pertinent de calculer le MELD-XI qui exclut la valeur de l’INR intégré au calcul du MELD-score compte tenu d’un nombre important de patients traités par AVK. Le score de MELD, s’il est élevé (> 17), est un prédicteur de défaillance ventriculaire droite, d’une morbi-mortalité accrue après implantation d’une assistance ventriculaire gauche. Une étude rapporte cependant l’absence de surmortalité à un an d’une population de patients assistés par le dispositif Heart-Mate II® avec dysfonction hépatique préopératoire importante (MELD-score moyen = 21, n = 23 patients). Il est décrit une normalisation des biomarqueurs hépatiques en l’absence d’hépatopathie irréversible.   Comment rechercher une cirrhose hépatique chez un patient insuffisant cardiaque sévère ? La présence d’une cirrhose hépatique avérée est habituellement considérée comme une contreindication à une transplantation cardiaque isolée. Elle devra faire discuter la réalisation d’une transplantation combinée cœur/foie. Étant donné le retentissement hépatique de l’insuffisance cardiaque évoluée, il peut être difficile de reconnaître une hépatopathie indépendante de l’atteinte cardiaque ou encore une cirrhose hépatique constituée d’origine cardiaque. L’interrogatoire et les antécédents sont des éléments importants de la recherche d’hépatopathie indépendante (hépatite virale chronique, alcoolisme chronique, hémochromatose, etc.) chez ces patients. La stratégie des examens complémentaires pouvant aider au diagnostic de cirrhose hépatique chez ces patients n’est actuellement pas établie. La biopsie hépatique reste l’examen de référence pour le diagnostic mais il s’agit d’un examen invasif qui n’est pas recommandé de façon systématique dans l’évaluation des patients candidats à une greffe cardiaque. La présence d’une ascite peut compliquer une insuffisance cardiaque chronique mais ne sera pas discriminante pour évoquer une hépatopathie indépendante surajoutée. Elle est en revanche un marqueur d’atteinte cardiaque et d’état physiologique davantage dégradés et il s’y associe fréquemment une dénutrition caractérisée par une albuminémie abaissée. Un travail récent mené sur une population de 225 patients adressés pour un bilan préassistance et/ou prégreffe confirme le mauvais pronostic postopératoire des patients présentant une ascite significative préopératoire. L’existence d’une hypertension portale peut se développer en cas d’augmentation des résistances vasculaires intrahépatiques en cas de cirrhose hépatique avérée. En cas de doute, on pourra rechercher sa présence au cathétérisme cardiaque par la mesure du gradient portocave. Un gradient de pression supérieur à 10 mmHg signe une hypertension portale importante et la présence d’une cirrhose avérée. La réalisation d’une fibroscopie digestive lors de l‘évaluation prégreffe devra rechercher la présence de varices œsophagiennes également associée à l’existence d’une hypertension portale.   En pratique   Le bilan biologique hépatique fait partie intégrante des explorations complémentaires du patient insuffisant cardiaque. L’anatomie et la physiologie hépatique expliquent que le « foie de choc » soit caractérisé biologiquement par une cytolyse alors que la congestion chronique se caractérise par une cholestase. La prévalence de perturbations du bilan hépatique chez le patient insuffisance cardiaque chronique est importante et estimée de l’ordre de 40 %. Il existe une corrélation entre le degré de sévérité clinique, échographique et l’intensité des perturbations biologiques observées. Il est capital d’éliminer une pathologie hépatique indépendante en l’absence de normalisation des paramètres biologiques après le traitement de l’insuffisance cardiaque. La cirrhose d’origine cardiaque est rare et retrouvée dans des situations d’insuffisance cardiaque droite ancienne, mais doit faire éliminer une cirrhose d’autre origine. L’évaluation de la fonction hépatique est déterminante avant la greffe cardiaque ou l’assistance circulatoire et peut-être évaluée avec des scores simples essentiellement d’intérêt pronostique. 

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