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Cardiologie générale

Publié le 30 juin 2015Lecture 10 min

Syndromes d’apnées du sommeil chez l’insuffisant cardiaque

M.-P. D’ORTHO, Groupe hospitalier Bichat-Claude-Bernard, Paris

Le syndrome d’apnées du sommeil (SAS) se caractérise par la survenue répétitive d'apnées et d'hypopnées au cours du sommeil. Sa prévalence chez les patients insuffisants cardiaques est élevée, de l’ordre de 60 à 70 %. Son dépistage systématique est donc justifié. Le SAS des patients insuffisants cardiaques peut prendre plusieurs formes : obstructif, central, ou mixte, à l’inverse de ce qui se voit dans la population générale où le SAS est pour 95 % de type obstructif. Ces événements respiratoires nocturnes, outre qu’ils induisent une importante désorganisation de l’architecture du sommeil, expliquent le retentissement sur la vigilance diurne et les fonctions cognitives et impactent le pronostic de l’insuffisance cardiaque.
Le traitement du SAS repose sur la ventilation nocturne. Malgré la contrainte que peut représenter cette ventilation, sa prescription se légitime en raison des bénéfices qu’elle semble apporter, en particulier sur l’amélioration de la morbi-mortalité.

Définitions   Le syndrome d’apnées du sommeil est défini par la survenue au cours du sommeil d’apnées et/ou d’hypopnées. Ces événements respiratoires sont caractérisés par l’interruption (apnée) ou la diminution de plus de 50 % (hypopnée) du flux inspiratoire, durant plus de 10 secondes, survenant en nombre supérieur à 5/h de sommeil. Les apnées obstructives sont distinguées des apnées centrales selon que les événements respiratoires sont liés à une obstruction des voies aériennes supérieures, ou à un trouble de la commande respiratoire.   Syndrome d’apnées obstructives du sommeil L’obstruction des voies aériennes supérieures (VAS) apparaît ou est majorée au cours du sommeil. Elle concerne les différents niveaux de la filière aérienne supérieure, des fosses nasales à l’hypopharynx(1). Le diamètre des voies aériennes peut être rétréci en raison d’obstacles anatomiques (hypertrophie turbinale, épaississement vélaire...). À ces obstacles fixes s’ajoute un obstacle « dynamique » au cours du sommeil, lié à l’hypotonie musculaire qui fait s’affaisser les parois pharyngées. Ces obstacles sont bien sûr aggravés par la surcharge pondérale, l’inflammation des VAS (tabac), la consommation de produits majorant le relâchement musculaire au cours du sommeil (alcool, hypnotiques...). Les hypopnées (figure 1A, rectangle vert) et les apnées (figure 1B, rectangle rose) sont plus ou moins désaturantes, en fonction de leur durée, des modifications des rapports ventilation/perfusion induites par le décubitus, et de la saturation d’éveil du sujet.   Enregistrement polysomnographique au cours d’apnées du sommeil Figure 1. A et B. Sont presents de haut en bas le flux nasal, le flux buccal, les mouvements thoraco-abdominaux, la saturation en oxygène de l’hémoglobine mesurée par voie transcutanée (SpO2), le pouls. Les hypopnées sont marquees par un rectangle vert, les apnées par un rectangle rose. La barre noire représente 30 secondes.   Syndrome d’apnées centrales du sommeil (SACS) et respiration de Cheyne-Stokes (CS) Les syndromes d’apnées centrales constituent un groupe hétérogène de troubles respiratoires du sommeil (TRS) secondaires à l’altération de la commande ventilatoire. Ces syndromes sont donc distincts des troubles obstructifs au cours desquels les efforts respiratoires se poursuivent ou même augmentent pendant l’apnée. Ils sont classiquement moins fréquents que le syndrome d'apnées obstructives du sommeil, à l’exception notable de l’insuffisance cardiaque, où ils représentent de 30 à 50% des TRS rencontrés, avec la forme particulière constituée par la respiration périodique de Cheyne-Stokes (figure 2). La présence d’un CS est un facteur pronostique déterminant de l’insuffisance cardiaque(2). Chez un même patient les deux types de trouble respira- toire peuvent être observés dans des proportions variables, et c’est le mécanisme prédominant qui permet de classer le type de syndrome d'apnées du sommeil, central ou obstructif.   Exemple de syndrome d’apnées centrales du sommeil avec ventilation périodique de Cheyne-Stokes Figure 2. De haut en bas sont notés les stades de sommeil (stade 3), la saturation en oxygène de l’hémoglobine mesurée par voie transcutanée (SpO2), le flux nasal, le flux buccal, les mouvements thoraciques et abdominaux. L’aspect typique crescendo-decrescendo de la ventilation est clairement visible sur les flux nasal et buccal, le caractère central est établi sur la simultanéité des modifications du flux et de la commande ventilatoire que représentent les mouvements thoraco-abdominaux.   Comment diagnostiquer un SAS ?   Les signes cliniques évocateurs de SAS obstructifs ne sont pas spécifiques, même si les notions d'obésité, de pauses respiratoires nocturnes constatées par les proches, de ronflements nocturnes, de somnolence diurne, de sensation de sommeil non réparateur avec fatigue sont évocatrices. La symptomatologie est encore plus pauvre en ce qui concerne les SAS centraux, car les patients sont peu, voire pas somnolents. Ils décrivent parfois leur ventilation périodique, qui gêne l’endormissement, et est parfois remarquée aussi à l’éveil ou lors d’un test d’effort. Dans la mesure où la clinique est non spécifique, le diagnostic repose clairement sur les examens complémentaires. L’examen de dépistage le plus simple est la mesure transcutanée de la saturation de l’hémoglobine en oxygène ou oxymétrie nocturne qui permet de détecter les épisodes de désaturation. Par sa facilité de mise en œuvre et sa sensibilité, cet examen est un outil précieux pour le dépistage, mais reste insuffisant pour identifier précisément le mécanisme du SAS et pour en apprécier la sévérité. La polysomnographie est l’examen diagnostique de référence. Elle permet d’enregistrer simultanément les variables permettant de définir le sommeil : électroencéphalogramme, électro-oculogramme, électromyogramme mentonnier, et la respiration, flux naso-bucal, mouvements thoraciques et abdominaux, oxymétrie, ainsi que l’électrocardiogramme, la position corporelle et les mouvements des jambes (électromyogramme jambier). Un examen plus simple est la polygraphie nocturne qui n’enregistre que les paramètres ventilatoires, et est possible au domicile du patient. Polysomnographie et polygraphie permettent de déterminer le type (apnées du sommeil obstructives ou centrales) et la sévérité du SAS, en calculant l’index d’apnées/hypopnées (IAH). Pour un IAH au-dessous de 5/h de sommeil, on considère qu’il n’y a pas de SAS, un IAH entre 5 et 15/h définit un SAS modeste, un IAH entre 15 et 30/h, un SAS modéré et au-delà de 30/h, un SAS sévère.   Les syndromes d'apnées obstructives du sommeil (SAOS)   Morbidité et mortalité du syndrome d’apnées du sommeil Somnolence diurne excessive La présence d’une somnolence diurne excessive est un maître symptôme du syndrome d'apnées obstructives du sommeil. Sa prévalence augmente avec la valeur de l’index, avec toutefois une corrélation lâche, soulignant que la somnolence n’est pas uniquement secondaire à la fragmentation du sommeil induite par les apnées. Elle est importante à reconnaître car ses conséquences sont majeures en termes d’accidentologie. Actuellement la législation sur la sécurité routière stipule que la somnolence représente un cas d’inaptitude à la conduite automobile (arrêté du Journal Officiel du 28 décembre 2005). En plus du risque accidentel qu’elle fait courir, la somnolence diurne excessive retentit fortement sur la qualité de vie des patients, en altérant leur vie sociale et professionnelle. Conséquences cardiovasculaires Depuis trente ans, l’hypothèse d’un lien entre syndrome d'apnées obstructives du sommeil et pathologies cardiovasculaires est soulevée, mais la preuve de la causalité n’a été apportée que plus récemment, grâce à des études épidémiologiques de grande envergure, dont les résultats sont synthétisés dans une excellente revue récente(3). Ainsi le SAOS constitue un facteur de risque d’athérome(4), d’HTA et d’accidents vasculaires cérébraux(5). Enfin il a une influence pronostique délétère claire sur l’insuffisance cardiaque(6), et à l’inverse, traiter le syndrome d'apnées du sommeil permet une amélioration significative de la fonction cardiaque(7). Retentissement métabolique Le retentissement métabolique du syndrome d'apnées obstructives du sommeil est maintenant lui aussi clairement reconnu. Plusieurs études ont montré que le syndrome d'apnées obstructives du sommeil est un facteur de risque d’apparition d’une intolérance au glucose et de la résistance à l’insuline, premiers signes du diabète non insulinodépendant. Autres conséquences Le syndrome d'apnées du sommeil a de multiples autres conséquences qu’il serait fastidieux de lister ici. Citons toutefois l’altération des fonctions supérieures, mémoire, apprentissage, etc. et ce indépendamment de la somnolence diurne.   Traitement Le traitement des SAS obstructifs repose sur la ventilation nocturne en pression positive continue. En « pressurisant » les voies aériennes supérieures, elle offre une « attelle pneumatique » aux parois des voies aériennes supérieures et empêche leur collapsus inspiratoire. Ce traitement doit s’associer à des mesures hygiéno-diététiques qui visent à réduire les facteurs favorisants (contrôle de la surcharge pondérale, arrêt du tabac, suppression des hypnotiques, suppression de la prise d’alcool dans les heures précédant le coucher...). Des alternatives thérapeutiques existent sous forme de chirurgie ORL (uvulo-pharyngo-palatoplastie conventionnelle, palatoplastie par laser ou par radiofréquence), de chirurgie maxillo-faciale ou d’orthèse d’avancée mandibulaire à port nocturne. Ces alternatives sont moins contraignantes que la ventilation, toutefois elles posent le problème d’un taux de succès de 50 à 60 % (à l’inverse de la ventilation), et du recours nécessaire, pour la chirurgie conventionnelle, à une anesthésie générale. La ventilation nocturne reste par conséquent largement le traitement de référence. La ventilation nocturne est appliquée par voie nasale au moyen d’un masque ajusté sur la tête par un harnais. L’inspiration et l’expiration se font dans le même circuit (absence de valve), la réinhalation du CO2 expiré est évitée grâce à une fuite obligatoire présente sur les masques. La question essentielle posée par cette modalité thérapeutique est son observance. Les patients la trouvent volontiers contraignante et inconfortable, ce qui conduit, selon les séries, à environ 15 à 20 % d’arrêt de traitement. L’équipe soignante, en lien avec le prestataire de ventilation à domicile, a donc, là, un rôle essentiel d’éducation et de suivi thérapeutique. L’étroite collaboration entre les différents spécialistes, cardiologues, pneumologues et spécialistes du sommeil, s’avère indispensable pour accompagner le patient.   Les syndromes d'apnées centrales du sommeil (SACS)   Les syndromes d’apnées centrales du sommeil sont importants à aborder dans le contexte de l’insuffisance cardiaque chronique. Ils y sont fréquents et constituent un facteur aggravant(8). La prévalence des SAS varie de 50 à 70 % chez les insuffisants cardiaques stables(9), dont environ un tiers de SASC avec respiration de Cheyne-Stokes. La présence d’un syndrome d’apnées du sommeil a été décrite comme étant l’un des nombreux facteurs contribuant à l’altération de l’insuffisance cardiaque, au même titre par exemple que la dilatation auriculaire évaluée par la surface auriculaire en échocardiographie(10). Physiopathologie des apnées centrales du sommeil avec respiration périodique de Cheyne-Stokes Au sein des mécanismes responsables de l'apnée, paradoxalement l’hyperventilation semble jouer un rôle fondamental. L’hyperventilation serait la conséquence de la stimulation des récepteurs intrapulmonaires sensibles à l’étirement, activés par la congestion pulmonaire, et des chémorécepteurs périphériques sensibles à l’hypoxie. L’hyperventilation entraîne une baisse de PaCO2 sous le seuil apnéique, et provoque une apnée qui entraîne une élévation secondaire de la PaCO2 au-dessus du seuil ventilatoire, ce qui permet la reprise de la respiration. L’oscillation du système est favorisée, d’une part, par l’allongement du temps de circulation qui transmet avec retard les modifications de la PaCO2 aux chémorécepteurs carotidiens, et, d’autre part, par une augmentation du gain de ces récepteurs. Traitement des syndromes d’apnées centrales du sommeil La prise en charge du SAS avec respiration de Cheyne-Stokes suppose en premier lieu la prise en charge optimale de l'insuffisance cardiaque par les traitements ayant récemment démontré leur intérêt (diurétiques, inhibiteurs de l’enzyme de conversion, bêtabloquants). Dans le même ordre d’idées, la stimulation atriale forcée a été proposée chez des patients à fonction ventriculaire modérément altérée ayant une bradycardie sinusale symptomatique associée au SAS. Cependant l’optimisation des traitements à visée cardiaque ne suffit pas toujours à corriger le SAS, et un traitement spécifique doit alors être discuté. La ventilation nocturne est la même que pour les SAS obstructifs, et reposait jusqu’à présent sur la ventilation en pression positive continue, tout en requérant des précautions particulières compte tenu des effets délétères potentiels de la PPC sur la précharge. Certains autres modes de ventilation sont actuellement développés comme la ventilation à deux niveaux de pression, ou encore la ventilation servo-adaptée(11). L’amélioration pronostique apportée par le traitement du SAS semble conditionnée par la correction de l’index d’apnées/hypopnées sous ventilation(11,12,13).   En conclusion   La morbi-mortalité des syndromes d’apnées du sommeil (SAS) est pour l’essentiel liée aux conséquences de la somnolence diurne et cardiovasculaires. Si la reconnaissance des premières a rapidement fait l’objet d’un consensus, les conséquences cardiovasculaires du SAS ont été plus difficiles à établir, mais ne font aujourd’hui plus l’objet de controverse. Dans la mesure où les pathologies cardio- et cérébro-vasculaires représentent les pathologies chroniques avec handicap et risque vital parmi les plus fréquentes dans les pays industrialisés, et que leur traitement repose pour beaucoup sur le contrôle des facteurs de risque, les données acquises ces dernières années, tant concernant les conséquences physiopathologiques cardiovasculaires du SAS que la démonstration du lien causal entre SAS et pathologies cardiovasculaires, montrent que la prise en compte du SAS entre dans cet objectif et justifie un large dépistage.    Ce qu'il faut retenir   Les études récentes montrent que la prévalence des syndromes d’apnées du sommeil chez les patients porteurs d’une pathologie cardiovasculaire est élevée, jusqu’à 70 chez les insuffisants cardiaques. Les syndromes d’apnées du sommeil peuvent être de deux types : obstructifs ou centraux, ces deux mécanismes n’étant pas exclusifs. Leurs conséquences, notamment sur la morbi-mortalité cardiovasculaire et accidentelle ainsi que sur la qualité de vie des patients, sont importantes justifiant un diagnostic et un traitement adaptés.  Ce dernier est représenté en première intention par la ventilation nocturne en pression positive continue, dont l’observance passe par une éducation thérapeutique renforcée et une étroite collaboration entre cardiologues et spécialistes du sommeil.

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