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Insuffisance cardiaque

Publié le 14 avr 2014Lecture 5 min

Se passer de la digoxine dans l’insuffisance cardiaque ? Pourquoi ?

J.-F. AUPETIT, P. JURZAK, M. KRASTEVICH, Département de cardiologie, Centre hospitalier Saint-Joseph Saint-Luc, Lyon

Depuis plus de deux siècles et jusqu’à l’avènement des IEC en 1987, le traitement de l’insuffisance cardiaque chronique ou aiguë s’est limité au binôme digitalo-diurétique mais, à la faveur des nouveaux modèles physiopathologiques (au premier plan desquels se situe le modèle neuro-hormonal) et des nombreux essais thérapeutiques réalisés, l’arsenal thérapeutique de l’insuffisance cardiaque s’est considérablement enrichi. 

La figure représente le tableau de bord de la conduite du traitement de l’insuffisance cardiaque avec : - les diurétiques dont l’objectif est de contrôler la volémie ; - les cinq classes médicamenteuses qui ont montré leur aptitude à réduire la mortalité (IEC, bêtabloquants, antagonistes des récepteurs de l’angiotensine II, antagonistes de l’aldostérone, ivabradine). Sur ce clavier, la touche digitalique est reléguée au traitement des symptômes résiduels en fin de tableau et n’est devenue qu’un élément accessoire de l’arsenal thérapeutique.   Tableau de bord de la conduite du traitement de l’insuffisance cardiaque.   Il y a deux façons d’argumenter la non-utilisation de la digoxine dans le traitement de l’insuffisance cardiaque :   Argumentation fondée sur les preuves   • La seule étude finalement citée pour étayer les recommandations de l’ESC de 2012 est l’étude DIG(1). Cette étude a porté sur 6 800 patients avec une fraction d’éjection ventriculaire gauche ≤ 0,45 en rythme sinusal ; 3 405 patients avaient plus de 65 ans. Les patients étaient en classe NYHA 2 à 4, sous traitement associant des diurétiques et des IEC mais aucun n’avait de bêtabloquant et très peu avaient des antialdostérones. Il s’agissait dans cette étude de comparer un placebo à la prise de digoxine 0,25 mg/24 heures.   Cette étude, après un suivi moyen de 3 ans, a montré : - l’absence d’effet sur la mortalité totale ; - une diminution de 28 % du risque relatif d’hospitalisation pour insuffisance cardiaque (p < 0,001). En 2004, une métaanalyse rassemblant de petits essais suggérait que les digitaliques pouvaient améliorer les symptômes et retarder l’évolution de l’insuffisance cardiaque(2). Donc, au total, nous ne disposons que de preuves scientifiques assez maigres pour justifier la poursuite d’une prescription séculaire expliquant que dans les recommandations de l’ESC 2012, 30 lignes sur une demi-page résument les trois circonstances où les digitaliques peuvent être utilisés avec pour chacune, une classe de recommandation II B avec un niveau de preuve B. Le tableau rassemble ces indications.     • Absence de surmortalité avec les digitaliques : est-ce si sûr ? L’utilisation de la digoxine est capable de générer des effets secondaires fréquents, notamment chez les sujets âgés avec altération de la fonction rénale.   Des études post hoc(3) ont montré que l’efficacité de la digoxine (mais toujours dans le cadre très restrictif de l’étude DIG) en termes de mortalité et de morbidité, était observée pour des concentrations faibles de digoxinémie entre 0,5 et 0,8 ng/l ; en revanche, les effets sur la mortalité sont neutres entre 0,9 et 0,1 ng/ml tandis que pour des digoxinémies > 1,2 ng/ml un excès de mortalité est enregistré. L’utilisation de la digoxine nécessite donc le recours à de fréquents dosages de digoxinémie, ce qui est difficilement réalisable et coûteux en pratique. L’analyse de J.V. Freeman et coll.(4) qui a étudié l’efficacité et la tolérance de la digoxine dans la vie réelle avec le traitement optimal moderne validé chez 529 patients étudiés entre 2006 et 2008 avec un suivi de 2,5 ans est très intéressante. Dans ce travail, il apparaît que l’utilisation de la digoxine (versus son absence) est associée à un taux plus élevé de décès (14,2 vs 11,3 pour 100 personnes-années) et d’hospitalisation pour insuffisance cardiaque (28,2 vs 24,4 pour 100 personnes- années). En analyse multivariée tenant compte du sexe et de l’usage d’un bêtabloquant, la digoxine reste associée à un risque relatif supérieur de mortalité (1,12 ; IC95 % : 1,25-2,36).   Argumentation pharmacologique et physiopathologique   • Effet inotrope positif de la digoxine : tous les essais thérapeutiques avec les inotropes positifs ont entraîné une surmortalité, ce qui n’est pas le cas dans l’étude DIG où il n’y a pas de surmortalité. Il est toutefois assez difficile de cerner la place de la digoxine dans le modèle neuro-hormonal. Est-il pertinent d’accroître la contractilité ventriculaire gauche chez des patients ischémiques ?   • Les digitaliques exercent un effet chronotrope négatif : - au niveau sinusal ; - au niveau nodal par le biais d’un effet parasympathomimétique et d’une diminution de la sensibilité des barorécepteurs. Toutefois, l’effet chronotrope négatif des digitaliques n’est pas très efficace au cours de l’exercice où il existe un retrait du tonus parasympathique ; les bêtabloquants apparaissent très supérieurs pour ralentir la réponse ventriculaire au cours de l’effort. Depuis l’étude SHIFT, le rôle de la fréquence cardiaque dans le pronostic de l’insuffisance cardiaque a été bien établi mais l’efficacité des bêtabloquants et de l’ivabradine apparaît nettement supérieure dans la diminution de la fréquence cardiaque. De plus, parmi les 4 traitements de fond recommandés dans l’insuffisance cardiaque, 3 agissent déjà sur le modèle neuro-hormonal. Ainsi, chez les patients en rythme sinusal, il apparaît plus pertinent d’optimiser le traitement avec l’ivabradine. Celle-ci a en effet prouvé dans l’étude SHIFT une amélioration symptomatique et pronostique des patients, en complément d’une prise en charge thérapeutique moderne par IEC, bêtabloquants et antialdostérones. D’ailleurs, des inconditionnels de la digoxine ont exhumé l’étude DIG 16 ans après sa publication, en suggérant qu’elle serait bénéfique chez les patients en classe 3-4 de la NYHA avec une fraction d’éjection VG < 0,25 ou un index cardiothoracique < 0,55 (!) après avoir utilisé, comme dans l’étude SHIFT, le critère combiné morbi-mortalité cardiovasculaire et hospitalisation pour insuffisance cardiaque(5). On peut s’interroger sur la pertinence d’un tel raisonnement si l’on rappelle que l’étude DIG a été utilisée chez les patients qui ne prenaient pas de bêtabloquants.    En pratique    Les digitaliques doivent être sincèrement remerciés pour les services rendus pendant près de deux siècles, mais leur place actuelle dans l’arsenal médicamenteux du traitement de l’insuffisance cardiaque devient extrêmement restreinte (essentiellement indiqués pour réduire la fréquence ventriculaire des patients en FA qui ne peuvent recevoir de bêtabloquants). Il est difficile de ne plus être après avoir été, mais l’évolution des thérapeutiques et les données acquises de la science font que le traitement de fond est aujourd’hui composé des IEC, des bêtabloquants, de l’ivabradine et des antialdostérones. Ainsi, il apparaît désormais possible de se passer de la digoxine pour traiter une insuffisance cardiaque et il est possible que dans les prochaines recommandations, sa place soit encore plus restreinte, voire disparaisse. Que les nostalgiques des digitaliques se consolent en continuant d’admirer le charme de leurs clochettes pourprées sur les talus de nos souvenirs !

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